Comme les galets sur la plage…
L'idée
de cette planche est née d'une conversation avec notre F\
Lucien il y a déjà
quelques années.
Nous
cherchions tous les deux à mieux comprendre ce
qu'était l'approche maçonn\.,
plus précisément à voir comment
s'engage I'initiation. Et nous étions tombés
d'accord
pour dire qu'il s'agissait d'abord de frotter nos cervelles les unes
aux autres comme
les galets se frottent les uns aux autres sur la plage.
De
là est sorti, longtemps après, le
récit parfaitement imaginaire de cette
planche, une
planche très courte.
Etretat
est une plage du pays de Caux, que certains d'entre vous doivent
connaître,
une plage si mystérieuse qu'elle a donné lieu a
d'étranges romans, pleins de
secrets
tels que ceux de Gaston Leroux au début du 20ème
siècle
et qui connaissent toujours
un grand succès.
On
sait que si l'on applique à son oreille un coquillage - nous
I'avons tous fait
dans notre
enfance - on croit entendre la rumeur de l'Océan. Ce que
I'on
sait moins, c'est
que I'on
perçoit aussi très bien la voix des galets qui
couvrent les plages, à Etretat
en particulier.
Alors,
comment ne pas imaginer que ces galets ont une vie qui leur est propre
et que
nous ne savons pas reconnaître tant nous sommes
abusés par la force des bruits
qui
submergent nos existences profanes.
Et
la première leçon de cet
émerveillement, c'est bien qu'il faut rompre avec ce
monde
de bruits et d'égarement si nous voulons retrouver la voix
mystérieuse et
secrète de
ces galets.
Que
disent-ils?
Chercher
à le savoir est bien sur ce qu'il y a d'essentiel pour celui
qui séjourne au bord
de la mer, non comme un touriste ignorant, mais avec la
curiosité d'un esprit
en quête
de connaissance.
Il
y découvrira une légende et au besoin il
l'inventera lui-même.
Parmi
ces voix, celle d'un galet bien oblongue et bien arrondi m'a
touché
plus que les
autres comme si je ressentais avec lui des affinités, sans
lesquelles
communiquer risque
bien de n'être qu'un leurre.
Ce
galet racontait a qui voulait I'écouter dans Ie creux de
I'oreille,
I'expérience qu'il
avait connue depuis son origine singulière.
Il
était né le jour ou un bloc de calcaire
s'était
détaché de la falaise de
l'Orient, du côté
de la Falaise d'Amont comme on l'appelle, suivant une genèse
propre, bien sur, aux
galets de la côte normande.
En
touchant le sol, le bloc avait éclaté et les
morceaux
s'étaient éparpillés au
hasard
en se mêlant a des galets anciens - des galets
déjà établis - une chute verticale
dans
la vie du Monde.
Ainsi
avait commencé I'histoire d'une Pierre exposée
à
tous les vents, à tous les
chocs,
exposée tout simplement à I'aventure d'une Pierre
brute perdue dans sa
solitude.
Et
elle se sentit d'abord vilain petit canard parmi tous ces galets
alentour, parfaitement
polis.
Tout
s'était passé si vite et si brusquement.
Elle
avait d'abord connu un choc impressionnant avec la Terre, de nuit,
après s'être
détachée de la Falaise. Une tempête
agitait alors la Manche et l'Eau l'avait
recouverte
par vagues successives. Et puis au matin, le Soleil, comme une boule de
Feu
avait ramené le calme en même temps que la
lumière et l'avait apaisée dans un
éveil
qui lui sembla sa véritable naissance.
Cependant,
blottie dans son trou et dans son silence, la Pierre brute se comparait
à
ses voisins et se demandait comment elle pourrait un jour
accéder à cette
maturité des formes
qu'elle contemplait autour d'elle.
Pour
l'instant, tous ces galets lui semblaient se mêler
mécaniquement, dans la plus
grande
confusion, sous l'effet de forces extérieures et la petite
Pierre brute, tout a
son apprentissage,
comprit qu'il lui manquait de comprendre faute de connaître
et pressentit qu'il
lui faudrait beaucoup travailler, beaucoup se frotter pour assumer un
jour
cette contrainte
naturelle.
Et
elle pourrait ce jour là passer de sa solitude à
une
identité partagée,
fraternelle.
Elle
en était encore loin.
Elle
se consolait en observant que d'autre pierre brutes gisaient
à côté
d'elle, qui l'avaient
accompagnée dans sa chute et qu'elles devaient, elles aussi,
se mettre a I'ouvrage.
Mais
par ou commencer?
Fallait-il
forcer le mouvement au risque de s'égarer?
Fallait-il
solliciter ses voisins qui, manifestement la laissaient se
débrouiller en affirmant
a leur manière que c'est par soi-même que l'on
apprend et que l'écoute passive
d'un enseignement n'apporte que des illusions.
Et
puis, quel enseignement pourrait arrondir les angles d'une pierre
déchiquetée?
Il
fallait se frotter, s'user, se faire au contact des autres et passer
par
I'expérience que les
anciens avaient connue - reprendre et utiliser les outils de la
Tradition.
Rude
expérience qui commençait dans le climat tonique
de cette plage tournée vers le
septentrion,
éclairée et chauffée par l'effet de la
lumière sur les falaises.
Et
c'est ainsi que la petite Pierre brute fut saisie, fut parcourue par le
désir
d'être un
galet, ayant soudain l'intuition qu'une parole bien pesée et
bien curieuse
devait compléter
son silence et la mettre en rapport avec les plus anciens galets.
La
Pierre brute se mit au travail, prit confiance en elle et
libéra d'abord son
imagination.
Mais
elle comprit avec le temps que l'imagination ne suffisait pas pour
donner sens
à sa quête, qu'il y fallait aussi une intelligence
qui nourrisse de sens ce
qu'elle imaginait
-
sans doute l'intelligence du cœur,
qui n'est plus seulement de raison,
d'autant plus
qu'on s'approchait de l'Automne, qui demande une plus grande
solidarité.
Et
sans qu'elle s'en rendît vraiment compte, toutes ses pointes
aigues, déchiquetées
disparaissaient, ses arrêtes s'émoussaient et la
Pierre brute se polissait, prenait
une forme plus conforme à sa vocation naturelle. Les galets
de la plage lui prêtaient
maintenant une écoute plus attentive, le partage gagnait,
une union invisible s'esquissait
qu'elle ressentit comme un encouragement fraternel.
Sa
joie fut d'autant plus grande qu'elle comprit que de
connaître mieux les autres
l'aidait
à mieux se connaître elle-même.
Pour
l'hiver prochain, elle serait un galet et elle serait du monde
à sa place.
Ce
qui frappait le plus dans sa métamorphose, dans les passages
successifs qui avaient
élevé la petite Pierre brute jusqu'à
être un Galet, c'était à coup
sûr la Foi
qu'elle avait
montré dans son cheminement et qui avait
prolongé, qui avait approfondi la
confiance
qu'elle avait d'abord acquise pour elle-même.
Ce
qui frappait aussi, c'était l'Espérance dont son
coeur était pénétré, quels
que soient
les Vents, les Tempêtes, la Force des Marées ou
plus simplement le voisinage de certains
galets.
Il
lui était arrivé de douter comme il convient,
mais la petite Pierre brute avait toujours
retrouvé en elle la force d'aller au - delà du
doute dans le silence de son face
à face
avec elle-même - une force qui lui avait permis de travailler
et de rejoindre
les autres galets,
la force d'être aujourd'hui un Galet fort et beau, un vrai
galet de collection,
mais un
peu jeune encore pour être sage comme pouvaient
l'être les Anciens, les très
Anciens
qu'il observait.
Trois
jours avant Pâques - le jour du Vendredi Saint - un
événement naturel
bouleversa
Etretat.
Après
une nuit de tempête, une Tempête de Fin du Monde,
on s'aperçut au matin qu'il
n'y avait plus un seul galet sur la Plage.
La
nouvelle fut longue à se répandre, sans doute
parce qu'elle parut d'abord incroyable.
Et puis, à partir de midi, on vit la foule affluer jusqu'au
milieu de la nuit.
La
tristesse fut grande qui envahit la région et beaucoup
dormirent mal cette nuit là.
Mais
où retrouver les galets disparus?
Le
mystère était entier, comme si l'Esprit avait
abandonné la Plage.
La
Presse nationale en fit le lendemain de gros titres, le jour
même où les galets
furent
de retour sur la plage.
Que
s'était-il donc passé?
Certains
y virent un miracle - une façon symbolique d'être
en accord avec ces jours
de fête.
Les
commentaires, les spéculations allèrent bon train.
On
finit par expliquer qu'un coup de mer plus violent que d'habitude, un
vrai raz de
marée avait balayé la plage et
entraîné les galets au large, en les
précipitant
dans des
profondeurs nocturnes.
Et
puis, un autre raz de marée avait, en sens contraire,
reconduit les galets sur
la plage,
qui avaient donc subi les agressions aveugles de la Nature.
Tout
frais émoulu de cette tourmente, notre petit Galet
était sorti de l'épreuve
tout saisi
par une intense émotion, mais peu à peu il se
sentit fortifié par cette épreuve
et eut conscience
de son devoir d'être plus fort pour se libérer des
forces aveugles.
Et
soudain, élevant son regard, il contempla l'Univers et se
rendit compte qu'il
ne l'avait
jamais regardé, jamais observé comme il le
faisait en cet instant.
Il
découvrait l'Univers avec des yeux d'Apprenti.
Mes
Frères, il est temps, je pense, de s'élever au
dessus de ce conte, de le transcender
et de retrouver notre rituel d'ouverture au 1er degré -
autrement dit, de voir comment
le symbolisme du REAA nous intègre chaque fois dans la
vérité première de
l'Univers,
du Temps et de l'Espace et comment ce symbolisme nous
prépare à accéder
à
d'autres connaissances.
Et
c'est bien ce que se préparait à
découvrir patiemment notre petit galet dans
une
aventure qui se construirait peu à peu - dans une plage
posée comme un Carré
long entre
l'Orient et l'Occident, le Septentrion et le Midi.
Mais
aussi sous cette voûte céleste qu'il contemple du
plus profond au plus haut et
qui l'invite à s'élever.
En
même temps, un monde fermé, mystérieux,
à l'intérieur duquel le Galet perçoit
que
rien n'est connu qui ne vienne de l'intérieur - de
l'intérieur de lui-même.
Il
découvre tout simplement que l'Univers est un Temple avec le
Soleil, la Lune,
la Voûte
étoilée comme celui où nous nous
tenons en cet instant.
Et
l'essentiel avec une émotion maîtrisée
venue de tout son être, c'est de
ressentir
qu'il est de cet Univers et qu'il commence le cheminement vers une connaissance
nouvelle en quête de Spiritualité- mes
FF\
l'ascèse maç\
est une longue
patience.
J'ai
dit V\M\
Philippe
Dabeaux
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