Obédience : NC | Site : http://hautsgrades.over-blog.com | 27/05/2005 |
Joseph
d'Arimathie et
le Graal
«
Alors
recommença la céleste
cérémonie que Lancelot n'avait fait qu'entrevoir
de loin.
Sur la Table d'argent le Graal parut de nouveau, mais
découvert et rayonnant
d'un indicible éclat. Puis, du haut des cieux ouverts, on
vit descendre quatre
anges soutenant une chaire où un évêque
était assis, la mitre en tête et la
crosse en main. Les chevaliers
s'émerveillaient, sachant que ce
Josèphe, fils de Joseph d'Arimathie, était mort
depuis plus de trois cents ans.
Mais l'évêque parla et leur dit: « Ne
vous étonnez pas de me voir ici devant le
Saint Graal: vivant, je le servais; esprit, je le sers encore.
« Après ces mots
il s'approcha de la Table d'argent et se prosterna devant le Saint
Graal, les
genoux et les coudes à terre. A ce moment entra dans la
salle une procession
d'anges; les deux premiers portaient des cierges ardents, le
troisième un voile
de soie vermeille; le quatrième tenait d'une main une lance
dont le fer
saignait et de l'autre un vase où tombaient les gouttes de
sang. Ils allèrent
vers la Table; et ceux qui portaient des cierges les y
posèrent; le troisième
plaça le voile de soie auprès du Graal, et le
quatrième tint hampe. Puis il
l'écarta, et Josèphe, prenant le voile de soie,
en recouvrit le Saint Graal
Ensuite l'évêque parut
célébrer comme une messe aux rites inconnus. A un
moment
de l'Élévation, l'hostie qu'il avait
puisée dans le Graal prit entre ses mains
l'apparition d'un enfant; puis elle revint à sa forme
première et il la remit
dans le Vase. Alors il fit signe aux chevaliers de s'asseoir devant la
Table et
disparut. Les douze
chevaliers, en grand émoi et en grande
crainte, s'assirent devant la Table. Or du Saint Graal ils virent
surgir un
fantôme au doux visage souffrant, qui avait les mains et les
pieds sanglants,
une plaie au côte, et qui leur dit: « Mes
chevaliers, mes fils loyaux, qui
m'avez tant cherché que je ne puis plus me cacher de vous,
voici que vous êtes
assis à ma table, où nul homme ne fut depuis le
jour de la Cène, voici que le
vase de votre nourriture est le Graal, celui-là
même où je mangeais l'agneau
pascal avec mes disciples ! Et ayant pris
dans ses mains le Saint Graal, Il
leur donna le pain et le vin comme Il les avait donnés aux
Apôtres. Puis Il
ordonna à Galaad de guérir le Roi
Pêcheur et de partir ensuite, avec ses deux
compagnons, vers la cité sainte de Sarras, où il
aurait du Graal la révélation
suprême. Et puis la divine Apparition s'évanouit.
Galaad, ayant pris du sang
qui découlait de la Lance, en oignit le corps du Roi
infirme. Et aussitôt le
vieillard se leva, guéri du mal qui si longtemps l'avait
accablé. Et les terres
du royaume, en même temps que lui revinrent à la
vie. Les campagnes dévastées
retrouvèrent subitement leur fécondité
de jadis: elles se vêtirent de fleurs et
de moissons; les arbres à demi effeuillés se
couvrirent de frondaisons et de
fruits. Et de beaux poissons jouèrent, couleur d'or,
d'argent et de pierreries,
dans les eaux du fleuve où, chaque jour espérant
la fin de sa misère, le
Pêcheur dolent traînait en vain ses lignes. Car les
temps étaient révolus, le
Héros du Graal était venu. Galaad,
Perceval et Bohort allèrent au rivage de
la mer et y retrouvèrent la Nef merveilleuse de Salomon, Y
étant entrés, ils
virent, sur la Table d'argent le Saint Graal couvert de soie vermeille.
Tandis
qu'ils s'étonnaient, le vent soudain se leva, gonfla la Nef
et l'emporta vers
la haute mer. Longtemps ils naviguèrent; mais un soir Bohort
dit à Galaad: « Seigneur
vous ne vous êtes point encore couché dans ce Lit,
que pour vous prépara le
sage Salomon; ne conviendrait-il pas de le faire ? « Galaad
cette nuit-là y
reposa. Le lendemain, à l'aurore, ils étaient
sous les murs de Sarras. Au plus haut de
la cité sainte se dressait un
temple prodigieux, qu'on appelait le Palais Irréel. Nul
vivant n'habitait ces
hautes tours, si brillantes qu'elles paraissaient faites des rayons
d'or du
soleil; seuls les Esprits bienheureux y
conversaient. Ils débarquèrent,
emportant la Table d'argent pour l'y déposer. Mais la route
était escarpée et
la Table pesante. Galaad, avisant un infirme qui mendiait aux portes de
la
ville, lui cria: -
Bonhomme, aide-nous à porter cette Table au Palais,
là-haut. - Hélas !
mon bon seigneur, que dites-vous ! Il y a bien dix ans que je ne peux
plus me
traîner qu'avec des béquilles. -
Lève-toi et ne doute point: tu es guéri. Et le
paralytique se leva guéri. Il
vint aider Galaad et à tous ceux qu'il rencontrait il disait
le miracle. Avant qu'ils
fussent parvenus au Palais, une
grande foule accourue les escortait, pour voir l’infirme qui
avait été guéri.
Cependant, au port, un esquif sans aviron et sans voile
était venu doucement se
ranger contre la Nef; nul marinier ne le manœuvrait, et
personne ne pouvait
dire de quel point de l'horizon il avait surgi. C'était le
tombeau flottant de
la sœur de Perceval. « Voyez, se disaient entre eux
les trois chevaliers, comme
la morte tient sa promesse ! « Ils lui donnèrent,
au Palais Irréel, la
sépulture qui convenait à une fille de roi et
à un corps saint. Quand le roi du
pays, qui était sarrasin, connut ces miraculeuses nouvelles,
il voulut voir les
trois chevaliers et leur fit raconter leurs aventures. Mais il n'en
crut rien;
il jugea que c'étaient trois enchanteurs et
traîtres mauvais, et les fit jeter
en prison. Or il advint qu'au plus profond de leur cachot une
lumière
surnaturelle brilla, comme si le mur se fût ouvert sur
l'infini du ciel.
C'était le Saint Graal; et tant qu'ils furent
enfermés, il emplit leur prison
de clarté et leurs âmes de béatitude.
Cependant le roi sarrasin, atteint
soudain d'un mal mystérieux, languissait et ne pouvait ni
guérir ni mourir. Au
bout d'un an, parvenu à la limite de la souffrance et de la
faiblesse, le
repentir lui vint. Il manda les trois chevaliers et leur cria merci de
ce qu'il
les avait maltraités à tort. Ils lui
pardonnèrent volontiers, et aussitôt il
goûta l'apaisement de la mort. Ceux de la cité
tenaient conseil en grande
perplexité. Mais un inconnu leur suggéra
l'idée d'élire pour roi le plus jeune
des trois chevaliers. Ils prirent donc Galaad et, qu'il le
voulût ou non, lui
mirent la couronne en tête. Devenu seigneur de la terre,
Galaad fit faire au
Palais une arche d'or et de pierres précieuses, qul abritait
la Table et le
Saint Graal. Chaque jour avec ses compagnons, il y venait prier. Un an jour pour
jour après le couronnement de
Galaad, les trois chevaliers, en arrivant devant l'arche, y virent une
apparition. Le bienheureux évêque
Josèphe était là, entouré
d'anges en si grand
nombre qu'on eût dit Jésus-Christ en personne. De
nouveau l'office merveilleux
se déroula avec ses pompes paradisiaques,
célébré par un Esprit, servi par des
Esprits. Mais quand vint le moment le plus sacré,
l'évêque, se tournant vers
Galaad, lui dit: « Bon chevalier, viens et tu
connaîtras enfin ce que tu as
tant désiré. « Il découvrit
le Graal et Galaad s'en approcha. Toute sa chair
mortelle tremblait; dès qu'il se fut penché au
bord du Vase divin, il s'écria:
« O splendeur ! Lumière sur le monde ! Tous les
voiles se déchirent: le secret
de la Vie universelle apparaît ! Oh ! toutes les peines, tous
les sacrifices
sont à cette heure justifiés. Car c'est la plus
haute destinée humaine de
toujours s'efforcer vers la vie selon l'Esprit, vers la Connaissance !
O voici
la merveille suprême: contempler et comprendre ! «
Il voulut revenir Vers ses
compagnons, fit en chancelant quelques pas; en ses yeux brillait une
clarté qui
déjà n'était plus humaine. Il leur
donna le baiser de paix, murmura le mot:
Adieu ! et, s'étant retourné vers le Graal, il
tomba la face contre les dalles,
mort. A cet instant Perceval et Bohort virent une main
apparaître dans les
airs, prendre le Saint Graal et l'emporter pour toujours. Car depuis
nul mortel
n'a jamais osé prétendre avoir vu de ses yeux le
Vase merveilleux. Au Palais
irréel, séjour des Esprits, Galaad fut enseveli
à la place même où il avait
expiré. Perceval se retira au désert et y
vécut en ermite quelques mois encore.
Mais quand Bohort se vit seul en ces terres lointaines devers Babylone,
il
reprit le chemin du royaume de Logres, passa la mer et arriva enfin
à la cour
d'Artus, où depuis longtemps on le croyait perdu. Les
récits qu'il fit des aventures du Saint Graal
furent mis en écrit par les clercs du roi et
conservés à l'abbaye de Salisbury.
L'histoire qu'on vient de lire en fut tirée par
Maître Gautier Map archidiacre
d'Oxford pour l'amour du roi Henri son seigneur. Par Gautier Map |
7213-1 | L'EDIFICE - contact@ledifice.net | \ |