GLISRU | Loge : Alexandrie - Orient de Paris | Date : NC |
La tour de Babel
Dans mes
réflexions
relatives à la parole, au silence et à
l’écriture, j'ai rencontré
la Tour de
Babel qui m'a paru être un monument qui pouvait
symboliser la rencontre de ces
trois moyens de communication utilisés par les hommes et je
m'y suis arrêté. Ce monument
semble
symboliser évidemment la relation entre la terre et le ciel,
le désir
ontologique des hommes de vouloir s'élever,
même si, on le verra plus loin, il
est possible d'y voir une autre symbolique. Mais il
démontrerait
aussi l'incapacité presque définitive
d'arriver à son but. Où
bien un Dieu jaloux
s'y oppose, ou bien les querelles d'ambition,
transformées ici en confusion
des langues font que tout est voué à l'échec ! Mais avant
toute
réflexion, souvenons nous du verset de la Bible qui
évoque cette tour : C'est en Genèse,
chapitre 11 / 1-9, c'est-à-dire, curieusement,
intercalé dans la longue
énumération de la
généalogie de Noé et avant le chapitre
12 qui voit le Dieu
des juifs dire à Abraham de quitter sa terre de
Mésopotamie pour aller vers la
terre promise, le pays de Canaan.
« la
terre entière se
servait de la même langue et des mêmes mots. Or en
se déplaçant vers l'Orient
les hommes découvrirent une plaine dans le pays de
Shinéar et y habitèrent. Ils
se dirent l'un à l'autre : Allons !
moulons des briques et cuisons les au four.
Les briques leur servirent de pierre et le bitume leur servit de
mortier.
Allons dirent ils, bâtissons nous une ville et une tour dont
le sommet touche
le ciel. Faisons nous un nom afin de ne pas être
dispersés sur toute la surface
de la terre. Le Seigneur
descendit
pour voir la ville et la tour que bâtissaient les fils
d'Adam. Eh, dit le
Seigneur, ils ne sont tous qu'un peuple et qu'une
langue et c'est là leur
première œuvre ! Maintenant rien de ce
qu'ils projetteront de faire leur sera
inaccessible ! Allons, descendons et brouillons ici leur langue,
qu'ils ne s'entendent plus les uns les autres !. De là, le Seigneur les
dispersa sur toute
la surface de la terre et ils cessèrent de bâtir
la ville. Aussi lui donna t'on le nom de Babel car c'est la que le Seigneur brouilla la
langue de toute la
terre et c’est de là que le Seigneur dispersa les
hommes sur toute la surface
de la terre « Déjà
on peut s'étonner
que 3 générations après le
déluge, car on va le voir tout de suite le
constructeur supposé de cette tour est Nemrod,
arrière petit fils de Noé, par
Koush, son père, et par Cham, son grand-père,
Nemrod, dont la Bible dit qu'il
fut le premier héros sur la terre, le Dieu
Créateur n'ait de cesse de
poursuivre de sa vindicte ses propres créatures. Mais on y
reviendra… Avant
d'aller plus loin
je voudrais aussi faire part d'une précision
étonnante : pour beaucoup d'historiens le récit biblique de l'arrivée de ces hommes dans le pays de
Shinéar, en provenance de l'ouest, raconte en
fait l'arrivée des Sumériens
dans ce qui s appelle aujourd'hui l'Irak, la
Mésopotamie ancienne, le pays
situé entre les deux grands fleuves, le Tigre et
l'Euphrate. Or il est
prouvé que les
Sumériens n'étaient pas des
sémites, sans que l'on puisse toutefois savoir
d'où ils étaient originaires même
s'ils venaient à ce moment de l'Iran
actuel. Mais si Sumer
n'était
pas occupé par des Sémites, quid d'Abraham, le père de tous les Juifs ? Mais revenons
à notre
réflexion : Je vous ai
précisé que
le constructeur supposé de la tour serait Nemrod, petit fils
de Cham, arrière
petit fils de Noé, ayant aussi pour grand oncle, le
frère de Cham, un certain
MisraÏm, qui sera donc le père des Egyptiens, eux
non plus des Sémites, du
reste !
«
Koush engendra Nemrod. Il
fut le premier héros sur la terre, lui qui fut un chasseur
héroïque devant le Seigneur. D'où le dicton : tel Nemrod, être un chasseur
héroïque devant le Seigneur. Les capitales de son
royaume furent Babel, Erek,
Akkad, toutes villes du pays de Shinéar. Il sortit de ce
pays pour Assour et
bâtit Ninive, la ville aux larges places,Kalah, la grande
ville, et Résen,
entre Ninive et Kalah « Donc, avant
d'évoquer
la tour qui va être élevée dans une
ville à construire au pays de Shinéar, pays
que les hommes en général vont
découvrir en allant vers l'orient ( d'où
venaient ils si Shinéar est probablement dans ce que nous
appellerons ensuite
la Mésopotamie ? ), et bien, auparavant la Bible affirme
dans le chapitre
précédent que ce même pays est
confié à Nemrod dont il est le roi et
où il y
construisit 3 villes dont l'une portait le nom de Babel. Manifestement
le
chapitre 11 relatif à la Tour de Babel est inclus
là pour une raison qu'il va
falloir découvrir ? c'est d'autant
plus curieux que cet épisode, comme je
vous l'ai déjà
précisé, interrompt une longue
énumération de 10
générations à
partir de Noé, pour arriver à Abraham. Il n'est pas inutile
ici de rappeler que Cham, grand-père de Nemrod, est celui
qui a été maudit par
Noé pour l'avoir vu nu alors que ce dernier
était ivre ! On peut donc
évidemment
penser que Dieu, en rendant impossible la construction de la tour par
la
multiplication des langues, ne faisait qu'appliquer la
malédiction proférée
par Noé, celui qu'Il avait sauvé des
eaux pour repeupler la terre. Mais
décidément, après
avoir chassé ses 2 premières créatures
de l'Eden, avoir permis le meurtre d'Abel par Caïn et finalement avoir plus ou moins
récompensé ce dernier, après
avoir noyé l'ensemble des hommes sauf
Noé et sa famille, ce Dieu, comme les
Gnostiques l'ont souvent dénoncé, est
d'humeur rien moins qu'amour et
compassion. Mais qui donc
était à
Babel et qui construisait la Tour ? les hommes de la tribu de la
descendance de
Cham ? ou bien l'ensemble des descendants de Noé ? Avant de
répondre, ici,
où nous avons l'ambition de nous
intéresser à toutes les Traditions, regardons
ce que la Tradition musulmane, que nous connaissons très mal
et qui pourtant
véhicule peut-être ce qu'il y a de plus
proche de la Tradition initiale avec
l'Hindouisme et le Taoïsme, dit sur cette Tour. Mais les dates
se
télescopent. L'événement de
la destruction de la Tour de Babel se serait
produit en 2773 après la création du monde, pour
l'Islam, et seulement 1787
ans après pour les Juifs. Confusion des
calendriers ou confusion des langues ? Nemrod est
connu de l'islam, et comme le dit la Bible, comme étant de la
lignée de Noé. Mais si la
destruction de la tour s'était produite en 1787
après la création du monde,
comme l'affirment les textes juifs, cela se serait
passé du temps du règne du
roi Arghû, roi babylonien qui régna 23 ans. Or,
pour un commentateur arabe
nommé At-Tabâri, la naissance d'Arghû aurait eu lieu 170 ans après la fin du
déluge. Donc le
déluge aurait
ainsi eu lieu 1617 ans après la création. Je ne
sais pas ce que les textes
bibliques disent à ce sujet. At-Tabâri,
en revanche,
situe la construction de la Tour du vivant d'Abraham, ce qui
est impossible
pour la Bible qui situe le Père du monothéisme
à la 10ème génération avant
Noë
donc au minimum 300 ans, et probablement plus, après le
déluge.. At-Tabâri
situe du reste
la naissance d'Abraham 3337 années
après la naissance d'Arghû. Confusion des
langues ? Il existe, dans
l'Islam, d'autres mythes, à partir de Nemrod, et
dont le symbolisme est
identique : Nemrod avait
nourri 4
aiglons. Quand ceux-ci furent adultes et forts, il leur attacha une
nacelle et
s'envola ainsi. Pour les faire
aller
toujours plus haut il leur tendait de la viande. Du haut de sa
nacelle il
vit les montagnes, semblables à des fourmis. Allant toujours
plus
haut, il entra dans les ténèbres. Il ne voyait
plus rien, ni au dessus, ni au
dessous. Prenant peur il jeta de la viande et les aigles
piquèrent à toute
allure. Nemrod
s'écrasa sur la
Montagne fumante. Ah, au fait, il s'était
envolé de Jérusalem ( Mohamed s'envolera lui aussi de Jérusalem mais évidemment
montera au Ciel ). C'est seulement après
cette première tentative de rejoindre le Ciel que Nemrod -
car il n'était pas
mort - se lança dans l'aventure de la Tour avec
les résultats que nous
connaissons. C'est Dieu qui voyant
arriver ces hommes détruisit la construction en s'attaquant aux fondations (
c'est-à-dire à ce qui semblait le plus
solide - faut il ici réfléchir à ses
propres certitudes basiques ? -), et, de peur, les hommes qui parlaient
auparavant une seule langue se mirent à en parler 73
différentes. At-Tabâri,
toujours lui,
dépeint une humanité accablée par les
fléaux qu'envoie un Dieu jaloux d'une
possible indépendance des hommes. Il veut
préserver son rôle de maître dont
l'intercession doit être continuellement implorée. La construction
de
Babylone et de sa tour avaient comme motivation le souvenir encore
proche de la
grande inondation du déluge. L'idée
était donc de construire une ville qui
pourrait les protéger d'un
événement semblable, et la tour comme dernier
rempart contre la noyade. Mais Dieu
voulut, dit
At-Tabâri, rendre les hommes faibles, rendre contradictoires
leur pensées et
leur apprendre qu'en dehors de Lui, il n'y avait
point de salut. Il s'opposa donc à leur
rassemblement, dispersa leur groupement et fracassa de toute sa force
leur
langue. Un lexicographe
arabe,
Ibn Manzur, livre lui, un autre récit : On dit que
Babel fut
appelé ainsi car lorsque Dieu voulut confondre les langues
des humains, Il
envoya un vent et les amena de tous les horizons à Babel.
Dieu confondit avec
ce vent leur langue, puis il les dispersa à nouveau sur la
terre. L'encyclopédiste
As-Suyûti, de son côté, raconte : Lorsque Dieu
voulut
rassembler les humains à Babel, Il envoya sur eux du vent.
Ils se réunirent en
se demandant pourquoi on les rassemblait. Un
héraut cria : qui a
placé l'Occident à sa droite et
l'Orient à sa gauche, et fait face à
la
demeure sacrée, à lui est dévolu le
langage du Ciel. Ya’rûb
se leva et il fut
dit : Ya’rûb sera le premier à parler
l'arabe. Le
héraut continua et
répartit ainsi 72 langues. Quand ce fut
fini, la
confusion était totale car chacun parlait une langue
différente, on appela çà
du Babil. Encore une
autre
version, celle d'un certain Al-Bakrî : Lorsque les
hommes s'endormirent leur langue était le syriaque. Au matin, quand
ils s'éveillèrent,
leur langue fut séparée en 62 langues
différentes et chacun commença à
bredouiller dans sa langue. Pour cette raison l'endroit
où ceci eut lieu fut
nommé Babel. Dans tous ces
récits on
ne peut être frappé que par le rôle du
vent et surtout par l'absence d'explication pour l'agissement de Dieu. Si Dieu a
donné la
parole à l'homme, cela semble uniquement pour le
louer à travers les prières.
Il semble qu'Il ait peur d'une communication
entre les hommes ce qui n'est
pas sans rappeler les régimes totalitaires interdisant le
courrier, la presse,
le téléphone, aujourd'hui l'Internet ) Peut-être
est ce dans un
mythe plus ancien que l'on peut trouver une autre
explication ? Sur des
tablettes d'argile sumériennes, on peut lire le récit suivant
: 1200 ans
après la
création du pays, la population s'étant multipliée donnait de la voix. Le Dieu
souverain Enlil en fut incommodé. Il alla voir les Dieux
suprêmes et leur dit
que la rumeur des hommes est devenue trop forte, qu'il
n'arrive plus à
dormir. Ceux-ci leur lancèrent alors des
épidémies, de la sécheresse, de la
famine puis enfin le déluge. Mais Enki, le Dieu bon,
protégea les hommes d'une
disparition totale. Enlil trouva alors de pulvériser
l'unique langue dans une
myriade de parlés, et ainsi obtenir la disparition du bruit
par l'impossibilité de communiquer entre eux. En tant que Seigneur
de l'Air il n'avait pas eu trop de mal à choisir le moyen convenable pour
parvenir à ses
desseins et à embrouiller les paroles avec du vent. Les Dieux
veulent du
silence ! On peut tout
simplement
s'arrêter à cette conclusion simpliste,
ce qui expliquerait que si tous ces
Dieux, y compris celui de la Bible,ont fait se confondre les langues,
ils n'ont, en revanche, rien fait pour l'écriture qui
pourtant existait déjà et l'écriture cunéiforme des Mésopotamiens
semble même avoir été la seule
à cette
époque. N'avaient ils donc pas
peur de l'écrit qui pourtant, autant que la
parole, peut être un vecteur de
connaissance et de transmission ? Ou bien
savaient ils
pertinemment que l'écrit fige les mots, les
idées, empêche leur enrichissement
et sclérose les transmissions ? Les
récits changent d'aspect selon le genre de livre dans lequel ils se trouvent et la
profession de
son auteur. Selon que celui-ci soit exégète,
géographe, historien, philologue,
etc.. la même histoire sera présentée
de façon différente et transmise ainsi. Tous les
récits seront
néanmoins complémentaires sans une
véritable unité de contenu autre que celle
de leur accord sur l'image qu'il faut transmettre. Ainsi un
Franciscain qui
accompagnait les Conquistadores en Amérique raconte un mythe
indien identique : Au
début, avant que la
lumière du soleil n'ait été
créée, le monde était
plongé dans l'obscurité et
les ténèbres ? ce n'était
qu'une immense plaine, sans la moindre colline ni
élévation, entourée de tous
cotés par de l'eau, sans arbres, ni choses
vivantes. Immédiatement après que la
lumière et le soleil se furent levés à
l’est, apparurent des géants difformes qui prirent
possession de la terre.
Fascinés par la lumière et la beauté
du soleil, ils décidèrent de construire
une tour si haute que son sommet toucherait le ciel. Utilisant un
argile gluant
et du bitume ( la même technique qu'à
Babylone ) ils commencèrent sans tarder
à bâtir la tour. Quand la tour fut si haute
qu'elle touchait le firmament, le
Seigneur des cieux, fou de rage, dit aux habitants du ciel : avez vous
remarqué
que les habitants de la terre, fascinés par la
lumière du soleil et sa beauté,
ont dans leur arrogance, construit une tour pour monter
jusqu'ici ? que le diable
les emporte car il n'est pas juste que ceux de la terre,
vivant dans la
chair,se mêlent à nous ! Sur le champ les
habitants du ciel frappèrent tel la
foudre, ils détruisirent l'édifice et
divisèrent et éparpillèrent les
bâtisseurs sur toute la surface de la terre « On ne parle pas
de
langue mais quelle proximité avec la Tour de Babel ! Et puis la
différence de
langues, comme la différence d'écritures ou de religions sont ils en finalité
néfastes ? Un philosophe
iranien,
Az-ZamakhsharÎ affirme qu'elles sont
nécessaires à la reconnaissance mutuelle
des personnes et des choses. A cause de la différence,
dit-il, la
reconnaissance mutuelle est possible. Car si les choses
étaient en accord,
semblables et d'une seule façon, l'inconnaissance et la confusion apparaîtraient
et beaucoup de bonnes choses se seraient arrêtées. Pour maintenant
étudier
la Tour de Babel sous son aspect babylonien, il faut
déjà préciser que ,
contrairement à la symbolique qui y est attachée
dans le monde judéo-chrétien
et islamique, pour les Babyloniens, cette Tour était
destinée, au contraire, à
permettre aux Dieux de descendre sur terre. La
démolition de la Tour
de Babel aurait alors une autre symbolique, non plus celle de
l'ambition
démesurée des hommes qui veulent
conquérir le ciel, mais, au contraire, la
médiocrité de leurs moyens puisqu'ils
n'arrivent pas à mettre à la
disposition de leurs Dieux les moyens pour que Ceux-ci viennent les
visiter,
restant désespérément au niveau du sol. Ceux-ci, en
effet, ne
rendraient visite aux hommes que si ceux-ci s'en rendaient
dignes ! Mais
qu'était donc
cette Tour ? En fait il
s'agit d'une ziggourat, comme il en existait dans toutes les villes le long des
grand
fleuves. Celle de Babylone était nommée
é-ternen-an-ki ( temple des fondements
du ciel et de la terre ). La ziggourat
est une
tour à étages - 7 ou 8 selon les historiens - sur
le sommet de laquelle était
un temple, généralement consacré au
Dieu Mardouk, le dieu le plus,important du
panthéon babylonien. Un
poème - le Poème de
la Création - le présente comme le
créateur du cosmos et l'initiateur de
l'existence des hommes. Au fur et à mesure les autres Dieux
deviennent, de fait,
des aspects différents de Mardouk, en installant une sorte
de monothéisme avant
la lettre. Il est
à noter que le
fils de Mardouk, Nabu, est le Dieu de l'écriture. En haut de la
tour il y
avait un temple dont le seul mobilier était un lit
où aucun homme ne pouvait
pénétrer. Seule une femme choisie par les
prêtres pouvait passer la nuit dans
ce lit, avec le Dieu Mardouk. Toutefois il semble qu'une
cérémonie de mariage
avait lieu une fois l'an, au mois de mars, à
l'équinoxe de printemps qui
était la nouvelle année babylonienne, et que le
Roi, représentant le Dieu,
venait s'y unir avec une Prêtresse d'Ishtar, la Déesse babylonienne. Je voudrais
maintenant
aborder une réflexion sur la langue originelle, car le mythe
de la Tour de
Babel y fait évidemment allusion puisqu'avant cet
événement tous les hommes
auraient parlé le même langage. Mais avant, je
veux vous
citer ici un extrait de texte que j'ai trouvé sur
Internet et qui donne une
lecture psychanalytique du mythe de la Tour de Babel. Son auteur est
Jean-Louis Morizot. «
Dans le livre de la
Genèse, l'histoire des origines du monde et de la
création précède l'histoire
des Patriarches. Création
du monde,
création de l'homme et création de la femme, la
chute du Jardin d'Eden, les
enfants d'Adam et d'Eve, Caïn et Abel, la descendance de
Caïn, le déluge, Noé
et ses fils et enfin, le chapitre 11, La Tour de Babel, qui vient
interrompre
la longue filiation des fils et des filles de Noé, avant
qu'elle ne se
poursuive avec l'histoire des patriarches, Abraham et sa descendance. Intermède
donc dans
cette genèse, une histoire des noms et de ceux qui les
portent, intermède où le
temps s'arrête pour faire apparaître Nemrod le roi
chasseur, sa ville, Babel au
pays de Shinéar (Babylone en Mésopotamie,
l'actuel Irak) et son rêve fou de se
faire un nom, marquer son temps par une construction, un monument
d'architecture, rêve éternel des puissants, qui
fasse vivre leur renom dans la
mémoire des hommes après leur mort. Nemrod, le
révolté,
révolté contre le créateur,
construisit tragiquement l'incommensurable tour, la
lugubre tour des choses, l'édifice du bien, du mal et des
pleurs, oeuvre d'une
vie de tyran. Epopée humaine, âpre, immense,
projet titanesque auquel il lia
son nom faute d'y avoir fait don de sa personne (on ne dit pas la "
Tour
de Nemrod "). Plus haute que
les
ziggourats des astrologues, Hérodote qui visita Babylone
vers 460 avant Jésus
Christ rapporte dans ses Histoires la description d'une tour
monumentale de
sept étages... Pourquoi sept ? Sept est un chiffre complexe,
qui rappelle les
sept mobiles célestes, le soleil, la lune et les cinq
planètes connues, sept
commandait par allégorie, la semaine et le
déroulement du temps... Quoi qu'il en
soit, le
dieu de la création ne permit au projet ni d'être
achevé ni de perdurer. Comme
il avait tiré la conséquence de la faute d'Adam
et d'Eve, pour avoir goûté du
fruit de l'arbre de la connaissance, du bien et du mal, connaissance
réservée à
Dieu lui-même, comme il avait anéanti dans le
déluge les héros fornicateurs,
premiers descendants d'Adam et Eve, il anéantira et la tour
et ses
constructeurs, qui furent dispersés quand ils avaient voulu
ne faire qu'un avec
leur projet. En fait ce
texte doit
être relu comme un système symbolique, comme nous
y invitent tant les
kabbalistes lecteurs de la Torah que l'exégèse
chrétienne : - sous la
lettre et les
événements rapportés au sens
littéral, il s'agit de retrouver les trois autres
sens de l'écriture, allégorique,
herméneutique et mystique. La construction
et la
destruction de la tour ouvrent la question de l'origine des langues des
hommes,
de la langue originelle dont sont issues les langues des hommes. Babel porte du
ciel pour
des hommes qui voulaient se faire comme Dieu, devient Babel, la
confusion,
confusion des langues telle que les hommes se dispersèrent
car ils ne
s'entendaient plus. Le premier dans
le monde
médiéval chrétien, Dante Alighieri
s'est penché sur la question de la langue
originelle, celle qu'Adam avait parlé à Dieu et
qu'avaient parlé ses
descendants avant la Confusio linguarum qui suivit la construction
sacrilège de
la tour. Le " De Vulgari
Eloquentia ", écrit en 1305, oppose cette langue parfaite,
langue mère,
l'hébreu, aux langues vulgaires dont elle est la matrice.
Dieu ayant donné à
Adam, ce que Dante appelle la " forma locutionis ", qu'il faut
traduire, certes faculté de langage mais plus
précisément la structure de toute
langue, avec laquelle Adam va forger une langue, celle de la nominatio
rerum,
celle que parla Eve à Adam (Eve qui fut la
première à parler lorsqu'elle a
dialogué avec le serpent). Dieu lui,
parlait à Adam
à travers les phénomènes naturels (le
feu, la grêle, la neige, le souffle des
orages) et Adam a parlé à Dieu sous forme de
réponse. C'est pourquoi, Dieu a dû
lui parler d'abord, mais il n'est pas nécessaire que le
Seigneur ait employé
une langue de mots portée par une voix. Qu'est-il
arrivé avec
Babel pour Dante? Il est probable qu'il pensait qu'avait disparue la "
forma locutionis " parfaite, celle qui permît la
création de langues
capables de refléter l'essence même des choses
dans l'identité entre leur être,
modi essendi et leur représentation signifiante, modi
significandi et dont
l'hébreu adamique était le résultat
parfait et impossible à atteindre. Seules sont
restées des
forma locutionis imparfaites de même que sont imparfaites les
langues vulgaires
des peuples. C'est cette
langue
édénique parfaite que Dante a poursuivie avec
l'espoir de la restaurer, par un
acte d'invention : la langue vulgaire illustre, dont la langue
poétique est le
meilleur exemple pour une guérison de la blessure post
babélique. Une langue dans
laquelle
le mot serait identique à la chose, d'un discours qui ne
serait pas du semblant
dira Lacan, voilà ce dont nous sommes exilés, et
à quoi nous rêvons : à ce qui
n'est pas ! L'Après
Babel n'est pas
un épisode provincial, c'est un Drame ! Déjà
Platon dans le
Cratyle s'était posé la question sans parler
d'une langue parfaite, du rapport
des mots et des choses rapport établi soit suivant leur
nature (c'est la thèse
de Cratyle, les noms nomment les choses selon leur nature) soit en
fonction
d'une convention humaine (c'est la thèse
d'Hermogène qui y voit un rapport
contingent). Pour Socrate, la connaissance ne dépendait pas
de notre rapport
aux noms mais de notre rapport avec les idées des choses
issues de la
perception des noms. Pour Dante, que
l'homme
ait la faculté du langage, que les petits de l'homme
apprennent le langage
maternel dans la langue vulgaire, tient à ce qu'à
lui seul il ait été donné de
parler. Parler signifie
manifester les pensées de notre esprit au moyen de signes
sensibles. Seuls les anges
ont la
capacité intellectuelle de comprendre la pensée
de l'autre ou de lire les
pensées de tous dans le divin esprit du monde. C'est cette
blessure,
post babelienne, que la langue parfaite de Dante veut
réparer : langue parfaite
à inventer par lui-même, de la
multiplicité des langues imparfaites du
vulgaire, pour mieux faire que l'hébreu ancien d'Adam, perdu
après Babel,
langue universelle, qui dirait enfin ce qu'elle dit, sans tromperie et
donnerait la connaissance des choses. (La langue divine née
du pacte entre Dieu
et Adam, dont dérivent les langues vulgaires). On ne peut
échapper à
l'idée d'une création du monde comme un
phénomène linguistique (ce que
développe en particulier la tradition de la Kabbale),
à l'idée d'une unité
entre peuple et langue, à l'idée que le rapport
d'un homme à son langage est
homologue à son rapport à son monde. Dans les
lointaines
vallées de l'Euphrate, les hommes érigent une
oeuvre architecturale immense,
ils y travaillent en commun, c'est cette communauté qui
constitue le but et le
contenu de l’œuvre : faire Un à
plusieurs, créer entre les hommes un lien, le
lien du trait unaire de l'identification dit Lacan. La destruction de
cette
œuvre sépare les hommes et renvoie chacun et
à son incomplétude et à
l'insuffisance de sa pensée à faire lien avec
quiconque. Projet inachevé que la
tour, comme la langue des hommes à qui il manque le dernier
mot pour dire le
vrai sur le vrai ! Cela nous le
savons,
mais l'expérience de la parole des hommes montre que nous
passons notre temps à
l'ignorer -quand même- quand nous parlons, disons, affirmons
en courtisant la
Vérité et négligeant le reste
à tout dit. « Cette longue,
peut-être
trop longue citation, quelquefois pédante avec ses citations
latines, est
cependant pleine d'enseignements. Y'a
t'il eu une langue originelle, et si
oui, comment se serait elle construite ? La Tour de
Babel, dans
sa version judéo-chrétienne, participe bien
d'un archétype, celui de la langue
originelle définitivement perdue et que les hommes
regrettent car elle
correspondait à un âge d'or. Comme on
l'a vu, sous des formes différentes, en
Amérique comme au Moyen Orient, les hommes ont
tenté d'expliquer cette
malédiction qui est à la base de beaucoup de
conflits. Une langue correspond à
une pensée, à une culture et le rêve de
l'unicité primordiale hante l'humanité qui a chuté. Ce qui a
toujours frappé
les hommes c'est la confusion des langues. L'homme aurait oublié
ses origines et la multiplicité des langues en serait un
indice. Au Moyen-Âge,
l'homme pensait que la diversité des langues et
les malentendus, voir les
haines qu'elle ne cesse d'engendrer, devaient
provenir de quelques fautes
anciennes punies par Dieu. C'est la faute au péché
originel, en quelque sorte, et nous ne sommes pas loin non plus du
mythe de la
parole perdue car il est évident qu'il existe une
quête de la langue
originelle. A l'origine, dans
beaucoup de traditions, et cela est vrai dans la Bible, l'homme primordial
nomme les choses, les plantes et les animaux, et leur donne ainsi vie
comme
Dieu, par le Verbe, avait créé l'homme. Chez les Dogon,
en
Afrique, il est dit que la parole a d'abord servi
à désigner les éléments
nécessaires à l'agriculture. Puis
cette parole a pris possession de l'homme,
elle est venue comme le vent, est entrée dans son oreille
puis est ressortie
par sa bouche. N'oublions pas, non
plus, que dans le Nouveau Testament, après la mort de
Jésus ; quand celui-ci
descend sur les Apôtres, l'épisode de
la Pentecôte, dit des langues de feu, où
ces mêmes Apôtres se voient accorder le don des
langues, c'est-à-dire de
comprendre toutes les langues parlées sur la terre. On retrouve
dans toutes
les traditions les mêmes idées, que l'on a appelé depuis le Moyen-Âge,
archétypes. Si l'homme a conservé
de ses origines les mêmes images, je pense que le premier
langage,
obligatoirement sommaire - mais pourquoi, après tout, et le
linguiste danois
Jesperen propose exactement l'inverse, c'est-à-dire une sophistication
extrême des premiers mots qui ont du ensuite être
simplifiés pour une
utilisation plus aisée - ce premier langage devait utiliser
les mêmes
onomatopées pour définir les mêmes
objets, sans grammaire. Ne serait ce
pas la
grammaire avec la structuration de la relation entre les mots
à travers des
idées qui, évoluant selon les peuples et leur
situation, aurait en fait créé la
différentiation entre les langues ? Mais avant de
conclure
cette méditation sur la Tour de Babel, il reste à
voir son rapport avec l'écriture. On a vu, plus
haut, que
si Dieu avait multiplié les langues, Il ne semblait pas
s'être intéressé
à l'écriture. Or,
c'est en
Mésopotamie, on l'a déjà vu
ici, que l'écriture est née. Elle est
née d'abord d'une écriture pictographique, puis
idéographique, puis symbolique, qui
représentait les objets ou les idées, avant que,
pour des facilités d'utilisation, elle devienne abstraite, phonétique. Son
évolution ultime lui
permit de servir à exprimer différentes langues. Les historiens
pensent
que la Tour de Babel comme les palais de Sumer ou Babylone n'auraient pu voir
le jour sans l'aide de l'écriture qui
permettait de définir les plans, les
matériaux et leur mise en œuvre. Donc, encore
une fois,
mais les rédacteurs de l'époque
s'en rendaient ils compte ? si Dieu avait
voulu interrompre définitivement toute ambition de
construire une tour en
mesure de venir le rejoindre, Il aurait dû aussi multiplier
les écritures pour
les confondre. Mais
n'est ce pas ce
qui a été fait ? car qu'y a
t'il de plus impossible à déchiffrer
qu'une
écriture d'une autre culture ? n'est
ce pas là une source de confusion aussi
importante que celle due à la langue ? combien de cultures
disparues nous
restent totalement inconnues parce que nous ne savons pas lire leurs
textes
?Champollion a eu la chance de découvrir la pierre de
Rosette, combien de pierres
de ce type faudrait il trouver pour appréhender toutes ces
civilisations
disparues qui nous ont laissé des messages jusqu'à ce jour illisibles ? La seule
écriture
commune est peut-être le symbole, c'est
peut-être même l'écriture
originelle
? J'arrête sur cette
interrogation. J'ai dit, |
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