Cosmogonie
gnostique
Le principe de
la Gnose est celui-ci :
L'Absolu émane des forces divines qui sont des hypostases.
Ces émanations sont
projetées par couples (Syzygies) de séries
décroissantes, ce sont les Eons.
Au commencement était le Silence, Eon éternel,
source des Eons, l'invisible
silence, l'innommé, l'ineffable, l'Abîme ; la
langue vulgaire l'appelle Dieu.
Principe et cause, infini, enveloppé de soi-même,
il n'agissait pas. Mais dans
son silence inviolé deux
"générateurs", le principe mâle et le
principe femelle, l'un, le mâle, illuminateur d'en Haut,
l'autre, la femelle,
illuminateur d'en Bas, contenaient la racine, la source de l'Etre, ou
plutôt
étaient eux-mêmes la racine et la source.
L'Abîme (Buthor), s'enveloppant ainsi à
soi-même, se contemplait avec sa
coéternelle épouse, la Pensée
(Ennoia). Silencieuse comme lui, Ennoia recevait
dans cet inexprimable embrassement le germe fécond, le germe
divin des
Emanations. C'est par Ennoia que l'Abîme allait engendrer.
Car il était amour,
et l'amour aspire à se répandre. Et il n'y a pas
d'amour qui ne veuille quelque
chose à aimer.
L'Abîme
voulut donc se répandre, et avec la
pensée il émane l'Intelligence, l'Eon
Noûs, le premier-né (Monogenâs),
seul capable de comprendre la grandeur de son Rêve. C'est le
premier des Eons,
l'Arché, il est mâle, et Dieu se
révèle par lui. L'acte qui l'émane
émane en
même temps de sa compagne, sa parente, l'absolue
Vérité (Alêthéia), Eon
femelle
à côté de l'Eon mâle,
subjectivité à côté de
l'objectivité. C'est ainsi que se
constitue la première Tétrade.
1-2. Sigê-Ennoia (Silence - Pensée).
3-4. Noûs-Alêtheia (Intelligence -
Vérité)
Cette première Tétrade est la manifestation
intérieure, interne , de l'Absolu.
Les Eons sortis de Dieu émanèrent à
leur tour comme Dieu. Noûs et Alêtheia
engendrèrent la Parole et la Vie (Logos et Zoê).
Logos et Zoê émanèrent
l'Essence humaine (Anthropos) et l'Assemblée
(Ecclêsia). On doit savoir
qu'Anthropos est l'Homme-Type dont notre humanité n'est
qu'une copie lointaine,
et qu'Ecclêsia est l'Ensemble du Cosmos. De sorte que
Anthropos, mâle, et
Ecclêsia, femelle, sont les deux archétypes du
monde de l'Intelligence et de
celui de la matière.
C'est la seconde Tétrade.
5-6. Logos-Zoê.
7-8. Anthropos-Ecclêsia.
Avec la première tétrade, cette
deuxième tétrade constitue l'Ogdoade qui
condense les ineffables beautés de l'Un, de l'Absolu.
Comme leur
Père, les Eons allaient émaner,
toujours par syzygie, par couple, par principe mâle et
femelle, Logos et Zoê
émanèrent donc et projetèrent :
1-2. Bythics et Mixis
3-4. Ageratos et Hénosis.
5-6. Autophyês et Hedonê.
7-8. Akinétos et Synkrasis.
9-10. Monogenês et Makana.
Ces dix Eons forment la Décade.
Anthropos et
Ecclêsia émanèrent et
projetèrent :
1-2. Paraclutos et Pistis.
3-4.Patricos et Elpis.
5-6. Métricos et Agapê.
7-8. Aeinous et Sunêsis.
9-10. Ecclêsiasticos et Makaridès.
11-12. Thélêtos et Sophia.
Ces douze Eons
forment la Dodécade.
La réunion de l'Ogdoade, de la Décade et de la
Dodécade, manifestant par degrés
successifs et descendants l'Absolu, constituent la
plénitude, ou, pour parler
le langage de Valentin, le Plérome.
Chacun des Eons est une hypostase de la vie de l'Abîme Divin,
un type qui le
reproduit, un échelon mystérieux pour monter
jusqu'à lui. L'Ogdoade est plus
élevé que la Décade, et la
Dodécade moins élevée. Valentin disait
avec Paul
(Colossiens, II, 9) : " En elle habite le Plérome de la
divinité."
Ces notions contiennent l'essence de la Théologie du grand
Valentin. Nous
devons exposer avec la même clarté simple et sans
emphase la cosmogonie de ce
docteur de la Gnose.
Tous les Eons
émanés de l'Abîme ne connaissaient
pas son essence, sa nature. Seul, Noûs (l'intelligence) la
connaissait, étant
le principe mâle sorti de lui et d'Ennoia. " Personne, disent
Mathieu et
Luc, ne connaît le Père, si ce n'est le Fils." (Math, XI, 27 ;
Luc, X, 22.)
Cette
science parfaite cependant était
ambitionnée par tous les Eons. Ils émanaient de
Dieu, ils tendaient à lui, ils
l'aimaient, ils étaient dévorés du
désir insatiable de le connaître. Noûs
leur
aurait communiqué cette science parfaite si le Silence
éternel le lui eût
permis. Mais il ne le permit pas.
Par suite de l'émanation à mesure que les Eons
émanés s'éloignaient de
leur source, du foyer de l'Infini, leur ignorance de ce
mystère ineffable
allait croissant et leur langueur s'augmentait. Leur insatiable
désir devenait
une véritable souffrance. Cette souffrance, Sophia la
ressentait à un degré
incalculable. Elle était le dernier Eon de la
Dodécade, la plus loin du
père, par là même le plus ignorant du
secret de sa nature, Unie à Thélétos
(volonté), elle ne pouvait supporter son principe
mâle. Elle avait soif de
l'Abîme. Elle désirait s'unir avec lui. Elle
aimait la source des émanations,
le père des Eons, le premier Eon. Elle luttait ainsi contre
l'impossible. Et
dans la violence passionnée de cette lutte, elle se serait
perdue, anéantie, si
la Limite, l'Eon Horos ne lui avait été
envoyée par Sigê (le Père). Horos fit
rentrer Sophia dans les limites de son être, dans les bornes
de sa nature.
Emané pour restaurer l'harmonie du Plérome
troublée par les langueurs de
Sophia, Horos se sentit impuissant à remplir toute sa
mission, car, dans sa
passion d'amour indicible, Sophia avait déjà
gravi les sublimes échelons de la
plénitudes.
Il fallut aider Horos. C'est pourquoi Noûs émana
un couple nouveau : Christ et
Pneuma (l'Esprit). Ces deux Eons devaient pacifier le monde divin du
Plérome.
Christ apparaissant aux Eons leur expliqua le déploiement de
l'Absolu, ses
lois, ses règles, ses exigences, sa normes. Grâce
à lui, les Eons comprirent
que l'Absolu, incompréhensible en soi, ne peut
être perçu et saisi par ses
manifestation, ses émanations, son devenir successif et que
son incommunicable
essence reposait dans l'éternel Sigê (Silence).
Après Christ, Pneuma parla aux Eons et leur enseigna la
sainte résignation et
la sainte paix de l'acquiescence.
Cependant les
langueurs de Sophia n'avaient pas
été stériles. Sans le secours de son
parent Volonté, elle avait enfanté
d'elle-même, durant ses ardeurs inassouvies, un Eon femelle
émané de son désir
de s'unir à l'Abîme.
Cet Eon, Achamoth, ou Sophia-Terrestre, précipité
en naissant du Plérome, exilé
dans le chaos, errait hors des limites du monde divin que lui barrait
impitoyablement Horos.
Achamoth, en tombant du Plérome, avait eu la vision rapide
de la Lumière
ineffable qui lui était ravie. Le sentiment de sa chute, la
pensée torturante
de son isolement la poursuivaient dans son exil. On pourrait
lui
appliquer ces beaux vers du poète
ésotérique, Lamartine :
Tout mortel est semblable à l'exilé d'Eden,
Lorsque Dieu l'eut banni du céleste jardin ;
Mesurant d'un regard les fatales limites ,
Il s'assit en pleurant aux portes interdites.
Il entendit de loin, dans l'immortel séjour,
L'harmonieux soupir de l'Eternel amour.
Souvent l'infortunée s'élançait
jusqu'aux confins de la Plénitude. Horos la
repoussait, comme l'archange au glaive flamboyant de la Bible
repoussait Adam
et Eve aux portes resplendissantes du Paradis.
Alors, Achamoth roulait dans le vide et pleurait :
Borné dans sa nature, infini dans ses voeux,
L'Homme est un Dieu tombé qui se souvient des Cieux.
De ces larmes sacrées naquit l'élément
humide. De cette tristesse auguste
sortit la matière.
Alors, Horos eut pitié d'Achamoth. Il émana pour
la consoler l'Eon Jésus, dont
elle devint la compagne et qui fit briller sur elle un reflet du
Plérome.
Ainsi rachetée et réhabilitée,
Achamoth émana trois éléments : le
Pneumatique,
le Psychique, l'Hylique. De ces trois éléments
elle forma le Démiurge, ouvrier
inconscient des mondes d'en Bas.
Démiurge,
qui avait en lui tout à la fois le
reflet du Plérome et l'élément
naturel, sépare le principe hylique du principe
psychique, primitivement confondus dans le chaos, et en créa
six mondes
gouvernés par six Eons. Ces six mondes sont les
sphères d'en haut, la zone
sextuple du Firmament.
Avec le principe hylique, Démiurge organisa le monde
matériel : "Ce monde
subsiste en Dieu, disait Valentin, comme une tache sur une tunique
blanche."
L'Eon de ce monde matériel est Satan, appelé
aussi l'Archon de ce monde par
Saint Paul. Satan est né de la matière, en
même temps que son escorte d'esprits
pervers.
Bientôt Démiurge voulut combattre la
méchanceté de Satan. Il lui opposa un
adversaire, l'Homme.
L'âme de l'homme est formé d'un rayon du principe
psychique ; son corps, d'un
fragment hylique de la matière. Achamoth insinua alors dans
l'homme un germe
pneumatique. De là la triple nature de l'homme.
Démiurge fut jaloux de son oeuvre quand il vit qu'elle
était ennoblie par le
germe pneumatique, étincelle du Plérome. Pour se
venger, il imposa à l'homme
l'obligation de s'abstenir du fruit savoureux de l'arbre de la Science
du Bien
et du Mal.
L'homme désobéit à cette loi, se
révolta contre le Démiurge et fut
chassé du
Paradis. Une triple enveloppe hylique empoisonna son âme.
Démiurge le soumit
aux appétits des sens et lui donna le goût des
voluptés, afin d'étouffer en lui
le germe de la lumière, la clarté pneumatique que
lui avait donnée Achamoth.
Achamoth bienfaisante et douce, pitoyable et maternelle, Achamoth, "sel
de
la terre" et "lumière du monde", donna alors à
l'homme la Grâce,
cet invisible secours qui lui permet de résister aux
naïves concupiscences.
Les hommes sont divisés en trois classes :
Les Pneumatiques ou Gnostiques, esprits supérieurs et
initiés, qui suivent la
lumière d'Achamoth ; les Psychiques, flottant entre la
lumière et les ténèbres,
entre Achamoth et Démiurge ; les Hyliques, sujets de Satan,
dont l'âme est
matérielle et qui seront anéantis.
Seth, Abel, Caïn, représentent ces trois
catégories.
Il nous reste
à exposer la rédemption, d'après
Valentin.
Notre monde à nous hommes a été
racheté par l'Eon Jésus. Il est venu par le
canal immaculé de l'Eon Miriam que nous nommons Marie. L'Eon
Jésus n'a rien de
matériel. Il est formé d'un principe psychique
emprunté à Démiurge et d'un
corps astral. Il est animé par Christ, qui quitta le
Plérome et se reposa en
lui, en lui communiquant la puissance absolue sur le monde de Satan.
Son enseignement a racheté et rachète encore les
pneumatiques. Au moment de la
passion, Christos, Eon impassible, le soutint et le fortifia. La Croix
(Stauros), devenue la limite qui sépare les pneumatiques des
autres hommes, est
le symbole sacré de la Gnose.
Telle est dans son ensemble, la doctrine de Valentin. Elle
répond à toutes les
difficultés. Jamais l'Absolu ne s'est manifesté
plus lumineusement que dans
cette admirable épopée qui se passe
successivement dans les trois mondes. Il
resterait à parler de la morale gnostique. Qu'il suffise
maintenant de dire qu'elle
proclame Dieu innocent du mal, de la douleur et de l'injustice.
L'origine du mal nous fournira la matière d'une autre
étude.
Veuille l'Eon qui accompagne chacun de nous nous éclairer,
nous illuminer, nous
purifier. Amen.
par PAPUS publié dans : Hauts
grades
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