GLDF | Loge : Stella Maris - Orient de Marseille | 26/05/2008 |
La
pensée et l'action
Pensée et action. Ces deux
notions s’enchaînent comme une
conséquence l’une de l’autre, mais
est-ce réellement le cas ? J’ai fini
par me convaincre, au fur et à mesure de mon travail, que
ces deux outils mis à
notre disposition, la pensée et l’action,
étaient en réalité plus proche de
l’allégorie d’un attelage
tiré par deux chevaux, l’un nommé
action et l’autre
pensée, que l’initié doit savoir guider
d’une main sure. Cette image rappelle
l’arcane majeur VII du tarot, dénommé
le chariot. Mais entrons dans le vif du sujet. Au niveau symbolique, un
parallèle peut être tenté entre
la situation du nouveau-né après sa naissance et
le profane. Le profane a
tendance à ramener les événements
à sa personne, il est plutôt
égocentrique. Si
le nouveau-né ne maîtrise pas encore ses sens, ce
qui explique qu’il ramène
tout à lui, nous pourrions dire que le profane a
oublié l’utilité de ses sens
en s’enfermant dans sa bulle, pour finir couper des autres,
hermétique à tout
échange. Heureusement, parmi les profanes, certains vont
souhaiter s’ouvrir au
monde des autres, ils vont cesser de faire tourner le monde autour
d’eux, tout
comme le nouveau-né finit par percevoir l’autre
grâce à l’épanouissement de
ses
sens. Ces profanes sont prêts à entamer un chemin
initiatique, ils sont
demandeurs de la lumière, qu’ils trouveront par
des chemins divers et variés,
et pour certains d’entre eux, en entrant en Loge. Ainsi, le
nouvel initié,
enrichi par les différences de l’autre, a saisi
son bâton, et s’est mis en
mouvement sur son chemin, à la rencontre de
lui-même. Notons quand même que le
cheminement du nouveau-né et
celui de l’initié ne sont pas exactement
identiques. Le nouveau-né scinde son
monde en deux : d’un monde unique, il passe à
l’existence d’un moi et d’un
autre. L’initié, comme tout profane,
après avoir pris connaissance qu’il
existait deux mondes, celui du moi et celui de l’autre, avait
d’abord choisi de
se replier sur le territoire de son moi. Mais à la
différence d’un simple
profane, l’initié a compris que pour mieux
explorer son moi, il doit connaître
la vision qu’a l’autre de son moi ;
l’initié décide de s’ouvrir
au territoire
de l’autre, et c’est alors qu’il
découvre le monde dans son ensemble, le moi et
l’autre. La démarche initiatique consiste peut
être, et au moins partiellement,
à établir une harmonie entre le moi et
l’autre. Passé le premier stade de la
différenciation entre le moi
et l’autre, l’expérience guidera notre
développement. Mais quel est le rôle
exact de l’expérience dans notre
développement, et comment la définir ?
Nous verrons que l’expérience fait appel aux deux
outils sujets de ma planche,
la pensée et l’action. Analysons notre situation au quotidien.
Chacune de nos
actions est suivie d’une réaction, ou
d’une absence de réaction. La
répétition
à l’identique de ce schéma pour une
action donnée va nous permettre de
mémoriser des situations types. Par exemple,
s’approcher du feu entraîne
toujours une sensation de brûlure : conclusion, le
feu brûle. Cet exemple
peut paraître caricatural, mais la démonstration
est aussi valable pour des
situations plus complexes de la vie sociale où ce sont les
répétitions de
situations identiques qui vont nourrir notre mémoire,
interagir sur nos
pensées, alimenter notre expérience et influer
sur notre rapport aux autres. La
logique employée est empirique,
elle ne repose que sur la répétition,
l’habitude et la coutume ; cette
forme de logique basique est la clé de nos
pensées. Hume l’avait très justement
souligné : c’est uniquement la coutume
qui nous sert de support pour inférer
nos affirmations. Je traduis en langage clair ce jargon proche de celui
d’un
logicien à ceux de nos Frères qui ne sont pas des
spécialistes : Hume
affirme que toutes nos déductions sont effectuées
à partir d’habitude ou de
coutume : nous avons observé des dizaines de fois
que l’action A est
suivie de l’action B, en conséquence, notre
cerveau traduit cet enchaînement
temporel par une phrase logique, du type si l’action A est
effectuée, alors
l’action B surviendra. Il cite l’exemple du coq qui
chante à chaque fin de
nuit, juste avant que le soleil se lève. Les paysans en
concluent que c’est le
chant du coq qui fait lever le soleil. Cet exemple vous
paraît trivial, et bien
passons maintenant à un niveau disons supérieur,
celui de l’éducation.
L’éducation nous formate en nous apprenant ce qui
est bien et ce qui est mal.
Or, comme le dit Hume, les valeurs inculquées par notre
éducation ne valent que
par des traditions et des habitudes, et leur justification ne vaut
guère mieux
que le raisonnement du paysan affirmant que c’est le chant du
coq qui provoque
le lever du soleil. Nos traditions et nos croyances ne valent que pour
notre
société judéo-chrétienne,
et c’est peut être pour cela que nous avons tant de
mal à admettre les valeurs des autres civilisations. Leurs
coutumes n’étant pas
les nôtres, elles en deviennent méprisables ou
ridicules. Alain enchérit en
affirmant que les pensées mènent tout le monde,
alors que personne ne pense. En
effet, la plupart des hommes rangent leur opinion du
côté du plus grand nombre,
et l’opinion du particulier finit par être celle du
tout, effaçant ainsi toute
originalité. L’expérience de Asch
démontre l’importance
insoupçonnée de ce
phénomène : vous allez vous apercevoir
que l’homme social est soumis à un
conformisme que vous auriez du mal à imaginer. Je vous décris cette
expérience, car elle est assez
édifiante. Chaque
intitulé de question est
projeté sur un écran.
L’expérimentateur a expliqué au cobaye
qu’il répond dans
un premier temps en utilisant un boitier
électronique ; ensuite, au bout
d’une minute de réflexion, chaque membre du groupe
exprimera oralement sa
réponse à chaque question, chacun parlant
à tour de rôle, selon un ordre
déterminé au hasard. Le cobaye a alors la
possibilité de modifier sa réponse en
fonction des réponses des autres personnes du groupe,
s’il s’est rendu compte
qu’il s’est trompé. Evidemment, comme
par hasard, le cobaye se retrouve
toujours le dernier à dévoiler oralement sa
réponse après chaque test, ce qui
lui permet de prendre connaissance des réponses des autres.
Ensuite, tout est
très simple. Imaginez
le test suivant :
parmi trois lignes horizontales, désigner celle qui est la
plus longue. La
réponse est par exemple la ligne du milieu, deux fois plus
grande que les
autres ; dans un premier temps et sans hésiter, le
cobaye valide grâce à
son boitier électronique la réponse qui
correspond à la ligne du
milieu ; or, à sa grande surprise, lorsque chacun
donne sa réponse à voix
haute, tous les membres du groupe, tous des acteurs de
l’expérience, je vous le
rappelle, désignent la ligne du haut comme la bonne
réponse, avec des
commentaires comme « c’est tellement
évident » ou « on se
demande pourquoi on passe des tests aussi simples ».
Et bien, dans une
telle situation, environ deux personnes sur trois changeront
d’opinion et se
rangeront à l’avis du groupe. Par conformisme,
deux personnes sur trois
n’oseront pas affirmer une opinion différente
devant le groupe, et ce à
plusieurs reprises durant l’expérience. Les techniques de manipulation des foules,
comme la
publicité, sont fondées sur les observations
issues de ces expériences de
comportement de groupe. Je ne manquerai pas de vous citer
l’homme qui les a
développées, puis mises en œuvre au
profit d’un gouvernement ou de sociétés
multinationales,
l’américain Edward Bernays, neveu de Sigmund
Freud. Goebbels le considérait
comme un maître à penser, et il
possédait même un portrait de Bernays dans son
bureau. A notre mode de raisonnement empirique
fondé sur les
traditions et influencé par le conformisme, il faut aussi
ajouter une
perception déformée de la
réalité qui nous entoure. Les signaux transmis
par
nos sens sont interprétés par notre cerveau, puis
notre pensée utilise cette
interprétation en la tenant pour vraie. Or,
l’interprétation des sensations
perçues par nos cinq sens est susceptible de nous induire en
erreur, plusieurs
expériences de psychologie l’ont
démontré. Par exemple, il est impossible de
voir plus de trois faces d’un même cube, mais
ça n’empêche pas notre cerveau de
reconstruire le cube à partir des trois faces, faisant ainsi
un pari sur
l’interprétation de l’image
réellement transmise par nos yeux. La plupart
d’entre nous n’a plus conscience de cette
interprétation incessante des
sensations transmises à notre cerveau, et de nombreux tours
d’illusionnistes
reposent sur ce phénomène. Descartes avait certainement raison
lorsqu’il affirmait
que la seule certitude pour démontrer notre existence, et
après avoir écarté
les unes après les autres toutes les sources
d’erreurs possibles, c’était
« je pense donc je suis ».
Associée à une autre de ses pensées,
« là où il y a doute, il y a
raison » nous possédons deux piliers
solides pour participer à la construction de
l’homme nouveau qu’est
l’initié.
Notons, c’est important, que Descartes prônait un
doute raisonné et rationnel,
et qu’il avait écarté la pratique
d’un doute systématique, qu’il jugeait
stérile. Le nouvel initié a fait
l’effort de renaître pour
réapprendre ; le rôle de la Loge est de
lui procurer des sensations dont
l’interprétation ne soit pas faussée.
Notre parcours initiatique semble, en
cela, conforme à une rééducation
sensorielle. L’initiation nous fait passer par
une suite d’épreuves qui avertissent le futur
initié que l’interprétation
qu’il
fait des sensations en provenance du monde extérieur peut
l’égarer. Puis le
miroir désigne au nouvel initié son plus grand
ennemi, c'est-à-dire
lui-même ; le nouvel initié est
d’une certaine façon enjoint à quitter
le
monde du MOI, pour s’ouvrir au monde de l’autre, en
utilisant ses sens mais en
doutant raisonnablement de l’interprétation de ses
sensations. Cette image me
rappelle vivement celle de l’arcane majeur VIIII du tarot. On
y voit un ermite
qui éclaire prudemment le chemin devant lui, en
s’aidant d’une lanterne qu’il
brandit aussi haut que possible dans l’obscurité. La vie en Loge fournit aux
initiés une réalité tangible.
Cette réalité se manifeste au travers
d’un rituel dont les actions sont
répétées inlassablement au cours de
chacune des tenues. L’initié doit
comprendre que l’enchaînement d’actions
inlassablement répétés n’a
pas
forcément valeur de causalité, et encore moins de
vérité. Il entame alors un
chemin difficile, en entrant dans une démarche
d’analyse critique des
raisonnements et des valeurs qu’ils n’avaient
jamais remis en doute, mais qui
reposent pourtant sur des coutumes et des usages imposés par
un conformisme
social puissant. Nous sommes en recherche d’une
harmonie entre la pensée et
l’action, harmonie qui se traduit par la création
parfaite, en équilibre avec
son environnement, et conforme aux souhaits de celui qui en est
à l’origine. Le
GADLU traduit sa pensée et son action par le Verbe, vecteur
puissant de la
création divine. Contrairement aux simples humains que nous
sommes, le GADLU a
connaissance du Tout. L’initié, aussi
avancé soit-il sur son chemin, n’a pas
connaissance du Tout, et son domaine d’action et de
pensée, aussi vaste
soit-il, est donc, par définition, limité. Ne
l’oublions pas, la pensée, même
si elle possède un puissant levier d’influence,
n’est pas capable d’instruire
l’inconnu. La pensée pure, conduite au
cours de la méditation,
participe au bonheur de l’individu en préparant
des actions et donc des
créations harmonieuses ; cette idée est
soutenue par Aristote. Evidemment, opératif et
spéculatif ne sont pas exclusifs
l’un de l’autre, mais plutôt
complémentaires. Le résultat parfait de la
pensée
et de l’action est une œuvre qualifiée
de belle ou peut être plus justement
gracieuse, et qui a demandé sagesse et
force : le grand œuvre par la
voie alchimique, ou le chef d’œuvre par la voie du
compagnonnage initiatique. La capacité de parole est
certainement une des
caractéristiques les plus évidentes de
l’espèce humaine. La pensée de
l’homme
se manifeste par l’action, et les paroles, qui sont le fruit
de l’action des
muscles de nos cordes vocales, sont bien le fruit de pensées
et d’actions.
Parler n’est pas une action comme une autre ; la
parole véhicule nos
pensées et nos sentiments. La parole permet de communiquer
avec l’autre en
parlant du passé, du présent et du devenir. Le
champ d’action de la parole
paraît vaste, c’est celui des mots, et il se
décline sur toute la flèche du
temps. Contrairement aux autres actions, les
paroles sont plus
faciles à mettre en œuvre et de fait, sont moins
soumises à la réflexion qui
précède ou qui devrait
précéder toute action. Je m’explique.
Lorsque le
comportement d’un individu m’irrite, je sais que si
je lui donne un coup de
poing, je m’exposerais à des
représailles physiques qui auront des
conséquences
directes sur mon intégrité physique. Par contre,
une simple phrase
d’avertissement porte moins à
conséquence, car je ne risque la plupart du temps
qu’une réplique sèche en retour, voire,
au pire, quelques insultes. Peut être à
cause d’instincts comportementaux
hérités des temps préhistoriques, je
réfléchirai avant d’agir physiquement
sur quelqu’un ou sur mon environnement
matériel, alors que j’exprimerai avec moins de
retenue des sentiments ou des
impressions, sachant qu’ils n’influeront pas
directement sur mon intégrité
physique ou mon environnement matériel. Je dis
« qui n’influeront pas
directement », car en définitive les
paroles blessent comme les coups,
flattent comme des caresses, ou dressent comme un chien. Les paroles
agissent
sur les représentations mentales de notre MOI, et elles ne
sont jamais sans
conséquences sur l’autre. Continuons à nous concentrer sur
la parole, et abordons
maintenant la notion du champ d’action de la parole. Bien penser, bien dire, bien faire. Finalement, pour répondre
à la question que je m’étais
posé au début de ma planche, oui, c’est
vraiment au-delà des soucis de la vie
matérielle que s’ouvre pour le
Franc-maçon le vaste domaine de la pensée et de
l’action. Mes frères, méditons
pour bien agir. |
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