Obédience : NC Loge : NC 06/02/2001


La Légende d’Hiram


Par définition le mot Légende signifie : « Récit ou tradition populaire qui a, en général, pour sujet soit des évènements ou des êtres imaginaires, mais donnés comme historiques, soit des faits réels, mais déformés, embellis et parfois mêlés de merveilleux ». Cette définition est par trop restrictive car elle omet de traiter de l'action sur la psyché, consciente ou inconsciente, des récits légendaires par le symbolisme qu'ils véhiculent.

Les Légendes, tout comme les Contes ou les Mythes aiguisent notre vision des choses, et, pour peu que nous essayions de mieux les comprendre, nous pouvons retrouver et suivre la piste de leur véritable sens tracée par leurs récits. Leurs enseignements nous donnent la certitude que la piste n'a pas disparu, qu'elle mène les Hommes de plus en plus profondément au coeur de la Connaissance, et de la Connaissance d'eux‑mêmes. Les traces que nous suivons alors sont celles du Soi instinctuel, du Soi profond.

Les Légendes, tout comme les Mythes et les Contes mettent en activité la vie intérieure, ce qui est d'une importance particulière lorsque cette vie intérieure, comme celle de l'homme moderne, est apeurée, coincée, acculée, en proie à l'ignorance, l'ambition ou au fanatisme. Ils huilent les rouages, nous montrent comment nous en sortir et taillent dans les murs lisses de nos constructions intérieures de belles et grandes portes conduisant vers l'Amour et le Savoir, au retour à la vraie vie, celle de l'Homme qui Sait, de l'Homme Libre ...

Depuis la plus haute antiquité, et sur tous les continents, les hommes ont utilisé les Histoires pour aider les enfants à grandir, les Hommes à mûrir et développer leur humanité, dans le meilleur des cas, leur spiritualité. Elles étaient et sont toujours utilisées aussi comme support thérapeutique de l'âme.

C'est en cela que nous utilisons au cours de notre parcours maçonnique l'histoire d'un Maître architecte nommé Hiram, envoyé par le roi Hiram de Tyr, au roi Salomon afin qu'il bâtisse un Temple, assassiné par trois mauvais compagnons voulant lui arracher frauduleusement les prérogatives des Maîtres accordées uniquement au mérite, dont le cadavre fut découvert grâce à un rameau d'acacia par des Compagnons fidèles.

Et nous avions aussi besoin d'un Père, nous les enfants de la Veuve, pour paraphraser psychanalytiquement Ragon lorsqu'il associe: Osiris à Hiram, Isis à la Loge et Horus au F\ M\.

Ni historiquement, ni bibliquement, ni dans les plus anciens manuscrits maçonniques nous ne retrouvons une justification exacte de cette légende, pièce maîtresse du symbolisme de l'initiation au troisième degré, Hiram n'ayant jamais été appelé à diriger la construction du Temple ni à commander l'immense armée d'ouvriers, partagée en apprentis, compagnons et maîtres. Rien n'est dit aussi sur sa fin tragique.

A moins que cette légende ne nous vienne de l'Egypte Ancienne via Moise, les Esséniens, et les Templiers réfugiés en Ecosse, comme le prétendent nos Frères anglais, C.Knight et R.Lomas dans leur ouvrage: La Clé D'Hiram.

Oswald WIRTH précise que: « ce n'est guère qu'à partir de 1733 que les loges de Londres apprirent à gémir rituellement sur le tombeau de l'artiste qui vint de Tyr se mettre au service du roi Salomon. Passé jusque‑là inaperçu, ce fondeur, que rien ne désigne comme architecte du Temple, devint subitement le héros primordial de la Franc­Maçonnerie. ».

L'ensemble du Symbolisme de l'initiation au grade de Maître se retrouve au sein de cette légende. Celle‑ci est identique à celle que l'on retrouve dans les mystères de l'antiquité, ainsi que chez les peuples primitifs.

Les peuples de l'antiquité pratiquaient déjà des rites auxquels on n'était admis que par voie d'initiation. Ils représentent des scènes animées au cours desquelles on retrouve une simulation d'une mort suivie d'une résurrection.
« En Australie, au cours d'une cérémonie, bien antérieure au christianisme, un vieillard se couche par terre, tenant en main une branche verdoyante On le recouvre légèrement de terre de façon que la branche dépasse seule la terre; puis on y plante d'autres rameaux tout autour. Les néophytes l'entourent en cercle ; ensuite, aux accents d'un chant magique, l'enseveli se met à agiter son rameau et finit par se relever. » J. BOUCHER.

La légende d'Hiram ne saurait mieux exprimer la valeur initiatique de ces (ses) symboles et de ces (ses) rites, car vécue par le récipiendaire elle complète et termine l'initiation aux trois premiers degrés, et c'est avec des gants et un tablier immaculé, preuve de son innocence dans le meurtre du Maître, que le compagnon devra vivre ce drame symbolique, en lieu et place d'Hiram lui‑même, au cours de la cérémonie d'initiation.

Construire un temple, son temple intérieur, n'est pas chose facile, accepter de faire taire en nous cet ego névrotique et dévastateur, vision d'un monde mercantile et matérialiste, nécessite une fin, une mort du vivant mécanique, du carcan intellectualiste, pour une renaissance vers un homme en quête d'une réalité spirituelle, après l'apprentissage du monde intérieur, puis la connaissance et l'expérience du monde extérieur, par l'utilisation des outils.

L'Ignorance nous guette nous privant du souffle vital et nous paralyse dans l'action, l'image en est la règle qui, destinée à la gorge, s'abat sur l'épaule d'Hiram et lui paralyse le bras droit. Ignorance Maçonnique tout d'abord, ignorance de ses rites et de ses symboles, qui pousse à la critique, à l'incompréhension de la finalité de la Voie Royale, à la censure et à la dévalorisation des rites et des usages.

Ignorance aussi de notre double nature, matérielle et spirituelle, Ignorance de l'homme‑animal qui sommeille, soumis aux pulsions et désirs, dont la seule préoccupation est l'accroissement de la puissance, de la jouissance et du pouvoir, ignorance du lien avec le cosmos et de ses grandes lois, ignorance de l'Autre notre semblable, au nom d'un rationalisme borné, d'une logique rigide et d'un dogmatisme étroit, représentés par la règle lorsqu'elle est détournée de sa véritable nature symbolique.

La véritable ignorance, non la méconnaissance intellectuelle, est source de souffrance et cause de temps de drames qui bouleversent, le monde actuel et peut nous faire penser que les ténèbres et le chaos recouvrent de nouveau la terre en dépit de toutes les apparences.

Le fanatisme réduit l'être en esclavage, il touche et blesse le coeur, il nous prive du contrôle éclairé de nous même et des autres, il disjoint les pierres de l'édifice, il nous prive du véritable amour, comme le fait l'équerre blessant la poitrine d'Hiram. II peut nous conduire à croire être en la possession de la vérité, être infaillibles dans nos opinions et les ériger en dogmes, si nous avons un trop grand attachement à nos idées, et nous conduire à l'intolérance.

Fanatisme par absence de pensée, d'ouverture d'esprit, de réflexion, fanatisme par vie dans le regard des autres, à travers le regard des autres en se mettant au service des autres et aux idées des autres, fanatisme dans l'ignorance du conflit naturel de l'homme entre l'être animal‑ et l'être essentiel, fanatisme dans l'asservissement à l'égoïsme générateur de souffrance, de jalousie, de non‑amour de l'autre en dépit des apparences. II conduit l'homme à ne plus faire la distinction entre le bien et le mal, à être l'auteur du mal et sa victime par une conscience aveugle, obscure et confuse.

Puis, en citant O. WIRTH : « lorsque l'ignorance et le sectarisme ont fait leur oeuvre, Hiram n'a plus qu'à recevoir le coup de grâce, assommé, il s'effondre sous le maillet des ambitieux » Le dévouement que l'on devait aux autres se transforme en préoccupations et visées personnelles, politiques ou autres, détournant ainsi le but premier de notre cheminement et de notre institution : Liberté, Egafité, Fraternité, Amour et Tolérance. Ambition déréglée et démesurée, bien sûr, ambition politique, scientifique, religieuse, ambition que de détourner le véritable sens du progrès vers un progrès uniquement technologique dans tous les domaines, développant ainsi le pouvoir de l'homme, et l'illusion de satisfaire tous ses désirs, ses besoins et ses passions, avec le minimum d'efforts et de travail, et pour citer Sophocle: « La démesure enfante le tyran. », je dirai même qu'actuellement les démesures enfantent les tyrannies ...
Ignorance, Fanatisme, Ambition démesurée, lorsqu'on introduit en l'homme le virus mortel et qu'on essai de le cacher, lorsqu'on ment pour s'enrichir par la vente du vaccin contre l'Hépatite B, lorsqu'on refuse la production à bas prix des remèdes pour luter contre le Sida pour les plus démunis et les plus pauvres d'entre nous, en Afrique par exemple ..   et la liste serait encore longue.

ENJOLRAS disait au XIX° siècle que le XX° siècle serait heureux et harmonieux... !

Le maître assassiné par surprise par nos instincts les plus vils que sont l'ignorance, le fanatisme et l'ambition déréglée gît quelque part, la nuit est tombée, la parole perdue, et seul le rameau d'acacia indique le lieu de sa sépulture, seul point de repère pour guider nos espoirs et nos recherches, pour nous montrer que l'Etre n'est pas mort et qu'en unissant nos efforts il est encore possible de ressusciter la victime.

« La chair quitte les os ...Tout se désunit... », n'est‑ce pas sur la putréfaction du grain de blé que pousse l'épi vers la lumière ?
Et c'est en unissant leurs efforts que les Maîtres éclairés, créant une véritable chaîne régénératrice, le ramènent à la vie nouvelle, à la lumière, mieux armé et plus fort qu'avant, par les cinq points parfaits de la maîtrise, et reprendre le travail qui lui est imparti, c'est à dire, passer ainsi de la connaissance horizontale, à la connaissance verticale, véritable but de toute spiritualité.
Frappé mortellement tour à tour par la Règle, l'Equerre et le Maillet, renversé sur le sol comme l'architecte du Temple, notre sort se trouve désormais lié à celui du Maître disparu.

Comprendre la mort, qui est inéluctable pour toute chose, c'est la vivre. L'initiation à la maîtrise par le vécu du drame de l'architecte Hiram, nous en fait prendre conscience.
Projection fantasmatique de notre inconscient personnel lié à l'inconscient collectif de l'humanité, cette légende s'inscrit dans la lignée directe des grands Mystères de l'antiquité, d'Osiris et du Christ en passant par les Mystères d'Eleusis et bien d'autres.

Les Lamas tibétains, en méditation profonde à l'heure de leur trépas, décrivent les étapes de celui‑ci, la joie et le bonheur de quitter le monde matériel pour la lumière de l'amour et de la transcendance, et sont capables de préciser leur prochaine réincarnation.
De nombreuses études à propos des N.D.E, rapportées par des scientifiques, montrent que, lorsque nous mourrons, nous sommes accueillis par nos bien aimés disparus dans un cercle de lumière et d'amour.

Mais pour moi, Maître Maçon, le problème de la mort physique et du devenir du Soi, n'est plus une priorité, ces expériences confirment la loi universelle que tout ce qui existe prend et a pris naissance dans la disparition d'une autre existence. La mort n'est que le début d'une nouvelle vie.
Le monde moderne lute avec acharnement contre la mort, il oublie que la véritable lute est celle pour la vie.
Nous sommes dans le cycle de Vie‑Mort‑Vie permanent pour tout ce qui est présent sur terre, du cycle des saisons avec pour apogée le solstice d'été au cours duquel le Maître peut donner la parole sacrée, et le déclin au solstice d'hiver au cours duquel Hiram ne peut plus la donner, ses derniers mois de l'année étant représentés par les trois mauvais compagnons.

La mort, vécue par le rituel d'initiation au troisième degré, vécue à travers la légende d'Hiram, n'est pas une destruction mais bien au contraire un éveil générateur d'espoir vers un homme meilleur, une vie meilleure, un monde meilleur, dans un combat permanent entre l'homme‑animal, en proie à l'Ignorance, au Fanatisme et l'Ambition déréglée, et l'homme‑spirituel soucieux de faire naître sur le cadavre du précédent la Connaissance, la Tolérance, le Dévouement par la Force de l'Amour, la Beauté du Cœur et la Sagesse de l'Etre éternel.

J'ai dit Très Vénérable Maître
Vénérable Maître Michel RAVET

Bibliographie:
J.Boucher : La Symbolique Maçonnique
O.Wirth : La Franc‑Maçonnerie rendue intelligible à ses adeptes.
A.Pozarnick : A la lumière de l'Acacia.
C.Knight‑RLomas : La clé d'Hiram
H.Tort‑Nouguès : L'idée maçonnique.  

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