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Les Echecs « Roi des jeux et jeu des Rois, disait PYRAME, les échecs portent en eux un sentiment d’infini. Ils donnent à celui qui s’est efforcé d’en approfondir les arcanes l’impression de n’être pas à la mesure de l’homme : en fait, ils constituent un résumé de l’Univers, un microcosme, et figurent cette grande échelle qui dans des plans de la Lumière descend jusqu’en la matière, qui des abîmes insondables remonte jusqu’en l’infini de Dieu. » C’est un jeu initiatique, symbolique et
sacré. Lors de mon Initiation, lorsque j’ai reçu la Lumière et que je baissai ensuite les yeux pour me la mieux conserver dans le coeur, je vis le pavé mosaïque et j’ai pensé, fugitivement certes, à l’échiquier dont la perspective dans le Temple m’a parue infinie. Et puis, un jour, avant de commencer une partie, je fus frappée par une évidence. L’échiquier devenait une superficie sacrée, le ciel où se meuvent les étoiles. J’étais initiée depuis peu, et pour un maçon, une partie d’échecs se transforme en voyage initiatique. Il existe en effet une grande similitude entre une Tenue
maçonnique et le déplacement des
pièces, officiers ou pions sur
l’échiquier. Cela m’a donné
le goût d’approfondir cet extraordinaire
symbolisme. En ce qui concerne le matériel, la pièce principale est l’échiquier qui est la géométrie du jeu, puis les pièces qui se rapportent à l’équilibre des deux principes contraires du monde, le blanc et le noir, le bien et le mal, le jour et la nuit, la vie et la mort. La manière de jouer tient de la stratégie, ce qui implique que tout comme au sein de notre vieille Confrérie, géométrie, pensée et action se retrouvent dans la complexité de ce jeu dont les pièces, comme l’échiquier, sont traditionnellement en noir et blanc. Ensuite, les diagonales des quatre fous tracées dans l’espace dessinent l’équerre et le compas entrecroisés. Les quatre cavaliers, symbole important de l’Apocalypse selon St. Jean (je rappelle que nous sommes des Loges johannites) font mouvement en équerre sur trois cases qui donnent le Gamma majuscule ou l’équerre que portent nos VM… Quant aux quatre tours, elles se déplacent en ligne droite, verticale ou horizontale. Les pièces que je viens d’énumérer symbolisent les officiers. Enfin il y a les seize pions, huit blancs et huit noirs, qui au contraire des autres n’ont d’autre ressource que d’aller de l’avant, sans jamais pouvoir reculer. Au total, 32 pièces évoluent sur l’échiquier. Symboliquement, la Dame et le Roi figurent respectivement la lune et le soleil. Le Roi, placé sur la couleur inverse, symbolise le noir et le blanc, le bien et le mal, le jour et la nuit, le pouvoir, l’idéal absolu, le rêve à atteindre, Dieu peut-être. Pour marquer que nul n’est totalement maître, même dans le cas d’un roi, que tout ici-bas tourne vers la manifestation, que même l’unité doit payer son tribut à la dualité, le Roi est placé sur une case dont la couleur n’est pas la sienne. Roi blanc sur case noire, Roi noir sur case blanche. Restreint aux neuf cases de l’espace royal en puissance, le roi demeure un personnage solaire. Il se déplace dans tous les sens sur les huit cases qui l’entourent, mais jamais plus d’une seule case à la fois. En revanche, la Reine que les joueurs appellent la Dame, est toujours placée au début du jeu sur sa couleur. Elle suit la même marche que le Roi, mais elle a la liberté de la réaliser par des pas de géants, jusqu’aux extrêmes limites du monde plat de l’échiquier, vers l’orient ou l’occident, le midi ou le septentrion. Le Cavalier montant la cavale se déplace en partant d’un pivot imaginaire à travers des sauts typiques, il dessine une roue, le « svastika ». Utilisant le cercle dans un carré, il réalise donc la quadrature du cercle, alors que tours et fous sont réduits à demeurer dans leurs verticales et diagonales. Il existe bien d’autres similitudes, mes SS\, mais il me faudrait des heures pour vous en parler. Pour jouer aux échecs, point n’est
besoin, ou si peu, de matériaux. Il suffit de seize cailloux
blancs, seize noirs, une feuille de papier ou tout simplement
soixante-quatre cases tracées sur le sol. Il y a
là une indépendance presque orgueilleuse
à l’égard du matériau, nous
dirions « des métaux ».
La règle du jeu, définitivement
fixée depuis des siècles, est à la
portée d’un enfant de cinq ans. Je joue aux
échecs depuis mon plus jeune âge, et je
l’ai enseigné à de nombreux gamins, qui
sans nul complexe l’assimilent en une heure. Ils savent, ces
petits, tout comme nos lointains ancêtres, que
l’aire de jeu est une superficie sacrée, en dehors
du temps et de l’espace, en dehors des hommes. L’ésotérisme du jeu des
rois est basé d’un côté sur
la géométrie dans l’espace du jeu, de
l’autre sur les valeurs symboliques des nombres que des
correspondances occultes, vieilles comme le monde, mettent en jeu avec
la générosité qui fut toujours celle
d’une mystique en puissance. Une mystique en puissance ? Oui,
celle du jeu d’échecs. Une mystique trinitaire par
l’échiquier, les pièces et la partie en
soi, et duale par le jeu et les joueurs. Ceci dit, il faut distinguer la symbolique de l’échiquier de celle du jeu proprement dit : pièces et partie. Monde manifesté, l’échiquier a soixante-quatre cases, noires et blanches, symbole de l’unité cosmique, plan du Temple, expression des rythmes cosmiques et image figée de leurs cycles. Pour les occultistes, le nombre 64 figure le symbole de l’unité cosmique dans l’épanouissement de la béatitude car, 8 x 8 n’est pas seulement le carré d’un cube ou le cube au carré, l’histoire nous apprend que c’est le nombre des mulets qui transportèrent les bagages d’Alexandre le Grand lorsqu’il partit à la conquête du monde, c’est également le nombre de la suite officielle des anciens empereurs de Chine mais aussi de ceux du Saint Empire germanique. C’est surtout la somme de la Tétraktys sacrée de Pythagore, soit 6+4 = 10. Ces correspondances sont étranges lorsque l’on sait aujourd’hui en biologie que lors de la fécondation de la femme, l’ovule se divise en 64 cellules. Lignes verticales, horizontales et diagonales à travers lesquelles les Pythagoriciens retrouvent aisément le nombre d’or ou la Divine Proportion, soit (1 +Ö5) sur 2 = F (Phi) soit 1,618). En outre, les trente-deux cases blanches et les trente-deux cases noires de l’échiquier, ainsi que les trente-deux pièces du jeu, se recoupent avec les trente-deux signes de la Kabbale qui sont les dix Séphiroths et les vingt-deux lettres hébraïques. Analogie ou coïncidence, qui peut savoir... Ce jeu fut toujours interprété à travers le symbolisme conjoint des actes d’intelligence et des professions de rigueur. Certes, les millions de joueurs
d’échecs dispersés sur toute la
planète sont bien loin de constituer une
confrérie d’initiés, sinon un ordre
initiatique quelconque. Mais à chaque partie ils abordent le
monde des initiés. Le jeu ne débute pas par le
franchissement figuré d’une porte ou par une autre
épreuve comparable à une mort à
l’égard du monde profane, mais il y a dans la
pratique des échecs cet autre grand aspect de
l’Initiation qui est LE C’est la perpétuelle métamorphose du néophyte d’hier à l’apprenti d’aujourd’hui, et du compagnon déjà bien exercé vers le maître–éventuel de demain. La métamorphose qui attend le néophyte est comparable à la transmutation alchimique prise au sens symbolique du mot, où vil métal et excellence de l’or représentent le premier contact et la maîtrise du jeu. Dans son livre « Les mystères de la Cathédrale de Chartres », parlant du Graal et de l’Alchimie, Louis Charpentier compare l’échiquier à une table carrée qui est, dit-il, la quadrature du cercle. Elle doit permettre le passage à la conscience des connaissances instinctives. Table d’initiation, table de travail, table des nombres, table des logarithmes, c’est encore la table de Pythagore qui n’est pas uniquement une table de multiplication. L’enjeu de la partie ou de la bataille c’est la victoire de l’esprit pour les blancs, du péché pour les noirs. Selon les règles, l’on joue alternativement avec les blancs et les noirs, ce qui nous ramène à l’éternelle dualité du genre humain, à la fois ange ou démon... Ce sont toujours les blancs qui commencent, avec un léger avantage appelé, suivant le langage échiquéen, « le trait ». A chaque partie, le joueur s’identifie à la couleur des pièces qui lui sont dévolues : tantôt noires, tantôt blanches. Alors commence l’éternel combat entre la lumière et les ténèbres, entre la vie et la mort, combat superbement symbolisé dans le film admirable d’Igmar BERGMAN, « le 7ème Sceau » dont le thème principal est une partie d’échecs qui se déroule entre un chevalier revenant des Croisades, quelque part dans une Europe dévastée par la peste, et une allégorie de la mort, cette faucheuse qui joue avec les noirs. Mais qui est le vainqueur ? Celui qui connaît
le mieux l’essence et la marche du Cosmos... BALZAC, rosicrucien dit-on, écrivait : « Tout ici bas n’existe que par le mouvement et par le nombre : le mouvement étant en quelque sorte le nombre agissant... » En effet, on ne se promène pas dans les nombres par la seule vertu du cerveau, seulement dans les chiffres, pas plus qu’on ne fait de musique en additionnant des notes... Il y faut une initiation au moins instinctive aux lois de l’harmonie, aux lois naturelles. Sinon, l’intellect livré à lui-même s’illusionne sur ses propres réactions et se trouve piégé dans ses illusions, comme le fou ou la tour dans leurs lignes. Réaliser la quadrature du cercle, mes SS\, c’est transformer l’initiation instinctive en initiation consciente, raisonnée, active... Il faut enfourcher la cavale, c’est-à-dire la Kabbale, la Connaissance. Pierre Mac Orlan disait : « Il y a plus d’aventures sur un échiquier que sur toutes les mers du monde... ». Comme tout début d’histoire, les
origines du jeu d’échecs plongent loin dans une
légende qui prend ses sources en Inde ancienne, et qui
prétend qu’un certains SISLA, brahmane de son
état, aurait inventé le jeu de toutes
pièces (c’est le cas de le dire) au
5ème siècle de notre ère. Il
l’aurait fait pour offrir aux grands de ce monde un
instrument capable d’aiguiser leur intelligence, tout en les
distrayant. Or donc, l’inventeur proposa son jeu à
son souverain en précisant un prix apparemment plus que
modique, mais en fait...impayable. En effet, l’inventeur
désirait se faire payer en nature, et réclama un
grain de blé sur la première des soixante-quatre
cases de l’échiquier, deux grains sur la
deuxième, quatre sur la troisième, seize sur la
4ème, 256 sur la cinquième, 65.536 sur la
6ème, 4.294.967.296 sur la 7ème et ainsi de
suite, multipliant à chaque case le nombre par
lui-même jusqu’à la
soixante-quatrième... Ignare et imprudent, content de
s’assurer le jeu à si bon compte, le roi ordonna
qu’on donnât ces quelques grains au pauvre
solliciteur. Heureusement, le grand argentier de son royaume cassa
à temps le marché, car il eut
été impossible de le respecter. Le compte du
brahmane s’élevait à plus de
blé que l’on en produisait alors dans le monde. Quant à l’histoire des échecs, elle est celle de l’humanité. Pour les anciens, ce n’était pas un jeu profane. Les Egyptiens ont souvent affirmé qu’ils connaissaient la loi du Nombre, et qu’ils en avaient fait application dans le sacré et dans le profane des jeux. Datant des Hyksos, on a retrouvé un papyrus représentant Ramsès III sous la forme d’un lion jouant aux échecs avec une gazelle. L’on sait aussi qu’avant de mourir, un Egyptien de la haute époque jouait une partie d’échecs qui symbolisait le dernier dialogue entre le corps et l’esprit qui va quitter le corps. Au Turkménistan, les Russes ont découvert une série de pièces d’échecs datant du néolithique. Mais l’ancêtre direct du jeu actuel paraît en Inde vers le milieu du 5ème siècle de notre ère. Depuis lors, le nombre de pièces et de cases n’a plus varié. A la suite d’échanges commerciaux et culturels, le CHATURANGA, comme il était appelé alors, sera exporté vers l’est, où il donnera naissance à divers jeux toujours pratiqués en Chine, en Mongolie et au Japon, et vers l’ouest en Perse, où il connaît immédiatement une immense popularité. « Shamat » en perse signifie « Le roi est mort ». C’est à cette époque que se fixe le vocabulaire encore en usage aujourd’hui. Après la conquête de la Perse en 651, les Arabes adoptent le jeu d’échecs et vont lui donner la place prééminente qu’il occupera à notre époque médiévale. La période européenne commence au
Moyen Age. Les invasions arabes et les Croisades ensuite vont
définitivement assurer l’introduction et le
succès des échecs dans toute l’Europe
moyenâgeuse, jusqu’en Islande et en Russie. Car les échecs occupent une place de choix dans la littérature de l’époque, et pour les femmes de l’aristocratie, c’est l’un des rares domaines leur permettant de se poser en égales des hommes. Aliénor d’Aquitaine fut une redoutable joueuse. Cependant, l’Eglise prend ombrage de ce succès, tout comme plus tard elle s’inquiéta de la FM\. Des anathèmes furent lancés par le Pape Alexandre II contre ce jeu qui, disait-il « corrompt la raison et donne des illusions de puissance... ». Heureusement, ces mesures ont peu d’effets et sont bientôt ignorées. Il n’empêche que l’interdiction de s’adonner à ce jeu figure en bonne place dans les commandements militaires et moraux des Templiers. St. Bernard est formel à ce sujet. Ses raisons d’ordre militaire étaient sans doute valables, puisque quelques siècles plus tard Léon Tolstoï fut cassé de son grade lors du siège de Sébastopol pour le motif suivant « abandon de poste pour jouer aux échecs ». Au Moyen Age toujours, malgré sa grande vogue
le jeu ne pénètre que très
difficilement les autres couches sociales, en dehors des grands
bourgeois et des étudiants. En revanche, les Juifs lui font
un accueil enthousiaste, au point qu’il était le
seul jeu autorisé pendant le sabbat. Dès la Renaissance, les règles du jeu sont définitivement fixées et vont suivre l’évolution du courant des idées philosophiques. Le XVIIème siècle voit le jeu entrer dans sa période rationnelle. Rousseau, Diderot, Goethe sont des amateurs passionnés. Voltaire joue par correspondance avec Catherine II de Russie et Frédéric de Prusse. Enfin, au début du 19ème
siècle, le jeu prend une dimension internationale, et le
Tournoi de Londres en 1861 marque le début de
l’ère moderne des échecs, en
même temps que le développement formidable de
l’industrialisation en Occident. Le positivisme philosophique
était entré dans les échecs.
Après 1915, de nouvelles théories
s’opposent point par point au dogmatisme classique.
L’analyse du jeu devient d’une extrême
profondeur et démontre l’importance de
détails qui, passés inaperçus
jusqu’alors, permettent d’organiser à
partir d’eux des plans d’une rigueur scientifique. Il m’arrive de penser, lors des tensions graves qui secouent les blocs de l’Est et de l’Ouest du monde d’aujourd’hui, que des joueurs d’échecs se confrontant avec des joueurs de poker ne peuvent pas se comprendre, tout simplement parce qu’il y a là l’affrontement de deux philosophies fondamentalement différentes, l’une fondée sur le calcul et la réflexion, l’autre sur le bluff, le hasard et les sommes d’argent mises en jeu. De là, peut-être, leur éternelle incompréhension, qui sait ? Se penchant sur les échecs, Montaigne écrivait : « Le jeu des échecs n’est pas assez jeu ; il divertit trop sérieusement. » En effet, d’abord, le silence est de
règle aux échecs. Ensuite, c’est un
chemin qui mène d’un monde où tout est
hasard vers un autre monde, où toute action sort du monde
pour s’inscrire dans la logique des mouvements. Nos vies se croisent, s’imbriquent les unes
dans les autres comme les carrés blancs et noirs de
l’échiquier. Pour nous, la liberté se
conquiert chaque jour, chacune vis-à-vis de
soi-même, puis vis-à-vis des contraintes
imposées par la société. Défendre son roi, c’est défendre son idéal. Essayer d’atteindre l’autre roi, c’est la recherche désespérée de l’Absolu, sans compromission, sans faiblesse et sans relâche. Au fur et à mesure de cette quête de l’inaccessible l’on se dépouille, contraint et forcé, d’une pièce et puis d’une autre, et d’une autre encore, parfois pion, parfois officier. Soudain, on se croit près du but et une joie intense vous envahit, en même temps que la peur de tout perdre en commettant une faute... Et l’on commet toujours des fautes... Pour la Franc-Maçonne que je suis, quel que
soit le côté de l’échiquier
d’où je parte, la marche des pièces va
toujours de l’occident vers l’orient, avec des
incursions au Midi et au Septentrion, avec mille pièges
à surmonter... Une partie d’échecs, mes SS\, c’est la marche symbolique d’un homme qui, vainqueur ou vaincu, traverse sa vie...un échiquier en noir et blanc. J’ai dit V\ M\ J\M\ S\ |
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