Obédience : NC | Loge : NC | 04/2010 |
Avoir,
Etre et Initiation Ce
triptyque invite à présenter
d’abord quelques points forts concernant l’Avoir et
l’Etre ; il oblige à
montrer ensuite que ces points forts
s’intègrent dans l’ensemble des
significations de l’initiation que nos travaux
ont déjà su lui donner. La notion d’Avoir L’Avoir
est une aspiration humaine
naturelle. Pour vivre, en
effet, il faut posséder un certain nombre de choses, et dans
la mesure où une
telle possession favorise l’accès à un
certain bonheur de vivre, il est évident
que personne ne la refuse, personne ne
refuse l’Avoir. Dans
l’Avoir, et à côté des
biens matériels, sont
également pris en compte les biens immatériels
tels le nom, la famille avec son
histoire, les souvenirs, les liens sociaux, l’image de soi,
l’autorité, les
savoirs et autres compétences, le talent…etc.
Généralement lorsque nous voulons
exprimer notre Avoir, nous disons j’ai ceci ou
j’ai cela. L’utilisation du
mot « j’ai » est
propre à notre culture. Il est en relation avec le
développement de la propriété
privée. En revanche dans des cultures où
prédomine la propriété fonctionnelle,
c'est-à-dire la possession pour l’usage,
le « j’ai » direct,
n’est pas utilisé et fait place à la
forme
indirecte « ceci est pour moi. » On
doit considérer que toute
personne possède un minimum de biens aussi rudimentaires
soient-ils, car vivre
sans rien est pratiquement impossible. Comprendre cela est chose
aisée, et dans
la mesure où existe une adéquation entre les
besoins essentiels et la
possession de biens, ceux qui réussissent une telle
adéquation ne peuvent que
s’en réjouir, et le fait qu’ils ont
acquis un patrimoine
doit être
considéré comme une récompense
légitime. Pour réussir, ils ont mis en action
leur énergie, leur savoir faire, et s’ils
n’ont spolié personne leurs biens
sont indubitablement mérités. Par
ailleurs, lorsque la personne
s’affirme comme membre d’une communauté,
comme partie prenante d’une famille ou
d’un groupe social donné, la
légitimité de
l’Avoir est encore mieux affermie, car
dans ce cas l’idée de
patrimoine procède du besoin
d’entreprendre pour la communauté en servant
un dessein qui dépasse tout projet individuel. Mais,
en y regardant de plus prés,
on observe que l’Avoir centré sur le patrimoine,
avec le profit comme moteur,
présente des dangers
évidents, en particulier lorsqu’il engendre un
désir excessif d’accumulation et
de consommation de biens matériels, mais aussi un
désir puis un besoin de
puissance. Ce désir et ce besoin sont à
la base de tous les excès, de toutes les
violences qu'inspire le souci
de préservation
de l’acquis. Ici le désir de l’Avoir se
transforme en passion de l’Avoir qui
progressivement entraîne la personne dans
l’illégitimité. En
réalité cette attitude qui
pousse à la démesure, ne traduit rien
d’autre que le désir de paraître. Dans
toutes les sociétés modernes ce désir
est omniprésent et il suffit d’être
simplement attentif aux comportements humains les plus
élémentaires, pour en
percevoir l’importance grandissante. Les
débordements auxquels conduit
la quête de l’Avoir pour l’Avoir, font
apparaître un effet inattendu : la
peur. La peur résulte de ce que tous les comportements qui
ont engendré l’excès
d’Avoir, sont tellement
installés,
qu’il devient impossible de s’en
séparer. Toute tentative dans ce sens éveille
même l’angoisse car elle engendre
l’impression d’une perte de
sécurité et la
crainte de perdre ce que l’on a. On
préfère alors s’enfermer dans un
système
protecteur dans lequel on s’interdit tout
dépassement car celui-ci contient
l’échec possible. Seul semble sûr ce qui
est ancien et éprouvé.
Pourtant,
malgré la sécurité
qu’assure l’Avoir, ceux qui s’y limitent,
admirent les personnes courageuses
qui vont de l’avant, qui ouvrent un nouveau chemin. Ils les
assimilent aux
héros capables de quitter ce qu’ils ont :
leur famille, leur terre, leurs
biens matériels, et capables de partir, certes avec
appréhension, mais sans succomber à la peur. Ils
les admirent parce que les
actions des héros sont celles qu’ils voudraient
accomplir mais qu’ils
n’accompliront jamais car la peur de la transgression les
paralyse. On
observe donc qu’à force de
préserver l’Avoir, on vit en
privilégiant les seules valeurs
du monde des illusions. Cette prise de conscience est
l’occasion de se poser alors la question concernant son
propre vécu : «Si
je suis ce que j’ai, et si ce
que j’ai est perdu, alors qui
suis-je ? » Soudain
cette question essentielle
qui invite à l’examen intérieur, fait
surgir une nouvelle réalité, celle d’un
accomplissement apparent qui s’est substitué
à
l’accomplissement vrai, celui que tout
initié tente de réaliser. Alors !
Quelle est la
solution pour passer de l’accomplissement apparent
à l’accomplissement
vrai ? La
solution est de prendre enfin
conscience de l’Etre qui nous habite et d’utiliser
sa puissance pour harmoniser
la vie que nous menons quotidiennement sur « le
Pavé mosaïque. » C’est
de cette prise de conscience
dont il va être question maintenant. La notion d’Etre Elle
est d’un accès moins facile
que celui relatif à la notion d’Avoir dans
laquelle chacun de nous trouve des
aspects qui lui sont plus aisément
compréhensibles et plus souvent familiers.
Longuement examinée par les philosophes et les
théologiens elle a fait et fait
toujours l’objet de très nombreuses publications.
Dans bon nombre d’entre elles
cette notion est d’ailleurs située par rapport
à la notion d’Avoir, en
insistant sur leurs antagonismes apparents. Dans
le cadre de ce travail une
telle approche sera écartée. Il lui sera
préférée celle que notre
regretté frère André Buscail avait su
nous
transmettre, et à laquelle j’ajouterai quelques
réflexions personnelles. Pour
saisir le message d’André, il
faut d’abord dans la personne humaine, distinguer, comme il
le faisait, la
Personnalité et l’Individualité. Pour
André la Personnalité est
source du « Paraître, »
source de tout ce qui représente
l’extériorité. Il notait que dans le
monde profane la personnalité présente un
caractère positif. Ce mot disait-il, issu du latin
« Persona, » signifie
masque de théâtre. Il
« habille » la personne et
l’autorise à jouer
un personnage, prétexte à la manifestation de
l’Ego. Trop souvent celui-ci se
laisse aller aux débordements excessifs dans lesquels
s’inscrit essentiellement
le besoin
« d’épater la
galerie, » besoin pouvant aller
jusqu’à
l’exhibition impudique de l’Avoir. Ainsi il
concluait que dans le monde profane
la personne importante est celle qui est reconnue comme
possédant une forte
Personnalité. Mais
à la Personnalité, André
opposait l’Individualité qu’il
assimilait à l’intériorité,
et qui est souvent
perçue comme l’expression de
l’individualisme dans lequel l’intention de se
démarquer et de s’isoler des autres est
généralement entachée d’un
caractère
négatif. Il précisait encore qu’une
société profane est d’autant plus
pauvre
que ses membres manifestent exagérément leur
Individualité. Puis,
il rappelait qu’en
ésotérisme, il n’en est plus de
même et cette fois c’est
l’Individualité qui
est perçue positivement, tandis que la
Personnalité elle, est perçue
négativement. Dans ce cas en effet
l’Individualité n’a plus rien
à voir avec
l’individualisme, mais plutôt avec ce qui est
indivisible en la personne
humaine et qui se tient au centre, au cœur de celle-ci. Pour
les ésotéristes,
l’indivisible en l’homme est en fait la parcelle ou
l’étincelle divine dont
chacun est dépositaire, et qu’ils assimilent
à l’Etre. Mais
pourquoi l’Etre ? Une
réponse à cette question est
proposée par la Bible qui indique que c’est
prés du buisson ardent, qui jamais
ne se consume et qui jamais ne peut être éteint,
que Moïse reçut la révélation
du nom de Dieu qui se présenta à lui en
disant : « Je suis celui qui
est » et il ajouta « Tu
répondras aux enfants d’Israël :
c’est
celui qui s’appelle « Je
suis » qui m’a envoyé vers
vous. » Ainsi,
en se référant à cette
présentation, il n’est pas
déraisonnable de faire une analogie entre Dieu et
l’Etre et par conséquent de considérer
que « Dieu en l’homme »
devient « l’Etre en
l’homme ». Cet Etre se conçoit comme
la potentialité totale dans
laquelle à tout instant de sa vie l’homme peut
puiser. Elle peut
être assimilée à un ensemble
d’archétypes correspondant
à des
structures énergétiques porteuses de dynamismes
acquis au cours de l’évolution
naturelle et que la conscience individuelle tente de
s’approprier afin de
devenir plus performante dans sa tentative de dévoilement
progressif de
l’immense univers. Ils n’ont pas
été déterminés une fois
pour toutes lorsqu’ils
sont devenus manifestés, mais s’affirment en
même temps que se développent les
facultés méditatives, rationnelles et cognitives,
ainsi que le niveau
d’amour de l’humanité. Convenablement
exploitée, cette
potentialité se distribue dans la personne et en irradie la
Personnalité qui se
trouve alors en situation favorable pour que son expression dans les
rapports
humains leur confèrent la meilleure harmonie possible. C’est
donc « Je suis »
qu’il faut révéler et mettre en exergue
dans chaque action, afin que sous son
influence, la Personnalité puisse s’affranchir des
excès qu’elle a par trop
tendance à faire apparaître. « Je
suis, » l’Etre,
l’Indivisible, distribué dans chaque atome de la
personne, se révèle dans
l’amour, le bien, la perfection indissociable de la
beauté, ainsi que dans
l’action morale. L’ensemble
de ces considérations
interprété analogiquement, montre enfin que la
personnalité est à
l’individualité, ce que les électrons
externes d’un atome sont à son noyau, et
les planètes sont au soleil. On peut noter ici que ce sont
les électrons
externes qui établissent les liaisons chimiques, comme la
Personnalité établit
les liaisons humaines. A l’image du noyau atomique et du
soleil qui sont des
centres de puissance, on peut avancer que le centre de puissance dans
l’homme
est l’Individualité, c'est-à-dire
l’Etre. Une
dernière observation doit être
encore faite. Elle concerne la notion
d’Existence. Cette
notion, dans son emploi
courant, est très facilement confondue avec la notion
d’Etre et pour la plupart
d’entre nous, dire j’existe, veut dire je suis, et
réciproquement. En
réalité exister signifie
littéralement, « se manifester en
dehors, » « sortir
de, »
« s’élever
de, » et « surgir dans le
monde ». L’Existence
n’est donc pas l’Etre.
Elle est
« l’extériorité »
dont nous parlait André à propos de la
Personnalité. Elle est en réalité
l’expression de celle-ci. Si
la Personnalité envahit la
personne et si l’Etre est comme mis sous le boisseau par les
abus de la petite
volonté personnelle, l’Existence, le surgissement
dans le monde, a par trop
tendance à se charger des illusions de l’Avoir et,
à la suite de la période
euphorique qu’elles autorisent, vient le temps de la crainte
de les voir
s’éteindre, crainte engendrant
énervements et insatisfactions. Si
c’est l’Etre qui envahit la
personne et écrase la Personnalité,
l’Existence prend cette fois les formes
traduisant comme un désir d’exclusion de ce monde,
aboutissant à un détachement
analogue à celui qui caractérise le mystique
consacrant sa vie à la seule
intimité avec Dieu. En
fait, c’est seulement lorsque
la Personnalité devient l’instrument de
l’Individualité, de l’Etre, et
s’y
soumet, que la personne s’enrichit de pouvoirs que seule la
Personnalité ainsi
corrigée est à même
d’exprimer et de faire
« exister ». On peut
observer dans ce cas que la petite volonté personnelle a
fait place à une
volonté transformée qui s’est
alignée sur une Volonté supérieure
soutenue par
le Bien, le Bon, Le Beau, le Juste et l’Amour. Après
ces quelques considérations
rapides concernant l’Avoir, l’Etre et
l’Existence il faut maintenant tenter de
les relier à l’initiation proprement dite. Celle-ci
comme on le sait, est
l’ensemble des opérations faisant passer de
l’état d’homme profane à
celui
d’homme spirituel, non pas pour devenir un mystique, mais
pour devenir un homme
nouveau pouvant être considéré comme le
résultat de la fécondation du
« profane » par le
« spirituel ». Lorsque cette
fécondation
se réalise, il y a passage de l’inauthentique
à l’authentique, de
l’immaturité
à la maturité, de l’état
d’esclave à celui d’homme
libéré. En
vérité ces passages
correspondent à des morts et renaissances successives, ce
qui permet de dire
que s’initier c’est faire mourir à ce
qui est inférieur et cause d’involution,
pour renaître à ce qui est supérieur et
cause d’évolution. Par
l’alternance de la mort et de
la renaissance incessamment renouvelées,
l’initié dans sa vie nouvelle
élève
son niveau de conscience, et s’ouvre à une vie de
plus en plus unifiée qui,
sans lui assurer un mieux être, lui donne accès
à une plus grande clarté de
l’Etre. Bien
évidemment d’autres aspects
peuvent être ajoutés pour caractériser
l’initiation. Parmi ceux-ci il en est un
particulièrement éclairant qui
précisément intègre les notions
d’Avoir et
d’Etre dont il vient d’être question. Il
prend en compte les réflexions
de Marie Madeleine Davy relatives à
« l’homme
charnel » et à
« l’homme spirituel, »
qu’elle présente dans la
« Symbolique romane ». « L’homme charnel »
assimilable à l’homme profane, dit-elle, est
essentiellement préoccupé par les
aspects matériels et sexuels de l’existence. La
compétition est son domaine. Il
participe à la vie des hommes d’une
façon toute superficielle. Il est
facilement la proie des divisions, des affrontements et du sectarisme.
A terme
il est dévoyé, désorienté,
isolé, son sens de la communication et de la
communion est perdu, et il n’accorde aucun
intérêt à la vie spirituelle
qu’il
s’efforce d’ignorer.
Pour lui Dieu est
une sorte de César, de potentat, de banquier qui est pourvu
de force et de
puissance seulement utilisables pour régir les aspects
profanes de la vie. A cet
« homme charnel », elle oppose
« l’homme
spirituel, » dont elle dit qu’il
s’efforce d’être la parfaite ressemblance
de la divinité qui l’habite ce dont il prend
conscience chaque jour davantage.
Il œuvre à l’avènement du
royaume de Dieu, c'est-à-dire à la transformation
du
monde. Son langage et ses actions lui permettent de s’extraire des contingences de la
compétition pour
s’ouvrir au monde de la coopération. Homme de
lumière, il répand la clarté dont
il est la source. Pour rendre compte le mieux possible de son
expérience
ineffable il a recours aux symboles et à force de travail,
il aboutit à une
sorte d’intimité avec le divin. Par cette
intimité, il établit un dialogue avec
toutes les formes de vie et avec le cosmos dans son ensemble. Ainsi et
d’un
seul coup, tout isolement disparaît car entre lui et la
création s’installent
une vraie parenté et une vraie empathie. Il saisit alors le
vrai sens du retour
à la source. Pour
« l’homme
spirituel » Dieu est Amour. Il se sent donc
aimé de Dieu, ce qui le pousse
à en devenir l’amant et en devenant amant, il
s’identifie à l’Amour. Ces
quelques caractéristiques
de l’homme charnel et de l’homme
spirituel,
indiquent ce que nous sommes trop souvent, et ce qu’il serait
souhaitable que
nous devenions enfin. En vérité, il faut
comprendre que « l’homme
charnel » qui vit en nous doit, non pas
disparaître, mais se transformer
sous l’influence de « l’homme
spirituel » qui doit
être révélé chaque jour
davantage. C’est
l’interdépendance entre ces
deux hommes qui favorise l’éclosion de la personne
équilibrée, heureuse de
vivre, pouvant témoigner alors de
l’accomplissement de l’initiation. Si
maintenant nous revenons à
l’Avoir et à l’Etre, il
apparaît de façon évidente que
l’Avoir (l’Ego) est à
« l’homme charnel »,
ce que l’individualité (l’Etre) est
à
« l’homme spirituel, »
et à l’image de
l’interdépendance évoquée
ci-dessus, l’initiation peut être vue, comme
étant la quête de l’harmonisation
des comportements engendrés par l’Avoir sous
l’effet de ceux placés sous la
direction de l’Etre. En fait cette correction n’est
pas autre chose que celle
de la Personnalité, c'est-à-dire la juste mise en place de l’Ego,
sous l’influence de l’Etre. Elle
est réalisée lorsque le
masque a été jeté, lorsque
« les métaux ont
été réellement abandonnés
à la
porte du Temple et du Temple intérieur en
particulier, » c'est-à-dire
lorsque la Personnalité a été
réordonnée, et
lorsque enfin l’Etre a joué son
rôle libérateur. Tant
que la personne ignore
l’influence de l’Etre, elle ne
s’intéresse qu’à son propre
« habillage »,
c'est-à-dire à sa Personnalité. Dans
ce cas elle est
comme boiteuse et son
« Existence » finit par
refléter un vrai mal de
vivre. Dés
qu’elle prend conscience de
l’influence bénéfique de
l’Etre, et qu’elle appréhende soudain
qu’elle favorise
le réajustement de la Personnalité, elle cherche
à en amplifier les effets et à
lui faire jouer le rôle de guide qui lui revient. Dans
ces conditions la
Personnalité qui se soumet à
l’Être et qui en reçoit la
fécondation se trouve
placée sur la voie de l’évolution.
Celle-ci devient effective lorsque la
personne maîtrise les excès de l’Avoir
et quitte par conséquent le domaine du
paraître. Soumise à l’influence
croissante de l’Etre, la
manifestation de la personne dans le monde (l’Existence),
prend alors la couleur des vertus, et ce faisant, traduit une vie en
voie de
parfaite réussite. C’est
à une telle réussite que
nous aspirons mes frères, et j’espère
qu’ensemble nous saurons lui donner forme
par nos actions. R\ B\ |
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