Obédience : NC | Loge : NC | 23/02/2010 |
La
formation du couple homme-femme
et sa transmutation en couple androgyne La formation du couple homme-femme se décline en multiples possibilités dont il n’est pas question de faire ici l’exégèse. Toutefois et parmi ces possibilités une attention particulière peut être accordée à celle qui, en se référant aux conceptions pythagoricienne et jungienne de l’âme humaine, conduit au couple dans lequel arrive à s’inscrire l’androgynie et qui, à ce titre, s’identifie au couple idéal ou parfait. Pour les Pythagoriciens la structure humaine est une structure ternaire dans laquelle s’inscrivent le Noûs (l’Esprit en l’homme), la Psyché (l’Ame) et le Soma (le Corps). Le Noûs est l’étincelle divine ou la parcelle d’Esprit dont tout homme est dépositaire. Elle est en chacun, identique et inchangeable. Le Noûs représente la potentialité totale de l’être. Elle est assimilée à un ensemble d’archétypes que chacun à tout instant de sa vie peut utiliser. Ces archétypes correspondent à des structures énergétiques porteuses de dynamismes acquis dans le cadre de l’évolution naturelle et que la conscience individuelle tente de s’approprier, afin de devenir plus performante dans sa tentative de dévoilement progressif de l’immense univers. Ils n’ont pas été déterminés une fois pour toutes lorsqu’ils sont devenus manifestés, mais s’affirment en même temps que se développent les facultés méditatives, rationnelles et cognitives, ainsi que le niveau d’amour de l’humanité. Le Soma est la représentation d’une série d’archétypes puisés dans les potentialités du Noûs. Il possède une nature double : « grossière » et « subtile » ou « éthérique. » Ces deux natures ou ces deux corps sont le ou les supports matériel(s) de l’ensemble Noûs-Psyché ; elles ont des « nourritures » différentes, sources d’énergies dont la distribution permet de les voir fonctionner en totale osmose ou en « dispute interne. » Enfin, lorsque vient l’heure, l’être humain subit deux morts : - La première lors de l’arrêt des fonctions vitales. - La seconde lors de la disparition du « corps subtil » libérant la Psyché. La Psyché qui a le rôle essentiel dans la formation du couple qu’il s’agit d’examiner, est un support de conscience, de mémoire discursive, d’intelligence, de raison, de volonté libre, de capacité à imaginer, à inventer et à créer. Elle est aussi support des sentiments, des émotions, des besoins et des pulsions. En fait, elle est intermédiaire entre le Noûs et le Soma, ce qui d’une part, lui permet d’être irradiée par les dynamismes archétypaux du Noûs dont elle est le réceptacle, et d’autre part, après avoir interprétés et adaptés ces dynamismes, d’en communiquer l’influence au Soma pour qu’il puisse la mettre en application. Dans ce rôle, la Psyché fait circuler les informations indispensables au fonctionnement de la personne dans son ensemble. Lorsqu’elle fait circuler les informations qui favorisent l’épanouissement de la pensée et l’élévation de la conscience, elle devient Psyché Spirituelle, tandis qu’en faisant circuler celles qui assurent le maintien de la nature matérielle, elle devient Psyché Charnelle. Elle assume ces deux rôles au moyen de deux « interfaces » ou zones de recouvrement par lesquelles circulent les informations indispensables au fonctionnement de l’être dans son ensemble et dont rend compte le Schéma 1. Toute la quête pythagoricienne consiste à créer une interdépendance dynamique et ajustée, entre « le Charnel » et « le Spirituel.» Lorsque cette interdépendance est effective, il y a spiritualisation de la chair : l’esprit se met au service de la vie ; en retour il y a incarnation de l’esprit : la vie se met au service de l’esprit. Pour les pythagoriciens, la Psyché a le pouvoir de faire un choix entre les archétypes masculins et féminins du Noûs. Ainsi, lorsqu’elle s’incarne dans un Soma de sexe masculin, elle laisse ses structures énergétiques internes résonner puis s’harmoniser avec les archétypes de ce sexe que lui offre le Noûs. Elle peut alors en recevoir la fécondation, ce qui lui permet, lorsqu’elle y réussit et après la maturation nécessaire, d’acquérir les capacités masculines choisies. En même temps elle n’écarte pas les archétypes féminins qui eux aussi lui sont proposés et qu’elle ne peut ignorer. Elle en accepte alors l’influence qu’elle potentialise à l’intérieur d’elle-même, afin de pouvoir l’exprimer à l’occasion d’un cheminement particulier et révélateur qu’autorisent les expériences de la vie personnelle. A cette occasion d’ailleurs, les capacités masculines acquises préférentiellement ne sont pas altérées et leur manifestation n’est en aucune façon contrariée. A l’opposé, lorsque la Psyché s’incarne dans un Soma de sexe féminin, le mécanisme ci-dessus s’applique de la même manière. Bien évidemment et dans la description de celui-ci, tout ce qui se rapportait au Masculin se rapporte maintenant au Féminin et réciproquement. Ainsi et en fonction de la nature de son incarnation, la Psyché acquiert soit des capacités masculines toujours associées à des capacités féminines potentialisées, soit des capacités féminines toujours associées à des capacités masculines potentialisées. Si maintenant on en vient au point de vue Jungien, on ne peut qu’observer son analogie avec le point de vue Pythagoricien, ce qui laisse penser qu’à plusieurs siècles de distance, celui-ci a très vraisemblablement inspiré celui-là. Les Jungiens en effet distinguent dans l’âme, des capacités masculines regroupées sous le nom de « Animus* » et des capacités féminines regroupées sous celui de « Anima**. » Ils reconnaissent aussi que dans une âme exprimant les capacités d’un sexe donné, se fait la rétention ou la potentialisation des capacités du sexe opposé qui en quelque sorte correspond à leur mise sous le boisseau. En conséquence et pour un Jungien, lorsqu’un homme manifeste sa masculinité, Il laisse apparaître une âme dans laquelle l’activité de l’Animus est prépondérante, tandis que l’activité de l’Anima est comme préservée en attendant le moment venu où elle pourra s’exprimer sous forme psychologique. Bien évidemment, dans le cas d’une femme qui manifeste sa féminité, c’est l’activité de l’Anima qui devient prépondérante dans l’âme, tandis que celle de l’Animus est à son tour préservée et mise en attente du moment où, elle aussi, pourra s’exprimer psychologiquement. La question qui se pose maintenant est de savoir comment les âmes masculine et féminine telles qu’elles viennent d’être présentées, s’unissent et engendrent le couple. C’est en examinant les motivations individuelles les plus probables conduisant à la rencontre homme-femme, qu’une réponse peut être apportée. Quelle est donc cette rencontre ? Lorsque l’homme tente de séduire la femme qu’il désire, il s’efforce, dans un premier temps, de mettre en évidence les facettes les plus attirantes de son Animus. Il veut plaire à l’Anima qui se présente à lui. Tel le paon qui fait la roue pour se rendre irrésistible, il manifeste alors sa masculinité sous ses meilleurs aspects. Mais s’il veut dépasser les émotions engendrées par les premiers contacts et réussir une conquête plus approfondie, il doit faire apparaître de nouveaux talents. Ces talents, c’est son propre Anima qui les met en lumière. Restée sous le boisseau, y compris dans les premiers échanges de la rencontre, elle s’éveille soudain et sous son impulsion, le séducteur se voit agir sous une forme inhabituelle, qu’il découvre dans l’instant, et dont il espère qu’elle lui permettra d’atteindre son but. En fait, dans ces moments délicieux, poussé par le désir d’amour, l’Anima du séducteur jusque là inconsciente, cherche à se faire reconnaître par l’Anima de la femme qu’il veut conquérir, afin de pouvoir s’y intégrer et ainsi d’y apparaître comme un soutien et un complément valorisants. Ce même enchaînement de comportements se retrouve lorsque c’est la femme qui s’approche de l’homme qu’elle veut conquérir. Mais alors, et après avoir mis en exergue dans les échanges initiaux, les meilleurs aspects de son Anima afin de séduire « l’Animus » qui vient vers elle, la femme qui veut réaliser une véritable union, libère son propre Animus, et à son tour, l’amène à s’intégrer dans l’Animus de l’homme pour qu’il y devienne également un soutien et un complément valorisants. Ainsi lorsque un homme et une femme manifestent leur amour à l’image des modèles ci-dessus, les capacités de leur âme sont non seulement confortées, mais en réalité exaltées et cela d’autant mieux que l’amour mis en action est intense. Dans ces conditions, la formation du couple ne résulte plus, comme cela est généralement décrit, de la seule rencontre de l’Animus de l’âme masculine et de l’Anima de l’âme féminine. Cette rencontre en effet se limite à montrer les aspects du masculin et du féminin à leur meilleur niveau, et reste la phase première du processus de séduction en train de se dérouler. Quoiqu’importante, elle doit être considérée comme insuffisante. Pour que la formation du couple soit réussie et « tienne la route », il est indispensable que s’effectue aussi et surtout la conquête essentielle, celle qui passe par les intégrations de l’Anima potentialisée de l’homme dans l’Anima de la femme, et de l’Animus potentialisé de la femme dans l’Animus de l’homme. Cette conquête comme on le sait n’est jamais définitive, et après les superbes instants engendrés par les « intégrations amoureuses » viennent par trop souvent, ceux engendrés par les « désintégrations haineuses » qu’il faut savoir traverser, puis dépasser, pour que reviennent le temps où, sur des bases nouvelles, s’effectue la reconstruction du couple. Mais, si l’on se souvient que l’âme peut être Spirituelle mais aussi Charnelle, tout ce qui concerne l’Animus et l’Anima se conserve et s’inscrit dans l’un et l’autre de ces deux états d’âme, ce qui confère à celle-ci une structure quaternaire telle que la représente le Schéma 2. En conséquence et sous l’effet de la puissance amoureuse, l’homme et la femme qui désirent se rejoindre dans le couple, voient la partie de leur âme qui jusque là était comme inexploitée, se « dépotentialiser », en quelque sorte se libérer, puis se fondre progressivement dans l’âme du partenaire pour y exalter soit l’Animus soit l’Anima. Sous l’effet de ce mécanisme « d’exaltation » dont rend compte le Schéma 3, chaque âme voit sa quaternité initiale se transformer et devenir une quaternité nouvelle, dans laquelle les capacités potentialisées ont disparu, et où règne le meilleur équilibre possible entre le Masculin et le Féminin d’une part, et le Spirituel et le Charnel d’autre part. C’est dans cette nouvelle quaternité, que le couple cherche l’équilibre, l’harmonie et la solidité, et il les trouve d’autant mieux que l’amour qui le fait exister, résiste puis s’épanouit. Tant que l’amour est insuffisant l’âme est instable et le couple tout en fonctionnant sur la voie de la réussite, apparaît fragile. En revanche dés que l’amour s’épure et grandit, la quaternité se stabilise et le couple s’affirme. A la limite il peut devenir couple idéal, couple parfait. Dans ce cas, l’homme et la femme qui le constituent, voient leur âme se transmuter en une même entité qui est celle de l’âme androgyne dans laquelle le Masculin, le Féminin, le Spirituel et le Charnel n’existent plus séparément : la quaternité a fait place à l’unité. (Schéma 3) L’androgynie dont il est question ici ne doit en aucune manière être confondue avec l’hermaphrodisme concret. Elle doit être plutôt rapprochée de celle que retient Mircea Eliade dans Méphistophélès et l’androgyne (1962) », et qu’il présente comme « modèle de la coïncidence des opposés, dans lequel s’interpénètrent les puissances magiques et religieuses des deux sexes. » Elle apparaît toutefois plus riche que celle de ce modèle, puisqu’en elle s’inscrit l’amour porté à son plus haut niveau de beauté et de vérité. Sans cet amour il n’échappe à personne que la coïncidence des opposés étant plus difficile à trouver, il y a à contrario distanciation puis séparation, et à terme disparition plus ou moins rapide du couple. Pour arriver à la conceptualisation la plus vraisemblable de l’amour parfait, celui qui engendre l’androgynie telle qu’elle a été présentée, il faut préalablement se remémorer les principaux visages que peut prendre l’amour avant qu’il n’atteigne précisément le haut niveau de perfection. Ces visages sont d’ailleurs remarquablement décrits par André Comte Sponville dans le « Petit traité des grandes vertus.» Pour ce philosophe en effet, l’amour se décline sous trois formes principales : Eros, Philia et Agapé. Eros est le désir sexuel exalté dans la passion amoureuse, désir qui est manque, souffrance, et poussant à la consommation de l’autre. Eros est donc l’amour qui prend. Il conduit à un plaisir passager qui n’assouvit pas, et qui n’empêche pas la réapparition du manque et celle d’un nouveau besoin de consommation. Dans un tel cercle vicieux, il n’y a jamais atteinte ni d’une satisfaction épanouissante, ni d’une harmonie intérieure, et à terme, la pulsion de vie que porte ce désir d’amour, s’abîme en pulsion de mort : Eros s’abîme en Thanatos. Philia est la joie procurée par la simple présence d’un être aimé. C’est par exemple la joie rencontrée dans l’amitié. C’est l’amour-joie en tant qu’il est réciproque ou peut l’être. C’est la joie d’aimer et d’être aimé. C’est « l’amour action » opposé à « l’amour passion. » Philia est aussi l’amour qui donne, opposé à l’amour qui prend. Agapé enfin, est l’amour que le Christ nous invite à découvrir, à développer puis à répandre jusqu’à ceux qui nous sont indifférents, voire à nos ennemis eux-mêmes. Il a son modèle dans le sacrifice, dans le calvaire accepté, qui fait rejaillir l’amour désintéressé, gratuit, sans justification même. L’amour inconditionnel d’une mère pour un de ses enfants qui est un mauvais fils ou une mauvaise fille en est un exemple. Il ne se nourrit ni du manque de l’autre, ni de sa présence. Comme Philia, Agapé est l’amour qui donne, mais cet amour n’est pas restrictif, il est dépassement, amour universel et s’étend non seulement aux Proches, mais aussi au Prochain. Il est l’amour libéré de l’ego. Pour André Comte Sponville, Eros, l’amour qui prend, est toujours premier, il marque le début du chemin de la vie qui, lorsqu’elle s’accomplit, mène à l’amour qui donne, à Philia d’abord puis à Agapé. Comme on le pressent maintenant, l’éclosion puis l’évolution du couple homme-femme, se nourrissent de ces trois formes d’amour. A l’évidence Eros nourrit le Charnel des âmes individuelles, et Agapé en nourrit le Spirituel, tandis que Philia nourrit le monde intermédiaire entre le Charnel et le Spirituel, monde qui voit la chair se spiritualiser et l’esprit s’incarner. Tant qu’une interdépendance ne s’établit pas entre les trois formes d’amour, et tant qu’Agapé n’est pas suffisamment bien vécu pour transcender Eros et Philia, le couple ne gagne pas en puissance et au contraire reste fragile. Lorsque l’interdépendance progresse pilotée par Agapé en quête du meilleur épanouissement possible, le couple prend alors la voie de l’accomplissement et, s’il y persiste, il peut entrevoir la formation de l’androgynie, celle qui s’inscrit à la fin de « La flûte enchantée » l’opéra célèbre de Mozart, et dans laquelle se fondent les quatre personnages de l’œuvre : Tamino, Pamina, Papageno et Papagena. (Voir Schéma 3) En y regardant de plus prés l’ascension vers l’androgynie est loin d’être aisée car l’homme et la femme qui tentent de l’accomplir, ne savent pas aimer, et par conséquent leur couple, ressemble davantage au couple ordinaire trop souvent instable, qu’au couple idéal. La carence d’amour est évidente dans la considération de Philia et d’Agapé. (Voir « L’homme Dieu » de Luc Ferry.) Dans le sens de Philia nous dit-il, nous ne pouvons aimer que dix à vingt personnes au maximum. Qu’en est-il alors pour ceux qui sortent de ce champ d’application ? Comment tenter de les aimer ? Pour les prendre en compte un outil a été inventé par l’homme. Cet outil c’est la Morale qui aide à aimer, plus exactement qui permet de faire comme si les autres, ceux qui sont inconnus, étaient réellement aimés. C’est donc la Morale qui comble l’espace existant entre Philia et Agapé et d’une certaine façon assure la continuité entre l’une et l’autre. Mais la carence d’amour existe aussi au sens d’Agapé, précise t-il encore, car cet amour est si gratuit, si désintéressé, qu’il apparait inaccessible à la personne humaine, au point que malgré le désir d’y avoir accès pour ensuite le répandre, celle-ci finit trop souvent par le vivre partiellement, même imparfaitement, et en conséquence n’est pas en mesure d’en manifester ni la force ni la beauté. Luc Ferry note encore que si Agapé était vécu pleinement, la morale serait superflue. La conséquence évidente de ces deux vécus amoureux imparfaits qui s’opposent à l’émergence du « Spirituel, » est que l’évolution du couple atteint vite des limites dans lesquelles il se retrouve enfermé, et qui à l’évidence font obstacle à toute transmutation en couple idéal ou androgyne. Ces quelques observations sur le couple homme-femme et sur l’amour montrent que la formation du couple androgyne dans lequel les pouvoirs du masculin et du féminin après leur coïncidence, finissent par s’unifier, est possible. Elles montrent aussi comment ce couple peut se construire, mais aussi qu’il est quasi introuvable. Toutefois on est en droit de dire que la description qui en a été faite, a au moins le mérite de donner la direction à emprunter si l’on décide d’aimer pour lui donner l’occasion d’exister. R.B
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