Des Tours et des Hommes
Les
bourgs autrefois villages, sont devenus au fil du
temps, faubourgs, villes, et au XXIe siècle mégapoles.
Paris, Tokyo, New-York, Montréal, Berlin, Shanghai, Moscou, ou Dubaï,
ces ultra-villes
stimulent un imaginaire constant dans le monde. Capitales mondiales ont
toutes
ont désormais la tentation urbanistique de s’élever toujours plus haut,
en
verticalité, en gratte-ciel, suscitant un dialogue avec le soleil et
les vents
en étant
plus respectueux de la
nature avec une faible empreinte écologique.
Cette tendance à la verticalité, à vouloir atteindre ce qui
n’appartient pas à
cette terre, à hisser l’homme au niveau de la divinité et atteindre la
dimension céleste, à bien y regarder de près, elle est récurrente,
depuis
l’antiquité, le moyen âge, la renaissance jusqu’au temps présent.
Rappelons-nous
un passé pas si
lointain….au Moyen Âge, chaque
ville tenait à sa Tour qui rivalisait en hauteur et en beauté avec
celle de la
ville voisine. Souvent celle-ci était érigée au milieu des châteaux
forts,
blancs ou noirs, selon qu’ils étaient bons ou mauvais.
Tour maîtresse
médiévale,
demeure du seigneur. La Tour dominait
le château et
formait le dernier retranchement de la garnison en cas
d'attaque
Il est frappant de remarquer que la Tour à priori n’est
finalement qu’un
point d’observation un sommet, comme une montagne, construite et mise à la disposition du regard.
Un observatoire qui permet de surveiller, la vallée, les bandits, les
habitants, et les possibles batailles d’ennemis.
Pourtant, à y regarder de plus près, la
Tour a un sens plus profond, et il très banal de le dire, que ceux qui
ont
construit les Tours, les ont bâti sur des buttes, des avancées
naturelles pour être
plus haut vers le ciel, afin de projeter leur regard encore plus loin,
et cela
pour des raisons magiques et spirituelles.
Pour
revenir à cette interprétation primordiale de la Tour et la
définir, il
nous faut repartir sur ces hommes du Moyen-Orient qui les premiers
élevèrent
les yeux vers les voutes étoilées pour découvrir les astres, afin de
percer la
connaissance du monde.
Ainsi en Perse au 7e siècle avant notre ère, des
thèmes sur la
question intériorisée de la vie divine figurent déjà dans les religions
de
l’époque. Ces réflexions à y regarder de plus près, viennent en fait,
directement
des longues recherches menées par les mages d’orient. Elles sont
l’aboutissement de travaux menés depuis le fond des âges, par les sages
de la
Chaldée, dans des Tours érigées vers le ciel,
à la recherche des mystères et des secrets du monde.
Ces
mages Chaldéens,
nous sont connus,
car ils voulaient, comme nous tous, apprendre l’ordre du monde. Ils
cherchaient
inlassablement à scruter le ciel pour comprendre, observer son
harmonie, et la
loi régissant l’univers.
Ils comprirent immédiatement grâce à ces Tours, le sens des sept
planètes, et
leur musique harmonieuse, selon la théorie décrite par Pythagore et que
l’on
retrouve chez Platon et surtout Aristote. Ils expliquèrent comment les
mouvements astraux affectaient les mouvements terrestres, comme un
rapport
entre, le supérieur sur l’inférieur du principe universel, qui maitrise
tout ce
qui se trouve ici-bas, selon l’expression d’Hermès
Trismégiste : «
Il est vrai,
sans mensonge, certain, et très véritable :
Ce qui est en
bas, est comme
ce qui est en haut ;
et ce qui est en haut est comme
ce qui est en
bas,
pour faire les miracles d'une seule chose ».
Voilà qui sans détour, nous oriente vers la Tour de Babel, épisode
biblique du
livre de la Genèse, qui intervient peu après, celui du Déluge.
C’est l’histoire d’un tour ziggourat de sept étages édifiée pour un
culte céleste
et symbolisant un monde en miniature.
A Babylone
capitale
de l'Empire babylonien, ville antique
de Mésopotamie, située sur l'Euphrate, à environ 100 km au sud de
l'actuelle
Bagdad, fut
édifiée cette maison
fondamentale, dans la vallée de Shinar, édifice que nous connaissons
par le nom
de Tour de Babel
haute dit-on de 90 mètres. A cette époque la Mésopotamie était très
riche et puissante mais il fallut de longs mois pour la bâtir.
Chaque
étage de l’édifice, au nombre de sept
était consacré à une planète. Les quatre angles signifiaient les quatre
points du
monde. Ainsi la représentation du macrocosme dans le microcosme, était
totale. Chacun
des étages et chaque degré représentait un astre, et avait également
une
couleur différente. Saturne, était de couleur noire et sa place était à
la base
de la tour, répondant au sommet recouvert d’or signifiant le dieu
soleil.
Jupiter placé immédiatement au-dessous était blanc. Puis venait Mercure
de
couleur rouge, le bleu pour Vénus, le jaune pour Mars, le gris-argent
pour la
Lune.
Cette
symbolique inventée fut ensuite reprise par les mages occidentaux
au
Moyen Age.
Ils expliquaient qu’après avoir franchi
le seuil de la demeure céleste et gravit les sept marches représentant
les
pierres, puis le feu, les plantes, les animaux, l’humain, les cieux
étoilés, et
les anges, la
progression et l’ascension vers le divin, permettait de découvrir le
nom
ineffable inscrit au sommet.
De fait comme l’initié, en commençant par l’étude des pierres, l’homme
atteindrait des grades plus élevés de la connaissance, jusqu’à ce qu’il
soit
capable d’appréhender le grand tout.
Ainsi les Tours sacrées, du
moyen orient
antique, sont-elles la matérialisation de l’antique sagesse.
Ces mages d’Orients nous les retrouvons, de manière complémentaire,
dans la
légende des Rois Mages, qui
rejoignirent
Jésus lors de son avènement. Mais ce qui est essentiel dans cette
présence des
Rois-mages qui vinrent rendre hommage à la vierge et au futur Christ,
c’est
qu’ils furent guidés par la découverte d’une étoile observée dans le
ciel du
haut de leur propre Tour.
Monter à la source du ciel, atteindre le divin ? Serait-ce un
orgueil
insensé ou bien une marque d’amour vis-à-vis du principe ? La
lame 16 du
Tarot, nommée La Maison-Dieu, nous ouvre le sens sur ce point avec
justement
l’image d’une Tour, semblable à la Tour de Babel.
Elle représente la vanité, l’orgueil et la faute de l’homme dans sa
chute
originelle nous dit Oswald Wirth, auteur suisse, secrétaire de
Stanislas de
Gaïta.
Dans
le coin droit de la carte, un éclair divin frappe l’édifice et
découronne
cette tour de l’ignorance érigée par les humains. Une explosion divine
qui
divise l’unité de langage éparpillée désormais en multiples boules de
couleurs
symbolisant la confusion des langues nouvellement crée par Yahvé. Les
deux
hommes tombés, foulent
la terre, comme
une invitation à retourner dans leur propre cabinet de réflexion, pour
en visiter
l’intérieur et en découvrir la pierre cachée. On peut également lire
dans
l’image, l’incitation à une recherche pure et désintéressée de
l’élévation spirituelle
contre l’envie de pouvoir et de matérialité, d’où l’exaspération du
divin, car
il s’agit bien encore une fois d’une tour de la Connaissance qu’on
voulut bâtir
les hommes, un savoir qui peut rivaliser avec le maitre divin, à
l’image du
mythe prométhéen.
Nous trouvons dans la Genèse également des éléments d’explications de
ce
message.
Il y est écrit, chapitre 11, que
Yahvé s’émeut de la volonté des
humains dans
leur désir absolu de percer la connaissance pour rivaliser avec lui.
Observant
que tous formait un seul peuple en parlant une seule langue, Yahvé
s’inquiéta et
les jalousa de les voir engagé dans ce défi stérile. En colère, il
descendit
sur terre, et décida de les fractionner, en confondant leur langage et
leur
savoirs afin qu’ils ne puissent plus devenir une menace et s’entendre
les uns
les autres afin de s’ériger maitre du langage et de son pouvoir sur la
nature. Dieu
les dispersa et les bâtisseurs de Tour finirent leur besogne et de fait
d’être menaçant.
Privés de communication, et de
Dieu, les hommes errent en quêtes et en exil.
Ainsi la Genèse distingue-t-elle l’acte politique de la construction de
Babel,
de l’acte cultuel de sa finalité, mais dans les deux cas, l’ancien
testament
nous dit la même chose, la
primauté du
peuple hébreu sur la question de la possession de la pensée religieuse
doit lui
rester entière. Détruire la Tour devenait donc inéluctable pour le
peuple d’Israël,
afin de préserver un type exclusif de communication avec le divin.
Question qui
sera remise en compte par l’évènement du Nouveau testament.
Justement au fil des siècles, les bâtisseurs de cathédrales nous
apprennent,
dans le christianisme médiéval du XVIe siècle, que l’aspiration à
l’ascension
divine, symbolisée, par les tours, toujours plus hautes, belles et
lumineuses
n’a pas cessé. Au-delà des prouesses techniques maitrisées des
bâtisseurs, compagnons
ou membre de guildes traditionnelles, la volonté de connaissance et de
conquête
du savoir caché a perduré.
Car
il faut entrer dans
ces lieux de méditation, dans ces tours de lumières, pour y trouver la
cohérence
du monde. Des tours lieux de la maturation, comme dans le sein
maternel, pour grandir
et devenir ce à quoi l’on aspire et à ce que l’on est vraiment. Où l’on
trouve
une forme de renaissance dans la pierre.
La Tour exerce sur nous bienfaisance, car elle métisse la passion et la
raison.
La Tour c’est un autre soi-même que nous sentons exister au fond de
nous.
Dans
la tour nous ne pouvons que nous épanouir, et devenir ce
« super sage »,
afin de vivre en dehors du temps pour renaitre fils de lumière, celui
qui est, qui
devient, et, qui a été.
Souvent dans la Tour nous vivons le minéral et le végétal unifié en
jardin du
beau, au milieu des nuages, des paysages, des arbres, des rivières, des
animaux
qui vont et viennent. Tout dans la tour nous rappelle notre juste place
dans
l’univers. Nous sommes plongés en silence et en harmonie, avec les
idées qui
émergent du fond des siècles.
La tour est donc le lieu du guetteur à l’écoute, engagé dans un
mi-chemin entre
la terre et le ciel, dialoguant avec les éléments, pour pénétrer au
cœur des mystères.
Babel, fatuité ou humilité ?
Une réflexion qui nous invite à l’action et à bâtir la nôtre, capter
les
messages du ciel et de la terre, entrer dans le temps comme le
super-sage
recherche à la manière des alchimistes, la lumière dans la caverne,
autre
matrice où se dessinent les petits ou grands secrets.
Les alchimistes, hommes condamnés à l’obscurité du monde pour mieux
faire
jaillir ses transmutations éclairantes, souvent cherchaient cette
connaissance dans
les Tours, les caves, grottes, et cavernes à l’abri des regards, au
péril de
leur vie, bravant les interdits dogmatiques.
Un exemple à imiter, de nos jours en sagesse et en humilité, pour les
hommes d’aujourd’hui
dans une société fragmentée par la vanité, et ce, afin de retrouver le
sens, une
communication avec la spiritualité, dans ces endroits de recueillements
et de passion,
pour faire émerger au fond de nous le chercheur inlassable de vérité et
de
lumière.
A\.
R\
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