Les Droits
de l'Enfant
Enfant, étymologiquement,
vient du latin « infans »,
qui signifie : ne parlant pas. Ce n’est pas un hasard si
c’est ce mot qui s’est imposé pour
désigner plus généralement un jeune
être humain, car même lorsqu’ils savaient
parler, jusqu’à des temps encore proche, les
jeunes n’avaient guère droit à la
parole, et ceci partout dans le monde.
Aujourd’hui, pour la Convention de
l’ONU sur les droits de l’enfant, « un
enfant s’entend de tout être humain
âgé de moins de dix-huit ans, sauf si la
majorité est atteinte plus tôt en vertu de la
législation qui lui est applicable ».
C’est ainsi également que je définirai
ce mot.
Comme le sujet est vaste, je me restreindrai à la situation
française, laissant à d’autres le soin
d’explorer la longue route qui reste à parcourir
à certains pays du Tiers-monde ou du Nouveau Monde pour
parvenir à une situation satisfaisante des enfants.
Il faut tout d’abord distinguer « droit
de l’enfant » au singulier, et
« droits de l’enfant
» au pluriel. Le premier, qui a toujours existé,
désigne le droit applicable à l’enfant.
Qu’il s’agisse des pays de tradition
judéo-chrétienne, des pays musulmans, de la
sphère d’influence chinoise, et
l’énumération n’est pas
exhaustive, l’enfant était avant tout
l’objet de la puissance paternelle, et
n’était pas considéré comme
titulaire de droits propres, si ce n’est patrimoniaux. Les
droits de l’enfant, qui transposent de façon assez
fidèle les différentes Déclarations
des droits de l’homme, en considérant que
l’enfant est une personne à part
entière, sont de conception assez récente,
même si certains peuvent apparaître de
façon implicite dans certains articles du Code Civil de
1804. C’est dans la deuxième moitié de
ce siècle que ce concept s’est répandu,
à partir d’actes de l’ONU :
Déclaration des droits de l’enfant en 1959, et
Convention sur les droits de l’enfant du 20 novembre 1989,
les états signataires de la deuxième
s’engageant à appliquer dans leur droit interne
les principes énoncés dans la première.
Il est maintenant largement reconnu, au moins en France
que, comme l’a dit Laurent Fabius, ce n’est pas
parce que les enfants sont petits qu’ils ont de petits
droits. C’est dans une loi du 22 juillet 1987 que le droit
positif français a pour la première fois
adopté le point de vue des droits de l’enfant en
fondant les critères de répartition de
l’autorité parentale entre parents
séparés sur deux droits de l’enfant :
le droit à conserver des liens avec ses deux parents, et le
droit de s’exprimer ; beaucoup de textes cependant gardent
l’optique d’un droit applicable à
l’enfant sans se soucier de lui laisser la parole.
Un des grands principes qui guident la Convention
relative aux droits de l’enfant est que « dans
toutes les décisions qui concernent les enfants,
qu’elles soient le fait des institutions publiques ou
privées de protection sociale, des tribunaux, des
autorités administratives ou des organes
législatifs, l’intérêt
supérieur de l’enfant doit être une
considération primordiale. » (article 3
de la convention ). Voilà qui n’est pas
très neuf, direz-vous, d’autant que cet
intérêt supérieur de l’enfant
est évalué par des adultes, avec
l’argument apparemment irréfutable que
l’enfant est trop immature pour pouvoir bien discerner
où réside réellement son
intérêt. Nous verrons que petit à
petit, sous l’influence des idées nouvelles, la
législation commence à prendre en compte la
parole des enfants, ou tout au moins des adolescents, pour
élaborer les décisions qui les
intéressent. C’est une évolution lente,
et il reste encore bien du chemin à parcourir pour que le
droit français atteigne l’idéal
fixé par la Convention du 20 novembre 1989.
Un des premiers droits reconnus par cette convention
à l’enfant, après le droit à
la vie et à sa sauvegarde, c’est d’avoir
une identité et une filiation. Article 7 « l’enfant
est enregistré aussitôt sa naissance et a
dès celle-ci le droit à un nom, le droit
d’acquérir une nationalité et, dans la
mesure du possible, le droit de connaître ses parents et
d’être élevé par eux
».
Si la loi française organise bien le droit à une
identité, en revanche la connaissance de ses origines peut
être refusée si les parents, souvent
d’ailleurs la mère, décident
d’organiser le secret autour de cette filiation :
accouchement dit « sous X »
ou abandon d’un enfant de moins d’un an aux fins
d’adoption, ou encore naissance aidée
médicalement, avec don d’ovule ou
d’embryon. Il y a là conflit entre le droit de
l’enfant à connaître ses
procréateurs, et le droit de ces derniers au respect de leur
vie privée, que le législateur a
tranché en faveur des parents, et peut-être aussi
en faveur de la stabilité de la
société. Un projet est à
l’étude dans les services du Ministère
de la Justice pour rééquilibrer la balance en
faveur des enfants.
En matière de nom, l’enfant a peu de
liberté de choix. Cependant depuis 1993, l’enfant
naturel de plus de treize ans doit donner son accord si ses parents
décident de lui faire porter un nouveau nom.
Un élément réellement novateur est
apporté par l’article 12 de la Convention de 1989 :
- « Les États
parties garantissent à l’enfant qui est capable de
discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur
toute question l’intéressant, les opinions de
l’enfant étant dûment prises en
considération eu égard à son
âge et à son degré de
maturité.
- À cette fin on donnera
à l’enfant la possibilité
d’être entendu dans toute procédure
judiciaire ou administrative l’intéressant, soit
directement, soit par l’intermédiaire
d’un représentant ou d’un organisme
approprié, de façon compatible avec les
règles de procédure de la législation
nationale ».
Sur ce point, la législation
française est en retard. Si l’enfant
s’est vu reconnaître le droit de demander
à être entendu dans toute procédure
judiciaire le concernant, sa demande peut être
rejetée sans appel par le juge dans une décision
motivée, sauf dans certains cas particuliers, où
l’audition est obligatoire au moins pendant
l’instruction. De plus, même s’il est
entendu, l’enfant n’a nullement
l’assurance d’être
écouté conformément à
l’article de la Convention cité ci-dessus. Le
projet de loi à l’étude dont
j’ai parlé plus haut envisage de revenir
à l’obligation d’audition des enfants de
plus de treize ans.
Un des cas particuliers où le mineur capable
de discernement doit être entendu avant toute
décision, est l’adoption. Son accord est
même requis à partir de treize ans en
matière d’adoption simple. Je ne suis pas
suffisamment informé pour vous parler savamment de
l’adoption entre ressortissants du statut civil particulier,
mais je côtoie depuis assez longtemps des enfants canaques
pour avoir l’impression qu’en la matière
on ne leur demande guère leur avis. Le droit coutumier me
semble ici en retrait par rapport au droit commun, qui
lui-même n’est pas vraiment en avance.
En matière de maltraitance, des responsables
d’association et des juristes ont
dénoncé l’hypocrisie qui fait que
l’on met volontiers en avant le droit des enfants
lorsqu’il ne parle pas, on parle à sa place, et
qu’en revanche lorsqu’il parle ou veut parler, on
se méfie de sa parole, on se demande s’il ne
s’agit pas d’un affabulateur. J’ai
été témoin du cas cette
année à propos de deux jeunes
élèves victimes d’abus sexuels dans
leur famille, et ce n’est pas la première fois.
La Déclaration des droits de 1959 posait en principe que le
développement de l’enfant a besoin d’une
protection spéciale. Elle confie le soin de cette protection
en priorité aux parents, en principe les mieux
placés pour lui prodiguer l’amour et la
compréhension dont ils ont besoin. La Convention de 1989
leur reconnaît ce rôle primordial et soumet la
séparation des enfants de leurs parents à
l’intérêt supérieur de
l’enfant. Mais le droit de l’enfant à
vivre dans sa famille peut être mis en échec : la
situation la plus fréquente est celle de la
séparation des parents, qui ne doit pas cependant
empêcher l’enfant d’entretenir des
relations avec ses deux parents s’il le désire.
Mais par la force des choses, l’un des deux sera dans la
pratique exclu de sa vie quotidienne.
À supposer qu’il vive dans sa
famille, l’enfant est soumis à
l’autorité parentale, qui comprend les droits et
devoirs de garde, de surveillance et d’éducation.
La garde implique le droit de déterminer le lieu de
résidence de l’enfant, ainsi que de
l’autoriser ou non à se déplacer. La
surveillance suppose, dans l’état actuel du droit,
que les droits des enfants mineurs à la vie
privée, énoncés dans la Convention, ne
sont pas opposables aux parents. L’éducation
suppose que les parents veillent à l’orientation
scolaire des enfants, choisissent les établissements
qu’ils fréquentent, les inscrivent au
catéchisme, décident de
l’arrêt ou de la continuation des études
; mais cette toute-puissance a des bornes : les parents ne peuvent
imposer des actes graves comme le mariage ou l’avortement, ni
autoriser des prélèvements d’organe ou
des essais thérapeutiques sans l’accord de
l’enfant.
La possession de cette autorité parentale est toutefois
soumise à une condition : qu’elle
s’exerce dans l’intérêt de
l’enfant. Si les décisions des parents
compromettent gravement l’éducation des enfants,
ou le mettent en danger, le législateur a prévu
des procédures de protection des enfants qui peuvent aller
jusqu’à la séparation d’avec
les parents. C’est grâce à ces
procédures que dans certains cas on a pu soustraire des
enfants à des parents engagés dans une secte aux
pratiques aberrantes.
L’État protège donc les enfants. Ses
deux domaines essentiels d’action en ce sens sont
l’éducation et la santé.
Sur le plan de l’éducation, il se
préoccupe de leur instruction, par le système
scolaire qu’il organise, et de la protection de leur
moralité en réglementant leurs distractions,
leurs relations sexuelles et leur vie professionnelle. Sur le plan de
la santé, outre la répression de la maltraitance,
il organise des services administratifs dédiés
à la santé des enfants : Protection et promotion
de la santé maternelle et infantile, médecine
scolaire, protection des enfants handicapés (IME et IMP).
Ces services sont loin d’être parfaits : manque de
cohésion, manque de moyens, mais ils ont le
mérite d’exister.
Le travail des enfants n’est pas interdit par la Convention
de 1989, mais elle y pose des limites. Il en est de même dans
le droit français, où il est assez
sévèrement réglementé. Il
reste peut être à mieux faire respecter cette
réglementation, car on constate parfois des abus.
N’oublions pas qu’en France également
nous devons lutter contre l’exploitation des enfants par le
travail clandestin, la mendicité, le commerce de drogue, la
prostitution. Au moins avons nous l’arsenal juridique propre
à réprimer ces formes d’exploitations.
Sur le plan des différentes protections et prestations que
l’enfant est en droit d’attendre, notre
législation et notre organisation administrative sont
à peu près en harmonie avec la Convention de
1989. Il en est tout autrement en ce qui concerne la liberté
d’expression, le droit d’association et la
liberté de réunion pacifique. Nous avons vu que
notre société a du mal à donner la
parole aux enfants en justice. Dans la vie ordinaire, les plus grands
efforts ont encore été le fait des
établissements scolaires, surtout les lycées,
mais aussi les collèges et même certaines
écoles où la pédagogie Freinet cherche
depuis longtemps à donner au jeune la plus grande autonomie
possible. Dans les établissements secondaires, les jeunes
peuvent s’exprimer à travers les
délégués de classe, et peuvent
participer utilement aux instances de
l’établissement (Conseil de Classe, Conseil de
Discipline, Conseil d’administration) à condition
que les adultes les prennent au sérieux, ce qui
hélas n’est pas toujours le cas. Mais les
structures sont là. Toujours dans l’enseignement
secondaire, ils peuvent adhérer aux associations qui leur
sont proposées par les adultes, ou en créer
eux-mêmes. Mais dans ce dernier cas, la loi de 1901 exige
qu’ils soient encadrés par des personnes majeures.
Les journaux d’école sont aussi un moyen
d’expression, mais l’éventuelle
responsabilité pénale et civile du chef
d’établissement fait que ces journaux sont
étroitement surveillés.
Si l’enfant est une personne, les règles de droit
privilégient encore beaucoup le principe de protection de
cette personne par rapport à celui de son autonomie, ne
laissant cette dernière s’exprimer que petit
à petit à mesure que certains âges sont
atteints : douze ans, treize ans, quinze ans, seize ans, dix-huit ans,
sont des âges qui balisent la vie de l’adolescent
et marquent son accès progressif à des droits et
des responsabilités croissants, parcours initiatique
à travers l’ordonnancement du monde des adultes.
L’affirmation des droits de l’enfant remet en cause
la logique linéaire de cet itinéraire. Pour
résoudre la tension entre les logiques d’autonomie
et de protection, il faudra trouver des règles qui
permettent à l’enfant d’être
acteur de son propre développement, en
l’inscrivant dans une démarche participative
où très tôt son opinion sera
sérieusement prise en compte par les adultes qui
s’occupent de lui. Cela suppose une évolution
considérable des mentalités qui est à
peine ébauchées. Ce devrait être un
devoir pour nous, Francs-maçons, qui nous flattons de savoir
écouter et comprendre les autres, d’être
attentifs à ce problème et
d’intervenir, à chaque fois que nous en avons
l’occasion, pour que la parole des enfants soit
sérieusement écoutée.
J’ai dit Vénérable
Maître
|