Obédience : NC | Site : http://hautsgrades.over-blog.com | 29/09/2005 |
Arianisme Toutes les
grandes
disputes théologiques pendant douze cents ans ont
été grecques. Qu’auraient dit
Homère, Sophocle, Démosthène,
Archimède, s’ils avaient été
témoins de ces subtils
ergotismes qui ont coûté tant de sang? Arius a
l’honneur encore
aujourd’hui de passer pour avoir inventé son
opinion, comme Calvin passe pour
être fondateur du calvinisme. La vanité
d’être chef de secte est la seconde de
toutes les vanités de ce monde; car celle des
conquérants est, dit-on, la
première. Cependant, ni Calvin ni Arius n’ont
certainement pas la triste gloire
de l’invention.
On se
querellait depuis
longtemps sur la Trinité, lorsque Arius se mêla de
la querelle dans la
disputeuse ville d’Alexandrie. où Euclide
n’avait pu parvenir à rendre les
esprits tranquilles et justes. Il n’y eut jamais de peuple
plus frivole que les
Alexandrins; les Parisiens mêmes n’en approchent
pas. Il fallait bien
qu’on
disputât déjà vivement sur la
Trinité, puisque le patriarche auteur de la Chronique
d’Alexandrie, conservée à
Oxford, assure qu’il y avait deux mille prêtres
qui soutenaient le parti qu’Arius embrassa. Mettons ici,
pour la
commodité du lecteur, ce qu’on dit
d’Arius dans un petit livre qu’on peut
n’avoir pas sous la main. " Voici
une
question incompréhensible qui a exercé depuis
plus de seize cents ans la
curiosité, la subtilité sophistique,
l’aigreur, l’esprit de cabale, la fureur
de dominer, la rage de persécuter, le fanatisme aveugle et
sanguinaire, la
crédulité barbare, et qui a produit plus
d’horreurs que l’ambition des princes,
qui pourtant en a produit beaucoup. Jésus est-il Verbe?
S’il est Verbe, est-il
émané de Dieu dans le temps ou avant le temps?
s’il est émané de Dieu, est-il
coéternel et consubstantiel avec lui, ou est-il
d’une substance semblable?
est-il distinct de lui, ou ne l’est-il pas? est-il fait, ou
engendré? Peut-il
engendrer à son tour? a-t-il la paternité ou la
vertu productive sans
paternité? Le Saint-Esprit est-il fait ou
engendré, ou produit, ou procédant du
Père, ou procédant du Fils, ou
procédant de tous les deux? Peut-il engendrer,
peut-il produire? son hypostase est-elle consubstantielle avec
l’hypostase du
Père et du Fils? et comment, ayant
précisément la même nature, la
même essence
que le Père et le Fils, peut-il ne pas faire les
mêmes choses que ces deux
personnes qui sont lui-même? « Ces
questions si
au-dessus de la raison avaient certainement besoin
d’être décidées par une
Église infaillible. « On
sophistiquait, on
ergotait, on haïssait, on s’excommuniait chez les
chrétiens pour quelques-uns
de ces dogmes inaccessibles à l’esprit humain,
avant les temps d’Arius et
d’Athanase. Les Grecs égyptiens étaient
d’habiles gens, ils coupaient un cheveu
en quatre: mais cette fois-ci ils ne le coupèrent
qu’en trois. Alexandros,
évêque d’Alexandrie, s’avise
de prêcher que Dieu étant
nécessairement
individuel, simple, dune monade dans toute la rigueur du mot, cette
monade est
trine. Le
prêtre Arious, que
nous nommons Arius, est tout scandalisé de la monade
d’Alexandros; il explique
la chose différemment; il ergote en partie comme le
prêtre Sabellious, qui
avait ergoté comme le Phrygien Praxeas, grand ergoteur.
Alexandros assemble
vite un petit concile de gens de son opinion, et excommunie son
prêtre.
Eusébios, évêque de
Nicomédie, prend le parti d’Arious:
voilà toute l’Église en
feu. «
L’empereur Constantin
était un scélérat, je
l’avoue, un parricide qui avait étouffé
sa femme dans un
bain, égorgé son fils, assassiné son
beau-père, son beau-frère et son neveu, je
ne le nie pas; un homme bouffi d’orgueil, et
plongé dans les plaisirs, je
l’accorde; un détestable tyran, ainsi que ses
enfants, transeat: mais il
avait du bon sens. On ne parvient point à
l’empire, on ne subjugue pas tous ses
rivaux sans avoir raisonné juste. «
Quand il vit la guerre civile des cervelles
scolastiques allumée, il envoya le
célèbre évêque Ozius avec
des lettres
déhortatoires aux deux parties belligérantes(7). « Vous
êtes de grands fous, leur dit-il expressément dans
sa lettre, de vous quereller
pour des choses que vous n’entendez pas. Il est indigne de la
gravité de vos
ministères de faire tant de bruit sur un sujet si mince.
» Constantin
n’entendait
pas par mince sujet ce qui regarde la
Divinité, mais la manière
incompréhensible dont on s’efforçait
d’expliquer la nature de la Divinité. Le
patriarche arabe qui a écrit l’Histoire
de l’Église d’Alexandrie fait
parler à peu près ainsi Ozius en
présentant la lettre de l’empereur: « Mes
frères, le
christianisme commence à peine à jouir de la
paix, et vous allez le plonger
dans une discorde éternelle. L’empereur
n’a que trop raison de vous dire que
vous vous querellez pour un sujet fort mince. Certainement
si l’objet de
la dispute était essentiel, Jésus-Christ, que
nous reconnaissons tous pour
notre législateur, en aurait parlé; Dieu
n’aurait pas envoyé son fils sur la
terre pour ne nous pas apprendre notre catéchisme. Tout ce
qu’il ne nous a pas
dit expressément est l’ouvrage des hommes, et
l’erreur est leur partage. Jésus
vous a commandé de vous aimer, et vous commencez par lui
désobéir en vous
haïssant, en excitant la discorde dans l’empire.
L’orgueil seul fait naître les
disputes, et Jésus votre maître vous a
ordonné d’être humbles. Personne de vous
ne peut savoir si Jésus est fait, ou engendré. Et
que vous importe sa nature,
pourvu que la vôtre soit d’être justes et
raisonnables? Qu’a de commun une
vaine science de mots avec la morale qui doit conduire vos actions?
Vous
chargez la doctrine de mystères, vous qui
n’êtes faits que pour affermir la
religion par la vertu. Voulez-vous que la religion
chrétienne ne soit qu’un
amas de sophismes? est-ce pour cela que le Christ est venu? Cessez de
disputer;
adorez, édifiez, humiliez-vous, nourrissez les pauvres,
apaisez les querelles
des familles au lieu de scandaliser l’empire entier par vos
discordes. »
«
Ozius parlait à des
opiniâtres. On assembla un concile de Nicée, et il
y eut une guerre civile
spirituelle dans l’empire romain. Cette guerre en amena
d’autres, et de siècle
en siècle on s’est persécuté
mutuellement jusqu’à nos jours. » Ce
qu’il y eut de triste, c’est que la
persécution
commença dés que le concile fut
terminé; mais lorsque Constantin en avait fait
l’ouverture, il ne savait encore quel parti prendre, ni sur
qui il ferait
tomber la persécution. Il n’était point
chrétien(8), quoiqu’il
fût à la tête des chrétiens;
le baptême seul constituait alors le
christianisme, et il n’était point
baptisé; il venait même de faire rebâtir
à
Rome le temple de la Concorde. Il lui était sans doute fort
indifférent
qu’Alexandre d’Alexandrie, ou Eusèbe de
Nicomédie, et le prêtre Arius, eussent
raison ou tort; il est assez évident, par la lettre
ci-dessus rapportée, qu’il
avait un profond mépris pour cette dispute. Mais il arriva
ce qu’on
voit, et ce qu’on verra à jamais dans toutes les
cours. Les ennemis de ceux
qu’on nomma depuis ariens accusèrent
Eusèbe de Nicomédie d’avoir pris
autrefois
le parti de Licinius contre l’empereur. «
J’en ai des preuves, dit Constantin
dans sa lettre à l’Église de
Nicomédie, par les prêtres et les diacres de sa
suite que j’ai pris, etc. » Ainsi donc,
dès le
premier grand concile, l’intrigue, la cabale, la
persécution, sont établies
avec le dogme, sans pouvoir en affaiblir la sainteté.
Constantin donna les
chapelles de ceux qui ne croyaient pas la consubstantialité
à ceux qui la
croyaient, confisqua les biens des dissidents à son profit,
et se servit de son
pouvoir despotique pour exiler Arius et ses partisans, qui alors
n’étaient pas
les plus forts. On a dit même que de son autorité
privée il condamna à mort
quiconque ne brûlerait pas les ouvrages d’Arius:
mais ce fait n’est pas vrai.
Constantin, tout prodigue qu’il était du sang des
hommes, ne poussa pas la
cruauté jusqu’à cet excès de
démence absurde, de faire assassiner par ses
bourreaux celui qui garderait un livre hérétique,
pendant qu’il laissait vivre
l’hérésiarque. Tout change
bientôt à la
cour; plusieurs évêques inconsubstantiels, des
eunuques. des femmes, parlèrent
pour Arius, et obtinrent la révocation de la lettre de
cachet. C’est ce que
nous avons vu arriver plusieurs fois dans nos cours modernes en
pareille
occasion. Le
célèbre Eusèbe,
évêque de Césarée, connu par
ses ouvrages, qui ne sont pas écrits avec un grand
discernement, accusait fortement Eustache, évêque
d’Antioche, d’être sabellien;
et Eustache accusait Eusèbe d’être
arien. On assembla un concile à Antioche;
Eusèbe gagna sa cause; on déposa Eustache; on
offrit le siège d’Antioche à
Eusèbe, qui n’en voulut point; les deux partis
s’armèrent l’un contre
l’autre;
ce fut le prélude des guerres de controverse. Constantin qui
avait exilé Arius
pour ne pas croire le Fils consubstantiel, exila Eusèbe pour
le croire: de
telles révolutions sont communes. Saint Athanase
était
alors évêque d’Alexandrie; il ne voulut
point recevoir dans la ville Arius, que
l’empereur y avait envoyé. disant
qu’Arius était excommunié;
qu’un excommunié
ne devait plus avoir ni maison, ni patrie; qu’il ne pouvait
ni manger, ni
coucher nulle part et qu’il vaut mieux obéir
à Dieu qu’aux hommes. Aussitôt
nouveau concile à Tyr, et nouvelles lettres de cachet.
Athanase est déposé par
les Pères de Tyr, et exilé à
Trèves par l’empereur. Ainsi Arius et Athanase,
son plus grand ennemi, sont condamnés tour à tour
par un homme qui n’était pas
encore chrétien.
Les deux
factions
employèrent également l’artifice, la
fraude, la calomnie, selon l’ancien et
l’éternel usage. Constantin les laissa disputer et
cabaler; il avait d’autres
occupations. Ce fut dans ce temps-là que ce bon
prince fit assassiner
son fils, sa femme, et son neveu le jeune Licinius,
l’espérance de l’empire,
qui n’avait pas encore douze ans. Le parti
d’Arius fut
toujours victorieux sous Constantin. Le parti opposé
n’a pas rougi d’écrire
qu’un jour saint Macaire, l’un des plus ardents
sectateurs d’Athanase, sachant
qu’Arius s’acheminait pour entrer dans la
cathédrale de Constantinople, suivi
de plusieurs de ses confrères, pria Dieu si ardemment de
confondre cet
hérésiarque, que Dieu ne put résister
à la prière de Macaire; que sur-le-champ
tous les boyaux d’Arius lui sortirent par le fondement, ce
qui est impossible;
mais enfin Arius mourut.
Constantin le
suivit une
année après, en 337 de l’ère
vulgaire. On prétend qu’il mourut de la
lèpre.
L’empereur Julien, dans ses Césars, dit
que le baptême que reçut cet
empereur quelques heures avant sa mort ne guérit personne de
cette maladie. Comme ses
enfants
régnèrent après lui, la flatterie des
peuples romains, devenus esclaves depuis
longtemps, fut portée à un tel excès
que ceux de l’ancienne religion en firent
un dieu, et ceux de la nouvelle en firent un saint. On
célébra longtemps sa
fête avec celle de sa mère. Après
sa mort, les
troubles occasionnés par le seul mot consubstantiel
agitèrent l’empire
avec violence. Constance, fils et successeur de Constantin, imita
toutes les
cruautés de son père, et tint des conciles comme
lui; ces conciles
s’anathématisèrent
réciproquement. Athanase courut l’Europe et
l’Asie pour
soutenir son parti. Les eusébiens
l’accablèrent. Les exils, les prisons, les
tumultes, les meurtres, les assassinats, signalèrent la fin
du règne de
Constance. L’empereur Julien, fatal ennemi de
l’Église, fit ce qu’il put pour
rendre la paix à l’Église, et
n’en put venir à bout. Jovien, et après
lui
Valentinien, donnèrent une liberté
entière de conscience: mais les deux partis
ne la prirent que pour une liberté d’exercer leur
haine et leur fureur.
Théodose
se déclara pour
le concile de Nicée: mais l’impératrice
Justine, qui régnait en Italie, en
Illyrie, en Afrique. comme tutrice du jeune Valentinien, proscrivit le
grand
concile de Nicée; et bientôt les Goths, les
Vandales, les Bourguignons, qui se
répandirent dans tant de provinces, y trouvant
l’arianisme établi,
l’embrassèrent pour gouverner les peuples conquis
par la propre religion de ces
peuples mêmes.
Mais la foi
nicéenne
ayant été reçue chez les Gaulois,
Clovis, leur vainqueur, suivit leur communion
par la même raison que les autres barbares avaient
professé la foi arienne. Le grand
Théodoric, en
Italie, entretint la paix entre les deux partis; et enfin, la formule
nicéenne
prévalut dans l’Occident et dans
l’Orient.
L’arianisme
reparut vers
le milieu du xvie siècle,
à la faveur de toutes les disputes de
religion qui partageaient alors l’Europe: mais il reparut
armé d’une force
nouvelle et d’une plus grande
incrédulité. Quarante gentilshommes de Vicence
formèrent une académie, dans laquelle on
n’établit que les seuls dogmes qui
parurent nécessaires pour être
chrétien. Jésus fut reconnu pour Verbe, pour
sauveur, et pour juge, mais on nia sa divinité, sa
consubstantialité, et
jusqu’à la Trinité. Les principaux
de ces
dogmatiseurs furent Lélius Socin, Ochin, Parota, Gentilis.
Servet se joignit à
eux. On connaît sa malheureuse dispute avec Calvin; ils
eurent quelque temps
ensemble un commerce d’injures par lettres. Servet fut assez
imprudent pour
passer par Genève, dans un voyage qu’il faisait en
Allemagne. Calvin fut assez
lâche pour le faire arrêter, et assez barbare pour
le faire condamner à être
brûlé à petit feu,
c’est-à-dire au même supplice auquel
Calvin avait à peine
échappé en France. Presque tous les
théologiens d’alors étaient tour
à tour
persécuteurs ou persécutés, bourreaux
ou victimes. Le
même Calvin sollicita
dans Genève la mort de Gentilis. Il trouva cinq avocats qui
signèrent que
Gentilis méritait de mourir dans les flammes. De telles
horreurs sont dignes de
cet abominable siècle. Gentilis fut mis en prison et allait
être brûlé comme
Servet: mais il fut plus avisé que cet Espagnol; il se
rétracta, donna les
louanges les plus ridicules à Calvin, et fut
sauvé. Mais son malheur voulut
ensuite que n’ayant pas assez ménagé un
bailli du canton de Berne, il fut
arrêté comme arien. Des témoins
déposèrent qu’il avait dit que les mots
de trinité, d’essence,
d’hypostase, ne se
trouvaient pas dans
l’Écriture
sainte; et sur cette déposition, les juges, qui ne savaient
pas plus que lui ce
que c’est qu’une hypostase, le
condamnèrent, sans raisonner, à perdre la
tête. Faustus Socin,
neveu de
Lélius Socin, et ses compagnons, furent plus heureux en
Allemagne; ils
pénétrèrent en Silésie et
en Pologne, ils y fondèrent des Églises; ils
écrivirent, ils prêchèrent, ils
réussirent: mais à la longue, comme leur
religion était dépouillée de presque
tous les mystères, et plutôt une secte
philosophique paisible qu’une secte militante, ils furent
abandonnés; les
jésuites, qui avaient plus de crédit
qu’eux, les poursuivirent et les
dispersèrent.
Ce qui reste de
cette
secte en Pologne, en Allemagne, en Hollande, se tient caché
et tranquille. La
secte a reparu en Angleterre avec plus de force et
d’éclat. Le grand Newton et
Locke l’embrassèrent; Samuel Clarke
célèbre curé de Saint-James, auteur
d’un si
bon livre sur l’existence de Dieu, se déclara
hautement arien; et ses disciples
sont très nombreux. Il n’allait jamais
à sa paroisse le jour qu’on y récitait
le symbole de saint Athanase. On pourra voir dans
le cours de cet
ouvrage les subtilités que tous ces opiniâtres,
plus philosophes que chrétiens,
opposent à la pureté de la foi catholique. Quoiqu’il y eût un grand troupeau d’ariens à Londres parmi les théologiens les grandes vérités mathématiques découvertes par Newton, et la sagesse métaphysique de Locke, ont plus occupé les esprits. Les disputes sur la consubstantialité ont paru très fades aux philosophes. Il est arrivé à Newton en Angleterre la même chose qu’à Corneille en France; on oublia Pertharite, Théodore, et son recueil de vers; on ne pensa qu’à Cinna. Newton fut regardé comme l’interprète de Dieu dans le calcul des fluxions, dans les lois de la gravitation, dans la nature de la lumière. Il fut porté à sa mort par les pairs et le chancelier du royaume près des tombeaux des rois, et plus révéré qu’eux. Servet, qui découvrit, dit-on, la circulation du sang, avait été brûlé à petit feu dans une petite ville des Allobroges, maîtrisée par un théologien de Picardie. Par VOLTAIRE |
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