La
tempérance
La
tempérance
est-elle une vertu cardinale?
Objections: 1. Il semble bien que non.
En effet, le bien de la
vertu morale dépend de la raison. Or la
tempérance concerne ce qui est le plus
éloigné de la raison: les plaisirs qui nous sont
communs avec les animaux, dit
Aristote. Elle ne semble donc pas être une vertu principale.
2. Une chose paraît d'autant
plus difficile à refréner qu'elle est
plus impétueuse. Or la colère, que
refrène la douceur, semble plus impétueuse
que la concupiscence, que refrène la tempérance.
On peut lire dans le livre des
Proverbes (27, 4): " La colère n'a pas de
miséricorde, ni la fureur qui
éclate; et qui pourra contenir l'assaut d'un esprit
emporté? " La douceur
est donc une vertu plus primordiale que la tempérance.
3. L'espoir est un mouvement de
l'âme supérieur au désir ou
convoitise, on l'a vu '. Or l'humilité refrène le
caractère présomptueux d'un
espoir démesuré. L'humilité semble
être donc une vertu plus primordiale que la
tempérance, qui refrène la convoitise.
En sens contraire, S. Grégoire place la
tempérance parmi les vertus
cardinales.
Réponse: Une vertu
principale ou cardinale, nous l'avons dit
antérieurement, est celle qui possède de
façon éminente un des caractères
communément requis à la raison de vertu. Or la
modération, qui est requise en
toute vertu, est particulièrement digne d'éloge
quand elle se manifeste dans
les plaisirs du toucher que concerne la tempérance. Et cela
parce que ces
plaisirs nous sont plus naturels et qu'il est donc plus difficile de
s'en
abstenir ou d'en refréner la convoitise; et aussi parce que
leurs objets sont
plus nécessaires à la vie présente,
nous l'avons montré plus haut. Voilà
pourquoi l'on range la tempérance parmi les vertus
principales ou cardinales.
Solutions: 1. La force d'une cause se
manifeste d'autant plus
qu'elle peut étendre son action à ce qui est plus
éloigné. C'est pourquoi la
force de la raison se montre plus grande par cela même
qu'elle peut ainsi
modérer les convoitises et les plaisirs les plus
éloignés. C'est à cela que
tient la primauté de la tempérance.
2. Un mouvement de colère a
pour cause quelque chose d'accidentel,
par exemple une blessure douloureuse. C'est pourquoi il passe vite,
quoique son
impétuosité soit grande. Au contraire, le
mouvement de convoitise des plaisirs
du toucher procède d'une cause naturelle; aussi est-il plus
durable et plus répandu.
Et c'est pourquoi il appartient à une vertu plus capitale de
le refréner.
3. Ce qu'on espère est plus
noble que ce que l'on convoite; à
cause de cela l'espoir est une passion principale placée
dans l'irascible. Mais
les biens qui provoquent la convoitise et le plaisir du toucher
émeuvent
l'appétit de façon plus violente, parce qu'ils
sont plus naturels. C'est
pourquoi la tempérance, qui les modère, est une
vertu principale.
La
tempérance
est-elle la plus importante des vertus?
Objections: 1. Il semble qu'il en soit
ainsi. S. Ambroise dit en
effet: " C'est la tempérance qui regarde et recherche le
plus le souci de
l'honneur et la considération de la bienséance. "
Or une vertu est digne
d'éloges quand elle est honorable et décente. La
tempérance est donc la plus
grande des vertus.
2. Il revient à une plus
grande vertu de faire ce qui est plus
difficile. Or il est plus difficile de refréner les
convoitises et les plaisirs
du toucher que de rectifier les actions extérieures: cela
revient à la tempérance,
ceci à la justice. La tempérance est donc une
vertu plus grande que la justice.
3. Une chose paraît d'autant
plus nécessaire et meilleure qu'elle
est d'un usage plus fréquent. Or la force a trait aux
périls de mort, qui se
présentent plus rarement que les plaisirs du toucher,
lesquels se présentent
tous les jours. Aussi l'usage de la tempérance est-il plus
fréquent que celui
de la force. C'est pourquoi la tempérance est une vertu plus
noble que la
force.
En sens contraire, Aristote dit: " Les vertus les plus
grandes sont
celles qui sont les plus utiles aux autres; c'est pourquoi nous
honorons
surtout les hommes forts et les hommes justes. "
Réponse: Selon Aristote "
le bien de la multitude est
plus divin que le bien de l'individu ". C'est pourquoi une vertu est
d'autant meilleure qu'elle contribue davantage au bien de la multitude.
Or la
justice et la force contribuent davantage au bien de la multitude que
la
tempérance; car la justice règle les relations
avec autrui; la force affronte
les périls des combats en vue du salut public, tandis que la
tempérance modère
seulement les convoitises et les plaisirs individuels. Il est donc
clair que la
justice et la force sont des vertus plus éminentes que la
tempérance. Et la
prudence et les vertus théologales sont encore plus
importantes.
Solutions: 1. L'honneur et la
bienséance sont surtout attribués à
la tempérance non pas à cause de l'excellence de
son bien propre, mais à cause
de la grossièreté du mal contraire, dont elle
préserve en réglant les
jouissances qui nous sont communes avec les bêtes.
2. La vertu concerne " ce qui est
difficile et bon ",
mais on apprécie la dignité d'une vertu davantage
au point de vue de la bonté,
où la justice l'emporte, qu'au point de vue de la
difficulté, où c'est la
tempérance qui l'emporte.
3. La valeur communautaire qui
rattache une vertu à la multitude
des hommes lui confère une bonté plus
éminente que son emploi fréquent; cela
donne la supériorité à la force, ceci
à la tempérance. Aussi, de façon
absolue,
la force est plus importante, bien que, d'un certain point de vue, on
puisse
dire la tempérance plus importante que la force et
même que la justice.
par St Thomas d'Aquin publié dans : Spiritualité
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