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L'apport de Francis Bacon à l'émancipation de l'Homme


Francis Bacon : Une pensée scientifique au service du bonheur de la société anglaise

Avec l'ouverture de l'esprit des gens de lettres du XV° et du XVI° siècles aux nouvelles connaissances recueillies à partir des ouvrages en provenance de Byzance (suite à la conquête ottomane de 1453 qui fit se réfugier en Italie voisine des milliers de Grecs accompagnés de leur bibliothèque), il était devenu à la mode de s'instruire de ces nouvelles "sciences" rapportées avec eux de Byzance et qui avaient pour nom Alchimie, Astrologie, Tradition Primordiale, Kabbale, Numérologie, cartomancie…etc. Le mot "Science" s'identifiait à cette époque à la connaissance raisonnée ou intuitive  d'un ensemble de système de pensée qui tend à donner une explication du monde ou des phénomènes dont on ignore la description par le bon sens commun ou par les Saintes Ecritures. Il est remarquable de noter que toutes ces nouvelles « sciences » composant le bagage intellectuel de l'homme lettré de la Renaissance, avaient un caractère commun, leur ésotérisme, voilant toute rationalité transparente. Et de plus, il est à noter que l'attirance pour toutes ces nouvelles connaissances si diversifiées, provenant d'anciennes civilisations ayant précédé le christianisme, était d'autant plus facile à comprendre que ces "sciences" nouvelles n'étaient pas très rationnelles et qu'elles étaient donc libres d'interprétation d'autant plus diverse qu'elles étaient occultes et symboliques, et de plus, à l'abri de toute répression ecclésiastique puisque leur apprentissage ou leur diffusion se pratiquait discrètement, dans des salons privés à l'abri des regards intrus et recueillant parfois des moines très intéressés par ces recherches ésotériques qui leur offraient d'ouvrir leurs connaissances classiques et fermées à de nouvelles recherches sur la nouvelle place de l'homme dans l'univers de Dieu de façon à mieux le réunir à son créateur. Tout cela versait dans l'occultisme et dans un certain dérapage mystique, en contradiction avec la raison objective dont la défense allait être alimentée par la nouvelle pensée philosophique développée par Francis Bacon au XVII° siècle anglais.

Et c’est donc contre cette nouvelle forme d'obscurantisme idéologique à caractère ésotérique, succédant à l'obscurantisme scolastique à caractère religieux du Moyen âge, que va réagir Francis Bacon (1561-1626), en fondant la logique expérimentale, associée à sa nouvelle méthode d’établir les connaissances par la méthode hypothético-déductive qui se trouve à la base de toute la pensée scientifique moderne. Cette démarche nouvelle de la pensée de Francis Bacon se trouve exposée dans son ouvrage « Novum Organum », sous-titré "Nouvelle méthode pour interpréter la nature", publié en 1620, quand il était encore Lord Chancelier du roi Jacques 1er d’Angleterre, ce qui lui valut une très large diffusion nationale. Il s'agit, en fait, du second tome d'un traité philosophique inaugurant les règles nouvelles de sa méthode analytique, à la fois expérimentale et inductive, permettant d'éliminer les préjugés qui encombraient les modes de raisonnement de ses contemporains.

Cette pensée philosophique, originale pour l'époque, fut d'autant plus révolutionnaire qu'elle répondait aux attentes de nombreux chercheurs, philosophes et savants, désireux d'entrer dans une nouvelle ère de pensée et d'action, l'ère moderne, fondée sur la vérification des hypothèses avancées avant d'en admettre les conclusions. Elle se retrouve aussi à la base de l'esprit critique qui doit guider notre démarche initiatique maçonnique dans nos efforts de connaissance de soi-même et des autres, en vue de pouvoir bien insérer notre pierre dans l'édifice commun de la société.

En philosophie, Francis Bacon, poursuivant sa méthode moderne d'analyse critique par l'expérimentation, rejette tout autant Aristote que Platon, dont les philosophies avaient respectivement nourri la "scolastique" dogmatique des doctes médiévaux et la « magie naturelle » des héros de la Renaissance florentine. Il estime, au contraire, qu’il ne faut plus s’en remettre aux « Anciens » (càd les penseurs de l'Antiquité), mais qu’il faut plutôt innover et créer des nouvelles pensées servant à repenser la conception du monde à venir et des nouvelles techniques pouvant accroître la productivité et l'efficacité de la société où nous vivons, en vue de pouvoir mieux répondre aux attentes des populations d'aujourd'hui et aux besoins croissants des temps futurs, tout en tenant compte de la forte croissance démographique à satisfaire. Son souci de politique sociale et d'amélioration constante de la société dans toutes ses dimensions, matérielle, morale, intellectuelle et spirituelle, ainsi que dans son actualité présente et future est déjà bien visible. Cela annonce, un siècle à l'avance, le but de la Franc maçonnerie dite spéculative qui naîtra en 1717.

Or, pour arriver à dénouer les blocages psychosociologiques des gens de cette époque tardive de la Renaissance, Francis Bacon propose de faire « une purge de l’intellect », en faisant table rase de leurs préjugés. Il classifie ces derniers en 4 catégories qu’il appelle des « idoles ». Celles-ci proviennent, selon l'auteur, respectivement de l’hérédité raciale, de la culture de son milieu, de l’ego personnel, ou de nos habitudes de la rue et du langage. Selon Francis Bacon, cette « purge de l’intellect » permet de réaliser l’homme nouveau, devenant libre, responsable et efficace au service de la société. Cela nous fait vite penser à l'usage du "Fil à plomb" dans l'enseignement maçonnique ainsi qu'à la formule maçonnique de V.I.T.R.I.O.L., dont le but est de faire naître en nous l'Homme nouveau, mort à ses anciens préjugés.

En ce qui concerne l’exploration de la nature en vue de la connaître dans sa vérité non déguisée par les boniments de la "Magie blanche" celle-ci étant pratiquée à cette époque dans toutes les cours royales européennes, y compris à la cour du roi Jacques 1er d'Angleterre dont il était le "Lord Chancellor", équivalent d'un Premier Ministre dans un régime présidentiel d'aujourd'hui], Francis Bacon propose une nouvelle méthode, cette fois rationnelle et rigoureuse, servant à éviter les errements de la pensée médiévale fondée sur le raisonnement par syllogismes et qui demeurait encore en usage dans les universités des royaumes de confession catholique, faute d'une autre alternative de pensée qui fût autorisée par l'Eglise romaine.

C'est là qu'il faut réaliser que les penseurs anglais avaient largement bénéficié du fait qu'ils n'étaient pas soumis au régime de censure de l'Eglise romaine qui mettaient à l'Index des ouvrages non conformes à la scolastique thomiste, et cet avantage résultait de la religion anglicane qui faisait du Roi d'Angleterre le chef de la chrétienté anglaise, excluant l'Inquisition d'obtenir droit de cité en Angleterre. Cette situation exceptionnelle a dû beaucoup favoriser les avancées de la recherche en Angleterre depuis le vote par son Parlement de " l'Acte de Suprématie " en 1534, faisant de ce pays et de sa grande université d'Oxford le principal foyer de recherches sociales et scientifiques du monde aux XVI°, XVII° et XVIII° siècles, d'où sont sorties la plupart des découvertes et inventions scientifiques et d'autres oeuvres de génie (Shakespeare, par exemple) au cours de ces 3 siècles.

Dans ce cadre, celui d'une pensée anglaise libérale, Francis Bacon préconise donc de procéder à une sélection des idées et travaux par élimination, en notant par écrit toutes les étapes d’avancement de la recherche qui devient alors expérimentale, et il  recommande ensuite au chercheur de vérifier la véracité de la conclusion annoncée, par répétition de son expérience. Il n'est plus question de se conformer aux vérités révélées par les Pères de l'Eglise ou par les auteurs profanes agréés par la Curie romaine comme le géographe de l'Antiquité gréco-romaine, Ptolémée.

En outre, toujours grâce à ce contexte idéologique libéral anglais, F. Bacon a inventé le concept de « progrès des sciences » comme facteur basique du progrès de la société, alors que l'Eglise romaine était toujours opposée aux progrès scientifiques comme facteurs de négation des vérités révélées qui devaient être immuables. Il préconise, notamment, que la recherche devienne une œuvre collective pour que ses résultats soient communiqués à tous de façon à entraîner un développement généralisé et accéléré du progrès technique à travers le monde, en vue de servir le bien commun du genre humain. A cet effet, il avait proposé dans son roman « Nova Atlantis » que les pouvoirs publics créent des « instituts de recherche », pour favoriser les contacts et les échanges entre savants et chercheurs du monde entier. Cela annonçait la constitution informelle, par les savants de l'Université d'Oxford en 1645, du fameux "Invisible College" qui sera absorbé ultérieurement par la "Royal Society", créée à Londres en 1662, par Charles II sur recommandation de ses conseillers scientifiques membres de l'"Invisible College". Et il faut savoir; à ce propos, que c'est bien des membres de la "Royal Society" qui créèrent la Franc maçonnerie "spéculative" en 1717, sous l'égide de l'équipe scientifique de Newton, dont J.T. Desaguliers était le secrétaire principal.

A travers ses ouvrages, qui seront rapidement diffusés dans toutes les universités anglaises grâce à ses hautes fonctions de Chancelier d'Angleterre de 1618 à 1621 sous le Roi Jacques 1er , Francis Bacon va pouvoir insuffler dans l'esprit des intellectuels et universitaires anglais une nouvelle éthique humaniste de confiance dans le progrès, qu'il entrevoit dans l’évolution rationnelle des techniques matérielles, par opposition aux « Mages de la Nature" magnifiés par la Renaissance, parmi lesquels le célèbre Paracelse (1493-1541) qui pensait pouvoir transmettre, par ses dons de "Mage de la Sagesse antique", les clés des « mystères anciens » de la Nature dont fait état le "Corpus Hermeticum" de Hermès Trismégiste. Désormais, grâce à la nouvelle méthode d'analyse "scientifique et expérimentale", donc observable et non plus occulte, élaborée par Francis Bacon, les efforts des chercheurs de l'université d'Oxford vont s’orienter vers les mathématiques, l’observation et l’expérimentation, au vu et au su de tous, et toujours au service du bien commun de l’humanité. On trouve ici l'origine lointaine du principe de la recherche constante de la vérité que la Franc maçonnerie s'impose comme méthode de travail et d'action, ainsi que de son but de contribuer à l'amélioration de l'ensemble des conditions de vie de l'humanité.

Il faudrait, cependant, noter ici que les "sciences occultes" de la Renaissance étaient aussi sensées être exploitées au service du bien commun, puisqu'elles avaient pour objet de délivrer l'homme de son ignorance médiévale en lui apportant les moyens, certes secrets mais libérateurs, d'accéder à la connaissance ancienne des mystères de la Nature, lui permettant de pouvoir les manipuler dans un sens humaniste, au service de l'Homme. C'était la raison pour laquelle ne pouvait y avoir accès que le "Mage" ou "le savant Sage" qui avait pu atteindre un certain degré de purification intellectuelle et mystique lui offrant le privilège de parvenir à l'extase et à la contemplation nécessaires pour accéder à ces "vérités primordiales", invisibles autrement. Le chemin d'accès à la vérité était une sorte de "Révélation" spirituelle pour les adeptes de la pensée occulte de la Renaissance, alors qu'avec Francis Bacon, il s'agissait désormais d'expérimenter ses découvertes et connaissances de la nature qui n'avaient plus rien d'occulte et qui n'étaient plus réservées à une élite inspirée d'hermétisme et de néoplatonisme. Cette nouvelle science baconienne, expérimentale, basée sur le raisonnement hypothético-déductif, était par contre à la portée de tous, sans discrimination idéologique ni religieuse, alors que la croyance des "Mages naturels" de la Renaissance reposait sur une sorte de panthéisme où tout ce qui animait l'univers était considéré comme portion divine et ne pouvait être relié à l'homme que s'il arrivait à atteindre l'extase pour pouvoir rejoindre Dieu et donc ses diverses portions composant l'univers qu'il a créé, et cela, seule une petite minorité pouvait y accéder.

Cette révolution méthodologique dans la façon d'aborder les connaissances de la Nature, inaugurée par Francis Bacon, va changer totalement les habitudes anglaises de penser tout en leur donnant une avance méthodologique par rapport aux pratiques des autres chercheurs européens continentaux, qu'ils soient catholiques, donc soumis à l'obscurantisme médiéval, ou bien adeptes de la "pensée magique et ésotérique", donc soumis à l'occultisme qui est une autre forme d'obscurantisme. Cette victoire intellectuelle de Francis Bacon sur les forces spirituelles de l'obscurantisme, tant de celles survivant du Moyen âge scolastique que de celles "magiques" (N.B. on dirait à présent "fétichistes" si cela se passait en Afrique subsaharienne) de la Renaissance, a donc ouvert la voie au doute philosophique qui animera l'esprit des premiers Franc maçons Anglais.

Quant au niveau politique, dans sa "Nova Atlantis" ou « Nouvelle Atlantide », publiée à sa mort en 1626 (parce qu'il la considérait comme encore inachevée de son vivant), Francis Bacon prône la tolérance religieuse, en excluant l’uniformité religieuse, cause d’appauvrissement du pays en raison des expulsions et les drames qui s'en suivent, alors que la tolérance favorise le progrès général dans le pays par la diversification et l’enrichissement du savoir-faire que toutes ses diverses communautés religieuses pourraient apporter à la nation. Il avait plaidé notamment pour le retour de la communauté juive en Angleterre (dont elle avait été expulsée en 1290), estimant qu’elle contribuerait au progrès des sciences et donc à l'accroissement des richesses et par conséquent à la paix sociale. Sa doctrine de la tolérance sera adoptée par les chercheurs en sciences humaines de l'université d'Oxford dont l'influence intellectuelle portera ses fruits en 1656, lorsque le Parlement anglais finira par autoriser le retour des Juifs en Angleterre avec, en plus, la liberté de culte qui leur sera reconnue en 1683.Or, la Tolérance se retrouve être l'un des quatre piliers sur lequel doit reposer le temple maçonnique, à côté de ceux de la Liberté, de l'Egalité et de la Fraternité. C'est l'un des plus grands apports de Francis Bacon au mouvement maçonnique qui chemina en Angleterre tout au long du XVII° siècle.

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