Obédience : NC | Loge : NC | Date : NC |
La stoïcien un homme de notre temps ? Au « Je cherche un homme » de Diogène de Synope, contemporain de Socrate, Rudyard Kipling, deux millénaires plus tard, répond par un poème, dans lequel il nous fait entendre : « si tu sais [...] rencontrer triomphe ou bien désastre, et traiter ces deux trompeurs de la même façon »[...] tu seras un homme, mon fils, et cette pensée me fait conclure que lesstoïciens sont passés par là. Quand un jeune officier allemand, Ernst Jünger, raconte dans, son journal de marche en France, Orages d'acier pendant la première guerre mondiale, comment, dans un abri de fortune sous les bombes, il s'absorbait dans la contemplation d'un exceptionnel spécimen de scarabée, image pour lui de la splendeur de la nature, échappant ainsi au chaos des hommes après avoir lu, au lever du jour, la Bible qui ne le quittait jamais, j'en conclus également que là encore, les stoïciens sont passés par là. J'évoque les stoïciens et non le stoïcisme, car il n’y a pas d’orthodoxie stoïcienne, mais bien plutôt des hommes qui chacun, ont contribué par leur vie, à l'évolution d’une pensée pour nous la transmettre, en l'incarnant, non comme un savoir mais comme un témoignage de vie. Quelques repères à très grands traits pour les situer : tout débute au 3ème siècle avant l'ère commune avec Zénon, le fondateur qui fut un marchand d’Asie mineure, puis Épictète l'esclave Phrygien au 1er siècle qui devient un philosophe à succès, écouté par l'empereur Hadrien, et à qui l'on doit beaucoup de la connaissance des propos de Zénon et de ses successeurs en Grèce, eux qui n'écrivaient jamais, Sénèque, le précepteur puis le conseiller de Néron qui l'obligea au suicide, Marc-Aurèle l'empereur-soldat. A tous ces hommes qui sont des relais pour nous, stoïciens bien identifiés il faut adjoindre ceux qui nous ont appris à penser en les critiquant et en les faisant connaître comme Plutarque ou Cicéron, chevalier romain, avocat, en quête de la liberté d'esprit, en s'inspirant d'eux comme, Plotin, Boèce, et plus près de nous Montaigne le stoïcien dubitatif, Pascal, Spinoza et Kant. Si Kipling, mais aussi le philosophe Alain ou son élève Simone Weil, et tous ces phares de la pensée, ont entendu l'appel des stoïciens, il n'est pas insolite de tenter de montrer même avec quelques raccourcis, qu'ils peuvent également nous captiver et éclairer notre travail de maçons. Car c'est d'abord au travail que nous sommes invités en les écoutant. Il ne s'agit pas de vivre en héros mythique, mais de vivre en homme ; C'est à dire de travailler, continûment à une transformation patiente de soi, pour éliminer les angoisses, celle de la finitude, l'anxiété, les fluctuations de l'humeur, les erreurs, avec le projet d’accéder à une forme de vie humaine, sans conflit avec soi-même, ni avec les autres, en devenant maître du temps, et capables de trouver dans la plénitude de l'instant, une forme d'éternité. Rudyard Kipling écrivait à ce sujet : « […] remplir chaque minute implacable de soixante secondes de chemins accomplis […] » Ce travail ou ces exercices spirituels selon Pierre Hadot l'un de nos historiens de la pensée antique ont pour objet permanent, la construction de notre jugement, la maîtrise des impulsions, et la discipline des désirs, au service d'une immense ambition : vivre une vie bonne et heureuse. Pour faire comprendre la nature du défi, Epictète cite souvent l'exemple de la tempête en mer ; un événement climatique qui était lourd de conséquence à l'époque et qui toucha particulièrement ZENON, qui perdit ainsi tout ce qu'il possédait, la légende voulant que ce soit ainsi que naquirent les prémisses de sa pensée. Au-delà d'une référence à une filiation spirituelle, cet événement climatique permet de repérer les mécanismes d'un piège très réel : La terreur et son cortège d'émotions, qui nous entraînent à donner notre assentiment intérieur à la peur, et par là, nous constituer prisonnier d'une représentation, nous pour qui le vent souffle aussi parfois en tempête dans notre vie, dans notre travail, notre organisation, nos prévisions quand tout vacille et nous échappe. La tempête pouvait être remplacée par la nostalgie, l'attachement au passé ou le souci de l'avenir. A la suite de cette évocation il ajoute généralement « Ce ne sont pas les choses qui nous troublent (dans leur matérialité), mais les jugements que nous portons sur elles (c'est à dire le sens que nous leur donnons) ». Et c'est précisément sur la question de la construction du jugement que les stoïciens sont sans doute aujourd'hui proche de nous. Le premier outil qu'ils valorisent est le levier de la volonté, l'outil majeur. C'est bien ainsi que l'entendait Zénon, qui voyait le point fixe qui engendre attention et vigilance pour soustraire notre esprit aux heurts et aux à-coups de l'existence, à l'exubérance comme à l'abattement pour atteindre la stabilité afin de devenir un dieu parmi les hommes, l'image même du bonheur complet pour un Grec du 3ème, siècle. SÉNÈQUE confirme la valeur de la volonté, dans la lettre 20 à Lucilius « toujours vouloir la même chose, toujours refuser la même chose ». Car pour les stoïciens, le bonheur est le résultat d'un travail volontaire, sur soi ; ce n'est pas un don du ciel, il vient d'abord de soi, de la capacité à s’en tenir à ce qu'on a décidé, de l'estime que l'on se porte, face au seul ennemi que l'on ait à redouter, soi-même. Ceci nous rappelle peut-être, un retournement initial. Cette volonté pour s'exercer, s'appuie sur une option, fondatrice, une attitude, mentale, l'utilisation constante d'une boussole, robuste, et la pratique d'un exercice, quotidien. L'option, c'est le choix de vie qui postule et exige que l'univers soit rationnel : « Serait-il possible qu'il y a ait de l'ordre en nous et que le désordre règne dans le tout ». Ecrit Marc-Aurèle en ajoutant « Chacun sait que l'art imite la nature or chacun sait également qu'il n'y a pas d'art sans raison, et donc la nature obéit encore plus à la raison, et la raison chez un Grec se nomme LOGOS. Cette option est fille d'une tradition ancienne. Elle remonte à Platon et précisément au Timée, qui consiste à tenter de vivre comme un être qui perçoit l'harmonie cosmique. L'attitude mentale qui nous est proposée c'est la mise à distance des émotions, l’apathie, état dans lequel on devient étranger aux affections sensibles, pour examiner, écouter, et peut-être comprendre ce qui nous entoure, en suspendant le jugement, l'ataraxie, pour laisse passer, selon Alexandre Jollien dans son livre récent la construction de soi, c'est à dire sans s'accrocher ni fuir les situations qu’il nous est donné de vivre... La boussole, l’équipement de base fourni par Épictète, c’est la distinction centrale entre « ce qui dépend de nous et ce qui n’en dépend pas »: [...]« Ce qui dépend de nous, c’est notre libre-arbitre et tous les actes de ce libre-arbitre ; ce qui n'en dépend pas, c’est notre corps et ses composants, notre fortune, nos parents, nos frères, nos enfants, notre patrie, en un mot tous ceux avec lesquels nous vivons »(ÉPICTÈTE Entretiens I,1) Grâce à cet instrument de navigation, le stoïcien cartographie le champ éthique : il délimite le territoire de ce qui échappe à sa prise et qu’il considère comme indifférent (ce qui ne dépend pas de lui) et circonscrit la sphère de ce qui lui revient en propre, ses représentations, sa résolution, son îlot d'autonomie (ce qui dépend de lui). Par cet outil Épictète est élève de Socrate, qui valorisait le « connais-toi toi même ». Dans ce qui dépend de nous, s'il y a du bon : c'est dans ce qui est conforme à la nature qui est rationnelle et s'il y a du mauvais : c'est dans ce qui est non-conforme ; alors que dans ce qui ne dépend pas de nous, les causes extérieures, il n'y a ni bon ni mauvais, puisque cela naît de forces, certes rationnelles, mais totalement étrangère à nous, qui correspondent à l’enchaînement des causes et des effets, c'est à dire au destin, au cours de la nature, qui est à prendre comme il arrive et non point selon nos désirs. L'exercice, nous vient de Marc-Aurèle, c’est l'examen de conscience ce mouvement de concentration sur soi et d'attention à soi, lié au mouvement de dilatation et d'expansion par lequel le moi se replace dans la perspective du tout, pour contempler comme l'écrit E. Kant « Le ciel étoilé au-dessus de soi, et la loi morale en moi » dans laCritique de la raison pratique. Grâce à cet exercice régulier, le présent est vécu comme s’il était le dernier, mais également comme s'il était le premier, celui de l'émerveillement. Ainsi, le stoïcien travaille-t-il principalement à renouveler son regard pour contempler le monde, contempler la sagesse à l’œuvre, et opérer la transformation intérieure, qui est d'abord une mutation de la vision, pour reconnaître la splendeur du monde. Ainsi, armé de sa volonté, fort de son option fondatrice, veillant attentivement à sa disponibilité d’esprit par l'apathie, afin d'agir conformément à la raison, dans un cosmos construit rationnellement, disposant d'une boussole pour distinguer au mieux ce qui dépend de nous de ce qui n’en dépend pas tout en pratiquant ses exercices quotidiens, le stoïcien se met en marche. Son seul but est la quête de la vie bonne, structurée par la volonté de faire ce qui est bien, c'est à dire en agissant selon la raison. Cette mise en marche s’apparente à la construction d'une citadelle intérieure, que chacun peut édifier en lui-même, une sorte de Temple secret, où il trouvera sa liberté, et sa cohérence avec lui-même. « Désormais mon esprit est mon matériau, comme le bois pour le charpentier » dit ÉPICTÈTE (Entretiens III,22,19) Trois séquences me semblent rythmer cette construction : Raisonner d’abord, pour pénétrer la totalité organique du cosmos, sans dissocier pensée sur soi et pensée sur le monde, ensuite en pensant juste pour dire juste, et enfin en tentant d'atteindre ce qui est convenable. Raisonner logiquement donc et en premier lieu, pour pénétrer la totalité organique du cosmos, dans son sens et son organisation. SIMONE WEIL, formule cet impératif à sa façon : « la science et l’art ont un seul objet qui est d'éprouver la réalité du Verbe ordonnateur » (Cahiers TIII Plon, p.43). Et ce trait nous touche particulièrement, nous qui sommes, rassemblés autour du LOGOS comme témoins de son action. L’épreuve probatoire du verbe ordonnateur le cœur du raisonnement stoïcien, constitue la physique stoïcienne ; elle s'opère selon trois principes et en considérant deux composants du cosmos. D’abord, la sympathie universelle, selon laquelle tous les individus sont en interaction mutuelle, selon le principe de causalité, deuxième principe, et enfin celui qui fonde la dialectique selon lequel une affirmation est vraie ou fausse ; deux composants sont centraux : le patient et l'agent. Le premier est passif, c'est la matière inerte et sans qualité et le second est actif, l’agent partout à l’œuvre, rassemblant et structurant, dynamisant et qualifiant la matière, faisant de l’être un tout, mis en ordre, le Logos. Les stoïciens nous invitent en fait par le raisonnement sur la physique du cosmos à revoir notre conception d’une séparation nette entre le corps et l’esprit en s’attachant en exprimant le lien qui rattache l'économie générale de l’univers à la suite des événements de notre vie individuelle. Ils nous appellent à vivre concrètement et intensément l'unité profonde d’où jaillit toutes les manifestations, sciences, arts, religions, obligations sociales qui, prises isolément, sont incomplètes et inachevées. Leur affirmation est que la vie spirituelle ne peut se fragmenter, le sentiment sur les choses, l'éthique, la connaissance de la nature, l'exercice de la raison relève de l'unité dont nous sommes issus. Nous ne sommes pas très loin du Phénomène humain. Il faut souligner que pour percevoir et exprimer le sens des choses, des événements, les stoïciens considèrent donc que tout doit s'expliquer, en veillant scrupuleusement à ne s'attacher qu'aux faits et rien qu'aux faits. On notera, que ce refus de la fragmentation et ce besoin d'explication ont conduit par soucis de cohérence à admettre la présence d’incorporels : ce qui est exprimable, le temps, le lieu qui ne sont qu'une manière d'être des corps, et le vide ; ces incorporels sont un simple « quelque chose » qui ne peut ni agir ni pâtir. SIMONE WEIL résume l'importance du raisonnement dans la pensée grecque en visant d'abord les stoïciens « Peut-on penser que c'est parce que les Grecs voyaient dans la géométrie l'image de l'incarnation (image divine, reflets de la réalité) qu'ils y ont mis la quantité, l'intensité d'attention, l'attention religieuse qui leur a permis d'inventer la démonstration (Logos...) » Cette imbrication dans une totalité organique, du physique et du spirituel, éclairé par le raisonnement démonstratif, culminera chez Cicéron et Sénèque qui parleront de la divinité du monde, le qualifiant ainsi comme un individu vivant, avec lesquels les individus qui le composent sont en état de conspiration et d'accord selon le principe de sympathie universelle. Ce matérialisme conduit à une vision de système. Ce système est une figure du destin qui nous tire si l'on tente de s'y opposer, mais qui devient providence si les événements sont voulus de tout notre esprit. On touche par là à l'une des questions qui a le plus préoccupée les stoïciens, celle de la liberté de l'individu. Leur réponse est décapante : si les événements externes sont bien sûr, soumis au principe de causalité, dans notre vie morale ceux-ci n'engagent pas la manière dont y réagissons, ce qui reste entièrement en notre pouvoir, en distinguant ainsi deux types de causalités. Car, guidé instinctivement par les impressions en utilisant le raisonnement logique pour distinguer ce qui dépend de chacun et ce qui n'en dépend pas en donnant ou non un assentiment à ses représentations qui le submerge, et en usant de la dialectique, seule capable de faire acquérir une conviction et en réintroduisant le principe de responsabilité individuelle, les stoïciens affirment que c'est bien le non-sens qui est un obstacle à la liberté. Ce point est central, car il permet à la fois de relier la vie de chacun à la vie du cosmos, pointer la source et l'origine du bonheur et éclairer la profonde liberté de chaque homme. Ainsi, l'on comprend que l'indifférence si caractéristique et si critiquée du stoïcien consiste, non pas à être indifférent mais plutôt à ne pas faire de différence, à vouloir aimer d'une manière égale, tout ce qui est issu du système complet de la nature. Cette égalité si chère à notre cœur, est un renversement total de la manière de voir les choses. On passe d'une vision humaine de la réalité, vision dans laquelle nos jugements de valeur dépendent des conventions sociales ou de nos passions à une vision « naturelle », physique des choses, qui replace chaque événement dans la perspective de la nature et de la raison universelle. On voit donc bien que l'existence de l'homme et son action étant parties prenantes de la dynamique de l'univers dans sa totalité et dans son unité, l'apathie du stoïcien la première attitude, bien au-delà de son image convenue d'indifférence ne signifie pas désengagement, des affaires du monde. Car il est conscient d'avoir un rôle à jouer sur la scène universelle, il est appelé de l'intérieur à accomplir son devoir de citoyen du monde selon le même schéma qui le fait expérimenter observer et parfois contempler la réalité d’une sympathie universelle dans la nature conçue comme une totalité organique à l'extérieur de son enveloppe, et qui est animé par le destin. Car, projetant sur la société la vision d'un monde conçu comme une totalité organique, dans laquelle il n’y a pas de place pour vide. les stoïciens, sont les premiers à faire sa place à l'altruisme, qui parmi les inclinations naturelles et faisant fi des lois conventionnelles de la cité, s’étend jusqu’à la société universelle : c’est le cosmopolitisme du stoïcien qui est citoyen du monde. Ce n'est pas dans une cité close que l'homme peut s’épanouir, mais au sein d’une humanité raisonnable. Pour le marcheur stoïcien le lien qui unit tous les hommes se concrétise d'abord dans la société de ses semblables plutôt que dans la méditation solitaire même si elle reste indispensable. Pour construire cette capacité à raisonner sur l'univers, sur soi sur les liens qui nous unissent, les stoïciens s’entraînent, s'exercent à pratiquer, un contact sans déformation avec le monde, le cosmos, en sorte de pouvoir réconcilier connaissance sensible, les faits rien que des faits, et connaissance rationnelle en les prolongeant l’une vers l’autre. Ce que redoute par-dessus tout, le stoïcien c'est l'hostilité, l'isolement, et sa propre défiance vis-à-vis du monde extérieur comprenant la société de ses semblables. Afin d'assurer ce contact sans déformation avec le monde, ce qui touche chez le stoïcien c'est la l'importance qu’ils attachent à la qualification des faits, aux mots pour dire les choses aux articulations logiques et à la rhétorique pour décrire les situations, les cas de la vie, les événements de la société. Ils sont obnubilés par le penser juste pour dire juste. C'est un nouveau point de contact avec notre tradition. SIMONE WEIL va beaucoup plus loin, en écrivant : « Les grecs croyaient que la vérité convient seule aux choses divines, non l'erreur ou l'à-peu-près » (Cahiers TIII, Plon, p.44. Ainsi, on comprend que la logique et sa rigueur, est beaucoup plus qu’un instrument de la connaissance, comme le pensait Aristote, c’est un instrument par lequel le Logos se communique à homme, qui requiert une matière pour s’exercer, exprimant pour chacun le rapport au monde qui le précède et qui l'entoure. Platon et Aristote, ont souhaité fonder une connaissance impersonnelle fondée sur des notions universelles. C'est au stoïcien pour lequel la généralité est vide de sens, l'individu possédant une réalité, que revient de vouloir atteindre la réalité à partir des raisonnements spontanés, en revenant à l'art social de la discussion, de la diatribe, Leur dialectique et leur rhétorique a pour objet ce qui exprimable par le langage. Si la perception sensible est effectivement la saisie immédiate d'un objet réel, la perception rationnelle procède progressivement par enchaînement discursif d'objets exprimés par le discours. De là l'importante créativité dans ce domaine, dont on fait preuve des générations de stoïciens, en participant aux constructions grammaticales toujours actuelles, les déclinaisons, en s’intéressant à la linguistique, avec des concepts que redécouvrira Ferdinand de Saussure au début du 20°, à la rhétorique... La troisième séquence qui nous intéresse pour la construction stoïcienne, consiste à mobiliser un raisonnement pour penser juste avec pour finalité de déterminer ce qu’il est convenable de faire au quotidien. Car le système stoïcien dans son aspect un peu froid avec son enchaînement des vertus, des causes, des effets des choses, des corporels et des incorporels, dans une logique parfaite, resterait très abstrait, et finalement inefficace, sans les occasions qu’apportent la vie quotidienne de s'éprouver et de confirmer dans tel jugement vrai, dans tel acte de vertu les fragments qui expriment le système tout entier. Pour y parvenir, les stoïciens créent la notion de préférences, des cas d’espèces, c’est-à-dire une réflexion sur les choses, qui tout en ne dépendant pas de nous, sont conformes à la nature, et fournissent un contenu concret aux devoirs sociaux et qui donc ont une valeur, sont convenables. L’exemple est celui qui consiste à veiller à la santé d’un ami ou d’un parent ou à être aussi attentif à la faiblesse de l'élève, ou d’un frère. L’obtention du résultat étant aléatoire est moins importante que la visée qui la sous tend, l'attention qui est portée à l'autre. ÉPICTÈTE s’agissant de ces préférences, dira « les matières sont indifférentes c’est la manière d'en user qui ne l’est pas ». avec un image celle de l'archer dont la cible est le but, qu’il atteint ou qu’il manque selon la faveur des circonstances, mais dont la fin véritable, toujours atteinte, est la visée même. Confronté aux choses extérieures, l'individu sera ainsi amené à choisir celles qui sont conformes à la nature, et celles qui ne le sont pas. Ces choix se feront de manière de plus en plus réfléchie, car à la raison viendra s'ajouter à la tendance. La première étant la tendance à se conserver soi-même dans son état naturel, le premier devoir., le conatus de Spinoza dans l’Éthique. Chacun comprend alors que la concorde des choses et les devoirs choisis ont plus de prix que les choses elles-mêmes, en sorte que le souverain bien réside plutôt dans cet accord même. L’inspiration de cette conception repose sur l’idée qu’il est préférable d’avoir une certitude issue de la vie normale, inscrite dans la conscience commune, plutôt que de s’appuyer sur des réductions à des essences, réservée à un petit nombre. Clin d’œil à Platon. Cicéron, Sénèque et Épictète, s'accordent pour montreront ainsi que dans l’événement, réside une occasion unique offerte à la vertu de manifester sa valeur par une initiative adaptée aux circonstances. Ainsi, à l’action parfaitement correcte et vertueuse du sage accompli, et dont la rigueur est irréalisable en permanence, le stoïcien juxtapose l’acte convenable qui est conforme à la nature et donc justifiable par de bons arguments. Son objectif est de fonder une morale, universelle, en dessous de la morale des sages et des bienheureux. Ces mécanismes sont intéressants, car c’est d’eux que naîtra une théorie des passions, des moyens de s'en guérir et d’en prévenir le déchaînement, qui retrouvera une actualité chez les moralistes et les philosophes du XVIIème et d XVIIIème dont est issue notre tradition maçonnique. C’est cette ambition d’articulation entre une visée totalement rationnelle et une adaptation aux circonstances qui m’a intéressé, dans la pensée des stoïciens. Elle ne se limite pas à une théorie abstraite du raisonnement, ni même à des exercices scolaires syllogistiques, mais plutôt à une pratique quotidienne destinée à la maîtrise du discours intérieur, face au changement constant auquel nous sommes soumis. Sur cette question si présente dans notre vie, Marc–Aurèle, suggérait dans « Pensées pour moi-même »: « comme toute chose se transforment les unes dans les autres, acquiers une méthode pour le contempler, concentre sans arrêt ton attention sur cela et exerce toi sur ce point. Observe chaque objet et imagine-toi qu’il est en train de se dissoudre, qu’il est en pleine transformation, en train de pourrir et de se détruire ». Cette vision stoïcienne est sans doute la cause de son expansion. Car les premières productions stoïciennes naissent à l'aube des temps hellénistiques, dans un monde profondément déséquilibré à la suite de la mort d’Alexandre en 323. La cité grecque n'est plus qu'une carapace vide. Les monarchies grecques et la puissance romaine sont encore à naître. Les formes sociales qui s’interposait entre l’homme et les choses : la famille et la cité s’estompent ; c’est par-delà ces formes, dans la nature toujours stable et identique à elle-même, que le stoïcien va chercher la satisfaction des besoins auxquels la société de son temps ne peut plus répondre. C’est une philosophie pour temps de mutations, au moment où fleurit le scepticisme sur les croyances, au vu des acquis scientifiques et tout ce qui semblait constituer des certitudes morales. Cette période est ainsi celle, qui voit la civilisation grecque s'étendre rapidement au-delà des mers Égée et Adriatique, vers la Perse, l’Égypte, l'Italie, la Gaule et l’Espagne avec le sentiment d'un risque de sa dilution et la crainte de la perte d’une identité. Ce temps pourrait être un miroir du nôtre. Cette extension territoriale s’accompagne du développement de connaissances qui donne à l'homme de ce temps, la conscience d’un pouvoir important sur la nature ainsi que de l’existence de lois naturelles, fixes et déterminées, sur le mode systémique, avec l'idée d’un Dieu qui est celui de l’univers, dont le culte doit être commun à tous les hommes, un Dieu qui est immanent, la nature. Ce mode de penser de ces stoïciens; connaîtra un rayonnement important, dans une société romaine, urbaine, comme la nôtre, auprès des puissants du jour qui viennent écouter les leçons du Portique pour comprendre la définition de la fin de la vie heureuse et recevoir les éléments d’un art de vivre en harmonie avec le tout, car il n’est aucune question importante qui ne mette en jeu le monde où il vit, la raison dont il dispose, et le bonheur auquel il tend. C’est une philosophie totale qui associe en une vision cohérente l'aspiration rationnelle à la sagesse, au bonheur et à la vertu qui ne se sépare pas d'une conception du monde et d’une technique d’exercice de son intelligence. Par l'exercice de cette pensée la prise de conscience que le sujet à traiter est soi-même, sa façon d'être, de se penser, est reliée de manière explicite à une obligation de penser le monde, donnant ainsi un contenu concret, au-delà de la pure introspection, « au connais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et les dieux ». La pensée des stoïciens est moins une école de pensée qu’une école pour faire penser, pour s'interroger en rapprochant des dimensions du réel, parfois fort éloignées, et qui appellent réflexion, détachement, mise à distance, paix intérieure, conditions sine qua non pour une rencontre de l'autre, indispensable pour un apprentissage de soi, dans une logique qui nous est familière. Cette paix profonde que vise les stoïciens n’est pas sans nous rappeler la sagesse, étoile qui brille pour que règne la paix et de fait la pensée stoïcienne porte en elle un modèle d’homme implicite, jamais rencontré, le sage, libre même dans les chaînes, car il fait ce qui dépend de lui et demeure ferme et tranquille à l'égard de c e qui n’en dépend pas. Cette figure du sage tel qu’il est proposé par les stoïciens, peut faire l'objet d'interrogation voire de doutes, et il est tout à fait compréhensible qu’il en soit ainsi. Pour ma part, la représentation du sage telle qu'elle ressort des textes de ceux qui nous ont légués leurs méditations et leurs réflexions sur leur quête, on peut retenir que face à la poursuite sans fin de nos intérêts mondains, nous n'avons pas la moindre idée de l'immense soulagement que représenterait le dépôt du fardeau, c'est à dire le renoncement à nous affirmer à tout prix contre l'ordre du monde et aux dépens d’autrui. C’est à cette démarche que nous invite la pensée des stoïciens et qui en fait leur richesse pour nous maçons, dans notre présent d’homme d’aujourd’hui, dont l'horizon est la Dignité Humaine. J’ai dit Vénérable Maître. X\ G\ E\ V\ D\ N\ Ainsi en ayant tenté de traiter du tout et certains de pouvoir ainsi envisager l'unité des phénomènes dont le « Phénomène humain », en liant corporels et incorporels, pour le stoïcien il existe un lien (spirituel) qui unît tous les hommes en les faisant remonter jusqu'à la source commune, le principe créateur. Sous cet angle nous sommes face à une sorte de matérialisme, dans lequel, seuls n’exigent d'attention que ce qui occupe l'étendue et qui peut être objet, au sens matériel, de connaissance et d'action, car pour le stoïcien : « On reconnait l'être à sa capacité à agir » On est loin d'une série de formules abstraites. Pour y parvenir, après voir évoqué la tempête et les voies et moyens du stoïcien pour se construire, il me semble intéressant de voir comment, concrètement il s'y prend pour faire face aux illusions nous détournent de nous-mêmes, et provoquent en nous des passions, ces folies de l'âme, contraires à la raison et à la nature et dont chacun est le principal artisan, pour lui même et plus gravement parfois pour d'autres. En premier lieu, ils attribuent à l'être humain dés son origine. Ils avaient une vocation particulière à être des précepteurs, des conseillers politiques et des directeurs de conscience, selon la figure que reprendra la pensée Jésuite, pour voir ainsi se prolonger à l'époque moderne l'habitude de la réflexion sur soi-même, qui affine la conscience morale d'un individu envisagé dans sa totalité répondant ainsi. Car dans cette vision sur le mode du système, étrangère à Platon et à Aristote, il n'est aucune question importante qui ne mette en jeu le monde où il vit, la raison dont il dispose, et le bonheur auquel il tend. Mais si un homme a pris la décision lourde de sérieux et de conséquences de s'exercer effectivement à la sagesse, il mérite notre respect, même si ses progrès sont minimes. Quel prix personnel a t-il du payer pour avoir le droit de parler de ses efforts vers la sagesse ? Nous dit Pierre Hadot. On le voit, la conjonction constante de la physique, de la logique et de l'éthique,conduit à une vision, qui place la philosophie vue par les stoïciens, comme un acte unique à pratiquer à chaque instant dans une attention sans cesse renouvelée, à soi même et au moment présent pour tenter de pratiquer notre liberté fondamentale. « Faire de chaque minute implacable, soixante seconde de chemin accompli ». Chrysippe, se servait de l'exemple du cône et du cylindre : c'est en vertu d'une impulsion extérieure qui ne dépend pas d'eux que ces volume peuvent se mouvoir, mais c'est en vertu d'une structure qui dépend d'eux et d'eux seuls que chacun d'entre se déplacera d'une manière qui lui sera particulière. |
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