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partie
Devoir -
Le renouveau éthique
Seconde partie
Les
mutations de la vertu
Aujourd'hui,
la générosité n'est pas une valeur
dépassée. Les
français font volontiers des dons pour les causes
humanitaires. Ils sont
nombreux à donner leur sang et plus des deux tiers d'entre
eux sont favorables
à l'aide au tiers monde. Les médias ont su
orchestrer la générosité en devenant
des "entrepreneurs moraux".
Téléthon, Restos de Cœur, Nuit
des Héros, ventes de disques caritatifs, font recette. Plus
la religion du
devoir s'amenuise, plus nous consommons de
générosité. Plus les valeurs
individualistes progressent, plus les mises en scène
médiatiques des bonnes
causes se multiplient et font de l'audience. La détresse est
devenue spectacle
et plaisir … La
télé-charité déculpabilise
le citoyen repu dans son
fauteuil et soulage la conscience des responsables politiques
incapables de
réduire la pauvreté qui creuse chaque jour
davantage l'écart entre ceux qui
deviennent de plus en plus riches et ceux qui sont de plus en plus
nombreux à
sombrer dans la pauvreté. Les bilans des programmes
présidentiels successifs
sur la fracture sociale et sur le pouvoir d'achat sont une preuve sans
appel de
leur impuissance.
Le nombre des "travailleurs pauvres" s'accroît inexorablement
chaque
jour. La toute puissance des médias est
inquiétante car les principes
d'éducation morale des masses dépendent de plus
en plus de "coups
médiatiques". Ce sont les médias qui
fixent les causes prioritaires
et sont en passe de s'ériger en nouvelles puissances
moralisatrices des
individus. Les médias ne créent pas une
conscience des devoirs, mais "managent"
l'opinion par intermittence, en mettant en scène des
"produits
porteurs", ce qui pose un réel
problème d'éthique. Les charity-show
font de l'affectif de manière ponctuelle, sans suivi, sans
constance. En
sélectionnant les causes, ils font de l'humanitaire sans
développer le sens
d'un engagement humaniste. La média-charité ne
donne pas de leçon de morale.
Elle émeut, en mêlant bonne humeur et sanglots
contenus, variétés et
témoignages intimes, exploits sportifs et handicap.
Mais malgré le culte du chacun pour soi, paradoxalement, le
volontariat fait
recette. Le bénévolat de masse est
désormais un élément typique du nouvel
âge
de la morale et il constitue un aspect positif dans la jungle des
égoïsmes. On
compte, en France, plus de six cent mille associations. Le secteur
sportif qui
est le plus important précède le secteur
caritatif. Dans notre société, le
bénévolat s'affirme ainsi comme un moyen
indispensable pour combler les
carences des dépenses sociales et pour pallier
l'effondrement des grands
projets politiques. Le volontariat s'inscrit à contre
courant des valeurs
dominantes de notre temps.
Dans notre société, marquée par
l'égoïsme et l'individualisme, l'engagement
volontaire fonctionne comme un moyen d'identification individuelle et
sociale.
Nous sommes donc très loin du flottement intégral
des valeurs. Les critères du
bien et du mal n'ont pas été effacés
dans l'âme individualiste. Les exigences
morales minimales subsistent, parce qu'elles sont indispensables
à l'équilibre
de la vie sociale et démocratique. Les crimes, la
cruauté, les sévices, le
viol, les mutilations sexuelles, les sévices psychologiques
et physiques
suscitent l'indignation. Le public aime consommer la violence dans les
médias,
mais il la condamne sévèrement dans le
réel.
Nos démocraties ne sont donc pas vouées au
nihilisme car le sens de
l'indignation morale n'est pas mort … La principe de
tolérance est hissée au
rang de valeur cardinale. L'émotion suscitée par
l'affaire du professeur
Redeker ou celle des caricatures du prophète dans la presse,
les rejets et les
prises de positions de la hiérarchie catholique vis
à vis du sida, de l'IVG ou
de l'homosexualité, témoignent de l'attachement
collectif aux principes de la
tolérance mutuelle, du respect de l'autre et de la
liberté de conscience.
Célébrée par les philosophes du
Siècle des Lumières, la tolérance
fonctionne
aujourd'hui comme une valeur de masse. Elle a gagné en
légitimité sociale par
l'avènement de notre culture qui rejette les grands projets
moraux, en évacuant
le moralisme autoritaire et les querelles idéologiques,
politiques ou
religieuses.
Toutefois, si la tolérance s'accroît en
matière de sexualité, de vie familiale,
de religion et d'opinions politiques, elle s'arrête
dès lors que les personnes,
les libertés ou les biens sont menacés.
L'intolérance raciste semble plutôt
être le produit des désordres
économiques. La revendication individualiste, si
elle travaille à la négation partielle des
idéaux humanistes, travaille
cependant à l'extension des droits de chacun, sans
distinction de couleurs ou
de religions. Il semblerait que dans le racisme ambiant, les
différences
ethniques soient moins en cause que les difficultés sociales
engendrées par la
crise économique et les vagues d'immigration.
Le
renouveau éthique
En ce
début du troisième millénaire, un
idéal semble ranimer le
cœur de nos démocraties occidentales :
l'ETHIQUE. L'effet éthique envahit
les médias et nourrit la réflexion philosophique
et juridique :
Bioéthique, charité médiatique,
actions humanitaires, protection de l'environnement,
moralisation des affaires, de la politique, des médias,
croisades contre le
sida, la drogue, le tabagisme, l'alcool, etc … Et,
tandis que l'éthique
retrouve ses lettres de noblesse, une nouvelle culture s'instaure. On
assiste à
un discours social alarmiste, stigmatisant la faillite des valeurs,
l'individualisme cynique, la fin de toute morale. Mais d'un autre
côté, on voit
apparaître des nouvelles exigences morales qui portent sur
une éthique qui ne
concerne pas l'individu par rapport à lui-même et
à ses proches, mais qui le
concernent par rapport à un environnement plus large et par
rapport à des faits
de société cruciaux.
Alors même que l'apostolat du devoir apparaît
caduc, on assiste à une
réactualisation du souci éthique. Plus la
religion de l'obligation du devoir se
vide de sa substance, plus le supplément d'âme
éthique est à l'ordre du jour.
Alors que les grands projets politiques s'épuisent, plus
aucune question n'est
traitée en dehors du référentiel
éthique. Les dictatures répriment les
minorités,
réactivons les Droits de l'Homme. Le tiers-monde
crève de faim, organisons des "charity-shows"
et des secours d'urgence. la planète est en danger, rendons
hommage à la fée
nature. Les médias pervertissent la démocratie,
rappelons aux journalistes la
déontologie de leur mission …
Moins il y a d'adhésion à l'esprit du devoir et
plus nous aspirons aux
régulations déontologiques par le biais de
l'éthique et de ses codes. Ce
phénomène de régulation vise
à contrebalancer la logique individualiste en
légitimant de nouvelles obligations collectives. La culture
de l'oubli de soi a
totalement disparu. La responsabilité individuelle est
devenue une forme
atténuée de devoir,
délestée de toute idée de sacrifice,
un devoir minimal,
rongé par l'égoïsme et l'individualisme.
L'éthique nouvelle exprime
l'essoufflement du "tout est permis" et rappelle
l'exigence
de poser des limites en organisant des protections contre les menaces
de notre
sécurité et de nos libertés, sans
remettre en question la culture du système
libéral.
Les mérites du rebond éthique sont incontestables
au vu de ses
manifestations : mouvements humanitaires, droit
d'ingérence, primauté des
Droits de l'Homme, responsabilisation de l'homme au travail, souci de
l'avenir
de la planète et du sort de l'espèce humaine. Il
ne faut toutefois pas se
laisser bercer par une certaine illusion éthique. Ce ne sont
pas les
imprécations vertueuses contre la technique arrogante qui
règleront les
problèmes humains. Ce ne sont pas les hymnes aux Droits de
l'Homme qui feront reculer
la xénophobie, ni les hommages à la
déontologie des journalistes qui
élèveront
la qualité des médias. Il faut une
volonté politique d'une part et une ferme
volonté de chacun de peser sur les choix et les
décisions politiques d'autre
part. Cette volonté passe par la notion d'un engagement
très fort de chacun. Et
cet engagement ne peut se baser sur la simple bonne volonté
de chacun. Il doit
s'exprimer par des résolutions très fortes, mues
par l'idéal du devoir.
Si le sens moral existe toujours, dans notre
société, il reste trop souvent
enfoui au fond des consciences pour n'émerger ponctuellement
que lorsque la
dignité de l'homme est menacée. Et ce sens moral
a cessé d'engager l'individu
par rapport à lui-même et à ses proches
pour le situer dans un univers éthique
"généraliste". La perte du sens du devoir, comme
don de soi et comme
élan altruiste, apparaît comme le tuteur manquant
à toute morale humaniste.
Dans l'histoire, les progrès n'avancent jamais sans la
dynamique de
l'intelligence, de l'intérêt et des passions. Le
sens du devoir reste le moteur
même du progrès.
Devoir
et franc-maçonnerie
Quelles
que soient les obédiences ou les juridictions, les
références au devoir sont largement
présentes dans les textes statutaires et
dans les rituels maçonniques. Les Constitutions
précisent que "la
Franc-maçonnerie a pour devoir d'étendre
à tous les membres de l'humanité les
liens fraternels qui unissent les francs-maçons sur toute la
surface du
globe" et que "le franc-maçon a pour
devoir, en toute
circonstance, d'aider, d'éclairer, de protéger
son frère, même au péril de sa
vie, et de le défendre contre l'injustice". Le
rituel de clôture des
travaux réaffirme la notion de devoir : "A
toute heure,
rappelons-nous la grandeur des devoirs que nous nous sommes
imposés. A toute
heure, soyons prêts à les remplir". Il
est encore précisé : "qu'il
n'y a de devoir qu'envers soi-même… et que ce
devoir primordial, unique,
entraîne inéluctablement tous les autres devoirs"
…
En préalable à la cérémonie
de sa réception, on demande au candidat de
formuler, par écrit, sa conception personnelle du devoir (envers
lui-même,
sa famille, la cité, la patrie, l'humanité).
Lorsqu'il prête son
obligation, il s'engage à respecter les valeurs et les
règles de l'Ordre
maçonnique. Au devoir d'assiduité s'ajoute celui
de la discrétion et du
travail. Le mythe fondateur de la franc-maçonnerie,
constitue un enseignement
sur la valeur fondamentale du devoir. Hiram, gardien du secret, homme
d'honneur
et de devoir, nous montre l'exemple de la forme la plus
élaborée du devoir, en
sacrifiant sa vie pour le respect des valeurs auxquelles il croit. Ce
mythe
invite tous les francs-maçons à être
des hommes de devoir.
Le devoir, malgré une connotation religieuse, qui a
longtemps dévalorisé son
sens dans une société
désacralisée, rend à la notion de
droit toute sa valeur.
Car il y a la même dignité à accomplir
son devoir qu'à faire prévaloir ses
droits.
"Plus
l'avenir est incertain, plus les
certitudes y prennent du poids ... Plus l'élément
de nos actions devient
complexe, plus la simplicité de nos devoirs est
impérative" ... Alain
Etchegoyen - Le temps des responsables.
par LAHIRE
publié
dans : Philosophie
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