Le lien Orient-Occident
Ce lien Orient-Occident est un thème sur
lequel Marie-Magdeleine Davy est revenue très souvent. Pour
quelles raisons ?
D’un coté il lui tenait
particulièrement à cœur et de
l’autre il constitue un
évènement important de l’histoire de
l’humanité. Cette coupure du monde en
deux, ces fractures géographiques et mentales ont
été très dommageables.
« Durant longtemps la mystique orientale a
été ignorée ou sous-estimée
en
Occident. Aujourd’hui elle retient
particulièrement l’attention, il faut
s’en
réjouir car non seulement l’apport oriental est
essentiel en lui-même, mais il
a l’avantage d’éclairer les auteurs
occidentaux » (La lumière dans le
christianisme, p.160)
D’abord de quel orient parle-t-on ? Il n’y a pas
qu’un orient et bien des
confusions sont possibles et ont été faites
pendant des siècles. Pour pouvoir
saisir la richesse du symbolisme de l’Orient en
spiritualité, nous devons
éclaircir ici cette notion d’orient.
C’est en principe le point du ciel où le soleil
est censé se lever tous les matins, comme
l’Occident est le lieu où il tombe,
(Orior, se lever. Occidus, tombé, couché). Mais
géographiquement où se
trouve-t-il ?
1. Le Proche Orient.
Les peuples anciens ont toujours vu et su que
l’Occident s’arrêtait à
l’immense
Océan, alors qu’il existait une Orient long et
profond. Les Grecs n’avaient
aucun vertige pour cet Orient tenus par leur ennemi :
l’empire Perse. La
division a été installée par les
Romains qui ont conquis la Palestine et la
Syrie. L’empereur Constantin fonde sa ville sur le Bosphore,
à la Corne d’Or :
Constantinople. En 395 les deux fils de l’empereur
Théodose créent la division
en fondant l’empire d’occident à Rome et
à Constantinople-Byzance, l’empire
d’orient devenu l’empire byzantin (395-1453).
Ceci va engendrer chez les Chrétiens le grand Schisme, la
division de la
chrétienté en deux religions. Cette opposition a
été progressive. Lors du
Concile de Constantinople en 381 son évêque
devient un Patriarche, l’Eglise
romaine d’occident est déclarée
hérétique et l’église
orientale, dite
orthodoxe, est déclarée schismatique. En 1054
elles s’excommunient
réciproquement. La question principale portait sur le
Saint-Esprit qui procède
du Père et du Fils ou du Père-Fils (et filio ou
filioque en latin). Par la
suite l’Occident va se centrer autour de
l’évêque de Rome, devenu un Pape
infaillible, alors que les différentes églises
d’Orient vont devenir
autocéphales. Tout le reste est quasi-anecdotique
(l’hostie qui remplace le
pain de la communion, l’absence de jeune le samedi, la
permission du lait
pendant le carême, le signe de croix de droite à
gauche, la question du
purgatoire, le mariage des popes …).
Notons que les Pères du désert (avec Antoine en
250, Pacôme, Macaire …) sont
nés en Orient et sont allés
s’établir en Egypte, en Syrie, en Cappadoce, etc.
C’est là qu’ils ont vécus en
solitaires (monachoï), comme le fils monogène de
Dieu, et ont inventés le monachisme. Ils ont
été des modèles de la recherche de
la vie intérieure et des activités contemplatives.
Mais le premier problème est que cet orient avait un orient
: l’orient de
l’orient. Donc lorsqu’on l’a
réalisé, on a admis que ce premier orient
n’était
qu’un Proche-Orient. Ces églises correspondent
à l’ancienne Asie mineure des
Grecs et à la partie orientale de l’empire romain.
Etant civilisé et romanisé,
ce n’était pas encore le vrai orient
étrange. C’est ce que l’on a
nommé par la
suite « Les Echelles du Levant », le Liban et la
Palestine.
Nous ne pensons pas souvent à ce premier orient, mais il
était très présent
dans la pensée de M-M. Davy et bien souvent quand elle parle
de l’orient c’est
à lui qu’elle fait allusion. Toute sa vie elle
avait été très affectée par
cette division et ce Grand Schisme. Elle avait
étudié et pratiqué les deux courants
et finalement il semble qu’elle ait reconnu le bon droit des
églises orthodoxes
qui étaient resté bien plus proches des premiers
chrétiens et qu’elle ait été
à
deux doigts de se convertir à l’orthodoxie.
Comme elle, dans notre démarche intérieure, nous
devons opérer cette première
réconciliation entre notre Orient et notre Occident. Il faut
faire cesser le
schisme qui nous déchire et réaliser
l’unité intérieure.
2. Le Moyen-Orient
A la base de la division, il faut reconnaître qu’il
a existé un manque de
curiosité et aussi une certaine xénophobie
(réciproque bien évidemment, comme
tout racisme). Il y a aussi un total manque d’esprit
scientifique et l’étranger
devient vite l’étrange, voire le monstrueux. Les
faits se transforment en
légendes et les récits se déforment
histoires merveilleuses.
Par un certain manque d’imagination, on a
rétréci l’univers et l’on lui
a donné
des limites, qui étaient surtout des bornes imaginatives.
Cela a été très long
pour l’humanité de s’ouvrir
l’esprit.
Ainsi on peut penser que l’Odyssée a
été brodée sur un
itinéraire maritime
phénicien. Plus tard Hérodote, le père
de l’histoire, a accompli son voyage de
vérification autour de la
Méditerranée, mais il est resté dans
le monde grec.
Apollonios de Thyane à l’époque de
Jésus a aussi fait un voyage qui l’a
mené de
l’Egypte à l’Inde. En l’an 350
Alexandre de Grand (356-323) essaie d’unir
l’Orient et l’Occident et il a failli
réussir. Le destin du monde en aurait
été
changé. Il a fallu attendre mille ans pour pouvoir
recommencer.
Le Moyen-Orient ce sont ces grands empires que nous
décrivent les historiens et
géographes de l’Antiquité : les
Royaumes des Mèdes, des Perses … La Bible nous
parle aussi des royaumes de Sumer, de Ninive, de Babylone et
s’y ajoutent les
Akkadiens, les Parthes, l’Arménie, etc. Si bien
que le jardin d’Eden se trouve
aujourd’hui en Irak, l’ancienne
Mésopotamie, le pays entre les deux fleuves.
Dans la vie intérieure notre premier travail est de partir
à la recherche de
nos pères et de recevoir notre héritage. Nous ne
sommes pas nés de rien et
chaque civilisation doit récupérer
l’apport des précédentes, les
dépasser sans
les renier. Combien de parts de notre passé sont
oubliées (ou refoulées) et
dans notre personnalité que de parts méconnues ?
Il faut traverser notre ombre
et cette nuit obscure. Dans la vie spirituelle
d’éminents mystiques ont
déjà
passé par toutes ces étapes et nous montrent la
voie. Il n’est que de les
écouter.
3. L’Orient
Il a existé de tout temps un autre orient
plus lointain que connaissaient les
Grecs et les Romains. C’était une
contrée mystérieuse et fascinante, le pays de
la soie, des épices, de l’encens, des pierres
précieuses, de l’or, de l’ivoire
… Les Romains et surtout les Romaines étaient
très friands de vêtement de soie
et ils en importaient constamment. Mais la route de la soie
était fort longue
et semée d’embûches. Pendant longtemps,
on a cru que la soie poussait sur des
arbres que peignaient le peuple des Sères
(Sérinde). Vont s’y ajouter toute la
soif des épices et de ces goûts
étranges venus d’ailleurs. Puis il y a les
pierres précieuses qui viennent du Royaume de Golconde aux
Indes ou même de
Ceylan et de Birmanie. Et cet or que l’on ira chercher dans
l’El Dorado … En
proviennent aussi ces animaux étranges :
éléphants, tigres, cynocéphales,
skiapodes …
En réalité les caravanes utilisaient deux
intermédiaires, les Mongols et les
Parthes, qui pour conserver leur fructueux commerce
établissaient un barrage
opaque et infranchissable. Ce sont eux essentiellement qui ont
séparé l’Orient
de l’Occident. Il n’y a plus de communication
directe, ni par terre ni par mer.
Il faut toujours passer par un intermédiaire qui fait
barrage et l’on se heurte
au mur des Parthes en Perse, puis à la barrière
du monde arabe et de l’Islam.
Ce sont les marins arabes qui ont longtemps gardé le secret
de l’inversion des
vents à la mousson qui permet d’aller
l’été en orient et de revenir
l’hiver en
occident. Ibn Batoutah va être l’explorateur arabe
du quatorzième siècle. Mais
le monde arabe musulman va lui aussi s’étirer au
point de devoir se couper en
deux avec son Orient le Machrek et son Occident le Maghreb.
Or déjà des missionnaires et des marchands sont
partis pour atteindre cet
Orient : 1246 Plan Carpin, 1254 de Rubruck, 1260 Marco Polo et son
Livre des
Merveilles … En sens inverse les Turcs Seldjoukites, partis
du désert de Gobi,
terminent leur chevauchée à Byzance qui va se
nommer Istanboul en 1453. Comme
Gengis Khan et Tamerlan étaient déjà
venus en vainqueurs en 1220.
Et ce lien Orient-Occident est essentiel car c’est lui qui va
engendrer une
Renaissance. Pour relier ce qui a été
cassé, il faut attendre le quinzième
siècle. 1415 au Portugal Henri le Navigateur lance ses
caravelles. 1492
Christophe Colomb part sur la route des Indes, en sens
opposé. 1497 le
Portugais Vasco de Gama découvre l’Orient, 1510
Albuquerque s’installe à Goa.
Puis les Anglais, les Français et les Néerlandais
vont coloniser les Indes …
Et là très vite on comprend que l’on
n’a pas atteint l’orient et qu’il en
existe encore un plus lointain.
Pour nous aussi le voyage est sans fin et nous devons accepter
dès le départ
l’imprévisible et l’étrange.
Pour aller vers on ne sait où, il faut passer par
on ne sait quoi. Que de parts de nous-même avons-nous du mal
à reconnaître ! Il
faut lâcher prise et laisser faire. La grâce de la
réconciliation est à ce
prix. Notre renaissance intérieure aussi.
4. L’Extrême-Orient
Au-delà de l’empire des Indes que
n’avait pas pu traverser Alexandre, il y a
les empires inconnus que l’on découvre soudain
avec passion : l’empire Sogdien,
celui de la Bactriane, de la Transoxiane … Le monde de la
Chine est l’empire du
Milieu où tout est si différent, pour ne pas dire
que tout est à l’opposé et
pourtant tout y avait déjà
été découvert des siècles
avant nous : l’imprimerie,
la roue, la poudre à canon, le papier, la boussole
… Et d’autres orients plus
étranges encore se dévoilent : l’empire
Mongol qui a donné Gengis-Khan,
l’empire Ouïghour des Turcs et enfin
l’énigmatique Corée. Puis
au-delà des mers
se dévoile le Japon. En 1537 les Portugais arrivent
à Cipango qui va se
refermer pendant 300 ans jusqu’à
l’arrivée de l’américain
Perry en 1853.
Voilà ce que l’on va nommer
l’Extrême orient. Mais cet extrême
n’est pas encore
la fin.
Où est l’extrême dans le voyage
intérieur ?
Il n’y a pas de limites, pas de
bornes dans notre espace intérieur. Comme dans le Bouddhisme
le
demande le
Sutra du Lotus, il faut aller « Dans
l’Au-delà, par
l’Au-delà de l’Au-delà,
vers l’Au-delà de l’Au-delà
de
l’Au-delà ». Sans fin.
L’échec est de
s’arrêter
et de penser que l’on est arrivé au bout, que
l’expérience intérieure que
l’on
vient d’avoir est l’expérience
suprême. Il
n’y a pas d’extrémité
à l’Infini.
5. L’Orient historique
Bien entendu, il nous faut continuer dans cette
découverte. L’Extrême-Orient du
Japon a son Orient et c’est Hawaï et la Californie,
ainsi que le Pérou, le
Chili, la cordillère des Andes et l’empire Inca.
Et l’orient de la Californie,
c’est la cote Est des USA. Quand à
l’orient de la cote Est, c’est la France et
l’Espagne, soit l’Occident, notre point de
départ. Le cycle est bouclé et le
serpent Ouroboros se mord la queue.
Donc ce n’est que par convention que l’on peut
parler d’un orient. Et c’est
alors que l’on peut réaliser que
l’Orient n’existe pas. Il n’y a pas
d’Orient,
ou il s’éloigne au fur et à mesure
qu’on s’en approche. Comme il n’y a pas
de
lieu de l’arc-en-ciel, de l’horizon ou du mirage.
Lorsqu’on l’atteint, il se
déplace et se trouve toujours plus loin. Il est
inatteignable (sauf par
convention).
Et donc ces noms du Proche-Orient, du Moyen-Orient et de
l’Extrême-Orient
relèvent de l’Histoire et non de la
géographie. Ils datent d’une période
où
deux mondes s’opposaient. C’est sans doute une
surprise pour bien des
personnes, mais notre géographie est souvent bien peu
géographique. Elle est
imaginaire et parfois mythique : l’Atlantide, le pays des
Héspérides, l’El
Dorado, Les Iles Bienheureuses, le pays de Cocagne, la forêt
de Brocéliande, le
pays de Thulé l’embarquement pour
Cythère …
Donc nous ne pouvons plus étudier maintenant que cet Orient
conventionnel,
fabriqué par l’histoire et la
séparation.
Déjà M-M. Davy en tirait les
conséquences dans la
jonction des religions vers
un au-delà des religions : «
L’œcuménisme, tout au moins le
véritable
œcuménisme,
ne concerne ni les religions chrétiennes (orthodoxe,
catholique,
protestante),
ni l’union des fils d’Abraham (juifs,
chrétiens,
musulmans), l’œcuménisme ne
peut aujourd’hui signifier que la rencontre entre
l’Orient
et l’Occident. On
peut espérer en l’avenir en raison de cette
rencontre
» (Un itinéraire, p.59).
Oui par là nous sommes en marche vers une pensée
mondiale : la terre se
réconcilie et se rassemble pour ne faire qu’une.
Par Orient nous entendons la pensée de l’Inde, de
la Chine, du Japon et plus
particulièrement les productions du Bouddhisme, du
Taoïsme, du Tantrisme, etc.
Par Occident nous entendons la civilisation gréco-romaine,
chrétienne puis
anglo-saxone. La découverte réciproque
s’est faite lentement avec la
colonisation, puis la décolonisation et les guerres. La
religion hindoue et le
bouddhisme n’ont vraiment été connus
que tout récemment au vingtième
siècle,
après malheureusement bien des malentendus tenaces et des
incompréhensions
persistantes.
Il s’agit de deux apports réciproques qui ont tout
intérêt à échanger. Mais non
pas selon ce que l’on répète partout :
l’Occident recevant la spiritualité et
l’Orient récupérant la technique qui
lui manque. Ceci est faux pour de
nombreuses raisons, d’abord parce que l’Occident ne
manque pas de spiritualité,
il a la sienne, elle a seulement été trop
longtemps oubliée. La mode était à
l’orient. De plus, il n’est pas sûr que
l’orient ait besoin du mode de vie
occidental, de ses techniques, de son matérialisme et de son
pouvoir de
l’argent.
Face au matérialisme, qui ose se dire scientifique,
l’Orient a toujours
privilégié la spiritualité et la
liaison de l’âme avec les forces
supérieures
et le monde de l’au-delà. L’Inde en
particulier peut être considérée comme
le
pays le plus religieux du monde : une vision de l’univers
ouverte et tolérante
y est répandue partout.
Face à l’agitation et à une vie active
frénétique qui sont le mode de vie de
l’Occident, l’Orient présente le calme
et une vie contemplative. C’est une des
premières remarques que l’on fait dans
l’Inde, mais aussi dans bien d’autres
pays comme le Cambodge, la Birmanie et encore la Thaïlande ou
le Vietnam. Dans
les campagnes, les habitants vivent dans le plus grand
dénuement, souvent ils
n’ont même pas de maison et de contentent
d’une paillote ou d’une hutte. Leurs
repas sont réduits et toujours les mêmes et
pourtant ils rayonnent de joie.
Leur regard intériorisé manifeste une profonde
connexion avec leur réalité
intérieure. Ils sont en perpétuelle
prière, en communion avec la nature et le cosmos.
La sagesse dont nous avaient parlé les Grecs (celle des
Spartiates et des
Stoïciens) nous la voyons vécue et
pratiquée dans la vie de tous les jours en
Orient.
Un des apports les plus remarquables de l’Orient a
été de nous délivrer de
l’opposition Ame/corps. Il n’a jamais
existé en
Orient d’opposition entre la
chair et l’esprit, mais l’unité
indissociable de
l’être humain a été
préservée.
Le corps n’a jamais été
méprisé,
proscrit et diabolisé. Il peut donc être un
accès au divin. Ainsi la prière a toujours un
aspect
corporel. La danse sacrée
est une réalité omniprésente, alors
qu’elle
est totalement absente en Occident
depuis l’écrasement des dernières
danses grecques
et celtes par les chrétiens.
Le principal cadeau de l’Orient est dans la connaissance des
nombreuses
techniques psychosomatiques qui s’y sont
développées. Ainsi l’Inde a fourni le
Yoga avec toute sa science des postures, du souffle, de
l’éveil, des énergies,
des courants corporels, des différents corps, de la
méditation et de l’extase,
etc. Mais le Taoïsme a aussi engendré toutes les
disciplines du Taï-chi,
Kung-Fou, acupuncture et le Japon celles du judo et budo, des moxas, du
shiatsou... Le souffle c’est la vie et
l’énergie est
indispensable pour
l’aventure spirituelle.
On pourrait donc considérer que cette dramatique coupure
Orient/Occident se
doublait en nous de celle, plus intérieure, entre notre
esprit et notre corps.
La déchirure était inscrite en nous avec le
mépris d’une partie de soi et la
honte de notre corps. Toute cette somatophobie se
répercutait dans la société
et la pervertissait, avec, par exemple, la peur de la mort,
l’acharnement
thérapeutique et la mise à
l’écart de tous les handicapés et de
tous les
monstres. L’Orient nous apporte la réunification
et la réconciliation.
La notion de Réincarnation dans des vies successives,
liée au principe de
causalité universel ou Karma, a été
maintenant adoptée par 25% des Occidentaux
et bientôt le tiers. Ce qui change tout et fait ressentir la
responsabilité.
De plus l’Orient a développé une
extraordinaire science de l’exploration
intérieure. C’est ce que l’on a pris
l’habitude de nommer en Occident, la
Méditation, bien que ce ne soit pas le meilleur mot
possible. Il en existe de
nombreuses méthodes : les méditations du Yoga
avec ses quatre étapes, le Zen,
le Vipassana, les méditations tibétaines, etc. Ce
sont des voies larges et
balisées. Depuis plus de 5000 ans des Yogis et des
ascètes ont expérimenté et
noté toutes les étapes et les aléas
d’une telle aventure. Bien entendu, tant qu’on
n’a pas vécu une étape, ce
qu’en disent les textes nous reste
incompréhensible,
mais dès qu’on en a
l’expérience, on note qu’on ne pouvait
pas mieux dire.
Aussi ces voies sont-elles maintenant de plus en plus
pratiquées en Occident,
quelle que soit la religion des pratiquants.
Ainsi il nous devient possible d’envisager un autre orient,
qui ne soit plus
uniquement géographique, mais qui corresponde à
cette aventure de la vie
intérieure.
M-M. Davy faisait cette confidence : « Personnellement, je
dois beaucoup à mes
séjours en Inde et au Japon, ils m’ont permis
d’aborder avec plus de liberté de
la nature humaine, sans pour autant m’écarter en
profondeur de ma propre
tradition » (Un itinéraire p. 102). Combien ceci
est important. M-M. Davy avait
atteint le stade du transpersonnel où l’on
dépasse toutes les craintes de la
trahison religieuse, à ce niveau il n’y a plus de
renégat ou d’apostat. Tout
est un et l’on a atteint l’unité
transcendante des religions. La religion
universelle est celle de l’intériorité.
Mais on ne peut pas l’atteindre tant
que l’on reste personnel, enfermé dans son
égo, on souffre alors beaucoup de
ses déchirements intérieurs et de ses doutes et
on en fait souffrir les autres.
6. L’Orient intérieur.
De façon symbolique Orient et Occident ont
aussi leur réalité et leur
signification. Ils correspondent certainement à quelque
chose de très important
en nous. Leur réconciliation actuelle tisse des liens
secrets pour retrouver
l’état d’unité paradisiaque
dont on a été chassé.
Pour nous occidentaux, l’Orient intérieur
représente la zone de silence, la
vastitude qui nous habite. L’Orient est aussi le lieu du
pèlerinage, le désert
intérieur. Par conséquent, il est aussi la
liberté, la possibilité d’agir et
d’avancer. Tous ceux qui avancent dans ce chemin
intérieur connaissent cet
orient car c’est vers lui qu’ils se dirigent. En
effet « ex oriente lux ! », la
lumière vient de l’orient. L’orient est
la source et l’origine de la lumière,
il est ce qui nous éclaire et nous donne la vie. Tout le
monde veut trouver son
orient. Et tout naturellement on appelle cela s’orienter :
s’orienter c’est
savoir où l’on va, quel est son but, sa source.
L’orient joue donc dans la vie
spirituelle, le rôle du pôle magnétique
terrestre qui attire l’aiguille de la
boussole et donne le point de référence, par
lequel on s’oriente. N’oublions
pas que lorsque l’on a perdu son orient, on dit que
l’on est désorienté et des
personnes désorientées il y a en a de plus en
plus dans le monde moderne. C’est
pour elles que se sont inventées toutes ces
psychothérapies, issues de la
psychanalyse. Par une série d’entretiens
réguliers, on vient se faire
réorienter, on cherche à retrouver son orient
intérieur, cette lumière qui
désormais brille au fond de soi. Grâce
à elle, on ne se sent plus seul, on est
connecté, « branché » comme
on dit actuellement, c’est-à-dire que
l’on se sent
en face d’une présence, il vaudrait
d’ailleurs mieux écrire la Présence. Il
s’agit bien en effet de la Présence essentielle,
pas d’un simple compagnonnage,
mais de la jonction profonde avec ce qui fait notre Etre.
Pour cela il faut avoir abandonné notre égo et de
ne pas y rester cramponné
comme le singe à son arbre. Lorsque nous frappons
à la porte la Présence
demande « Qui est là ? » si nous disons
« Moi » elle se tait pour toujours. A
d’autres, elle a révélé
« Sors, si tu veux que j’entre, car il
n’y a pas de
place ici pour deux Moi ». L’Unique occupe tout
l’espace, Orient et Occident
compris.
L’Orient a donc tout naturellement ce rôle de nous
faire lever et nous tenir
debout. C’est ce que ne font pas tous ceux qui sont en
dépression, en
démission, en totale dépréciation,
ceux qui vivent couchés, alanguis. L’orient
nous rend joyeux et guilleret. Ce fait de se lever se disait en grec
« anatolé
». « Anatolein » désigne le
lever d’un astre, la pousse d’une plante, le fait
de germer et de croître. Se lever c’est donner sa
lumière, éclairer. Ainsi une
lumière intérieure peut faire son apparition en
nous pour réduire les ténèbres
et rendre soudain tout plus clair. Ce lien entre l’orient et
se lever se marque
par le nom des pays du proche-orient : le Levant. Son opposé
c’est le pays du
Ponant, terme encore utilisé dans le vocabulaire maritime.
D’ailleurs nous
avons encore gardé les noms grecs d’Anatolie et
d’Anatole, celui qui s’est
levé.
Dans le domaine intérieur combien dorment toujours. Ils
somnolent leur vie, ils
n’ont que des intérêts
égoïstes et matérialistes, ils sont dans
l’accumulation
des avoirs et non dans l’Etre. Au contraire
l’orient est lié à la
lumière et plus
particulièrement à l’apparition de la
lumière : l’Aurore. L’aurore est ce
moment mystérieux où l’approche du
soleil fait disparaître les ténèbres de
la
nuit. Il n’y a pas de combat, comme on l’a parfois
décrit. Il n’y a rien de
particulier à faire pour chasser et faire
disparaître les ténèbres.
Dès que la
lumière paraît, elles ne sont plus là.
Nous devons en recevoir l’enseignement :
que de difficultés nous nous créons inutilement.
Nous imaginons des combats
dans la vie intérieure, alors que les choses sont souvent
plus simples. Nous
croyons bien souvent qu’il falloir renoncer cruellement
à nos appétits et sous
l’effet de la grâce, ils ont disparus
d’eux-mêmes.
7. L’orient éternel
Sans
vouloir être trop paradoxal, il convient de
connaître
enfin l’Occident de
l’Orient, c’est-à-dire la
façon dont
l’Orient a évoqué l’Occident.
Il est pour
les orientaux la pays de l’arrivée, celui du
repos, donc
le pays des morts.
Pour les Bouddhistes l’Occident est le royaume du Bouddha
rouge,
Amitabha, le
protecteur des morts, celui qui peut vous recevoir dans son paradis
bienheureux. « Vesper » c’est le pays du
soleil
couchant, celui des pommes d’or
du jardin des Héspérides, au pied du mont Atlas.
Sa
fête est le 21 décembre,
jour où le soleil est le plus bas sur l’horizon.
C’est aussi le monde des
étoiles où aurait été
inventée
l’astronomie.
Les Orientaux situent en Occident, ce que nous nommons
l’orient éternel, où le
royaume de l’au-delà, ce qui se situe
au-delà de la mort. Il est le deuxième
monde que visitaient déjà les Egyptiens :
l’Amentit ou Am Douat. C’est là
où
s’opère notre métanoïa dans le
royaume de la Lumière éternelle.
« Lorsque l’homme plonge à
l’intérieur
de lui-même, dans son Orient intérieur,
ses propres ténèbres sont absorbées
par la
lumière. Il n’y a plus de
ténèbres
seulement de la lumière » écrit
M-M.Davy (le
désert intérieur p. 200). Et elle
continue : l’homme éveillé
n’éprouve
plus la nécessité de recourir à un
orient
extérieur car le lieu de paix silencieuse est en lui, dans
sa
dimension de
profondeur, dans son fond secret, devenu sa demeure vivante.
C’est la fête de
la lumière, le lucernaire. En effet l’orient
intérieur par la lumière qu’il
apporte donne l’éveil. Pas le petit
réveil
quotidien, mais l’éveil dans la
veille, l’Eveil à un autre niveau de conscience.
Après cet homme nouveau est
dans une merveilleuse allégresse, car désormais
il peut
rendre ce qu’il a reçu
: il éveille. Celui-là est devenu
théophore, celui
qui fait voir et qui porte
le divin avec lui. Ce n’est que dans la plénitude
du
silence que les hommes
peuvent se rencontrer et s’aimer.
par Marc-Alain
DESCAMPS |