Parole
d'homme
Lorsqu'au
siècle des lumières les fondateurs de la Franc-
maçonnerie mettent en place les rituels ils fondent la
maîtrise sur des éléments symboliques
forts. Ils veulent un mythe d'une force exceptionnelle qui puisse
marquer les esprits mais aussi un mythe qui prenne sa source aux
origines de la culture humaine, façon symbolique
de proposer une nouvelle genèse. Ce
mythe est entièrement construit autour du
héros choisi : Hiram. Hiram n'est ni un Dieu, ni un
prophète ni un prince, ni un puissant. C'est simplement un
bâtisseur dont les réalisations ne sont
même pas parvenues jusqu'à nous. Nous allons voir
qu’autant que la vie d'Hiram c'est sa mort qui l'a fait
choisir comme le symbole central de la maîtrise.
Quant au début du XVIII siècle les fondateurs de
la Franc Maçonnerie spéculative choisissent de
placer le mythe d'Hiram au cour de l'initiation au grade de
Maître nul doute qu'ils sont conscients de sa
capacité singulière à articuler une
réalité opérative mythique
centrée sur les solidarités nées de la
pratique de l'Art Royal à un message spéculatif
fort centré sur le rôle fondateur de la parole
humaine. Voyons un peu.
Tous les peuples n'ont pas conçu une écriture
mais tous les peuples ont conçu et
développé des langages. Reprenant
Bergson je dirais que la parole au moins autant que le rire est le
propre de l'homme. Et il est vrai que la parole régit les
rapports des hommes entre eux. La sagesse populaire propose
ainsi de nombreuses expressions qui accordent à la
parole donnée, à la parole transmise, un
rôle particulier : « On n'a qu'une parole
» « Parole d'homme » « Je te
donne ma parole » « Parole d'honneur »
« sur ma parole ».
Car lorsque je donne ma parole, c'est mon souffle vital même
qui porte vers l'autre mon engagement, engagement garanti ainsi par une
part de ma propre vie. Certains exégètes
maçons empruntent aux mythologies religieuses leurs
conceptions de l'origine de la parole humaine. Il s'agirait
selon eux d'un don de leur Dieu à l'homme. Pour ma part je
préfère la vision d'Aragon lors qu'il dit
« la parole n'a pas été
donnée à l'homme il l'a prise
». Car en matière d'écriture, de
lecture, de langage Il n'est pas question de
révélation. Mais d'acquisition, d'apprentissage,
de travail, d'initiation. Une initiation, vécue par un
profane qui a été accepté comme
apprenti, conduite par des hommes déjà
maîtres. Une initiation qui commence alors que
l'apprenti ne sait encore qu'épeler, et qui se terminera
quand devenu maître lui-même il saura lire et
écrire.
L'initiation
d'un être humain unique est ainsi l'image même du
parcours de l'humanité toute entière
d'abord balbutiant dans les limbes puis conquérant peu
à peu par son travail : savoir-faire et connaissances. Or
parmi ces connaissances l'usage de la parole est sans
conteste des plus importants. Du temps d'Hiram il n'y avait
pas d'ordinateur, de cinéma ni de photos et
l'écriture était confinée à
l'art du scribe qui n'était accessible qu'à un
petit nombre. L'essentiel des rapports humains reposait donc sur la
parole. Cette parole qui permet l'échange des connaissances
et donc le progrès cette parole qui permet la transmission
des traditions et donc la socialisation, cette parole qui permet la
traduction des sentiments et donc l'amour, cette
parole qui permet le travail en commun et qui établit ainsi
les fondements des solidarités. Cette parole qui permet
ainsi à tout homme de s'insérer dans la
communauté humaine.
Hiram et les
autres maîtres on usé d'une parole
secrète pour protéger leurs secrets communs. Ils
se sont engagés à garder le silence à
l'extérieur de leur cercle. Ils ont engagé leur
responsabilité entière dans la protection par
cette parole et pour la sauvegarde de cette parole. Ils ont
lié leur souffle vital à l'usage de ce mot et
à sa protection. Lorsque Hiram est tombé sous les
coups des mauvais compagnons et que son souffle lui a
été dérobé, la parole qu'il
protégeait avec les deux autres maîtres s'est de
ce fait perdue. Elle ne pouvait pas plus être
retrouvée que son corps, dont la peau et la chair partaient
en lambeaux, et qui ne pouvait être ressuscité. Un
autre maître l'a remplacé, une autre parole ayant
la même fonction a alors été
choisie. Au travers les nombreux textes que j'ai lus sur le mythe
d'Hiram et la parole perdue j'ai rencontré deux grands types
d'interprétations opposées.
L'interprétation gnostique et l'interprétation
humaniste : Pour les gnostiques la parole a été
dite au commencement par le messie, le dieu, l'entité, puis
s'est perdue. Dans le schéma
judéo-chrétien L'homme ne pourra pas
plus retrouver cette parole divine qu'il ne pourra retrouver
le Graal. Dans le long chemin que parcourt l'humanité le
sens est derrière elle, perdu à jamais. Car la
vérité a été perdue, une
vérité qui appartient exclusivement à
cette entité qui le jour du jugement dernier
évaluera les actions de tous les hommes à l'aune
de ses commandements. Le verbe est au commencement.
L'âge
d'or a été perdu comme le paradis et jamais
l'homme ne retrouvera le bonheur sans faille de ce paradis perdu
à jamais par sa faute, faute qu'il lui faudra expier de
génération en génération.
Alors la procréation se fera dans les larmes, le travail se
fera dans la sueur, et la mort s'imposera dans la peur de l'enfer. La
parole est perdue car Dieu seul détient la
vérité une vérité immuable
que le dogme édicte et régit. Il est le
début et il est la fin. Entre ces deux temps de l'infini, la
vie humaine n'est qu'une parenthèse faite de substitutions.
L'interprétation humaniste est toute différente.
Il n'y a pas de vérité
révélée. Il n'y a pas de parole
révélée. Par leurs actes, leurs
réflexions, leur travail, les hommes avancent sur la voie du
progrès. Les savoirs et les modes de connaissances ne leur
ont pas été donnés. Ils les ont
conçus, améliorés, mis en ouvre, selon
des règles fixées par eux et ils ont
protégées leurs connaissances et leurs savoirs
faire par des secrets pour interdire que des hommes qui n'auraient pas
appris à les utiliser ne s'en emparent et les pervertissent.
Le verbe n'est pas au commencement il agit au présent.
La vérité, le sens n'ont pas
été perdus dans un passé mythique ils
sont devant l'homme comme une lumière. Hiram homme parmi les
hommes n'est pas un prophète. Au commencement Il ne savait
ni lire ni écrire il ne savait qu'épeler. Puis
par son travail, sa volonté il a appris à lire et
avec d'autres maîtres il a su la parole et il l'a
partagée. Il ne détenait aucune
vérité qu'une entité
supérieure lui aurait
révélée, Il était
simplement l'un des trois maîtres gardiens des secrets acquis
par le travail des bâtisseurs. Les leçons d'Hiram
ce sont les étapes du chemin de l'initiation
progressive suivi par un homme dont le parcours est donné en
exemple aux autres hommes : celui de la quête sans faille et
sans certitude de la vérité toujours
recherchée, jamais certaine, jamais atteinte. Comment mieux
exprimer que la vérité du franc-maçon
est devant lui comme une lumière comme ces
étoiles qui montrent le chemin mais qui
s'éloignent au fur et à mesure que l'on croit
s'en rapprocher. Et non pas derrière lui et comme mise aux
objets trouvés par une entité capricieuse.
La parole ne
sera jamais perdue tant qu'il y aura des maîtres à
la porter, à la garantir par leur souffle vital,
à être prêt à perdre leur vie
pour préserver par leur silence inviolable les secrets
acquis, les progrès obtenus. Et c'est pourquoi quand
périt un maître il convient de choisir un
autre mot. Le mot ainsi substitué sera à nouveau
porté par le souffle vital des maîtres. Il ne peut
s'agir en aucune façon d'un ersatz
dépourvu des qualités du modèle. Il ne
peut donc s'agir de ce mot substitué « à
portéehumaine » je cite qui selon
l'auteur d'une bible symbolique récente aurait
remplacé le mot originel celui qu'un Dieu innommé
aurait confié au seul Hiram. Car pour moi le souffle vital
des maîtres confère au mot substitué la
même noblesse, les mêmes fonctions que le mot
originel. Parce que l'acacia nous assure que la chaîne vitale
allant de la mort à la
régénération jamais ne s'interrompra,
que la chaîne d'union un instant brisé se
reformera sous le signe du secret.
Cette interprétation me semble conforme à la
vision du monde de la Franc Maçonnerie que j'attends. Elle
me semble aussi plus conforme à l'état d'esprit
des hommes qui aux siècles des lumières
fondèrent la Franc Maçonnerie
spéculative. Nous ne devons pas oublier en effet que le
mythe d'Hiram n'a pas de signification à proprement parler
historique. Ce que nous voulons retrouver c'est le sens que les
Francs-maçons ont donné au mythe d'Hiram
lorsqu'ils le choisirent au milieu du XVIII siècle ou mieux
encore l’interprétation que les
Francs-maçons d'aujourd'hui affranchis de toutes contraintes
dogmatiques peuvent en donner.
Or je dois
dire devant votre respectable et plus qu'honorable assemblée
que je suis consterné par la somme de discours que j'ai
rencontrés nés pourtant sous la plume de
maçons et qui tendent à donner de cette
symbolique maçonniques des interprétations et des
sens totalement empruntés aux mythologies,
hébraïques, chrétiennes, ou musulmanes
comme s'il était nécessaire chaque fois que l'on
aborde le monde foisonnant des symboles et des mythes de se
référer à l'iconographie religieuse.
Je suis consterné Pour moi faire revivre Hiram, retrouver sa
parole ne me semble pas nécessiter le recours aux cantiques,
aux hosties où aux mystères
substitués. Tout au contraire faire revivre Hiram c'est
remettre nos pas dans ses pas, rechercher sans cesse notre voie au
travers les dalles noires et blanches du labyrinthe de nos vies.
Car Hiram est mort et nul ne sera accueilli par lui
dans un monde parallèle. Nul ne sera jugé dans un
au-delà mythique, car ce n'est pas dans la mort que l'on
retrouve Hiram mais dans la vie, par la vie, cette vie
terrestre éphémère qu'HIRAM
a accepté de quitter pour affirmer ses valeurs pour honorer
son engagement de garder le silence. Sacrifice d'autant plus
méritoire qu'il n'avait aucun père pour
l'attendre au seuil d'un hypothétique paradis. Parce qu'elle
a été affirmée dans la vie face aux
contraintes face à ceux qui n'acceptaient pas la discipline
qu'implique la vie en société, la parole d'Hiram
ne peut se retrouver qu'au travers une pratique, un ensemble d'actes,
une vie. La parole d'Hiram a été
retrouvée par des Mozart, des Kipling des Jean Moulin et
bien d'autres dont les réalisations, les sacrifices, ne
peuvent en aucune façon être taxées de
substitués. Et pourtant je lis dans une somme
récente consacrée aux symboles
maçonniques. « La parole perdue
rappelle la puissance initiale du verbe au commencement de la
genèse » La puissance du verbe serait
donc celle d'un Dieu ? La genèse serait-elle
encore au 21éme siècle une explication plus
rationnelle de la création du monde que celle du big bang ?
À tout prendre j'en viendrais à
privilégier l'hypothèse extra terrestre de la
secte Raëlienqui au moins a pour elle le
mérite de la modernité. Secte vous avez dis secte
on ne peut s'empêcher d'y penser lorsque l'on lit une phrase
comme : « La recherche de ce qui est perdu devient
alors la recherche de l'être dansson essence
intrinsèque avant la chute, que l'on désigne le
plus souvent parla perte de l'état paradisiaque
».
Quel galimatias ! Je crois rêver ! Au delà
d’une phraséologie obscure je m'interroge. De
quelle chute de quel état paradisiaque veut-on me
parler ? Car lorsque prenant peu à peu une station verticale
un mammifère bipède s'extrayant des
océans puis de la forêt est devenu
l'homme, chacun sait aujourd'hui quel était alors
l'état effroyable, terrifiant d'un monde où il
serait vain de vouloir rechercher un quelconque état
paradisiaque. Pour d'autres gnostiques tels Guénon, la
parole perdue ne serait rien moins que « le
véritable nom du grand architecte de l'univers
». Mais qui pourrait croire que des centaines de
générations humaines se sont donné et
se donnerait encore aujourd'hui pour but ultime de retrouver le nom
d'une entité perverse qui passerait son temps à
jouer au gendarme et au voleur avec le diable ? A lire les
exégèses nombreuses que j'ai pu consulter je me
pose une autre question Pourquoi s'acharner à introduire ce
thème de la substitution ? Ne s'agit-il pas en
définitive d'une sorte de tour de
passe-passe destiné à faire
apparaître Hiram comme le substitut d'un Dieu ? Et sa
légende comme une mouture substituée de la
mythologie chrétienne ? Que certaines structures de
récits ou de contes inspirés par des
thèmes religieux apparaissent en filigrane du mythe d'Hiram
c'est certain. Mais il me paraît intellectuellement
malhonnête d'utiliser ces similitudes entre les mythologies
déistes et la structure du mythe d'Hiram pour
l'interpréter comme une transcription substituée.
Si Hiram nous touche c'est qu'il n'est qu'homme parmi les autres hommes.
Un homme qui
faisait partie d'un groupe formé, par des travailleurs, qui
ont su faire émerger une morale de leur travail commun. Non
par référence à une table de la loi
proposée par une entité
mystérieuse mais par
référence aux contraintes de leurs
métiers, aux engagements et aux
solidarités que l'exercice de ces métiers exige.
Hiram aurait emporté son secret dans sa tombe ? Mais quel
secret ? Celui d'un mot choisi parmi des milliers ? Mot sans
signification particulière, mot banal qui pouvait
désigner n'importe quoi : un meuble ? Un
végétal ? Un outil ? Une forme architecturale ?
Un animal de compagnie ? Et qui peut croire comme Irène
Mainguy que, je cite : « on peut
considérerque nommer (à l'origine)
c'était aussi avoir la capacité de commander
à lamatière et de la transformer selon le verbe
initial ». Laisser entendre qu'il y aurait des
mots, comme des chiffres, capables de transformer la matière
relève de la manipulation intellectuelle. Qui donc
aujourd'hui, sinon Harry Potter, peut accorder aux mots une quelconque
force physique ? Qui donc aujourd'hui pense pouvoir agir sur la
matière par des abracadabras ? Ou des
tétragrammes mystérieux ? J'adore la
poésie et la science fiction et je suis sensible aux
symboles. Le seigneur des anneaux m'a beaucoup diverti. Mais lorsque
par une démarche perverse on veut ainsi m'attirer du
côté obscur de la force j'ai tendance à
résister. Or les tentatives de manipulations du mythe
fondateur d'Hiram et de la parole perdue sont nombreuses : je lis :
« nommer le nom ineffable est synonyme
d'inexprimable qui ne peut êtremanifesté par un
simple humain. La disparition du maître liée
à laprononciation du tétragramme était
dès lors nécessaire pour donner naissanceau mot
substitué, à portée humaine
».
Mais l'essence ne précède pas l'existence, les
mots ne précèdent pas la découverte du
monde. Comment y aurait-il des mots ineffables,
imprononçables par l'homme ? C’est lui qui les a
inventés au fur et à mesure de sa
découverte du monde et de ses progrès ! Ce ne
sont pas les mots qui sont à craindre ou à
chérir ce sont les directions qu'ils proposent, les
règles qu'ils fixent, les valeurs qu'ils
définissent. Et, en dernier ressort, ce sont les actes des
hommes. Le mot que portait Hiram n'avait d'autre force que la sienne
propre et celles des autres maîtres. Car ce n'est pas le mot,
cette parole dès lors perdue qui était important
pour eux ; c'était l'engagement pris en commun de
préserver leurs secrets. Engagement dont le mot
n'était que la clef de voûte. Parole
unique, pierre angulaire de leur solidarité
« Et par le pouvoir d'un mot je recommence ma vie
» nous a chanté Eluard. La parole n'habite
vraiment et totalement l'homme que lorsqu'il y a alliance
intime entre le sens de la parole et les actes. Le vrai, le
seul, pouvoir de la parole c'est le sens à la fois
signification et direction qu'elle donne à nos vies.
Hiram
n'était qu’un homme, il portait un nom celui de
ses parents devenu le sien. Il pratiquait l'art royal dont il voulait
préserver les secrets. Il est mort en homme et en homme n'a
pas ressuscité. Et pourtant depuis sa mort
symbolique et la perte de la parole sous les coups des assassins ce
sont des milliers sinon des millions d'Hiram qui ont su la retrouver et
la porter de frères en frères, de
frères en cours, qui ont su la ressusciter de vies en vies.
Mais si la parole perdue par Hiram n'avait rien de
mystérieux, si elle n'avait pas pour fonction
d'unir Hiram à un dieu éventuel.
Pourquoi lui accorder autant d'importance ? Mais parce
qu’entre les deux néants qui ont
borné sa vie cette parole jusqu'à ce qu'elle
soit perdue était la marque de son engagement. Et
a été le vecteur premier de sa
communication avec les autres hommes, avec tous les hommes et
très singulièrement avec ses compagnons, ses
frères, unis par un même idéal, par le
partage des mêmes valeurs nées des contraintes de
l'Art Royal.
Cette parole
qu'il réservait aux autres initiés, à
ceux qui connaissaient le mot, ce mot qu'il n'a pas voulu
dévoiler à ceux qui n'avaient pas
mérité de le connaître. Non seulement
Hiram a su conférer à cette parole un
caractère sacré puisé dans la force
d'un engagement garanti par sa propre vie mais ce sont des millions de
frères et de cours qui depuis sa mort symbolique
ont fait progresser sa parole, l'ont porté par leurs actes,
l'ont précisée par leurs écrits. Ce
qui me paraît particulièrement puissant dans la
symbolique d'Hiram et des autres maîtres c'est qu'ayant
découvert des méthodes, des savoir-faire, des
principes qu'il leur fallait préserver à une
époque ou on ne déposait pas de brevets ou
n'existaient pas les enveloppes Soleau. Ils n'ont fait appel ni au
pouvoir, ni à la force, ni à la terreur, ni
à la peur de l'enfer pour protéger ces savoirs et
ces connaissances mais aux seules solidarités
nées dans le travail et par le travail. D'abord
étranger au monde métaphysique ou à
une quelconque religion Le secret partagé de la parole
n'était qu'une technique de sécurisation
fondée sur la solidarité. Mais en s'enracinant
dans le partage, la confiance, la responsabilité
et la solidarité des hommes il a fait jaillir une
morale collective de la sueur, de la peur, de la
réflexion et des rêves humains.
La parole garantie par la solidarité des trois
maîtres a été perdue quand Hiram a
été tué. Mais la nouvelle parole, que
certains s'acharnent encore à qualifier de
substituée, a été garantie
dès son origine par de nouvelles solidarités. Une
parole dont la fonction première n'était donc pas
modifiés parce que toujours garantie par le souffle des
maîtres qui seuls avaient le droit de la prononcer. Avec
Hiram le sacré qui jusqu'alors était
extérieur à l'homme entre dans l'homme,
trouve une source toujours renouvelée dans la
chaîne toujours renouvelée des hommes. Car de la
mort d'Hiram surgit un monde humain, absolument humain, un monde ou la
survie dépend de la chaîne d'union que l'on a su
former avec d'autres, un monde ou quand on meurt la peau se
déchire et les chairs se corrompent. Un monde ou on laisse
derrière soi des veuves. Mais aussi un monde ou seul
l'esprit que l'on a un temps incarné, ressuscite,
transformé, enrichi, en étant porté
par d'autres.
Lorsque j'ai été élevé par
vous au rang de maître la tâche qui m'a
été assignée a clairement
été de retrouver par mes actes, mon travail et
mes paroles le sens de cette parole perdue par Hiram pour
préserver ce qui avait pour lui la vraie valeur : son
honneur, ses engagements, sa solidarité avec les autres
hommes ses pairs.
Il était primordial que le mot perdu ne fut pas
dévoilé car ce sont tous les progrès
faits par les hommes dans leur marche vers l'humanité qui
auraient pu être perdus. Ce qui a rendu grand Hiram. Ce qui a
fait de lui un respectable parmi les respectables c'est qu'il ait mis
ses valeurs, sa parole, son engagement au-dessus de sa vie. C'est qu'il
ait préféré mourir que de trahir sa
parole, ses frères, l'humanité. Il a agit en
maître au prix de sa propre existence il a ainsi
fait naître un espace humain où la morale prenait
un sens sans qu'il soit nécessaire de poser
l'hypothèse de l'existence d'un dieu.
Je considère légitime la croyance en dieu. Des
millions d'hommes et de femmes ont besoin de cette croyance. Mais je
m'oppose à ce qu'ils pervertissent le mythe
d'Hiram et s'acharnent à le faire passer pour un substitut
de leurs mythologies religieuses en plaquant leur
interprétation
gnostique sur un mythe que personnellement je considère
comme le mythe fondateur d'une morale agnostique.
J'ai pourtant lu dans un numéro du Maillon de
février 1994 « Notre
foimaçonnique qui nous inspire dans cette quête de
la parole se fondesolidement sur un postulat : qu'il existe
nécessairement une harmonieau-delà d'un tel
chaos, faute de quoi il ne vaut guère la peine
devivre… Gardons-nous bien cependant de prendre ces secrets
substitués pourles secrets véritables, oubliant
qu'il s'agit de substituts, et que doncl'essentielest
au-delà ».
Je récuse totalement cette interprétation qui
ferait de nous des substituts
éphémères à qui
échapperait le sens même de leur existence. Que le
monde en général et le nôtre en
particulier soit à maints égards
absurde je n'en disconviens pas mais c'est tout l'honneur de la
démarche initiatique que de nous faire prendre conscience
que c'est un monde qu'il nous appartient de structurer par nos valeurs
et notre travail ; par nos paroles et par nos actes. Ce qui vaut la
peine de vivre c'est l'acacia qui nous l'indique en illustrant le fait
que nous faisons partie d'un processus sans fin de
régénération et non de
substitution. Alors si notre vie ne vaut en
définitive que la somme de nos actes c'est bien la somme de
tous les actes, de tous les hommes, à travers toutes les
générations successives, qui sera
l'humanité. Faudrait-il par peur du néant final
accepter de n'être nés que pour
préparer l'au-delà de notre mort ?
Faudrait-il n'avoir pour ces millions de vies additionnées
que du mépris et ne les considérer que comme des
substituts sans signification ? Parenthèse infime entre deux
infinis que vaudraient alors notre parole, nos actes, nos
règles, nos valeurs ?
Non s'il y a des vérités c'est
l'humanité qui les trouvera par son travail. Ce sont des
hommes qui les préserveront par leur chaîne
d'union constamment reformée. Parce que toujours de nouveaux
maîtres seront initiés à
l'écriture, à la lecture, et à
l'accès au sens. Parce que la parole toujours
renouvelée, et non pas substituée, sera ainsi
préservée. Le sacrifice accepté
d'Hiram est un hymne à la vie, au progrès,
à la solidarité, au travail,
à la rectitude morale à toutes ces valeurs qui
donnent une direction à nos existences
éphémères. Existences rendues
cependant immortelles non par la promesse de résurrection
divine mais par l'apport toujours renouvelée de nouveaux
maillons, de solidarités successives qui forment sur terre
cette chaîne sans fin seule susceptible de donner un sens
à la vie humaine.
J'ai dit.
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