Croyance et foi
"La
croyance désigne toute certitude sans preuve ...
Lorsque la croyance est volontaire
et jurée d'après
la plus haute idée que l'on se fait du devoir
humain, son vrai
nom est la foi"
Alain.
Penser
est un long travail et une paix préalable. Sortant des
forêts pleines de dieux
l'homme, au bord de la falaise reconnut son redoutable royaume. Et
c'est alors
qu'il osa penser. Penser n'est pas croire. Peu de gens comprennent
cela.
Presque tous, et même ceux qui se défendent le
plus de croire, cherchent
obstinément quelque chose qu'ils puissent croire. Nous nous
accrochons tous,
plus ou moins, à nos idées et nous n'aimons pas
toujours que l'on veuille nous
les enlever.
La croyance désigne une disposition involontaire
à accepter, sans preuve, une
doctrine, un jugement ou un fait. La croyance désigne toute
certitude sans
preuve et les degrés du croire sont les suivants :
- Croire par peur ou par désir, ce que l'on redoute ou ce
que l'on souhaite ;
- Croire par coutume ou par imitation ;
- Croire les rois, les riches, les orateurs, les prêtres ;
- Croire les vieillards, les traditions ;
- Croire ce que tout le monde croit, par exemple que l'Australie existe
;
- Croire enfin ce que les plus savants affirment en accord avec des
preuves,
par exemple que la terre tourne.
Lorsque la croyance est volontaire et jurée
d'après la plus haute idée que l'on
se fait du Devoir Humain, son vrai nom est la foi. Le fondement de la
croyance
de notre époque se trouve dans les créations
mythiques dont le couronnement est
le mythe chrétien. Croire est agréable. Mais
c'est une ivresse dont il faut se
priver. Ou alors il faut dire adieu à la Liberté,
à la Justice et à la Paix. Le
doute est le sel de l'Esprit, car sans la pointe du doute, toutes les
connaissances sont bientôt pourries. Le doute est un passage
et pour l'essayer,
il faut d'abord sentir sous le pied, une inébranlable
résistance. Ainsi le
doute est-il, en un sens, le premier signe de la certitude.
Un croyant est un homme qui prend comme preuve sa propre humeur. Et
contre
cette mauvaise science, il faut seulement la volonté, le
refus de croire,
l'impiété
délibérée. Il faut dire non aux
signes, il n'y a pas d'autre moyen de
les comprendre, mais toujours se frotter les yeux et scruter le signe.
C'est
cela même qui est veiller, autrement c'est dormir. Il faut
percer l'apparence,
car croire, c'est ne rien savoir. C'est même ne rien vouloir
savoir.
L'incrédulité est un bon mouvement. Sans
l'incrédulité, la foi ne serait pas
connue. Il faut partir de la stupide croyance. Il faut se sauver de
là,
toujours.
Seulement, il y a croire et croire. Et la différence
apparaît dans les mots
croyance et foi. Lorsqu'on dit qu'un homme est crédule, on
veut dire par là
qu'il subit l'apparence. Mais quand on dit d'un homme d'action qu'il a
la foi,
on veut exprimer justement le contraire. En fait, ceux qui refusent de
croire sont
des hommes de Foi. Croire à la Paix est foi. Mais il faut
alors la vouloir. La
foi est courage. Vouloir la Paix, tenir fermement cette
espérance, c'est refus
de croire, c'est la Foi.
Kant nous éclaire le chemin pour comprendre ce qu'est la
foi. Il y a deux
ordres des choses : celles qui sont et celles qui seront parce qu'on
les
voudra. Le ciel, au dessus de nos têtes est un symbole des
choses qui sont.
L'univers est un fait, il faut ici que la raison s'incline. Il faut
qu'elle se
résigne à dormir avant d'avoir compté
les étoiles. Sans chercher dieu, pour
savoir si le monde est bon ou mauvais. Car le monde n'est ni bon, ni
mauvais.
Il existe, c'est tout. Il faut donc ici ne pas croire, mais
savoir.
Mais je ne sais pas si la Justice sera, car le futur n'appartient pas
au
savoir. Je dois croire qu'elle sera : voilà l'objet de la
foi. Quand on voit
qu'un homme qui entreprend quelque chose doute
déjà de réussir avant d'avoir
essayé, on dit qu'il n'a pas la foi. Vouloir, sans croire
que l'on pourra vouloir
sans un grand serment, ce n'est pas vouloir. Le plus haut devoir humain
est
qu'il faut croire, croire en sa propre volonté, comme
l'entend Auguste Comte
lorsqu'il affirme : "qu'il n'y a qu'un Dieu,
l'Humanité et qu'une
Providence, la Volonté raisonnable des Hommes".
L'histoire de Jeanne d'Arc est plus belle que la légende
d'Hercule. Car Hercule
avait la force. Jeanne n'eut que la foi. La foi contre la religion, la
justice
affirmée, la révélation directe, le
vrai miracle qui est de Foi et d'Action,
l'Amour combattant. Cette belle histoire finit tragiquement par le
retour des
évêques, des hiérarchies, des dogmes.
C'est par les mêmes forces que la
Révolution a fini par l'Empire : la
crédulité contre la foi.
Il y a dans Jeanne, une idée flamboyante, une
idée qui parle. Prodigieux
mouvement de la Pensée, car cette idée veut
être réalisée. Jeanne change les
choses par bonne volonté, par liberté, sous
l'idée d'un Devoir impérieux. Son
Dieu l'inspire, mais ne l'aide pas. Aucun Dieu invisible ne marche
à côté d'elle.
En fait, Jeanne est seule, l'Idée est seule, partout seule.
Et le bûcher de la
fin éclaire le commencement. Car un vrai miracle, selon
l'ordre traditionnel,
descend du ciel sur les hommes. Le miracle de Jeanne était
seulement dans le
coeur. Il n'y aurait donc qu'à vouloir pour changer tant de
choses. Prodigieux
exemple. Et l'on finit par considérer comme magie noire et
diabolique ce
miracle de la volonté, ce dangereux miracle.
La médiocrité s'est bien vengée.
Jeanne qui était l'esprit et la volonté a
été
brûlée par la bureaucratie de ce temps
là. Mais le Peuple éclaire la Pensée
lorsqu'il veut que le mot coeur exprime à la fois l'Amour et
le Courage, vérité
que le bourreau n'a pas brûlée. Ainsi, il y a la
foi de Jeanne et la foi de
ceux qui l'ont brûlée. Et j'y vois deux religions
ennemies, deux Dieux en lutte
: un dieu qui est chose et un Dieu qui est Esprit. Il n'est d'ailleurs
pas rare
que l'on croie en Dieu comme aux sorciers. Alors, le jugement se plie,
l'homme
se fait petit, adorateur, il croit aux sorciers, mais il applaudit
aussi quand
on les brûle. La vie est alors prosternée et il y
a une manière de se tenir à
genoux qui vous jette à quatre pattes.
Jeanne connut un autre Dieu, un autre culte, d'autres preuves. Elle se
parla à
elle-même, dans le silence. Elle s'éveilla
à elle-même, elle jugea ce qui
existait et le dit injuste. Cette foi s'éleva contre toutes
les forces.
L'Esprit décidait souverainement : Je dois, je veux, je
vaincrai. Révélation
par le dedans, Dieu Esprit. La croyance est esclavage, guerre et
misère. La foi
est à l'opposé de la croyance. La foi en l'Homme,
c'est la foi en l'Esprit
vivant. C'est une Foi qui secoue le dormeur.
Mais il y a aussi de vrais Croyants : un petit nombre de ceux qu'on ne
peut
atteler, qui ne croient à rien. Ceux-là ont la
foi, la Foi qui sauve. Ainsi
croyance et foi ne sont pas de l'ordre du savoir ou de la connaissance,
mais
bien de l'ordre de la conscience. D'où
l'inévitable impuissance des mots pour
exprimer ce qui relève de l'indicible.
"Il n'est pas sûr que les chemins s'ouvriront
si on a la foi, mais il
est sûr que tous les chemins seront fermés si l'on
n'a pas d'abord la foi. Si
l'on y regarde bien, la foi ne peut aller sans l'espérance
et il y a un genre
d'espérance et aussi un genre de foi qui concernent tous les
hommes et dont le
vrai nom est charité". - Alain.
par
Eusthènes publié
dans : Philosophie
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