Obédience : NC Loge : NC 08/2011

Chemin initiatique et devenir...

Initier, comme vous le savez, veut dire « mettre sur le chemin… ». En traitant le sujet « Chemin initiatique et devenir… », je souhaiterais évoquer la question de l’influence de la franc-maçonnerie dans l’évolution de notre société dans les années qui viennent. Car pour autant que nous soyons des hommes qui faisons de la Tradition, notre socle, nous ne pouvons oublier que ce mot a aussi pour origine la transmission. D’année en année, de maçon à maçon, de degré en degré, le temps nous façonne. En quoi façonnons-nous notre environnement, notre vie, bref notre avenir à partir de ce que nous sommes et devenons, nous maçons ? Il s’agit uniquement ici de proposer des axes de réflexion, et ce à partir d’une base, le R.E.A.A et notre vécu de chacun dans nos ateliers. Etant « une alliance universelle d’hommes éclairés, groupés pour travailler en commun au perfectionnement intellectuel et moral de l’humanité » ainsi que le précise le mémento de l’Apprenti, il est clair que nous avons, directement ou indirectement une influence sur ce que notre monde devient. Car ce que nous sommes dit aussi ce que nous faisons. Dès lors, on peut raisonnablement penser que le Chemin initiatique n’aura pas de fin, puisque ceux qui le suivent ne cessent de se succéder en construisant autour d’eux. Ne sommes-nous pas nous-mêmes le passé et déjà la tradition de ce futur qui arrive ?

- I Les Fondations d’un autre Ordre : Ordo ab chao

C’est avec les matériaux du passé que nous construisons l’avenir. Car si des hommes, au XVIIIème siècle – mais même avant, car ce XVIIIème ne fut pas une génération spontanée - ont ressenti la nécessité de se réunir régulièrement, de travailler ensemble et de défendre des valeurs nouvelles, puis de forger une pensée à partir d’une symbolique c’était évidemment soit pour proposer un autre sens au vécu, dû-t-il être limité au temps partagé en tenue, soit pour permettre à certains d’entre eux de jeter les bases d’une autre vie profane reposant notamment sur un autre vision de la vie, de l’homme et de la société. Les textes des Anciens Devoirs jusqu’au Discours de Ramsay, puis du Convent de Lausanne en 1861 en témoignent. Les maçons ont contribué au façonnement du monde d’hier et d’aujourd’hui. Souvenons-nous par exemple de l’influence des maçons dans la naissance des Etats-Unis d’Amérique, l’influence des maçons dans l’abolition de l’esclavage, pendant les guerres mondiales et jusqu’à aujourd’hui dans l’installation du droit à l’interruption volontaire de grossesse.

La diversité des obédiences maçonniques, la diversité des rites pratiqués témoignent d’ailleurs de chemins initiatiques frères concourant au même but: participer de la construction d’un avenir à partir de visions éparses.

Les Obédiences maçonniques ne sont pas les seuls axes de réflexions de nos sociétés. Les Eglises, les partis politiques, les divers mouvements connus ou inconnus ont leur credo, leur méthode et leurs espérances. Nous maçons participons souvent également à ces autres sérails. Nos ateliers sont avant toute chose des laboratoires, ou des enclumes sur lesquels nous forgeons nos consciences, et par-là sans-doute aussi les contours de nos sociétés à venir.

Si nous n’avons pas collectivement de credo, de certitudes, mais une méthode initiatique, un chemin, le REAA nous participons, tenue après tenue à la naissance d’un autre homme à partir du profane: l’initié. Puis d’initié en initié nous travaillons à la naissance d’un frère. Cet initié, ce frère n’est qu’un homme voué à une sorte de pèlerinage perpétuel au fond de lui-même, vers une cité nouvelle dont il sera à la fois le concepteur, le bâtisseur et l’habitant.

Chez nous, l’avenir se choisit et par-là aussi s’auto-détermine et se détermine collectivement. En effet chacun se détermine librement en choisissant un jour de frapper à la porte du temple et de demander la Lumière. Nous accueillons chaque profane dans une réception également libre. Contrairement à ce que beaucoup pensent, notre idéal n’est pas d’exclusion ou d’élitisme, mais de participation, de lente métamorphose, de conservation, puis de construction. Disons que de nos broussailles nous aimons faire des jardins : ordo ab chao. Nous accompagnons le temps, véritable athanor alchimique. Ainsi faisons-nous du passé en puisant nos racines dans notre tradition, du présent en enrichissant nos tenues régulières de nos travaux, et de l’avenir dans l’accueil régulier de nouveaux frères pour l’accomplissement d’hommes nouveaux dans leur idéal. En effet quelque chose ne vaut, dans la durée du temps, que s’il y a transformation et seulement s’il porte témoignage sous de nouvelles figures, ou de nouveaux langages, comme un vin nouveau que l’on met dans de nouvelles outres.

- II Chez nous, d’une certaine manière, le Verbe se fait chair :

Nous somme redevenus des hommes libres, c’est à dire « des hommes morts aux préjugés du vulgaire et nouveaux nés à une vie nouvelle que nous a conféré l’initiation ». Est-ce une simple formule ou une réalité ? C’est en fait à chacun de nous d’en décider et c’est ce qui détermine profondément chacun de nous, individuellement puis collectivement jusque dans la vie profane. Les neuro- physiciens comprennent aujourd'hui combien les intentions et les attentes jouent un rôle fondamental pour façonner et diriger notre expérience consciente.

Si nous sommes des hommes « nouveaux » notre regard et notre vision changent aussi. Nous avons en effet reçu la Lumière. Et c’est sous le faisceau de cette Lumière que nous agirons peu à peu différemment. Dans les Anciens Devoirs on peut trouver par exemple la recommandation suivante : « vous vous montrerez aimants et loyaux l’un envers l’autre ».

L’impact d’une telle attitude, si elle était généralisée par un groupe, pourrait avoir un impact non négligeable à tous les niveaux d’une société. Les textes fondateurs de la franc-maçonnerie, en mettant de côté les influences religieuses de l’époque, établissent clairement une vision plus juste des rapports entre tous. Dans le manuscrit Dumfries (1710), il est écrit : « Ce sont là des devoirs généraux auxquels tout maçon doit se tenir… Il est fortement souhaitable que ceux-ci les conservent soigneusement dans leur cœur, leur désir, et leurs inclinations. En faisant ainsi il se rendront eux-mêmes réputés aux yeux des générations futures ». Sans dire, pour l’heure que nous préfigurons tel type de société plutôt qu’un autre, nous pouvons cependant reconnaître dans nos structures, notre organisation globale, les sujets sur lesquels nous travaillons, que nous participons d’une certaine vision de la vie. Nous y reconnaissons nos choix. L’esprit du Convent de Lausanne témoigne en soi du rejet de tout dogmatisme, d’un esprit qui respecte le libre arbitre de chacun et l’acceptation d’un seul axiome : l’existence d’un Principe Créateur. En cela Lumière, Esprit et Liberté constituent les fondements de notre Rite. Il est difficile d’admettre que des hommes baignant par choix dans l’eau de ce genre d’idées de cherchent pas à en teindre leurs actes quotidiens.

Pour nous le Chemin initiatique est non seulement une vision éclairée globale de la société qui nous laisse augurer petit à petit d’évolutions progressives dans le monde profane, mais c’est aussi une organisation de nos actions et un fonctionnement de notre communauté. En nous abritant ainsi sous la devise « ordo ab chao » nous acceptons le principe certes symbolique d’un ordre dans l’agencement phénoménologique du monde, qui témoigne en partie d’un fonctionnement et d’une organisation. L’ordonnancement de nos tenues, les prises de paroles, les responsabilités des officiers, la répartition de l’espace et du temps selon des colonnes, des points cardinaux, le rôle de la Lumière, nos travaux en eux-mêmes révèlent un parti pris dans la gestion de nos énergies intérieures et extérieures, et d’une volonté de la maîtrise de l’espace et du temps. Pour reprendre une formule de notre frère Yves Litzellmann dans un de ses articles : « la tradition, en soi, est chose vivante puisqu’elle s’élabore à même la vie, elle se transmet en formulations gestuelles ou orales, porteuses de vérité concrète et guides pour l’action ».

Enfin, comme il l’a été maintes fois souligné, je cite Hubert Greven : « Le REAA est le Rite d’un ordre initiatique dont l’unique objet est la transformation de l’homme… ». En effet chemin initiatique, par le truchement du Rite Ecossais Ancien et Accepté a le mérite de faire un autre homme. Cet homme n’est pas changé. Il se change d’année en année, de degré en degré. Qui est et qu’est-ce que cet autre ?

A la manière de Gérald Edelmann qui écrit dans son livre « comment la matière devient conscience » qu’il faut reconnaître leur place aux valeurs dans un monde faits, nous disons notre frère est un homme qui a reçu la Lumière. Cela n’apprend rien en soit à celui qui ne le vit pas, mais cette Lumière est sensée éclairer chacun de nos actes, chacune de nos pensées et donc influence notre vie d’aujourd’hui et celle de l’avenir. L’initié peut ou non s’initier pour lui-même, mais une fois la tenue terminée il se retrouvera inévitablement dans le monde profane pour « achever à l’extérieur l’œuvre commencée dans le temple ». Un homme qui tente d’aller au-delà de ses préjugés ne réfléchit pas à l’avenir de la même manière que celui qui n’en a pas conscience.

Autre évidence : Un homme qui tente d’être équitable, franc, loyal, sincère ne prépare pas le même avenir que celui qui ne l’est pas.

Un homme, qui dans sa relation aux autres essaie de s’inspirer du sentiment d’équité, vise au nivellement des inégalités pour élever sans cesse l’état moral et matériel des individus et de la Société toute entière ne construit pas les mêmes fondations que celui qui négligent ces invitations. En ce sens le choix d’un Chemin initiatique et de sa mise en application dans le quotidien préfigure bien une espérance quant aux capacités positives des hommes à s’entendre, œuvrer en commun à un avenir commun à l’avènement duquel ils se dévouent. Dès lors si chemin initiatique il y a, il est en effet intérieur en chacun de nous, et ainsi il agit en nous dans notre calme intérieur retrouvé ou acquis, dans l’abandon provisoire ou prolongé de notre ego, dans le recul que nous prenons quant aux dimensions souvent médiocres de la vie profane. Par là nous nous redressons en nous pour mieux agir au dehors une fois chaque tenue close.

Il faut oser le dire et c’est tout à l’honneur de ceux qui nous ont précédés, ou de ceux qui sont aujourd’hui franc-maçons, que de travail invisible avons-nous tous fait dans un esprit de tolérance, de partage, de vision fraternelle, de connaissance symbolique ? Quels résultats innombrables et inconnus ont été acquis à ce jour grâce au respect et la mise en œuvre de notre rite. Combien d’entre nous, d’entre vous, sont devenus meilleurs, plus droits, plus fraternels depuis qu’ils sont devenus les ardents et dignes représentants du REAA. Enfin, d’avoir nombreux travaillé à renoncer au vice pour pratiquer la vertu n’a-t-il pas ici et là et au gré des années voire des siècles peu ou prou contribué à rendre nos sociétés difficiles ?

Ainsi que le souligne Patrick-André Chéné dans un N° d’Ordo ab Chao : « Tous ceux qui mettent tout leur cœur à vivre les principes du rite s’illuminent intérieurement et extérieurement par leur réalisation…car ce rite loin de nous contraindre nous fait exister ; l’initié est un nouvel homme qui se réalise dans l’accomplissement de l’ouverture d’esprit que lui donne la pratique du rite » et c’est en ce sens que je fais mienne cette évocation : chez nous, d’une certaine manière, le Verbe se fait chair : en ce sens que nous nous efforçons de mettre en pratique par l’Art Royal, ce que nous évoquons dans notre Rite. Dès lors notre recherche de la Vérité ne peut laisser l’avenir indifférent.

Pour reciter Patrick-André Chéné : « la force de cette voie (la voix initiatique) est son caractère moderne, certes, adaptée à l'homme contemporain, mais ancrée dans ses racines dans nos traditions, notre histoire, c'est histoire de l'humanité gravée en nous, et ayant par ce fait force d'universalité. La conscience du franc-maçon animée d'une intention vraie, percevra ainsi la dimension des objets et des êtres dans leur présence au quotidien car l’aptitude à l’objectivité extérieure se mesure à l’aptitude du dialogue interne » (Jung : l’Ame et le Soi).

III C’est dans le cœur de l’homme et nulle part ailleurs, que se décide son avenir.

La franc-maçonnerie, dans son Chemin initiatique invite l’homme à se réinventer en se forgeant un devenir. Et pourquoi un devenir ? Tout simplement parce que la Vie vit et parce que tout en nous du corps à l’esprit est évolution. Cette évolution vibre dans nos gènes. Dès lors, il vaut mieux pour nous en avoir la maîtrise. C’est précisément ce à quoi nous travaillons dans nos ateliers « par le perfectionnement graduel de nous-mêmes ». Je ne crois pas que nous répétions inlassablement et sans efficacité des gestes et des discours immuables. Même sans public le discours influe sur l’acteur qui ne joue que pour lui-même. C. G. Jung écrit dans l’Ame et la vie : « L’être humain croit avec la grandeur de sa tâche…et rajoute…pourvu qu’il s’en donne les moyens ». Notre frère Jean-Pierre Papon souligne : « le RÉAA en Occident, propose une approche de la connaissance de soi qui ne dépend pas d’une préalable adhésion à un système de croyance ou d’éthique, mais qui pourtant est susceptible de conférer un sens à l’univers et à notre vie ».

En travaillant sur nous, il s’agit bien d’œuvrer pour le monde. Mais ne nous y trompons pas, le Chemin initiatique n’est pas le but, il est la route vers…un autre monde, donc un autre nous-mêmes puisque nous en serons les acteurs, les figurants et les auteurs. Alors un sens. D’abord celui de l’Occident vers l’Orient, vers cette Lumière du prologue de l’Evangile de Jean, la lumière pour les hommes, pour qu’elle devienne justement sur le Chemin initiatique la lumière des hommes, pour les meilleurs d’entre nous. Par là nous allons vers le sens et nous devenons sens pour les autres en « élevant nos consciences et nos cœurs en fraternité ».

Eclairés nous devons aussi agir dehors selon ce que dis notre rituel de fermeture « Que la Lumière qui a éclairé nos travaux continue de briller en nous pour que nous achevions au dehors l’œuvre commencée dans ce Temple, mais qu’elle ne reste pas exposée aux profanes ». En quoi ce que nous faisons dans nos ateliers est-il l’amorce d’une action dans le monde profane ? Pour bon nombre de profanes ce que nous faisons dans le temple ne les concerne pas. Nous, nous devons au contraire nous sentir tout à fait concernés par notre apport dans le monde profane : pour contribuer à ce que la Paix règne sur la terre, que l’Amour règne parmi les hommes, que la Joie soit dans les cœurs! Certains diront que c’est faire preuve de naïveté que de parler ainsi. J’y vois pour ma part tout le pari de la démarche initiatique du maçon. Si nous lisons ces lignes sur un plan seulement symbolique elles perdent leur substance. Car la Paix, et l’histoire du monde nous l’a assez montré, combien il est crucial pour chacun de nous d’en être d’ardents contributeurs, puis les acteurs quotidiens. Car l’amour, décliné sous toutes ses formes, que nous portons aux autres, quels qu’ils soient contribuent à les rendre meilleurs et installe les respects et la tolérance. En d’autres termes nous pouvons ainsi montrer une alternative à la haine qui est dévastatrice, séparatrice et venimeuse. Quant à la Joie dans les cœurs, un éclat de rire de n’importe quel enfant en ce monde témoigne de notre responsabilité à en créer le cadre salvateur.

Réussir ? Peut-être, espérer sûrement, comme l’aurait dit Guillaume d’Orange. Car on ne peut vibrer de Lumière comme nous le faisons sans partout et toujours propager son éclat dans tous les lieux sombres des hommes. Nous devons incarner l’espérance. Encore un mot dirait peut-être un profane. Et pourtant, c’est peut-être dans ce mot-là que réside toute la puissance de notre devoir de maçon, parce qu’il aide à ne jamais renoncer en disant: au bout du Chemin, au bout du chemin initiatique, il y a un possible auquel nous voulons chacun, à notre manière contribuer et travailler dans nos ateliers respectifs. Je ne vois pas d’autre état d’ouverture que l’espérance pour nous accompagner à chaque tenue, chaque année, en accueillant.

Conclusion :

Dans son Discours de 1737 Ramsay s’exprime ainsi !

« C’est pour faire revivre et répandre ces anciennes maximes prises dans la nature de l'homme, que notre société fut établie. Nous voulons réunir tous les hommes d'un esprit éclairé et d’une humeur agréable, non seulement par l'amour des beaux-arts, et encore plus par les grands principes de vertu, où l'intérêt de la confraternité devient celui du genre humain entier, où toutes les nations peuvent puiser des connaissances solides, et où tous les sujets les différents royaumes peuvent, vivre sans discorde… »

M\ M\


7230-2 L'EDIFICE  -  contact@ledifice.net \