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L'Androgyne

Nous assimilerons l'Apprenti à notre histoire d'être vivant, qui commence par distinguer deux opposés : la peur terrible et le plaisir extrême, car l'homme est constitué par des couples de contraires; on ne connaît pas la lumière sans les ténèbres, ni l'amour sans la colère, ni la joie sans la souffrance;
il y a toujours dualité, toujours la loi des contraires..., mais il est porté à croire que ces opposés sont également valables dans l'absolu. Partout où apparaît le deux, la situation cesse d'être simple et est mise en question - le doute (douter ayant pour origine le mot deux). C'est le pavé mosaïque qui, à première lecture, nous ramène toujours aux oppositions, car, dans l'expérience immédiate de l'homme, dans son existence concrète, historique, il se doit de
poursuivre le bien et combattre le mal, qui, pour lui, ne sont encore que des oppositions. L'Initié qui a mal vécu le pavé mosaïque, reste, dans ses réflexions morales, celui qui joue gravement à coller des étiquettes et des jugements sur les situations et les personnes.
C'est pour cela que l'Apprenti est voué à l'action, à la lutte de tous les instants contre lui-même et contre les autres.

Nous pourrions comparer la période de l'Apprenti à la Création, le Commencement.

Le Compagnon, voué à l'intelligence et à l'étude, peut considérer les hommes de plus loin et les principes de plus près, et considérer que la recherche spirituelle se nourrit de paradoxe,
puisque, alors que notre cerveau fonctionne en binaire - une chose est ou n'est pas et ne peut pas être les deux à la fois, le paradoxe ouvre la porte des possibles.

La Connaissance force le Compagnon à se comporter autrement qu'il serait spontanément porté à le faire, à contredire par la pensée ce que lui montrent l'expérience immédiate et la logique élémentaire: en somme, devenir ce qu'il n'est pas encore, ce qu'il ne peut pas être dans son état profane, non illuminé. Ayant dépassé le principe du binaire dans sa lecture première, il pourra alors considérer, par exemple, que le bien et le mal n'ont de raison d'être que dans le monde des apparences, qu'ils sont aussi illusoires et relatifs que tous les autres couples de contraires, que l'existence et la non-existence ne sont pas les différentes apparences d'une
chose, mais la chose en elle-même.

Comparativement à la période de l'Apprenti, celle du Compagnon s'apparente à l'Évolution.

Le Maître, lui, connaît la valeur de la Dyade [ii] et sait donc que les contradictions du binaire ne sont qu'apparentes et ne constituent que des éclairages complémentaires d'une réalité
supérieure, dont il faut faire l'expérience par la pratique du détachement matériel et la maîtrise du Moi, qui doit, peu à peu, renoncer à ses illusions, pour aborder une perspective transcendantale, ramenant le Moi à la source lumineuse du Soi.

Pour la Kabbale, le Moi est le Gardien intérieur, le jardin d'Eden où l'androgyne [iii] devient Adam et Ève, clairement différencié mâle et femelle. Le Moi des Traditions est souvent l'état psychique qui saisit, dans l'Univers, l'Unité; c'est le fait de celui qui a su, dans et par l'action, se réaliser, c'est à dire, réunir en lui les opposés. L'Adam d'avant la chute représente l'Homme intégral et parfait, mais, par sa faute, il perd son androgynie, son savoir et sa sagesse radicale; il appartient au Maître de partir à la reconquête de ce savoir et de cette sagesse. Précisons que nous sommes tous « les ouvriers de la vigne » , comme le dit Saint Jean, tous des Maîtres « égaux » entre eux: ils ne se distinguent pas - tout au moins en Loge bleue, par une hiérarchie spéciale, dans un groupe fraternellement évolutif, où, malgré une réglementation encadrant les
efforts individuels, chacun conserve sa liberté.

La Maîtrise peut donc, alors, être assimilée à la Réintégration [iv].

L'androgynie étant un signe distinctif d'une totalité originaire dans laquelle toutes les possibilités se trouvent réunies, l'Homme Primordial, l'Ancêtre mythique de l'humanité est conçu, dans de nombreuses traditions, comme androgyne, à l'image de Dieu; l'Adam du Paradis terrestre n'est qu'une image de l'archétype de l'Adam de l'Eden céleste, mais, toutefois, ne le restera que jusqu'à la création d'Eve, appelée aussi Sophia. Qu'il s'agisse du plan théologique, anthropologique ou cosmologique, le discours mythico/religieux fait converger les représentations androgyniques vers l'idée d'origine, ce qui explique que l'androgynie est dans le champ des désirs et fantasmes majeurs de l'humanité, car l'homme ressent une frustration et donc un logique désir de retour au stade originel.

Que la séparation des sexes fasse partie d'un processus cosmique ou que la Chute, au sens judéo-chrétien, soit considérée comme une dichotomie de l'Homme Primordial, il apparaît probable, sinon évident, que si Eve est née d'une côte d'Adam, c'est qu'elle préexistait en lui, ce qui implique donc l'androgynie.

Dans cette Loge, nous entendons souvent : « Ici, tout est symbole », et les hypothèses de travail de ma planche peuvent en témoigner; mais pour la psychanalyse, la psychologie et l'actuelle anthropologie - dans toute l'acception du terme [v], où n'interviennent que sciences et technique d'investigation, le terme générique d' « identité sexuelle » est utilisé pour parler de la réelle bisexualité ou intersexualité de certains êtres humains. Il est tout à fait surprenant de constater que des scientifiques soutiennent des thèses concernant la bisexualité. Ce n'est plus le discours mythique qui vient troubler l'objectivité du propos scientifique, ce serait plutôt ce dernier qui viendrait paradoxalement confirmer ce que le premier pouvait contenir de vérité prémonitoire. Citons Robert Stoller « La psychanalyse a une base commune avec la biologie en ce qu'elle présuppose une bisexualité originelle chez l'être humain [vi] » Nous débordons là, alors, le cadre de l'esprit pour aborder la condition humaine, et nous constatons que la réalité rejoint l'image et le symbole. Cela nous intrigue et restons perplexes : hérédité androgynique de l'Homme Primordial, ... ou complexe universel de la nostalgie du paradis
perdu ? Car, en fait, le discours mythique obéit d'abord à une logique régressive : ce qui n'est pas ici et maintenant, immédiatement réalisable, est projeté dans un état archétypal originel. Ainsi se développe, et de façon universelle, le thème du Paradis primitif - relié à la terre par l'axe ou le pilier du Monde, ainsi que ce temps prestigieux ancré dans l'inconscient [vii].

Allons plus en avant dans la saga de l'androgyne.

Androgyne est la transcription du grec ancien « Andros » et « gunaïkos », soit : homme/femme.

Asclépius, initié par Hermès Trismégiste, lui demande : « Quoi, tu dis que Dieu possède les deux sexes, Ô Trismégiste ? » et celui-ci lui répond: « Oui, Asclépius, et non pas Dieu seulement, mais tous les êtres animés et végétaux. » [viii].
Bien avant cela, le mythe de l'androgynie avait été présenté par le « Banquet » de Platon, et représentait un être double et parfait, un modèle originel métahistorique, dont la réalité préexistait à la Chute originelle.

Les Évangiles, les Épîtres, les manuscrits de toute provenance, utilisent les mêmes termes : « ni mâle ni femelle », « ...lorsque vous ferez que les deux soient un, vous deviendrez fils de l'Homme... ». L'Évangile de Jean comptait déjà l'androgynie parmi les caractéristiques de la perfection spirituelle.
En effet, devenir « mâle et femelle » ou n'être « ni mâle ni femelle » ne sont que des expressions plastiques pour décrire la « métanoïa » [ix] , la « conversion », le renversement total des valeurs. Il est tout aussi paradoxal, d'ailleurs, d'être « mâle et femelle » que redevenir enfant, de naître de nouveau ou de passer par la « porte étroite » [x].

Notons au passage que l'un des noms donné à la Pierre Philosophale est « Rebis » - l'être double, ou Androgyne hermétique, prenant naissance de l'union du soufre et du mercure, dans l'athanor, où ont lieu les troublantes copulations des « noces chymiques », le coït symbolique du roi avec la reine, qui ramène à l'unité. A ce point d'évolution, l'Alchimie déclare « la première opération du Grand Oeuvre terminée » ; On obtient alors le « Rebis », entièrement
débarrassé de ses tendances matérielles: il a été « blanchi » alchimiquement.

On rencontre ces idées, ces symboles et des rites incalculables sur toute la surface du globe, et une telle diffusion ne peut s'expliquer que parce que ces mythes présentaient une image satisfaisante de la divinité, voire de la réalité ultime, en tant que totalité indivise, et incitaient, en même temps l'homme à se rapprocher de cette plénitude par des rites et techniques mystiques de réintégration. Tous ces mythes de l'androgynie archaïque et divine et de l'Homme Primordial bisexué, révèlent des modèles pour le comportement humain. L'androgynisation rituelle se retrouve en Australie avec la subincision [xi] et le travestissement de filles en garçon et de garçons en fille, en Afrique, en Asie et en Polynésie
[xii]. Dans la Grèce antique, le travestissement inter sexuel est un usage nuptial [xiii] - [xiv]. Le travestissement d'un sexe à l'autre est apparenté au besoin de déterminer des pratiques efficaces, par un processus de type magique, tel que les Francs-maçons le pratiquent en
Loge. Il s'agit, en somme, de sortir de soi-même, de transcender sa situation particulière et de se rapprocher d'une situation originelle, pleine de sacralité. Unir les contraires et transcender
tout à la fois, c'est un paradoxe qu'illustre parfaitement la définition de l'homme virginal, comme l'était Adam: homme et femme à la fois, ni homme ni femme, et dont la réalisation reste promise à l'homme de désir travaillant à sa propre réintégration; en lui, le masculin et le féminin se trouvent alors unis harmonieusement et naturellement.

Nous constatons que l'androgyne est un exemple privilégié du mythe pur, né dans la pensée de l'homme cherchant à tâtons sa place dans le monde et projetant la représentation la plus capable, à la fois, de rendre compte de ses origines et de symboliser quelques unes de ses aspirations. Dans chacun de ces cas, ci-dessus désignés, on constate une « totalisation » rituelle par l'androgynie symbolique, une réintégration des contraires. En fait, la transformation de l'homme.

Notons que si l'androgynie joue un rôle considérable dans le domaine de la mythologie, elle a été longtemps éradiquée de la réalité, car la bisexualité remet en cause l'opposition fondamentale
qui fournit leur assise aux structures sociales, économiques, politiques, juridiques et religieuses, le sexe indiquant quel rôle pourra jouer, dans un système donné, l'individu qui en est pourvu.
Ajoutons que le système patriarcal prenant une sorte de revendication androgynique sur le matriarcal, le judéo-christianisme, tout autant que la Franc-maçonnerie avait fortement « masculinisé » les représentations de l'individu dans la communauté, comme si
l'homme, privé de son harmonie initiale, était en guerre permanente avec l'autre sexe. Hâtons-nous de préciser que de nos jours, le Franc-maçon oeuvre en marge de toutes ces considérations matérielles, pour ne prendre en compte, dans la sérénité de son temple, que le fait spirituel.

Ceci explique que le désir d'unité des sexes, dans le contexte de notre société actuelle où les contraires sont bien marqués, où une nette séparation des sexes a cours - la gent féminine renforçant d'ailleurs cette idée avec « la libération de la femme », et les hommes s'obstinant à vouloir affirmer leur virilité, ce désir d'unité des sexes paraît une gageure et semble rendre
désuète la nostalgie de l'androgyne et du paradis perdu, forçant l'androgynie à disparaître de la symbolisation archétypale dans l'orientation spirituelle de notre culture. Et bien non, aujourd'hui,
l'androgynie est en spectacle sans pouvoir en donner une explication rationnelle; il semblerait que l'androgyne, autrefois extérieur à l'homme, lui soit, maintenant, logé en lui, comme un but à réaliser et à atteindre. Il représente une prise de conscience par une recherche intérieure, devant les problèmes existentiels de l'homme moderne, devant l'exigence expresse d'un sens qui fuit, d'une unité que les conflits exaspèrent, d'une totalité qui, presque toujours, se refuse.

Ceci concerne l'homme commun, le monde profane. En fait, le Maître maçon, lui, se doit d'appréhender le mythe de l'androgyne en faisant référence à ce leitmotiv : « Réunir ce qui est épars », illustré particulièrement, à ce grade, par les légendes d'Hiram et d'Osiris. Il est superfétatoire de vouloir définir la symbolique de la mort et de la résurrection du Maître Hiram, mais arrêtons nous un instant sur l'analogie « Osiris/Isis/Horus ».

Osiris, ce dieu homme égyptien, est le garant de la survie humaine et de la renaissance spirituelle après la mort, dieu du renouveau.

Osiris est tué par son frère Seth, tout comme les Frères ayant donné la mort à Hiram -, dépecé et chaque morceau enterré - « la chair quitte les os » , dirions-nous , puis retrouvé, reconstitué
et ressuscité grâce aux puissances magiques de sa sœur et épouse [xv] Isis. Hiram, lui, est reconstitué, dirions-nous, par la magie des cinq points parfaits de la maîtrise.

C'est alors que de l'union d'Osiris - Soleil et Feu, et d'Isis - Eau et Sagesse [xvi], naît Horus, comme naît le nouveau Maître de la dépouille d'Hiram, et nous sommes tentés de parler
d'androgynie en parlant du couple Osiris/Isis. A la suite de quoi Osiris décède et, l'Oudjat, l'Oeil d'Horus, est blessé et éparpillé par Seth; le dieu Thot cherche cet oeil dispersé dans les ténèbres.
Il en trouve les morceaux et grâce à sa magie le reconstitue. La Lumière de l'Oeil d'Horus permet alors de rendre la vie à Osiris dans le Monde souterrain. Comme pour le Maître Hiram, il y a mort et résurrection ou renaissance. Au préalable, le corps d'Osiris avait
été dépecé en quatorze morceaux et enterrés dans les quatorze principales contrées de l'Égypte pour assurer la fécondation de la terre, tout comme le corps d'Hiram, promu architecte et rival en sagesse pratique du roi Salomon, féconde la pérennité de la Franc-maçonnerie.

Ce rite de la fécondation se retrouve à chaque instant dans le déroulement des feux de la Saint Jean. Mort et résurrection, mais aussi épreuve du rajeunissement et de la fécondation. En fait, toute vie engendre une autre vie, et la victime communique sa puissance intrinsèque; il y a transmutation. Toute création repose donc sur un sacrifice, dans l'acception de son origine latine « Rendre sacré ».
Toutefois précisons qu'en ce qui nous concerne, il s'agit d'un sacrifice/sacralisation, et non comme le Christ un sacrifice/rédemption, de rachat et d'expiation. En fait, le sacrifice
est un acte libératoire qui fait accéder l'être à un changement de niveau, à un plan supérieur, au monde spirituel.

Certains auteurs [xvii] estiment qu'accepter le principe de la réintégration de l'Homme Primordial, c'est, sans ambages, refuser toute idée de progrès et rester bloqué dans une
pensée aliénée, qu'il faut garder prudence avec les mirages des civilisations disparues. Il y a toujours une part de vérité dans toute manifestation de l'esprit, mais il faut inéluctablement avoir l'intelligence de réaliser que, mythes et symboles doivent être appréhendés comme tels, et que, dans le contexte de cette planche, lorsque le Maître se laisse envahir par la partie non historique de lui-même, ce n'est pas nécessairement pour rétrograder vers le stade animal de l'humanité. Le symbole délivre toujours son message et remplit sa fonction, alors même que sa signification échappe à la conscience.

Du binaire à l'androgyne, tel est le titre de cette planche. Autrement dit, de l'Apprenti au Maître; résumons le parcours :
F L'Apprenti, Colonne « B » blanche, passive et féminine, soumis au silence - principe féminin, représente le principe femelle de l'androgynie. Sous le signe du binaire, il devrait avoir deux ans.

F Le Compagnon, Colonne « J » rouge, actif et masculin, ayant retrouvé l'usage de la Parole - principe masculin, représente le principe mâle de l'androgyne. Sous le signe du ternaire, il
devrait avoir trois ans.

F Le Maître, qui réunit et intègre les éléments de l'Apprenti et du Compagnon, devient lui-même androgyne. Deux ans plus trois ans, il devrait avoir cinq ans.

Dans la mesure où le Maître dépasse son moment historique et donne libre cours à son désir de revivre les archétypes, il se réalise comme un être intégral universel. Par le simple fait qu'il
retrouve au cour de son être les rythmes cosmiques, il parvient à une connaissance plus totale de sa signification, car l'androgynie confère une aptitude accrue; il semble que celui qui la possède échappe alors aux vicissitudes communes et évite ainsi un certain gaspillage d'énergie, ce qui le rend davantage disponible pour la Connaissance et se mettre à l'écoute de la vérité qui exige l'harmonisation de soi, car l'on sait bien que la pratique expérimentale de l'adepte vise moins à transformer l'objet d'expérience que l'expérimentateur lui-même. Comme l'homme originel, qui était doté d'une « lumière innée », par quoi il pouvait
contempler toutes les vérités, le Maître ne pense donc plus qu'en termes d' univers et d'humanité, et son optique modifiée lui permet de déceler la vérité cachée sous l'erreur et l'erreur cachée sous l'apparente vérité.

Il n'est pas nécessaire de se faire ermite ou de se réfugier dans des communautés isolées du monde en quelque Himalaya, pour vouloir réintégrer l'unité androgynique; toutefois, il est bien précisé que l' Initié qui aspire à retrouver son androgyne perdue, ne peut le faire sans risquer la négation suprême qui est la mort, car toute descente en Soi, appelle le combat avec le gardien du Trésor, nécessite le renoncement sacrificiel sanglant -- ou sublimé, comme en
Maçonnerie (le dépouillement), et s'achève, si le processus initiatique a été mené avec bonheur, par la conquête du Trésor.
Attention, la contemplation du trésor, de la beauté en soi, congédie du même coup, irréversiblement, les intérêts qui liaient l'Initié aux biens terrestres, car, ce passage de l'autre côté, cette traversée du miroir, ne peut être radicale que dans la mesure, nous ne le répèterons jamais assez, où il y a réunification des contraires, du positif et du négatif, épousailles du Soleil et de la Lune.
Précisons qu'en Alchimie, l' « Homme Parfait « , est l'homme mort, dont la transmutation en or se trouve effectuée, dont l'évolution a atteint le « magistère ».

Mais le Maître est supposé avoir déjà retrouvé symboliquement son androgyne, en réunissant ce qui est épars, c'est-à-dire en effectuant la réintégration des contraires, en subissant la
mort initiatique et la résurrection, en vivant le mythe, car il confère la vie, en le vivant dans le cadre d'un rituel, comme le précise Hocquart[xviii], afin d'abolir les tensions, d'échanger les
différences et de reconstituer les unités brisées; c'est là une condition « sine qua non » à une efficacité sacralisée. D'ailleurs, l'Un, n'est pas concevable sans une division qui le précède. Le
Maître a appris à utiliser le « solve coagula « de l 'évolution alchimique: « dissous ce qui est en toi » , réduis tout ce que tu sais, tout ce que tu ressens, de façon à le décomposer, à l'analyser,
à le passer au crible de la Raison, et rassemble cela ensuite pour en faire une masse résistante que nul ne pourra entamer, que nul ne pourra défaire.

Toutes ces hypothèses de travail sont élucidées « en surface « , mais aucune ne peut l'être en profondeur; avec la désoccultation, il convient d'être circonspect et de faire des réserves sur ce que l'on croit savoir et devoir expliquer, bien que la présomption puisse être excusable en raison de sa sincérité. Ce que l'on sait peut tant de fois être controversé par la suite.

Pourtant, ce qui est dit en parlant de l'androgyne, suffit, je pense, à ouvrir très largement les yeux et « accrocher » l'honnête chercheur pour le faire réagir. Mais attention, chaque fois que nous nous heurtons à quelque chose que nous ne pouvons expliquer, nous disons qu'il y a un mystère ou seulement un conte; mais les énigmes, les mystères et secrets que nous rencontrons, ne seront jamais constitués que de notre ignorance, notre impuissance à comprendre.
Rappelons-nous que l'essence même de la Connaissance, de ce domaine dont l'exploration conduit devant les remparts du Grand Arcane, ne se laisse pénétrer que par ceux qui veulent toujours et obstinément écorcher leurs pieds sur le dur sentier. Mais, si un Maître maçon
n'adhère pas à ces hypothèses de travail, qu'il garde en mémoire que tous les Maîtres sont Frères entre eux et ne se distinguent pas, tout au moins en Loge de Saint Jean, par une hiérarchie spéciale; ainsi se comprend l'égalité dans un groupe fraternellement évolutif où, malgré un règlement encadrant les efforts individuels, chacun conserve sa liberté. Mais, tel un Romain qui dirait: « Si no é véro, é bèné trovato », il doit tout au moins admettre sa symbolique, qui le replace entre ses outils, l'Équerre et le Compas, en lui proposant de
se dépasser par une profonde étude de lui-même afin de mettre en lumière ses potentialités, rappelant qu'il ne s'agit pas de se dire initié, simplement persuadé qu'il suffit de l'affirmer, mais que comme Hercule, il faut, avant, procéder « au nettoyage des écuries d'Augias » et « partir à la conquête des pommes d'or du jardin des Hespérides » [xix] puis « vaincre de Dragon » ..., afin de vivre en harmonie et en Amour avec ses Frères, les Hommes.

« Le miroir de la Vérité, écrit V. Hugo [xx], s'est brisé au milieu des sociétés modernes. Chaque parti en a ramassé un morceau.

Le penseur cherche à rapprocher ces fragments, rompus la plupart selon les formes les plus étranges. Pour les rajuster tant bien que mal et y retrouver, à quelques lacunes près, la vérité totale, il suffit d'un sage, pour les souder ensemble et leur rendre leur unité, ... il faudrait Dieu. ».

Puisque le Maître doit « ... rassembler ce qui est épars » ... il deviendra ce Sage.

[i] NOTES EXPLICATIVES
[ii] DYADE: Philosophie: Ensemble de deux principes complémentaires.
[iii] ANDROGYNE: n. masc. ou parfois n. fém. et adj.
1. Personne qui possède certains caractères sexuels de l'autre sexe.
2. adj. BOT. Se dit d'une plante qui présente une région à fleurs mâles et une à fleurs
femelles.
[iv] REINTEGRATION: ... qui n'est autre que la réunion des contraires, l'unification.
[v] ANTHROPOLOGIE 
-1. Étude des caractéristiques somatiques de l'homme (anatomie, physiologie, pathologie, hérédité, évolution, etc.); l'anthropologie est une science naturelle, au même titre que la zoologie. Dans les pays anglo-saxons, le
terme recouvre en outre toutes les manifestations des sociétés, qu'on désigne aussi en français par le terme d'ethnologie. En Europe, on distingue anthropologie et anthropologie sociale.
-2. PHILOS. Au sens premier, science de l'homme en général, par opposition à la cosmologie et à la théologie. Kant distingue l'anthropologie théorique, pragmatique et morale.
[vi] « L'identification: l'autre c'est moi », p. 200, Coll. Les grandes découvertes de la psychanalyse, TCHOU Editeur, 1978.
[vii] ... ce que l'on appelle: la projection.
[viii] (Corpus Herméticum, II, 20 s).
[ix] META - Préfixe (gr. Meta) qui indique la succession, le changement. (Dans certains néologismes scientifiques, ce préfixe désigne ce qui dépasse, englobe l'objet examiné.) GÉOL. Indique qu'une roche a subi une transformation : métamorphisme.
[x] Évangile Mathieu, VII, 14: » Étroite est la porte et resserré le chemin qui mène à la vie et il y en a peu qui le trouve. »
[xi] SUBINCISION - Cette subincision initiatique-- initiation de puberté, prête au néophyte un organe sexuel féminin. Si l'on tient compte que pour les Australiens, comme tant d'autres, les non-initiés sont considérés comme asexués et que l'accès à la sexualité est une des conséquences de l'initiation, la signification de ce rite semble dire que l'on ne peut devenir mâle sexuellement adulte avant d'avoir connu la coexistence des sexes, soit l'androgynie.
[xii] H. Baumann, op. cit., pp. 57-58 ; Mircéa Eliade, « Naissances mystiques », p.64.
[xiii] Plutarque, « Vertu des femmes », p. 245 - Plutarque, « Lycurgue », 15. - Plutarque, « Question grecque, 58 - Marie Delcourt « Hermaphrodite », p.7., 18.
[xiv] Omphale, reine de Lydie, obligea Héraklès, le héros titanesque le plus fort de la mythologie grecque, à se travestir en femme et à pratiquer des travaux de couture. Le travestissement représente là l'expression d'une instance bisexuelle, d'une émasculation symbolique.
[xv] Il y a lieu d'unir le Soleil à la Lune et le frère à la sœur --comme disaient les Alchimistes, car le Soleil et la Lune sont frère et sœur. Le Soleil, c'est l'intelligence elle-même - la Raison, pour mieux parler; la Lune c'est le principe humide qui soude l'intelligence immatérielle au corps matériel, et qui, somme toute, donne la vie. Raison majeure pour redonner la vie à Osiris.
[xvi] Le Prakritî, principe plastique universel, la Mère, l'Isis, la Vierge éternelle, la substance primordiale indifférenciée, la Racine sans Racine, le SUPPORT DE TOUTE MANIFESTATION.- « Le yoga tantrique hindou et tibétain », J. Marquès-Rivière, p.20, (Ed. Véga, 1938.)
[xvii] En particulier, Jacques Fontaine, « L'Eveil, de l'Initiation au Maître », Detrad-AVS, 1998.
[xviii] « Le mythe sorcier », A.M. Hocart, p.29, Paris, P.B. Payot, 1973.
[xix] HERCULE: Hercule est le type même de l'Initié complet, et ses travaux permettent sa gradation. Aussi, parvenir à la plénitude d'initié, est symbolisé par la conquête des pommes d'or du jardin des Hespérides, après avoir vaincu le Dragon qui les gardait.
[xx] « Causeries initiatiques pour le travail en chambre du milieu »; E. Plantagenet, Coll. « Histoire de la Tradition« , Édit.
Dervy-Livres, Juin 1981, p.46 §2.

BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages non cités dans les notes explicatives p. 10 & 11.
* Le feu », Jean-Pierre. Bayard, Editeur Flammarion, 1958.
* « La vie des Saints » , Abbé Auguste Body, Editeur L'Oeuvre des bonnes lectures, 1907.
* « L'identification: l'autre c'est moi », Robert Stoller, Coll. Les grandes découvertes de la psychanalyse, Editeur Tchou, 1978.
* « L'éveil: de l'initiation au Maître « , Jacques. Fontaine, Editeur Détrad AVS, 1995.
* « L'essor du MS au GEDLVS, Jacques Fontaine, Editeur Detrad AVS, 1997.
* « Causeries initiatiques pour le travail en chambre du milieu » , Edouard E. Plantagenet, Coll. Histoire et tradition, Editeur Dervy Livres, 1981.
* « Bulletin du G.O.D.F n°23, 37, 45, 114.
* « Les rites sexuels » , Jacques Marcireau, Coll. Rites et traditions mystérieuses Edit. Laffont ; 1981.
* « Mythologies du monde entier » , France-Loisirs.
* « Mythes et légendes », France-Loisirs.
* « Rites et symboles de la Franc-maçonnerie des Loges bleues » , Béresniack,
* « La Cabbale et la tradition judaïque « , Renée deTyron Montalembert, Coll. Bibliothèque de l'irrationnel et des grands mystères, Editeur Culture Art Loisirs, 1974.
* « La Kabbale juive et la Cabbale chrétienne » , Léon Gorny, Coll. Scienes secrètes, Editeur Belfond, 1977.
* « Images et symboles », Mircéa Eliade, Mircéa Eliade, Gallimard, 1979.
* « Métaphysique de l'astrologie », Daniel Giraud, Ed. Henri Veyrier, 1988.
* « Rites étranges dans le monde » , Jacques Marcireau, Coll. Rites étranges dans le monde, Editeur Laffont, 1985.
* « Aspects du mythe » , Mircéa Eliade, Idées Gallimard, 1981.
* « La nostalgie des origines » , Mircéa Eliade, Folio Essais, 1991.
* « Méphistophélès et l'androgyne » , Mircéa Eliade, Idées Gallimard, 1962.
* « L'androgyne » , Cahiers de l'hermétisme, Editeur Dervy-Livres, 1986.
* « Le mythe de l'androgyne » , Jean Libis, Berg International, 1991.
* « Clé Universelle des Sciences secrètes » , P. V. Piob, Omnium
Littéraire, Paris, 1950.

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