Le
Tarot : un jeu
éthique
Tarots - Art et
Magie
C’est un grand honneur et un
immense plaisir que de
présenter aux amoureux du
Tarot cet essai remarquable d’Andrea Vitali. extrait du
Préambule du Catalogue
de son exposition relative aux Tarots et à leurs
iconographies.
Déjà, en 1997, dans "Origines et histoire du
Tarot" (Editions
Envolée, Toulouse), j’écrivais que
selon "le spécialiste italien de
l’iconographie historique du Tarot, Andrea Vitali, les
conceptions éthiques et
mystiques du Tarot évoqueraient de façon
pédagogique les Triomphes de Pétrarque
décrivant les forces fondamentales qui... gouvernaient
l’humanité en fonction
d’une hiérarchie bien établie".
"A ma connaissance, Andrea Vitali est, de tous les tarologues
contemporains, le médiéviste le plus pertinent.
Il voit les 22 "sujets
allégoriques" structurés selon une logique
ascensionnelle proche des conceptions
aristotéliciennes du Cosmos"
Andrea Vitali organise de nombreuses expositions itinérantes
et il est
désormais très sérieusement question
d’en organiser en France à l’avenir.
Bienvenu en France Monsieur Andrea Vitali.
Alain Bougearel
De la Société des Gens de Lettres de France
LE TAROT présente
TAROTS Art et Magie
LE TAROT Association culturelle d’étude et de
recherche historique
Introduction
Pendant toute la Renaissance , les "Images des Dieux de
l’antiquité"
évoquèrent les mythes classiques auxquels
était attribuée une grande valeur
éthique et morale.
C’est à cette époque que fit son
apparition le jeu des tarots : une des plus
extraordinaires réalisations de l’humanisme
italien. Il réunissait les plus
illustres représentants du panthéon grec nourris
des vertus chrétiennes, par le
biais d’images allégoriques de conditions humaines
et de symboles des plus
importantes corps célestes.
Les Tarots étaient un grand jeu de mémoire qui
renfermait les merveilles du
monde visibles et invisibles et qui fournissait aux joueurs des
instructions
d’ordre tant physique, que moral et mystique.
En effet, la série des vertus (Force, Prudence, Justice et
Tempérance) renvoie
à d’importants préceptes
éthiques ; la série des conditions humaines
(Empereur,
Impératrice, pape, Fou et Bateleur) renvoie à la
hiérarchie à laquelle l’homme
est subordonné ; et la série des
planètes (Étoile, Lune et Soleil) fait quant
à
elle allusion aux forces célestes qui commandent les hommes
et au-dessus
desquelles règne l’univers du divin. Toutefois
l’utilisation ludique des Tarots
prit rapidement l’ascendant sur la dimension didactique et
morale du jeu qui
dès le début du XVIe siècle
n’était plus compris.
A cette incompréhension correspondit une mutation bien
précise des figures qui
connurent des transformations, différentes selon les
régions et les goûts
populaires. Vers la fin du XVIIIe siècle, fut
redécouvert le contenu
philosophique des Tarots, mais sur la base de principes totalement
erronés, les
nouveaux interprètes firent voir le jour à une
nouvelle utilisation du jeu :
magique et divinatoire.
Dans un célèbre article publié en 1781
par l’archéologue franc-maçon, Antoine
Court de Gébelin, on peut lire : “le livre de Toth
existe et ses pages sont les
figures des tarots”. Quelques années plus tard, un
autre franc-maçon, Etteilla,
se lança dans un grand projet de restauration des figures en
affirmant
connaître la structure du jeu pratiqué par les
Égyptiens. Selon Etteilla, les
premiers Tarots contenaient le mystère des origines de
l’univers, les formules
de certaines opérations magiques et le secret de
l’évolution physique et
spirituelle des hommes.
Dès lors, le jeu des Tarots fut indissolublement
lié au monde de la magie et,
en visant des objectifs beaucoup plus ambitieux que la simple
connaissance du
lendemain, prit son essor la grande époque des tarots
occultistes
L’Harmonie
céleste
Le jeu des Tarots est fondé sur 56 cartes
numérales dites
"italiennes", mais en fait d’origine arabe ("coppe",
"danari", "bastoni" et "spade") et de 22 cartes
connues en tant que Triomphes introduites au début du XVe
siècle en Italie.
Ce jeu dérive des "Triomphi" de Pétrarque
(d'où "Triomphe"
de l'Italien "Trionfi") qui, dans cette oeuvre, décrit les
principales forces qui gouvernent les hommes en assignant à
chacune d'entre
elles une valeur hiérarchique. En premier lieu vient
l’Amour (l’Instinct) que
maîtrise la Modestie (la Raison). Puis la Mort, dont vient
à bout la Renommée,
elle-même attaquée par le Temps,
L'Eternité ou Dieu - qui triomphe sur toutes
les autres.
Dans les jeux des cartes des Tarots, les Triomphes étaient
d'abord au nombre de
6 puis de 22, nombre dont la signification mystique selon la
numérologie
chrétienne, représente l'introduction
à la sagesse et les enseignements divins
gravés en l'homme.
La théologie médiévale attribue
à l’univers un ordre précis,
constitué d’un
escalier symbolique qui va de la Terre jusqu'au Ciel : du haut de cet
escalier,
Dieu, la Cause Première, gouverne le monde, sans toutefois
intervenir
directement mais en opérant ex gradibus, à savoir
par le biais de toute une
série ininterrompue d’intermédiaires.
C'est ainsi que Sa puissance divine est
transmise aux créatures inférieures, - et ce,
jusqu’au mendiant le plus humble.
En revanche,si nous lisons cette 'symbologie'depuis l'En-Bas
jusqu'à
l'En-Haut, il nous est enseigné que l’homme peut
graduellement s'élever dans
l’ordre spirituel en gravissant les cimes du "bonum", du
"verum" et du "nobile", et que la science et les vertus le
rapprochent de Dieu.
D'après la première liste de Tarots connue, du
début du Seizième Siècle, il est
évident qu'il s'agissait d'un jeu éthique.
Le Bagatto (Bateleur) représente un homme ordinaire auquel
ont été donnés des
guides temporels, l’Impératrice et
l’Empereur, et des guides spirituels, le
Pape et la Papesse (la Foi).
Les instincts humains doivent être
tempérés par les Vertus : l’Amour par
la
Tempérance, le désir de puissance (le Char
Triomphal), par la Force.
La Roue de la Fortune enseigne que le succès est
éphémère et que même les
puissants sont destinés à devenir
poussière. Ainsi l’Hermite, qui vient
après
la Roue, représente le Temps auquel chaque être
doit se soumettre tandis que le
Pendu avertit du danger de céder à la tentation
et au péché avant l'arrivée de
la Mort physique .
Même la vie après la mort est
représentée selon la conception propre au
Moyen-Age : l’Enfer, et partant, le Diable, sont
placés au centre de la Terre
tandis les sphères célestes sont au-dessus de la
Terre.
Conformément à la vision
aristotélicienne du cosmos, la sphère terrestre
est
entourée des "feux célestes",
représentés, dans les Tarots, par la
foudre qui tombe sur une tour. Les sphères
planétaires sont 'synthétisées'en
trois planètes principales: Vénus,
l’étoile prééminente, la
Lune et le Soleil.
L'étoile la plus haute est
l’Empyrée,où siègent les
Anges qui, lors du Jugement
dernier, seront chargés de réveiller les Morts
dans leurs tombes : quand la
Justice divine triomphera pesant les âmes pour
séparer les bons des méchants.
Au-sommet de tout cet agencement se trouve le Monde, à
savoir Dieu le Père,
ainsi que l’a écrit un moine anonyme qui commenta
les Tarots à la fin du XVe
siècle.
Ce même auteur place le Fol après le Monde comme
s’il s’agissait d’indiquer
qu’il est étranger à toutes les
règles et à tous les enseignements.
Au cours du XVe siècle, le jeu de Tarot était
connu comme "Ludus
Triomphorum", et ce n’est qu’au début du
XVIe siècle qu’a fait son
apparition le terme ‘Tarocchi’, ou Tarots.
L’origine de ce nouveau mot est encore sujet à
controverses de nos jours..
D’aucuns pensent qu’il vient de l’Arabe
signifiant “Tariqa”, à savoir La Voie
de la Connaissance Mystique, ayant pour source d’inspiration
‘Tara’, la déesse
du Savoir (la ‘Tara Verte'représente la
déesse du Savoir Suprême dans la
Bouddhisme Tibétain). D’autres y voient un rapport
possible avec la technique
‘Taroccato'en usage dans les cours du Nord de
l’Italie, utilisée pour décorer
des manuscrits enluminés avec un poinçon, tandis
que certains considèrent
encore que le mot ‘tarocco'proviendrait du
dialecte ‘tarocar'qui signifie
"faire des choses folles ou insensées" à
l’occasion de paris lors de
jeux de hasard.
Les
Allégories des Tarots
Les allégories qui apparaissent sur les Atouts appartiennent
au répertoire
iconographique propre à la quasi totalité de
l’Europe du XIIIe siècle. On les
trouve sur les décorations des cathédrales
gothiques, sur les fresques des
édifices publics et dans les manuscrits
encyclopédiques et astrologiques.
Dans la pratique, les figures représentées sur
les cartes des Triomphes
constituent une authentique Biblia Pauporum à savoir une
« Bible des Pauvres ».
En jouant aux cartes, le peuple accédaient directement par
leur intermédiaire à
une connaissance du mysticisme chrétien et à son
contenu dont les concepts étaient
ainsi continuellement rappelés à leurs esprits,
selon la méthode de l'Ars
Memoriae de l’époque.
Les allégories sont aisément
déchiffrables par référence au
contexte culturel
des cours de l’Italie du Nord au vu de leur goût
pour les images moralistes issues
tant de la tradition religieuse que de la mythologie classique. Ces
images
étaient d’une part tenues pour des
représentations des héros civilisateurs qui
initièrent les hommes à de nombreux arts, telle
Minerve - la première tisseuse
ou Apollon - le dieu médecin. D’autre part, elles
étaient considérées comme les
allégories de vices et de vertus, et c’est cette
interprétation que l’on trouve
dans certaines cartes des Triomphes.
Des exemples tout à fait évidents incluent : la
Force, représentée par Hercule
terrassant le lion Némée, symboles des instincts
animaux ; l’Amour représenté
par Cupidon s’apprêtant à lancer ses
flèches sur les Amants imprudents ; la
Prudence, représentée par Saturne ; la Modestie
de Diane ; l’Immodestie de
Vénus ; la Vérité par Apollon qui
illumine la Terre de son disque solaire.
De nombreuses figures des Tarots s’inspirent clairement de
l’iconographie
chrétienne. Ainsi le Monde, représenté
tantôt par la Jérusalem céleste
à
l’intérieur d’une sphère
portée par des anges ou surplombée par la Gloire
céleste. La carte de la Papesse renvoie à
l’image de la Foi, identique à celle
représentée par Giotto dans la Chapelle des
Scrovegni à Padoue.
Parmi de nombreuses autres représentations possibles des
Vertus telles que la
Tempérance, la Justice et la Force se trouve
l’iconographie classique présente
dans les églises gothiques et dans les miniatures des livres
saints.
Les traités d’astrologie de
l’époque constituèrent une autre source
d’inspiration. La figure du Bagat ou Bateleur
apparaît parmi les "Fils de
la Lune" à savoir parmi les métiers
placés sous l’influence de l’astre.
Le Misero ou Fol est présente parmi les « Fils de
Saturne » ; celle des
Amoureux parmi les "Fils de Vénus" ; le Pape parmi les "Fils
de
Jupiter" et l’Empereur parmi les "Fils du Soleil". En outre,
des
figures d’astrologues sont présentes dans
différents jeux des Triomphes comme
représentations de la Lune et des Étoiles.
Enfin, sont présentes des images de la vie quotidienne. Un
exemple extrêmement
intéressant est la figure du Pendu qui fait
référence à la peine
infligée aux
traîtres. Dans la Chapelle Bolognini à San
Petronio (Bologne) une figure
identique est représentée sur une fresque de
Giovanni da Modena car l’idolâtrie
était perçue comme la plus affreuse des trahisons
: le reniement du Créateur.
Bien que la peine de la pendaison par un pied soit
représentée dans d’autres
œuvres, la fresque de San Petronio est l’unique
exemple connu qio coïncide
parfaitement avec la Carte du Tarot.
Le Divin Hermes
. Pour le monde antique, Hermès, associé au dieu
égyptien Thoth, fut considéré
comme l’inventeur de l’écriture et
l’auteur de nombreux traités magiques et
religieux. Durant la période de l’Empire romain,
ces textes hermétiques furent
réinterprétés par l'Ecole
d’Alexandrie en Égypte à la
lumière de la
philosophie grecque, en particulier Pythagore et Platon. Les
Pères de l’Église
vouèrent un grand respect à Hermès en
vertu des analogies avec certains textes
qui lui furent attribués et des passages des
Évangiles .
En 1460 fut porté à Cosimo de Médicis,
Seigneur de Florence, un manuscrit
retrouvé en Macédoine et attribué par
erreur à Hermès Trismégiste. Cette
œuvre
traduite en 1463 par le religieux et philosophe Marsile Ficin fut
suivie par
les traductions de textes platoniciens qui
révélaient une conception fascinante
du Cosmos.
Selon cette philosophie, l’Univers converge vers
l’Unité divine ordonnée selon
des degrés divers de perfection et
représentés par les cercles concentriques
des sphères planétaires et célestes
tandis que l’homme est constitué d’une
part
divine - l’âme - qui, durant son existence
terrestre, peut le conduire à la
contemplation du Bien suprême à travers la
pratique de la vertu et par le biais
de la médiation des différentes
entités angéliques.
Un autre aspect important de cette philosophie était
l’idée que l’Univers se
reflète dans chaque chose existante. L'Homme
était envisagé comme un monde en
miniature, un Microcosme identique en tout et pour tout au Macrocosme.
Les
philosophes de la Renaissance, à commencer par Ficin,
édifièrent de complexes
systèmes de correspondances reliant les astres du firmament
et les différentes
parties du corps humain.
Une des conséquences de ceci fut la revalorisation de la
Magie, de l’Astrologie
et de l’Alchimie - l’art
hermétique primordial. On pensait ces sciences
capables de donner à l’homme les moyens de
comprendre les liens secrets qui
assurent la cohésion de l’univers et qui
influencent le comportement humain.
Ainsi les divinités astrales
antiques, Saturne, Jupiter,
Mars, Vénus,
Mercure, le Soleil et la Lune, ré-assumèrent
leurs rôle d’esprits puissants et
redoutables auxquels il était permis d’adresser
prières et interrogations pour
connaître la destinée humaine.
En effet, les amulettes, certains rites et la réalisation
d’opérations
particulières devaient permettre à
l’homme de se défendre contre la puissance
des astres, qui était même présente
cachée dans les pierres et les métaux - et
de capturer cette puissance pour sa propre
élévation spirituelle.
Cette philosophie inspira des auteurs comme le poète
Ludovico Lazzarelli (1450
- 1500) dont le « De gentilium imaginibus deorum »
fut illustré avec des
figures issues du pseudo Tarot dit de Mantegna, comme aussi
l’auteur anonyme
des Tarots Sola Busca (1490 environ)avec leurs
références à l’alchimie.
A la même époque, plusieurs images des Tarots
furent modifiées de façon à
être
conformes à l’iconographie hermétique.
Suivant la conception platonicienne, en
fait, l’origine stellaire de l’âme est
représentée sur la carte
(géographique)
des Etoiles, et l'« Anima Mundi » qui
selon Ficin représente l’influence
médiatrice entre l’homme et Dieu
apparaît sur la carte (géographique) du Monde.
Le Jeu des Tarots
Dans la première décennie du XVè
siècle et dans une des villes suivantes comme Milan,
Bologne ou Ferrare, ce jeu de cartes fut conçu et,
à partir du XVIè siècle, se
répandit rapidement en Europe...
Les Tarots furent initialement utilisés en tant que jeux
avec des règles
proches de celles des échecs - et c'est à cause
de ce caractère ingénieux que
les Ludus Triomphorum furent expressement exclus des ordonnances
à l'encontre
des jeux de hasard émises pendant le 15è
siècle.
Parallèlement, grâce à de nombreux
documents de la Renaissance, l'on sait que,
dans les cours aristocratiques, le jeu des Tarots fut au centre de
divertissements sophistiqués, comme par exemple l'invention
de sonnets galants
ou le fait de répondre à des questions portant
sur divers sujets au regard de
cartes extraites du jeu.
Une autre pratique courante qui dura jusqu'au 19è
siècle consistait à associer
les figures du Tarot à des personnes
célèbres, composant des sonnets ou
simplement en devisant à leur sujet sur un ton ou laudatif
ou comique ou tout à
fait satirique.
Le 18è siècle vit une riche production de Tarots
avec une imagerie fantastique,
empruntée au monde animal, à l'histoire,
à la mythologie, aux coutumes de
différents peuples.
Néanmoins, c'était un jeu de hasard, avec toutes
les conséquences que cela
impliquait, à commencer, dès le 16è
siècle, par l'intervention répressive de
l'Eglise.
A peine un siècle après leur création,
la signification chrétienne d'Escalier
Mystique sur laquelle était structuré l'ordre des
Tarots avait été oubliée.
Néanmoins, les usages ludiques et littéraires des
tarots perdirent bientôt de
leur importance.
Dès la fin du XVè siècle, un moine
prédicateur anonyme dénonça les tarots
comme
étant l'oeuvre des démons, et soutint son
affirmation en argumentant que,
c'était dans le dessein d'amener les hommes au vice, que le
créateur du jeu
avait délibérément usé de
figures comme le Pape, l'Empereur, les vertus
chrétiennes et même Dieu.
Le bon moine écrit par ailleurs que "si le joueur pensait
à la
signification des 'papiers [à jouer]', il s'en irait en
courant. En fait, dans
les cartes, il y a une quadruple différence [note du
traducteur : illustrée par
les quatre emblèmes des cartes en dehors des Atouts :
denier, coupe, bâton et
épée]. Il y a l'argent qui est
dilapidé entre les mains des joueurs. Et cela
souligne le caractère éminemment
précaire de l'argent du joueur, car l'on doit
savoir qu'en jouant, l'on perdra son argent. Il y a aussi des coupes
[tasses]
qui illustrent que lorsque la ruine adviendra, le pauvre joueur ne
pourra plus
boire dans des verres mais devra se contenter d'une coupe [tasse]. Il y
a aussi
les bâtons : le bois est sec pour souligner
l'aridité de la grâce divine
présente dans le joueur. Il y a même des
épées pour exprimer la
brièveté de la
vie du joueur car il sera tué , etc. En
réalité, aucune catégoie de
pécheurs
n'est aussi désespérée que celle des
joueurs. Quand un joueur perd et n'obtient
pas le point escompté, que ce soit la carte ou le
triomphe[note du traducteur :
probablement ici, carte= numérales ou honneurs,
triomphe=Atout] , il 'frappe la
croix dans l'argent'[?], maudissant Dieu ou les Saints, et il jette au
loin
les dés avec colère se disant à
lui-même "que l'on me tranche la main
!" etcLe joueur se mêt très facilement en
colère avec le compagnion qui le
tourne en ridicule et continuellement s'offusque des offenses
jusqu'à ce qu'ils
se battent l'un l'autre" Le prédicateur anonyme conclut sur
cette sentence
canonique : "Joueur, ouvre l'oeil ou tu connaîtras une
mauvaise fin".
Le jugement de l'Eglise n'empêcha pas la diffusion des Tarots
- et ce, à un tel
point, qu'au début du 18è siècle, ils
furent importés d'Italie en France et en
particulier à Marseille - dont l'cononographie fut
à son tour reprise par les
centres de production lombards et piémontais afin de
rénover leurs productions.
Puis, sous la pression de jeux encore plus modernes, les tarots
disparurent
graduellementpour ne plus subsister qu'en peu d'endroits tels la
Sicile,
l'Emilie, la Lombardie, le Piémont et le Sud de la France.
Toutefois, pendant ce temps, les images du Tarot furent l'objet de
manipulations
et d'interprétations ésotériques qui
les amenèrent à être
considérées comme des
"icônes magiques".
Le Livre de Thot ou
l’interprétation
ésotériques des tarots
La renaissance des Tarots comme instrument magique intervient
à la fin du
XVIIIe siècle, en pleine période des
Lumières. Elle est l’œuvre
d’un
archéologue, célèbre à
l’époque : Antoine Court de Gébelin,
membre de la
franc-maçonerie française.
"Si nous annoncions, aujourd’hui, qu’existe une
œuvre qui contient la
doctrine la plus pure des Égyptiens qui aurait
échappé aux flammes de leurs
bibliothèques, qui ne serait impatient de
connaître un livre aussi précieux et
extraordinaire ? Et bien ce livre existe et ses pages sont les figures
des
Tarots”.
Pour justifier ses affirmations Court de Gébelin explique
que le mot Tarot
vient de l’égyptien Ta-Rosch qui signifie Science
de Mercure (Hermès pour les
Grecs, Thot pour les Égyptiens). Puis, aidé par
un collaborateur inconnu, il
indique les nombreuses propriétés magiques du
Livre à peine redécouvert.
Ces théories sont reprises par un autre
franc-maçon, Etteilla, pseudonyme de
Jean-François Alliette : “Le Tarot est un livre de
l’Égypte ancienne dont les
pages contiennent le secret d’une médecine
universelle, de la création du monde
et de la destinée de l’homme. Ses origines
remontent à 2170 avant J.-C. quand
dix-sept magiciens se réunirent en un conclave
présidé par Hermès
Trismégiste.
Il fut ensuite incisé sur des plaques d’or
placées autour du feu central du
Temple de Memphis. Enfin, après diverses
péripéties, il fut reproduit par de
médiocres graveurs du Moyen-Age avec une quantité
d’inexactitudes telle que son
sens en fut dénaturé".
Etteilla restitua aux Tarots ce qu’il estimait être
leur forme primitive, il en
remodela l’iconographie et le baptisa Livre de Thot.
L’héritage du
néoplatonisme et de l’hermétisme de la
Renaissance est clairement présent dans
les manipulations opérées par Etteilla. En effet,
dans les huit premiers
triomphes, il reproduit les phrases de la Création ; dans
les quatre suivants ;
il souligne que les vertus conduisent les âmes
auprès de Dieu ; et enfin dans
les dix derniers, il représente les conditionnements
négatifs auxquels les
êtres humains sont soumis.
Les 56 cartes numérales furent
interprétées comme les sentences divinatoires
pour les mortels. Grâce à ces
révélations, prit un grand essor la mode de la
cartomancie, toutefois, bien plus tard la dimension mystique du Livre
de Thot
fut revalorisée par Eliphas Lévi.
Eliphas Lévi dénonça les erreurs
d’Etteilla en affirmant que les 22 Triomphes
correspondaient à 22 lettres de l’alphabet
hébreux. Et il en explique le
rapport avec les opérations magiques, avec le symbolisme
franc-maçon et surtout
avec les 22 sentiers de l’Arbre de la Kabbale, qui
reflètent les structures
identiques de l’homme et de l’univers.
En parcourant les 22 canaux du savoir suprême,
l’âme humaine pouvait parvenir à
la contemplation de la lumière divine. Les
théories de Lévi furent reprises par
de nombreuses confraternités occultistes et chacune
d’entre-elles réalisa de
nouvelles cartes des Tarots conformes à sa propre
philosophie.
Pour certaines, l’objectif des initiés
était la réalisation d’un grand Temple
Humanitaire visant la création du Règne du
Saint-esprit fondé sur
l’ésotérisme
commun à tous les cultes. Pour d’autres, les
Tarots représentaient les étapes
d’un parcours individuel
d’élévation mystique ou
d’exaltation psychique grâce à
l’obtention de grands pouvoirs magiques.
Tarots et
cartomancie
Il est généralement admis que la
période qui couvre la fin du XVIIIe siècle et
le début du XIXe siècle, fut propice aux
prophètes et aux devins, en France et
ailleurs, en raison des incertitudes politiques et de
l’aggravation de la crise
économique.
Existe en effet une très vaste production
d’estampes datant du XIXe siècle qui
représentent des scènes de divination populaire,
production qui atteste la
diffusion de la cartomancie. L’archétype est une
veille femme, souvent gitane,
qui prédit l’avenir au carrefour et qui habite un
taudis entourée de tout un
attirail magique.
Bien que l’art divinatoire à l’aide de
cartes fût pratiqué dès la fin du XVIIe
siècle, ça n’est qu’au XIXe
siècle que les cartomanciennes se multiplièrent
grâce aux stupéfiantes
révélations de Court de Gébelin,
d’Etteilla et des
confraternités occultistes. Parmi les innombrables devin de
l’époque, il
convient de s’arrêter un instant sur Mademoiselle
Lenormand, dont la fortune
reposa sur une habile utilisation de son image publique. Tout au long
de sa
carrière, Mademoiselle Lenormand vit défiler dans
son salon des personnages de
la stature de Robespierre, Marat, Danton, Napoléon
Bonaparte, et devint la
confidente de l’Impératrice Joséphine.
La “Sibylle des Salons”, ainsi qu’elle
était surnommée, fut imitée par
d’innombrables devineresse qui
s’efforcèrent de tirer profit de leur art en
prétendant être les élèves
et les disciples voire les héritières de la plus
illustre sibylle. D’autre créèrent de
nouvelles cartes de cartomancie basées
sur les Tarots égyptiens d’Etteilla ou sur les
cartes à jouer françaises.
Vers 1850, la divination par le biais des tarots et des cartes
à jouer était
devenue une technique divinatoire extrêmement populaire dans
l’Europe entière.
Et à cette même époque, la renaissance
des philosophies ésotériques redonna
vigueur aux arts magiques et à la cartomancie en particulier.
La diffusion de cette pratique, toutes classes sociales confondues,
s’accompagna d’une vaste production industrielle
pour répondre aux attentes du
public. Au cours du XIXe siècle furent imprimés,
essentiellement en France, en
Italie et en Allemagne, au moins une centaine de jeux qui dans la
plupart des
cas n’avaient qu’un rapport lointain avec les
Tarots mais davantage avec les
livres d’interprétation des songes ou avec la
"Kabbale du loto".
On peut affirmer que depuis lors cette mode a conservé toute
sa vigueur, si
l’on excepte les périodes de guerre. A tort selon
nous, les sociologues
s’interrogent aujourd’hui sur les raisons de ce
qu’il est convenu de définir
aujourd’hui comme un retour de l’irrationnel mais
qu’il convient d’envisager
davantage comme une présence qui témoigne
d’un besoin constant, dans l’histoire
occidentale, de plus grandes certitudes.
Au-delà de l’aspect divinatoire, il convient par
ailleurs de tenir compte de la
dimension artistique. La création des cartes a en effet
souvent vu à l’œuvre de
très talentueux dessinateurs et peintres dont le travail
témoigne, non
seulement d’un goût personnel, mais
également d’une sensibilité artistique
et
des courants des époques dans lesquelles il
s’inscrit.
Par le Pr Andrea
Vitali
Présentation
et traduction française revue et
corrigée par A. Bougearel
Copyright Andrea Vitali, Historien et iconographe du Tarot
LE TAROT Association culturelle d’étude et de
recherche historique
Association culturelle Le Tarot
Andrea
VITALI
info@associazioneletarot.it
Copyright Traduction française revue et corrigée
Alain Bougearel
Alain
BOUGEAREL
AlainBougearel@club.lemonde.fr
Nota bene
Cette traduction de l'article d'Andrea VITALI a
été publiée par
l'Encyclopédie
libre Wikipedia
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