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Croire ou ne pas croire, est-ce bien la question ?

Très tôt, dans notre vie à tous, cette interrogation a frappé notre esprit : Pourquoi l’homme existe-t-il ? Et pourquoi, nous-mêmes, homme parmi les hommes, avons-nous été embarqués dans cette aventure ? Y’a-t-il un projet derrière tout cela ? Y’a-t-il un projet qui nous concerne personnellement ? Est-ce que cela ne se serait pas aussi bien passé si nous n’avions pas été là ? Avons-nous tellement manqué au siècle de Périclès, de Jules César, à la dynastie des Yuan, à la grandeur de Louis XIV, ou de tout autre moment de l’histoire, qu’il ait fallu nous convoquer maintenant pour parcourir un bout de ce XXIème siècle ? « La comédie ne se serait pas moins bien jouée quand je serais demeuré derrière le théâtre *», disait Bossuet quand il s’interrogeait sur les raisons de sa propre présence dans la comédie humaine.

Face à cette question existentielle deux réponses possibles :

Il y a la réponse de l’athée… l’athée ne prétend pas savoir ce qu’il y avait avant l’univers, non plus que d’affirmer qui a crée cet univers, ni d’où vient l’homme, ni d’où procède toute l’énergie que le compose, ni où il va. Ou plutôt, l’athée dit qu’il n’y a rien. Il y a la vie, rien avant, rien après. Pour l’athée, le sens de la vie est à bâtir au jour le jour ; nous allons inexorablement de la naissance à la mort, cela est la seule certitude, et nous devons tirer parti du mieux que l’on peut de ce court instant qui est donné à la conscience que nous avons d’exister. Inutile donc de perdre du temps à chercher un sens métaphysique, la vie est trop brève, on ne trouvera rien… Concentrons-nous sur ce qu’il y a à faire en cet instant précis où nous vivons.

Ainsi pour le philosophe Jean-Paul Sartre, la vie n’a pas de sens intrinsèque, c’est l’existence elle-même qui fixe le sens des choses : célèbre formule de : « L’existence précède l’essence » qui est la définition même de l’existentialisme. Position très proche de celle d’Aristote qui dit : « Nous sommes ce que nous faisons ». Par opposition à la position essentialiste de Platon qui affirme, en quelque sorte, que « L’essence, précède l’existence. » c’est-à-dire que l’homme ne devient pas, il est déjà… Il est ce qu’il est par nature… Il y a du déterminisme dans l’air, de l’inné.

Pour Nietzsche, qui refuse la transcendance divine, le fait qu’il n’y ait pas de plan au départ, pour le monde et l’homme, entraîne que rien n’a de sens dans l’absolu, il est inutile de chercher à en trouver un, c’est que qu’il veut dire quand il affirme :« Dieu est mort ! ». Il faut donc jouir de la vie sans se poser de questions à propos d’un autre réel fort hypothétique.

Ce qui ne signifie pas faire n’importe quoi. L’absence de Dieu n’empêche pas d’avoir une morale.

Il y a, sur le trottoir d’en face du même chemin de la vie la réponse des croyants… Pour eux il n’est pas nécessaire que l’homme cherche, tout seul, de son côté, un sens à la vie car celui-ci est donné par Dieu. Pour la religion Chrétienne en particulier, le sens est simple et tous les théologiens depuis le Christ approuvent cette idée selon laquelle l’homme a pour destinée de se parfaire en s’élevant vers son créateur, vers Dieu, pour lui. Dieu est le but. Après avoir mis l’homme sur terre, pour le tester, en quelque sorte, Dieu le rappelle à lui. Saint Irénée a dit à ce propos : « Dieu s’est fait homme pour que l’homme se fasse Dieu ». Pour cet évêque de Lyon, il soutient que la Bible révèle le plan de Dieu pour sauver les hommes. Tout est dans la Bible.

Ainsi, pour les croyants, la terre est, comme l’a montré le Christ, un parcours, un chemin de croix, où la souffrance et les bonnes volontés servent à obtenir du mérite pour l’au-delà. Cette notion de souffrance continue à faire l’unanimité chez les théologiens actuels. Ce qui amène le philosophe Autrichien Wittgenstein à écrire : « Croire en Dieu c’est comprendre que la vie a un sens, croire en Dieu c’est voir que les faits du monde ne sont pas le dernier mot ».

Le sens de la vie réside dans un principe qui est au-delà du monde physique, du monde tangible. Ce principe étant Dieu. Tous nos actes alors prennent sens par rapport au jugement qui nous attend après notre vie terrestre, jugement qui détermine quelle sera la qualité de la vie après la mort : récompense ou punition.

Et pour les Francs-maçons, qu’en est-il alors ? Je dirais que pour eux, entre ces deux chemins leur cœur balance… et il balance même si bien et si fort que nous avons des Francs-maçons plutôt athées et des Francs-maçons plutôt croyants, ces derniers ayant résolu d’appeler Dieu : Grand-architecte de l’Univers, entité toute aussi considérable sans doute, mais moins figurée, moins naïve, peut-être qu’un Dieu mâle, âgé, barbu et célibataire.

Qu’ils soient athées ou croyants, l’important pour les Francs-maçons est qu’ils se reconnaissent comme Frères, s’embrassent comme tels, car ils s’inscrivent, les uns comme les autres, dans une pensée transcendantale… pour eux le sens de la vie est de travailler au progrès intellectuel et moral de l’humanité… le Franc-maçon applique la fameuse formule du Hic et Nunc : Ici et maintenant… Et c’est ici et maintenant que tout est à faire… et le sacré se révèle de lui-même par cet incessant travail d’élévation ; l’homme se dégage de l’homme pour devenir plus que l’homme. C’est probablement cela le « surhomme » de Nietzche

Peut-être y a-t-il un projet écrit pour l’homme, là-haut, quelque part, ou peut-être pas, cela n’enlève rien à notre détermination d’agir pour le bien commun, ici et maintenant… La mission de l’homme est bien terrestre, il n’y a pas à chercher ailleurs, si on agit pour améliorer le sort des hommes ce n’est pas forcément pour complaire, par derrière, à un Dieu et s’assurer une bonne place près de lui, après notre mort, c’est pour bâtir une société ici-bas, plus juste, plus ouverte, enfin pacifiée. Le Franc-maçon a, avant tout, une confiance inébranlable en l’homme. Il croit en le progrès de la pensée, en le progrès de nos comportements, en la maitrise de la violence. Le Franc-maçon ne s’engage pas sur l’au-delà, ne promet pas de vie éternelle, ne se prononce pas sur les pêchés, ne s’adonne pas à la confession, même s’il a une notion très aigu du bien et du mal… Le Franc-maçon n’efface pas, par une contrition, le mauvais coup de ciseau qu’il aurait pu donner en frappant de travers sa pierre quotidienne.

Dans cette posture du Franc-maçon perdure la raison d’être de ce mouvement de pensée, né dans l’Angleterre de la fin du XVIIème siècle. Il s’agissait, entre autres, de réconcilier les différents clans politiques et toutes les églises qui se livraient à une abominable guerre. La Franc-maçonnerie a donc tracé un chemin pour juguler les haines habituelles qui séparent les croyants. La première d’entre elle étant l’intolérance, l’intolérance vis-à-vis de ceux qui n’adorent pas le même Dieu, ou selon le même mode.

Le Franc-maçon est un réconciliateur né.

La Franc-maçonnerie me semble donc offrir l’avantage d’être une spiritualité de la liberté. L’homme est responsable de ses actes, devant lui-même, devant la société, et devant une transcendance, une puissance, dénommée Grand Architecte de l’Univers, sur laquelle il ne se prononce pas plus que cela et dont il n’attend aucune récompense… Ce Grand Architecte n’est pas venu parler aux hommes, il n’a pas envoyé un fils ou un prophète pour leur dicter leur conduite, aucune imagerie particulière ne l’entoure, aucune légende ou fait glorieux ne peut lui être attribué. Je dirais que c’est une « religion » pour grandes personnes, débarrassée de ses contes et légendes et des diverses superstitions qui entourent la plupart des croyances, il ne se préoccupe pas de ce qu’il y a à manger dans l’assiette des hommes, ni de la façon dont ils s’habillent, et s’il faut, ou non, se couvrir la tête quand on s’adresse à lui et en quels lieux il faut bâtir les édifices que l’on dresse pour communiquer avec lui. Pour le Franc-maçon, c’est la nature entière qui se fait temple et le ciel qui en est la voûte.

Voilà sans doute pourquoi les religions traditionnelles sont si rétives à l’égard de la Franc-maçonnerie et rappellent, régulièrement, l’impossibilité de fond d’appartenir conjointement à ces deux exercices de la spiritualité.

Nous pensons que la vie a un sens, un sens qui élève l’homme, qui le rend plus grand… Un sens qui garde intact l’espoir… que cet espoir se nomme Dieu ou Grand Architecte de l’univers… certains hommes ont besoin d’avoir déjà une réponse, ont besoin de s’inscrire dans quelque chose qui les attendrait ailleurs, au-delà, et ils ont les religions, d’autres n’ont nul besoin de cet invisible, mais tous, en pratiquant la Maçonnerie se trouvent réunis dans la foi qu’ils ont en l’homme… en ce sens ce sont bien des Frères et c’est cela qui compte par-dessus tout.

Voilà pourquoi je trouve la Franc-maçonnerie précieuse et irremplaçable : croire ou ne pas croire, là n’est pas la question, point n’est besoin de se la poser, point n’est besoin d’y répondre, c’est une question, certes respectable, et qui entraine des réponses toutes aussi respectables, mais qui devient seconde quand on a compris que notre tâche, c’est de sauver l’homme d’abord.

Jérôme Touzalin 

Bibliographie :
* Bossuet : in Pléiade « Méditations sur la brièveté de la vie ».
*Philosophie Magazine.
* Vergez – Huisman : in Philosophie (Fernand Nathan)

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