Obédience : NC Loge : NC 2012

 

Regius

Pour m’être moi-même, longtemps perdu dans les méandres de l’histoire de la franc-maçonnerie, j’ai le projet, ce midi, de vous présenter un des textes fondateurs de notre ordre. Si votre patience n’est pas trop mise à l’épreuve, j’essaierais de faire de même, à une autre tenue, pour d’autres textes de même nature historique.

Ces textes sont intégralement consultables sur Internet, site WWW.ivoire-clair.fr, entre outre sources.

Si la tradition initiatique remonte à des temps immémoriaux, les auteurs s’accordent, en général, à la faire remonter à la Mésopotamie et à l’Egypte du Ivème millénaire avant notre ère.

Je m’attacherai ce midi au REGIUS, poème de Devoirs Moraux écrit vers 1390.

Ce poème qui ne comporte pas moins de 11 pages et près de 600 vers doit être resitué dans le contexte historique de l’Angleterre du XIVème siècle.

Lorsque la guerre de cent ans débuta en 1337, le besoin de soldats et d’argent fit fermer les coûteux chantiers gothiques et obligea à créer un syndicat pour fournir du travail aux maçons non partis à la guerre et qui étaient au chômage :

On créa la franc-maçonnerie en 1356 ; Règlements pour les maçons de Londres. Cette société était alors composée uniquement de compagnons et de maîtres et ne recevait en son sein que des apprentis.

Cette réception se faisait au cours d’un rite.

Le rite des Anciens Devoirs au cours duquel on lisait au récipiendaire un livre consignant l’histoire légendaire du métier, un éloge des arts libéraux et les diverses règles morales à respecter dans le métier et dans sa vie de citoyen.

Le texte du Regius s’inscrit dans cette dernière partie.

Je prends la liberté d’en résumer, à ma façon les articles et d’illustrer mon propos par quelques citations.

Le préambule du poème décrit, avec un ton quasi contemporain de notre temps, le souci des ces auteurs.

Il rappelle la filiation égyptienne et l’héritage d’Euclide fondateur du métier de la maçonnerie, puis de son extension dans le bassin méditerranéen, jusqu’à son arrivée en Angleterre au temps du bon roi Athelstane, grand baptiseur devant l’éternel.

Il est ainsi question de moraliser le métier face aux nombreuses déviances constatées et de trouver du travail pour nos enfants : je cite :

« Pour qu’ils puissent ainsi gagner leur vie
Tant bien qu’honnêtement en toute sécurité
En ce temps là, par la bonne géométrie »

Pour ce faire une assemblée est constituée où se réunissent nobles, bourgeois, écuyers et manants de la cité.

Suit la rédaction de 15 articles :

  • le premier article s’attache à décrire les vertus d’un bon maître, constant, loyal et digne de confiance.

Il lui est enjoint de payer correctement ses ouvriers en tenant compte du prix des victuailles. L’évaluation du coût de la vie n’est pas un combat nouveau !

  • l’article second de bonne maçonnerie s’attache à requérir de ses membres le respect de l’assiduité aux assemblées, je cite :

« A cette assemblée il doit se rendre
Sauf s’il a une excuse raisonnable
Ou qu’il soit désobéissant à ce métier
Ou s’adonne au mensonge
Ou qu’il soit atteint d’une maladie si grave qu’il ne puisse venir parmi eux ».

- l’article trois précise qu’un maître ne doit prendre chez lui un apprenti que s’il peut le garder sept ans et lui assurer le logis.

- l’article quatre établi les règles hiérarchiques pour éviter les désordres relationnels.

- l’article cinq précise qu’un apprenti doit être physiquement apte au métier.

Cet article n’a pas manqué de poser question dans la maçonnerie spéculative dans laquelle nous évoluons, puisque s’est posé le problème de l’initiation d’un frère handicapé : mais les conditions compagnonniques ne s’appliquant plus par l’absence d’échafaudages ou du port de lourdes charges la question se posait plus sur l’éventualité de savoir si la Loge était capable d’accueillir certains handicaps : y avait-t-il un frère connaissant le langage des signes pour sourd-muet ? Comment aider un aveugle à percevoir l’aspect du temple ? Pour les handicaps physiques, quelques bras solides suffisaient à résoudre le problème comme ce fût le cas à La Triple Union lorsque nous habitions rue Lesage où un magnifique escalier menait au Temple.

- l’article six établi une hiérarchie des salaires et de leur augmentation selon les progrès de l’apprenti ; cela vous évoque certainement quelque chose !
- l’article sept enjoint le maître de se défier des filous, voleurs, criminels qui introduit dans le métier pourrait faire honte au groupe. (Ou permettre à nos hebdomadaires d’en faire leurs choux gras !)
- l’article huit autorise la maître à se séparer d’un mauvais ouvrier et à le remplacer par un meilleur plus parfait.
- l’article neuf rappelle au maître qu’il ne doit entreprendre un ouvrage qu’il ne soit pas certain de réaliser correctement ou de terminer honorablement.
- l’article dix établi les lois de la concurrence uniquement sur des critères de qualité du travail fourni ; il est prévu une forte amende de 10 livres pour qui usurperait ce principe. (Çà nous change du paquet de stock-options et des chèques mirifiques de célèbres grands barons de l’industrie).
- l’article onze interdit le travail de nuit sur le chantier ; seule l’étude destinée à l’amélioration du maçon est autorisée.
- l’article douze rappelle à la fraternité, interdisant de déprécier le travail d’un autre et au contraire, de l’aider à l’améliorer.
- l’article treize rappelle le devoir d’enseignement et de transmission attaché au statut de maître.
- l’article quatorze impose au maître de ne prendre d’apprenti que s’il a la volonté de lui enseigner l’art du métier.
- l’article quinze rend le maître particulièrement attentif aux faux serments et aux parjures sur lesquels la honte et le blâme vont s’abattre.

Nous pouvons constater combien les soucis de l’époque étaient proches des nôtres :

- chômage, coût de la vie, justice, code du travail, concurrence, solidarité, paix sociale : on croirait lire les en-têtes de nos quotidiens !

Les quinze articles de ce texte fondateur sont complétés par une série de statuts divisés en 15 points qui précisent plus avant certains aspects du comportement professionnel, social et moral des membres de la société.

- ainsi le maçon doit bien aimer Dieu et son maître et ses compagnons
- il devra travailler avec ardeur les jours ouvrables pour mériter son jour de repos
- il devra jalousement garder le secret de tout ce qu’il aura entendu, appris dans l’assemblée
- il devra rester fidèle à son métier, ne causera aucun préjudice à son maître ou à ses compagnons
- le maître a le devoir de payer son compagnon et de l’avertir « avant midi » (reprise des travaux) s’il a encore du travail pour lui.
- qu’il y a lieu, en cas de dispute entre maçons, de finir d’abord le travail et de provoquer une rencontre devant aboutir à une réconciliation.
- en matière de paix sociale, je ne peux résister à citer ce passage :

« Tu ne coucheras pas avec la femme de ton maître, ni de ton compagnon, ni avec la concubine de ton compagnon. Pas plus que tu ne voudrais qu’il couche avec la tienne ! »

La peine encourue est de rester 7 années pleines apprenti.

- qu’il y a lieu d’être médiateur entre maître et compagnons, entre compagnons et entre apprentis, cela étant de bonne justice.

Le neuvième point est particulièrement d’actualité :
En effet, il s’attache à régir les agapes ! Je cite :

« Servez vous l’un l’autre avec calme gaieté
Vous devez être intendant chacun à votre tour
Semaine après semaine sans aucun doute
Pour servir les uns et les autres aimablement.
Comme s’ils étaient sœur et frère,
Nul ne se permettra aux frais d’un autre
De se libérer de son avantage…
Veille à bien payer tout homme toujours
A qui tu as acheté les victuailles ;
A ton compagnon tu en rendras compte exact
De ce bon paiement que tu as fait
De peur de le mettre dans l’embarras »

- qu’il y a lieu de poursuivre par comparution devant la justice de l’assemblée tout maçon malhonnête dans son travail, qui diffame ses compagnons, mène mauvaise vie ou attise les haines.
- qu’il convient qu’un maître qui voit un compagnon en passe d’abîmer une pierre, le reprenne, outils en main et le corrige avec douceur car douces paroles nourrissent l’amitié.
- qu’aucune querelle ne sera acceptable en assemblée
- qu’avant de prêter serment, il sera procédé à enquêtes sur l’impétrant et que le serment prêté solennellement ne sera jamais rompu sauf pour conduite déviante exposant à la justice de l’assemblée. Si le coupable ne veut pas s’amender, il devra par force abandonner le métier et ne plus jamais l’exercer ; cette mesure n’excluant pas la mise au cachot et la saisie des biens.

Après ces quinze points précisés, suit un long texte dont le titre est « l’art des quatre couronnés ».

Ce texte fait l’apologie de quatre saints martyrs, parfaits maçons et ouvriers d’élite, sculpteurs et imagiers, qui refusèrent de faire une idole à l’image de l’empereur et qui était destinée à détourner le peuple de la loi du Christ.

Ils furent donc mis dans un profond cachot, mais plus on les faisait souffrir, plus ils restaient fermes dans leur décision.

L’empereur n’en pouvant plus les fit exécuter ; leur fête est célébrée le huitième jour après la Toussaint.

Suit dans le texte un rappel de l’Ancien Testament, sur le déluge, la tour de Babel et le mélange des langues, tous signes de la punition céleste de l’orgueil des hommes.

Vient enfin, le bon Euclide qui enseigna le métier de géométrie partout autour de lui, ainsi que divers métiers en grand nombre par la haute grâce du Christ au ciel et qui fonda enfin les 7 arts libéraux qui sont explicité dans d’autres degrés que celui où nous travaillons ce midi.

Ce long poème se termine par nombre de conseils et prescriptions pour bien se tenir en société je cite :

« Évite de te gratter de cracher et de te moucher…
Ôte ton bonnet ou ton capuchon devant ton seigneur…
Veille à ce que tes mains soient propres quand tu es à table
Ne pique pas de ton couteau le meilleur morceau de viande du plat
N’engouffre pas plus de pain que tu peux manger
Ne te sert pas de ta serviette pour te moucher
Ne te cure pas les dents à table
Ne bois pas trop vite au risque de larmoyer ce qui serait discourtois,
Ne parle pas la bouche pleine
Parmi de belles dames, tiens ta langue et ne ris pas aux éclats, ne chahute pas comme un ribaud…
Bref, un vrai manuel du savoir vivre qu’il ne serait pas inutile de rappeler parfois encore de nos jours ! »

Pour conclure, un long texte de conseils pour le maçon face à ses devoirs de bon chrétien, mais qui ne manque pas de sel : je cite :

« Si l’intelligence te fait défaut, prie Dieu de te l’envoyer…
Veille à ne pas arriver en retard à la messe
Ne tiens pas de propos paillards devant la porte…
Enlève ton capuchon, agenouille-toi bien à deux genoux.
Abandonne dans l’église langage lascif et plaisanteries obscènes
Ne fait pas de bruit, si tu ne prie pas n’empêche pas ton voisin de le faire…
Si tu ne peux aller à l’église parce que tu travailles, prie en ton cœur…

Que le Christ alors par sa grâce céleste
Vous donne et l’esprit et le temps
Pour bien comprendre et lire ce livre
Afin d’obtenir de ciel en récompense !
Amen, amen, ainsi soit-il
Disons-nous tous par charité !
»

Ce long poème, véhicule de la tradition initiatique resurgit dans la franc-maçonnerie vers 1637, date à laquelle les loges écossaises de cette corporation professionnelle chrétienne se transformèrent en loges spéculatives vouées à l’interprétation symbolique et philosophique de la Bible puis plus tard des autres écrits traditionnels.

Bien sûr mes Frères, cette planche n’est qu’un résumé de mon cru et mes interprétations fort personnelles.

Néanmoins, j’espère vous avoir démontré, qu’une plongée, un peu fastidieuse du fait de notre difficulté à appréhender toujours justement une langue ancienne, mérite cet effort et les fruits de cette étude récompensent l’audacieux qui s’y lance.

Quand on se pose la question de l’actualité de la maçonnerie, ce texte du XIVème siècle nous montre bien que notre quotidien est tout empreint des réflexions non résolues de nos prédécesseurs.

Rappelons-nous que tout est dans le Temple et dans le rituel.

Reprenant un article de jean Pierre Cointot dans le journal de la GLDF, qui rapporte une prière d’un vieux maçons écossais adressée au GADLU, bien que celui-ci ne puisse être prié : « Donnez leur ce que l’on vous demande jamais, donnez leur le courage et la force d’être de vrais postulants à l’initiation ».

J’ai dit.

G\ D\

Résumé pour le F\ secrétaire :
Désireux de partager avec mes frères certains textes fondateurs de la franc-maçonnerie, je me suis attaché ce midi à parler du REGIUS, vaste poème de 1390 dont les 600 vers décrivent avec méthode les responsabilité du Maître Maçon, au temps de la construction des cathédrales dont les chantiers furent interrompus par la guerre de cent ans.

Pour faire face au chômage, une sorte de syndicat est créé dont Le REGIUS établi les divers règlements :
Qu’il s’agisse de travail opératif, d’emploi, de vie sociale, de paix sociale, chaque article précise l’attitude juste que doit observer un vrai maçon en toutes circonstances.

Quelques citations choisies nous montrent l’étonnante modernité de ce texte qui recense la plupart des interrogations qui remplissent les colonnes de nos quotidiens.

Si l’on se pose parfois la question de l’actualité de la maçonnerie, une lecture de ces textes fondateurs apporte rapidement des réponses claires, malgré la langue employée et le considérable saut dans le temps, de plus de 6 siècles.

Le REGIUS sera repris au XVIIème siècle, avec d’autres textes, lors de la création de la maçonnerie spéculative qui nous réunit ce midi.
Notre Frère se promet de poursuivre ultérieurement son projet avec d’autres textes fondateurs.

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