Le
Soufisme, méthode, spiritualité depuis le 10éme
siècle
Dans
le Soufisme comme dans la Maçonnerie, il y a une multitude
de courants
d'importance diverse, échelonnés entre les
débuts de l'lslam (c’est a dire le
7ème siècle) et l'époque actuelle.
Certains courants n'ont eu qu'une existence
éphémère,et d'autres vivent encore.
Le Soufisme est né en Irak au 10ème
siècle. Les soufis, auparavant dispersés
dans l'ensemble du Proche-Orient, commencent à former des
écoles autour de
quelques maîtres de Bagdad et de Bassora. Les
thèmes qui relèvent de
l'expérience mystique sont alors
développés publiquement, puis
consignés en des
traités.
Les premières confréries Soufies proprement dis
apparaissent au 12ème siècle.
Elles deviendront la forme dominante du Soufisme jusqu'à
l'époque moderne.
Il existe deux sortes de confréries: confréries
de cour et d'aristocrates,
telles que les MEVLEVIS d'Anatolie fondée par AL ROUMI et
des confréries plus
populaires telles que le RIFA'IYYA de BABYLONIE fondée par
AHMAD AL-RIFA'I.
Certaines, nées à cette époque,
subsistent encore aujourd'hui à travers des
ramifications multiples telles que la QADIRIYYA de Bagdad
fondée par ABD
AL-QADIR AL-DJILANl mort en 1166 et dont le tombeau à Bagdad
est un lieu de
pèlerinage des Soufis aujourd'hui encore.
Le Soufisme est d'abord l'expérience du vécu
individuel des questions qui nous
brûlent l'esprit pour tout ce qui est de l'énigme
de la vie et de ses racines
si lointainement implantées dans les
ténèbres de notre origine.
Et
ceci présuppose au moins un pressentiment de la
possibilité d'une perception
intérieure directe, pressentiment qui pourrait devenir germe
d'inspiration.
Voici près de mille ans, un grand Soufi disait du Soufisme
qu'il était une
«saveur», parce que son but et sa fin pourraient se
définir comme la
connaissance directe des vérités transcendantes,
sa nature est en effet plus
comparable aux expériences des sens qu'une connaissance
procédant du mental.
Le Soufisme, se réclame des temps les plus anciens puisque
il conceder que Adam
etait un initié par ailleurs selon les Soufis l'usage du
sceau de Salomon est
une des clefs pour l'interprétation de nombreux textes dont
le sens a échappé à
la compréhension de ceux qui ignorent les lois du
symbolisme.
Le Soufisme lui meme de par sa nature est un peu comme une
énigme. La racine
arabe «çouf» qui comprend les trois
lettres
«çâd-fâ-wâw-fâ»
a comme sens
de
base «pureté». Elle possède
selon la science
des lettres une identité secrète
avec la racine «çfou» qui
s'écrit
«çâd-fâ-wâw»
et qui a pour sens de
base
«pureté» et désignant ce qui
a
été passé au tamis pour
séparer les graines
de
la balle. En outre, il découle de cette racine une forme
verbale
qui, si on
I'écrit sans voyelle comme cela se fait couramment en arabe,
est
en apparence
identique à «çûfi»
et signifie
«il a été choisi comme un ami
intime».
Cependant
les Soufis parlent le plus souvent d'eux-mêmes en disant les
Pauvres
«al-fuqarâ». La pauvreté (dans
le sens de
savoir) a pour eux un pouvoir
alchimique en tant que vide demandant à être
comblé. Les premiers Soufis
portaient des vêtements en laine. Or, la science des symboles
nous indique que
le mouton a toujours été spécialement
consacré au soleil; ainsi, en portant un
vêtement de laine on revêt la robe de cet
«éveil du cœur»
symbolisé par la
lumière du soleil et constituant l'aspect central de tout ce
que
le Soufi
entreprend de reconquérir. Les soufis justifient le port de
la
robe de laine en
affirmant qu'elle a été l'habit des
prophètes
(nabi) d'avant Mahomet et
notamment celui de Moîse (Moussa) et de Jésus
(Isa). Le
Soufisme s'appuie
également sur des valeurs Gamtatriques «
numériques
».
Dieu possède dans la langue arabe (99) noms allant de
l'éternel en passant par
le grand, le fort, le puissant, le miséricordieux, etc...
Les Soufis disent que
la totalisation de (99), (9) plus (9), donne (18), (1) plus (8) donne
(9), et
la multiplication de (9) par (9) donne (81). (8) plus (1) donnant (9),
la
soustraction du premier et du deuxième donne (0) qui se dit
«sifr», en arabe,
ce qui signifie littéralement
«néant», d'où la recherche
soufique permanente
auprès de la divinité car les lois de la nature
et de la physique ne
reconnaissent pas le néant.
«Fais-moi entrer, ô Seigneur, dans les profondeurs
de l'océan de ton unité
infinie». L'océan est souvent utilisé
omme référence symbolique du terme vers
lequel conduit le chemin Soufi.
De temps à autre, une révélation entre
guillemets «flue» comme un grand flot de
marée venant de l'Océan d'lnfinitude vers les
rives de notre monde fini; et le Soufisme
est la vocation, la discipline et la science permettant de se plonger
dans le
reflux de l'une de ses vagues et d'être ramené
avec elle à sa source éternelle
et infinie.
Il n'y a qu'une seule eau, mais deux Révélations
selon les nécessités particulières
de temps et de lieu. Elles peuvent être reçues de
manière diffèrentes:
•les croyants dogmatiques sont dans leur grande
majorité concernés
exclusivement par l'eau qui constitue l'aspect formel de la religion.
•Les Soufis se préoccupent de l'eau
laissée à découvert par la vague lors
du
reflux. Pour les Soufis le corps ne saurait refluer
c'est-à-dire revenir vers
sa source primordiale, avant la résurrection: quant
à l'âme, elle doit attendre
la mort du corps; jusque là, elle est, bien qu'immortelle,
emprisonnée dans le
monde mortel. A la mort du grand Maître Soufi
Ghazâlî, au 11ème siècle, on
trouva sous sa tête un poème qu'il avait
écrit durant sa dernière maladie:
« Je suis un oiseau :
ce
corps était ma cage,
mais
je me suis envolé,
le
laissant comme un signe.»
Chez les grands Soufis, quelque chose de plus essentiel que
l'âme, qui doit
attendre la mort pour parvenir à la liberté,
avait déjà reflué et ceci
malgré
leur corps «cage», je veux dire AL-BARAKA.
Le centre de connaissance, I'Océan, est aussi bien au dedans
qu'au dehors et le
Târîka Soufi (c'est à dire la
méthode Soufie) est un éveil progressif comme si
l'on «reculait» en direction de la racine de son
Etre; c'est un
"ressouvenir" du Soi Suprême qui transcende infiniment l'Ego
humain
et qui n'est autre que les profondeurs vers lesquelles la vague reflue.
Les âmes sont comme des arbres. Celui qui se distingue des
autres est celui
qui, comme disent les Hindous est
«libéré vivant»; il a
réalisé ce que les
Soufis appellent la «Station Suprême»; et
le Soufisme est une voie et un moyen
de prendre racine, à travers la «porte
étroite» qui est dans la profondeur de
l'âme, dans l'Esprit pur qui débouche
lui-même dans la divinité.
Le Soufisme exige que l'âme se dépouille des
limitations de l'homme, de ses
habitudes et de ses préjugés qui
étaient devenus une «seconde nature» et
se
couvre des caractéristiques de la nature primordiale de
l'homme, c'est à-dire
la pureté, la sincérité, la
générosité etc...
Le Soufisme comme la Maçonnerie comporte des grades et des
degrés d'initiation
débutant par l'apprenti «Talib» qui en
suivant un long et difficile parcours
initiatique deviendra un aspirant
«Murîd». Celui-ci passera par des
«Maqâmat»,
étapes d'initiations successives, accédera
à la dignité de «Murshid»,
directeur
spirituel, guide des disciples, collaborateur du maître,
gardien des règles et
rites. Le moment venu, toutes les épreuves
surmontées, le maître confère
l'investiture au «Murshid» pour devenir un
«Cheikh» maître possédant la
«baraka» et le secret de la science divine
«al-ma'rifa».
A ce stade là, il est dit que le maître sait
distinguer I'homme (son maître
passé) de son enseignement, s'attacher à la
valeur propre de cet enseignement
et non pas du comportement du maître. Il lui appartient alors
de vérifier sur
lui-même l'enseignement qu'il reçoit, sans
s'attarder à en juger l'auteur.
le rite d'initiation Soufi, prend la forme d'une investiture: un
manteau
«Khirqah» est placé par le
maître sur les épaules de l'initié il
lui confère un
pouvoir temporel rappelant la cape.
Un autre symbole Soufique est celui du «Silsila»,
la chaîne: au moment du
serment, le «cheikh» maître tend son
rosaire au récipiendaire; celui-ci en
saisit l'autre extrémité qu'il tient pendant la
prononciation de la formule d'initiation.
Le lien de la chaîne spirituelle permet à
l'initié de progresser le long du
chemin, la traction de la chaîne transcende les efforts du
voyageur, lesquels
sont pourtant nécessaires pour la rendre
opérante.
L'humain entre dans ce monde par une porte cosmique. Pour
éviter de refluer par
la même issue, sa petite vague individuelle doit atteindre le
point culminant
de la grande vague et pour cela, il a le pouvoir de jeter une
chaîne traçant
une lignée spirituelle remontant jusqu'à la
verticalité divine de son
initiateur.
Après l'initiation, le novice prend le genre de Vie de
l'Adepte, qui consiste à
anticiper sur la fin, c'est à dire la mort physique; ce qui
l'amène par la
puissance de la «Tariquah» à devenir un
membre central «Salik», ce qui signifie
voyageur. Le Soufi prend alors un sac, avec un morceau de pain, un
papier et
une plume. Il voyagera à travers les pays afin de rencontrer
les Savoirs, mais
les Soufis entendent aussi par voyage l'approfondissement
intérieur ou le
reflux du soi fini en direction de son principe divin.
LeSoufisme considère que l'homme étant un
exilé, c'est seulement à partir du
centre de l'état terrestre, c'est-à-dire au
degré de la perfection humaine,
qu'il est possible d'avoir accès aux états de
l'Etre supérieur.
Le Soufisme enseigne que l'on ne peut exister à l'encontre
de l'Etre, ni penser
à l'encontre de l'Intelligence; il nous faut accorder nos
rythmes à ceux de
l'Infini.
Quand nous respirons, une partie de l'air est assimilée,
I'autre
est rejetée,
il en est de même pour la résorption de la
manifestation
universelle, et le but
suprême du Soufisme est d'être
«Inspiré»
par la divinité et réabsorbé donc de
ne plus être expiré par la suite.
L'approche Soufique du Coran est très Symbolique et
intérieure, contrairement
aux Musulmans car si l'on se pose la question: Quelle est la forme
prise par le
flot de la marée, la réponse est un Livre
«le Coran».
Les Soufis parlent de chercher à se noyer
«istighrâq», mais en
réalité ce
qu'ils cherchent c'est l'extinction
«fanâ» du créé dans
I'Incréé, du temporel
dans l'Eternel, du fini dans l'lnfini; et, pour certains Soufis, la
récitation
du Coran a constitué le principal moyen de Concentration,
notamment en Inde et
en Afrique occidentale, même s'ils savent très peu
d'arabe; et si l'on objecte
à cela qu'une telle récitation ne saurait avoir
sur l'Ame qu'un effet
fragmentaire étant donné que l'lntelligence des
récitants ne peut y participer,
on répondra que leur Intelligence est
pénétrée par la Conscience de
participer
à la Parole Divine.
Par ailleurs, beaucoup d'écoles Soufis libèrent
leurs adeptes des pratiques de
la doctrine musulmane, ce qui leur a valu persécutions voire
même exécutions
sommaires sous prétexte d'hérésie et
d'infidélité car les Soufis croient
pouvoir approfondir le sens des paroles divines par une
herméneutique de
l'intériorité grâce à une
expérience spirituelle toute intuitive et
illuminative qu'ils vivent parfois jusqu'à l'extase.
Al-HALLAJ disait:
«je
ne préfère aucune doctrine
déterminée»...
L'intrusion du Soufisme dans la pensée religieuse
d’alors va susciter des
réactions. d'où des procès
à la fin du 9ème siècle. Le Grand
Maître Al-Halladj
va accentuer ces réactions, lorsqu'il rendra public certains
propos; telle la
fameuse locution :
«Je
suis vérité, c'est-à-dire
Dieu».
Al-Halladj
décrit ce processus de Bassora du mot Dieu qui s'accomplit
dans l'intimité
d'une union d'amour en disant :
«J'ai
en moi un ami, je le visite dans les solitudes, présent
même quand il échappe
aux regards... c'est comme si j'étais devenu l'interlocuteur
de moi même...
présent, absent, proche, éloigné,
insaisissable aux descriptions par qualités,
Il est plus proche que la conscience pour l'imagination et plus intime
que
Bassora des inspirations» AL-Halladj fut
emprisonné une dizaine d'années avant
d'être jugé puis crucifié en 909.
La fin tragique de Al- Halladj mettait un point final à la
mystique de la
rupture c'est-à-dire de l'abandon du matériel.
Les survivants du mouvement se
rendirent soit en Irak soit en Iran. Depuis ils se cantonnent dans une
discrétion qui consiste à ne tenir de propos
d'une haute spiritualité qu'à ceux
qui sont préparés à les entendre, donc
des Initiés.
«O toi, âme apaisée, retourne vers ton
Seigneur, satisfaite et agréée; entre
parmi Mes serviteurs; entre dans Mon Paradis».
A ces propos coraniques un grand Soufi dit :
« Je
suis entré en me laissant au dehors. »
En
effet, puisque rien ne saurait être ajouté au
Paradis de l'lnfini, ne peut y
entrer que rien.
Le Cœur ou plutôt la Vision du cœur est
l'un des plus importants symboles
Soufiques «Ceux qui ont des cœurs» cette
formule un peu énigmatique montre que
la perspective est en accord avec celle de tout le monde antique, aussi
bien de
l'Orient que de l'Occident, lorsqu'elle attribue la faculté
de vision au cœur
et qu'elle mentionne celui-ci pour désigner, non seulement
l'organe corporel de
ce nom, mais aussi le centre de l'âme auquel il donne
accès, alors que ce
centre sert lui-même de passage vers un
«Cœur» plus élevé,
I'Esprit.
Ainsi le «Cœur» est-il souvent synonyme
d'«intellect» dans le plein sens du
latin «intellectus», nom de la faculté
permettant de percevoir le transcendant.
Martin Lings explique très bien ce point en soulignant que :
Si
le corps dans son ensemble est «horizontal» en ce
qu'il est limité à son propre
plan d'existence, le cœur possède, en plus de
cela, une certaine verticalité du
fait qu'il est l'extrémité inférieure
de l'axe vertical venant de la Divinité
elle même et passant par les centres de tous les
degrés de l'univers.
Selon la doctrine soufique toute vie est divine. Le cœur
physique reçoit la vie
de la Divinité et l'épanche dans le corps, dans
la direction opposée. Le cœur
physique peut servir de foyer de concentration à toutes les
forces de l'âme qui
aspirent à l'lnfini.
Le Grand Maître Soufi Al-Hallâj dit :
«J'ai
vu mon Seigneur par l'oeil du Cœur. Je dis: Qui es-tu? Il
répondit: TOI».
Le
Cœur est l'isthme «barzakh» qui
sépare les deux mers qui représentent le Ciel
et la terre, I'agréable mer d'eau douce étant le
domaine de l'Esprit, et la mer
salée et amère celui de l'Ame et du corps:
La
lune transmet indirectement la lumière du soleil
à l'obscurité de la nuit; et,
semblablement, le Cœur transmet la lumière de
l'Esprit à l'obscurité de l'âme.
En un mot la vision du Cœur c'est «Avoir un
pressentiment de ses états
supérieurs».
Notre
F :. René Guénon devenu également
Soufi, considère ce pressentiment comme un
motif valable pour chercher à s'engager dans une voie
spirituelle et comme
critère de qualification pour une telle voie; et la
manifestation de ce
pressentiment est le sens, si reculé soit-il, est, ce que
Guénon appelle
«I'ldentité Suprême», une
sorte d'avant-goût de la vérité qui
rend au mot
Saveur toute sa dimension de la connaissance directe du Cœur
par opposition à
celle du mental.
L'harmonie
de l'Univers dépend parallèlement des similitudes
et des différences, non
seulement entre les individus, mais aussi entre les mondes. Il est
ainsi
possible de parler de mariage «du ciel et de la
terre»; la réflection d'un
objet est l'image fidèle mais inversée de I'objet
lui-même, ce qui est le
prototype naturel du sceau de Salomon de la perfection Zenitho/Nadiral
active
et passive.
«Détends ton esprit, et apprends à
nager.»
Voici
le terme le plus approprié, à mon sens, qu'un
maître Soufi doit dire à son
élève; en d'autres termes, libère ton
mental de telle sorte que ton âme, ayant
perdu pieds, puisse expérimenter les mouvements
spontanés de l'intuition.
Si
tu es dans un état de perplexité, prends soin de
ne pas te cramponner à quoi
que ce soit, de peur que tu ne fermes de ta propre main, la porte de la
nécessité, car cet état prend pour
toi, la place du Nom Suprême.
Le message du soufisme est celui du miracle de l'union entre
l'âme individuelle
et l'Absolu de la nature divine. L'homme reçoit la
révélation et peut déployer
son âme. Ce déploiement se fait dans l'extase, la
dissolution de l'ego et du
soi. Touchant alors directement tout être et toute chose,
l'âme de l'individu
devient conscience divine.
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