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La Franc-maçonnerie ou Voyage au centre de l’être

Visita Interiora Terræ, Rectificando Invenies Occultum Lapidem. D’emblée, le décor est placé. Mais comment le postulant comprendrait-il, lorsqu’il regarde, étonné, l’acronyme V\ I\ T\ R\ I\ O\ L\ inscrit au mur obscur du cabinet de réflexion, que la « démarche » entreprise est alchimique, en quelque sorte une tentative de transmutation individuelle accomplie au sein d’une collectivité « d’individus » poursuivant chacun pour eux-mêmes - collectivement - le même but par des voies différentes ? Comment comprendrait-il qu’il est, solitaire, aux prises avec l’Œuvre au noir, premier acte d’une individuation qui le conduira, s’il le souhaite, à l’athanor - Œuvre au rouge - où il retrouvera la Parole perdue ? Impossible.
 
Tous ceux d’entre nous qui avons enquêté des profanes n’ont pu que très rarement percevoir, dans l’expression maladroite de leurs motifs, une quelconque intuition du sens de leur quête. Ils ne sont capables que d’exprimer des banalités ; l’affirmation confuse d’une croyance en Dieu, certes, mais sans trop savoir expliquer le pourquoi et le comment, rejoignant en cela à leur insu les propos de C.G. Jung : « …à moins que quelqu’un n’en vienne à l’idée bizarre de prétendre savoir avec précision ce qu’est Dieu » ; (1) une idée vague de la fraternité, mais aussi, souvent, le sentiment d’une frustration religieuse. Peut-être celle de ne pas avoir perçu au sein de leur Église baptismale les discours qui sortiraient du formalisme et de la superficialité, incapables de susciter au sein de la communauté ecclésiale une participation active de leur âme (psyché). Car c’est bien de cela qu’il s’agit.
 
Le dogme et la doctrine au sein des Églises ne doivent pas être considérés uniquement éléments de frustrations des libertés individuelles, mais aussi, reconnaissons-le, comme une nécessaire rampe sur laquelle s’appuie la majorité des fidèles, une structure collective destinée à ceux qui, sans quoi, trébucheraient (le dogme de la Trinité, par exemple, ne peut être raisonnablement remis en cause, au risque de renier purement et simplement le christianisme - encore conviendrait-il ici de remplacer le mot dogme par le mot mythe qui correspondrait mieux à notre vision maçonnique - cf. infra : Mythe & inconscient).
 
Les dogmes sont par conséquent les socles sur lesquels s’édifient les doctrines, épines dorsales des Églises. En revanche, le danger réside en une projection intégriste et exclusive d’une pratique religieuse dévoyée, en une attitude dogmatique radicale qui soustrairait à l’âme ses valeurs, car l’individu - entendons par individu le profane qui un jour de sa vie vient frapper à la porte de nos temples - souhaiterait inconsciemment pouvoir participer à son expérience spirituelle au sein de son Église, qui n’est devenue le plus souvent hélas, selon la formulation de Kierkegaard, qu’une institution de prêtres-fonctionnaires qui y font carrière, réduisant les Écritures à un prétexte à de belles envolées rhétoriques devant un public assoupi, une sorte de compagnie d’assurance pour l’au-delà ; le postulant souhaite en effet participer à la nourriture de son âme et, à cet égard, met son espérance dans la Franc-Maçonnerie, cette fraternité d’hommes dont il ne connaît rien, évidemment.
 
Rappelons ici la doctrine de Maître Eckhart qui met en exergue le thème de l’archétype (nous y reviendrons) en ceci que l’âme se rattache à l’essence divine par son point le plus intime, où est situé son archétype éternel, désigné par le dominicain comme point central de l’âme, la « lumière » ou « étincelle ». Dès lors, notre postulant potentiel, responsable de la construction de son propre temple intérieur, est de facto un cherchant- il cherche la lumière-, prêt à une quête de son archétype, prêt à remplir le vide de son âme et mettre « tout Dieu dedans » et non « tout Dieu dehors ».

Cette vision repose essentiellement sur le concept de la régularité. Or, nous connaissons tous l’importance du Volume de la Loi Sacrée (VDLS), l’une des trois lumières de la Franc-Maçonnerie, témoignage écrit de la Tradition sans distinction d’appartenance religieuse. La franc-maçonnerie étant d’essence occidentale, il se trouve ainsi que ce Volume soit la Bible. Il pourrait en être autrement sans que la régularité en soit altérée (le Coran par exemple). Rappelons brièvement ce qu’est la régularité : « Le premier point de la régularité est la croyance au Grand Architecte de l’Univers et en Sa volonté révélée (…) La révélation ainsi perçue n’appartient pas spécifiquement à une religion déterminée (…) Le pasteur Anderson l’a parfaitement formulé dans ses Constitutions en désignant le franc-maçon comme noachite » (2).
 
Cette formulation peut paraître réductrice. En effet, la révélation est essentiellement un concept issu de l’arbre abrahamique et ne concerne en fait que le judaïsme, le christianisme et l’islam, toutes trois religions révélées incluant la transcendance (Moïse, le Christ, Muhammad), elle impliquerait de ce fait davantage un aspect théiste que déiste. Il est clair que la notion spirituelle de G\ A\ D\ L\U\ n’est pas la même dans les trois religions des Livres (ancien et nouveau Testament, et Coran) que dans les Upanishad ou tout autre expression livresque de doctrines orientales qu’il ne convient pas d’analyser dans le cadre de cette étude. Disons par exemple qu’il y a fort à parier que si l’Angleterre n’était pas allé coloniser l’Inde pendant un siècle, la Franc-Maçonnerie n’y existerait pas. Névrose, motivations psychologiques du postulant et individuation.
 
Nous pensons que le désir inconscient d’une quête spirituelle à l’origine d’une volonté d’adhésion à une organisation initiatique comme la Franc-Maçonnerie est de l’ordre de la « névrose consciente ». Entendons-nous bien. Il convient ici de se garder de toute ratiocination hasardeuse, de modérer nos propos et d’observer prudemment les caractères apparents de la névrose - même légère -, autrement dit ne pas se limiter à une définition lapidaire de cette forme de psychopathie. Sous forme de boutade, nous pourrions dire que le Maçon est un « névrosé qui ne s’ignore pas », alors que la plupart des individus, femmes ou hommes, que nous rencontrons sont des « névrosés qui s’ignorent ». Rares en effet sont les êtres qui peuvent prétendre à un parfait équilibre psychique.
 
La névrose est un état obsessionnel inconscient. Les divers états névrotiques - même légers répétons-le - présentent des caractères et des troubles communs se traduisant par des malaises psychiques et sociaux, des manques de maturité affective (réactions inconscientes aux situations professionnelles, familiales, etc.), névroses d’angoisse ou autres dues à des facteurs endogènes psychiques (éducation, conditions de vie, circonstances extérieures, etc.). Ils se traduisent par un besoin de rechercher une sorte de refuge où réfléchir et agir tels que C.G. Jung les définit lorsqu’il aborde la question des sociétés secrètes : « Ces identités collectives, (…) des béquilles pour les paralytiques (…) mais tout autant (…) un but glorieux et ardemment escompté pour ceux qui ont erré et qui sont déçus… » (3).
 
On doit se garder ici d’assimiler les termes de sociétés secrètes et de Franc-Maçonnerie, les unes n’ayant évidemment rien à voir avec l’autre, sinon qu’elles réunissent des groupes d’hommes menant une quête commune. Reconnaissons ici que nos ateliers sont des cellules où chacun d’entre nous se ressource, se reconstruit, exerce pour soi-même ce processus d’individuation par lequel un être est supposé devenir un « individu » psychologique, c’est-à-dire une unité autonome, une totalité ; c’est une voie qui nous invite à devenir un être réellement individuel ; un retour à notre unicité la plus intime.
 
L’individuation n’exclut pas l’Univers, elle l’inclut (« Dieu tout dedans » selon Maître Eckhart) (4). L’individuation, considérée comme désir d’un approfondissement de la connaissance de soi, est une entreprise individuelle, difficile, longue. Ce désir métaphysique est intrinsèquement lié à une réaction contre la déviation épistémologique de notre monde en devenir, orienté vers le matérialisme, succube de l’âme, créateur d’angoisse. L’ère gothique, transcendantale, celle où l’âme était incluse dans la matière, l’esprit dans la pierre des cathédrales, était une symbiose entre la substantialité de l’esprit et celui de la science. Le postulant est un nostalgique de cette époque révolue, cherchant la voie d’un retour vers l’esprit. Nous sommes en présence d’une dualité Matière-Esprit.
 
Rappelons à cet égard le symbolisme des diverses positions successives du compas et de l’équerre sur l’autel des serments. L’équerre, symbole de la matière, est placée au-dessus du compas, symbole de l’esprit, au premier degré ; les deux lumières maçonniques s’entrecroisent au deuxième degré, évocation d’un début de modification dans l’ordre des valeurs, ébauche d’un retour de la suprématie de l’esprit sur la matière, réalisée au troisième degré.
 
La névrose est directement liée à l’angoisse. L’angoissé cherche désespérément ses repères, il cherche à donner à sa vie le sens qui lui manque. Combien de fois n’avons-nous pas entendu : « J’ai réussi ma vie professionnelle, mais le reste est une faillite… » ? L’homme souffre souvent de déséquilibres psychiques dans lesquels il s’enferme, faute de pouvoir trouver une porte de sortie vers un plan supérieur qui lui ouvrirait l’esprit, où il pourrait se développer en une personnalité plus vaste. Kierkegaard parle de l’angoisse comme « grand privilège de l’homme » face à son pouvoir manifesté par le phénomène de la transgression et exprimé dans le mythe d’Adam, dont l’innocence se trouve face à l’immense possibilité de ce pouvoir ; l’angoisse est provoquée par l’interdiction et par la menace du châtiment ; elle devient alors le vertige de la liberté, une liberté prisonnière du désespoir. Et le Danois d’imaginer cette formule descriptive de l’état du moi lorsque le désespoir en est entièrement extirpé : « en s’orientant vers lui-même, le moi plonge, en voulant être lui-même, à travers sa propre transparence, dans la puissance qui l’a posé » (5). Se crée alors chez l’individu le désir d’une psychologie de l’âme, volonté reposant sur le postulat d’un esprit autonome. Cette démarche et sa réalisation représentent un effort individuel persévérant.
 
Imago Dei et archétype.
 
Comme nous venons de le voir plus haut, avec Maître Eckhart nous retrouvons l’Imago Dei (image de Dieu), produit de l’inconscient, laquelle, d’un point de vue psychologique, doit être comprise comme symbole du Soi, de la totalité psychique. Nos travaux sont ouverts à la Gloire du Grand Architecte de l’Univers, le Volume de la Sainte Loi symbolisant Sa présence dans l’espace sacré, constitué dans nos ateliers entre l’ouverture et la fermeture des travaux. Jung, toujours, s’exprime de façon claire sur ce sujet : « Ce n’est qu’au moyen de la psyché que nous pouvons constater que la divinité agit sur nous ; nous sommes cependant incapables de distinguer si ces efficacités proviennent de Dieu ou de l’inconscient, c’est-à-dire que nous ne pouvons trancher la question de savoir si la divinité et l’inconscient constituent deux grandeurs différentes. Tous deux sont des concepts limites pour des contenus transcendantaux. Mais on peut constater empiriquement qu’il existe dans l’inconscient un archétype de la totalité (…) une tendance indépendante du vouloir conscient qui vise à mettre d’autres archétypes en rapport avec ce centre ». On comprend ici le rapport étroit entre la présence de la divinité dans la loge, symbolisée par le Livre, et l’intime perception du surconscient (6) du sentiment de l’individu devant Mystère de Dieu.
 
Mystique et Initiation
 
Nous devons différencier ici la mystique de l’initiation, sans pour autant rejeter l’une par rapport à l’autre, - comme le fait à tort, à notre avis, Umberto Eco dans son monumental pavé : « Le Pendule de Foucault » (7) où transparaissent à l’évidence les pensées de Julius Évola -, mystique et initiation qui, chacune, à sa manière, tendent à une perception du divin, donc du surconscient. La mystique est une coruscation illuminée, fugitive ; l’initiation une quête longue et persévérante, mais le but de la totalité psychique - est le même. Notons au passage que le mystique païen n’a rien à envier au mystique chrétien, la mystique étant d’ordre supra-humain, à ceci près toutefois que les références du mystique sont liées aux racines religieuses et environnementales du sujet et à l’influence de celles-ci sur son surconscient.
 
Mythe et inconscient
 
Il convient en effet de réfléchir sur le rôle du mythe dans l’inconscient. Expression métaphorique connue des temps les plus reculé, le mythe est une sorte de psychodrame dont les acteurs représentent les différents aspects inconnus de nous-mêmes. Il nous invite tout au long du déroulement de l’action à une prise de conscience progressive. Le mythe n’est pas une fin en soi, mais un fil conducteur vers notre inconscient, la suggestion d’une méditation sur nous-mêmes sous la forme d’une voie, d’une structure d’idées qui proposerait une adaptation non plus à l’ambiance, mais au sens de la vie ; une évasion vers la sortie d’une déréliction psychique, créatrice d’angoisse, et qui nous envahit.
 
La pluralité des rituels a évidemment pour objet d’adapter chaque idiosyncrasie au système maçonnique dans son ensemble, mais le sens du mythe reste le même. Le postulat - nous l’avons vu plus haut - consiste à admettre que l’individu est a priori dans les ténèbres psychologiques (mythe de la chute - Ge. III 1/24)). Toute évolution ultérieure à cette situation ne peut que le conduire hors de celle-ci. Adam symbolise l’intellect, c’est-à-dire la capacité propre à l’homme d’agir sur le monde extérieur, de l’adapter à ses besoins, différent en cela de l’esprit, capacité de s’orienter essentiellement dans le monde intérieur et face au sens de la vie. Le mythe de la chute symbolise la prise de pouvoir de la matière sur l’esprit :
 
- « Que venons-nous faire en loge ? - Vaincre nos passions, soumettre nos volontés et faire de nouveau progrès en franc-maçonnerie ». (8)
- « Quels sont les devoirs d’un franc-maçon ? - Fuir le vice et pratiquer la Vertu ».
 
Considérant la totalité de son fonctionnement psychique, l’homme est à la fois faible et fort. Il sera plus fort que faible dans la mesure où son élan évolutif le portera à devenir pleinement conscient de lui-même, à comprendre tant les intentions de la surconscience éthique que les intentions pathogènes du subconscient.
 
Mythe d’Hiram et Prologue
 
L’ensemble des structures initiatiques de la franc-maçonnerie, à l’exemple des « mystères » de l’Antiquité, ont pour but de raviver l’émotion devant le Mystère de l’harmonie universelle, à laquelle l’homme, pour son bien essentiel, doit s’incorporer par auto-harmonisation (on s’initie soi-même), d’où s’en suit le sentiment d’éthique immanente. Il faut se garder ici de toute conceptualisation logique de la nature de Dieu, comprendre que le Grand Architecte de l’Univers (Dieu) doit être pris comme symbole innommable du Mystère absolu, non pas considéré comme Entité, Substance ou Personne, mais comme abstraction, comme vacuum. La tradition judaïque nous enseigne que le « Nom de Dieu » (Y-H-W-H) ne doit jamais être prononcé, sous peine d’une personnification qui, l’anthropomorphisant, lui retirerait sa signification d’harmonie infinie du silence (abomination salomonienne : tu ne prononceras pas le « Nom de Dieu » en vain). L’image même de Dieu se trouve incluse dans l’homme (Dieu tout dedans). « Seul existe le mystère immanent de l’existence : l’organisation harmonieuse de l’univers et l’émotion humaine devant cet aspect mystérieux auquel participe tout ce qui existe vraiment, être et chose » (9). Dieu est le reflet de la non-existence absolue.
 
Dans cet esprit, revoyons le mythe d’Hiram. C’est une fable qui met en scène une situation psychodramatique en relation avec le Prologue lu dans sa version mythique. Paul Diel en effet nous éclaire à cet égard : selon lui, il conviendrait de se livrer à une lecture du Prologue différente de celle proposée dans la Bible, laquelle - toujours selon lui - conduit le lecteur à une interprétation dogmatique du texte. Diel propose une interpolation de l’ordre des phrases qui lui restitue son sens mythique par déplacement du verset 6 après le verset 18. Nous faisons figurer en annexe les deux textes biblique et mythique parallèlement l’un à l’autre. Il nous a paru intéressant de soumettre la comparaison des deux lectures du Prologue qui met en valeur son sens mythique - maçonnique - uniformément recevable par tous, sans distinction confessionnelle ; elle permet en plus au non chrétien de prendre conscience de la dimension spirituelle de ce texte biblique (et maçonnique) fondamental : Comparaison selon Paul Diel de l'ordre d'une lecture du Prologue de l'évangile de Jean dans sa version dogmatique selon le Nouveau Testament, et selon un ordre mystique.

Version dogmatique

Version mystique

(1) Au commencement était la parole (Verbum = Vulgate, logos = l’évangile de Jean fut originellement écrit en grec) et le Verbe était auprès de Dieu et le Verbe était Dieu.

(1) Au commencement était le Verbe et le Verbe était auprès de Dieu et le Verbe était Dieu.

(2) Il était au commencement auprès de Dieu.

(2) Il était au commencement auprès de Dieu.

(3) Par lui tout a paru, et sans lui rien n’a paru de ce qui est paru.

(3) Par lui tout a paru, et rien sans lui n’a paru de ce qui est paru.

(4) En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes.

4) En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes.

(5) et la lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont point saisie.

(5) et la lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont point saisie.

(6) Il y eut un homme envoyé de Dieu et son nom était Jean.

(6) Il était dans le monde, et le monde par lui a paru et le monde ne l’a pas connu (10).

(7) Il vint en témoignage pour témoigner au sujet de la lumière, afin que tous par lui fussent amenés à la foi.

(7) Il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas accueilli (11).

(8) Celui-là n’était pas la lumière, mais il devait témoigner au sujet de la lumière.

(8) Mais à tout ceux qui l’ont reçu, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui ont foi en son nom, (12).

(9) C’était la lumière, la véritable, qui illumine tout homme en venant dans le monde.

(9) qui ne sont pas nés du sang ni d’un vouloir de chair, ni du vouloir d’un homme, mais de Dieu (13).

(10) Il (le Verbe) était dans le monde, et le monde par lui a paru, et le monde ne l’a pas connu.

(10) Et le Verbe est devenu chair et il a dressé sa tente parmi nous, et nous avons contemplé sa gloire, gloire que tient son père de son fils unique, plein de grâce et de vérité (14).

(11) Il est venu chez les siens et le siens ne l’ont pas accueilli.

(11) Car de sa plénitude nous avons reçu grâce pour grâce. (16).

(12) Mais à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui ont foi en son nom.

(12) Car la Loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ. (17)

(13) qui ne sont pas nés ni du sang ni d’un vouloir de chair, ni du vouloir d’un homme, mais de Dieu.

(13) Dieu, personne ne l’a jamais vu, le Fils unique qui est dans le sein du Père, celui-là l’a fait connaître. (18)

(14) Et le Verbe est devenu chair, et il a dressé sa tente parmi nous. Et nous avons contemplé sa gloire ; gloire comme celle que tient de son père un fils unique plein de grâce et de vérité.

(14) Il y eu un homme envoyé de Dieu et son nom était Jean. (6)

(15) Jean témoigne à son sujet et n’a cessé de crier : « C’est celui dont j’ai dit : Celui qui vient après moi a existé avant moi, car avant, il était ».

(15) Il vint en témoignage, pour témoigner au sujet de la Lumière afin que tous par lui fussent amené à la foi (7).

(16) Car de sa plénitude nous avons reçu et grâce pour grâce.

(16) Celui-là n’était pas la lumière, mais il devait témoigner au sujet de la lumière. (8)

(17) Car la loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ.

(17) C’était la véritable lumière qui illumine tout homme venant en ce monde. (9)

18) Dieu, personne ne l’a jamais vu, le fils (unique qui est dans le sein du père, celui-là l’a fait connaître.

(18) Jean témoigne à son sujet et n’a cessé de crier : « C’est celui dont j’ai dit : Celui qui vient après moi a existé avant moi, car avant moi, il était ». (15)

Les chiffres en italique à la fin de chaque case de la colonne de droite ramènent au chiffre des cases de la colonne de gauche.

 
Ainsi :

- Le Maçon que nous pleurons est celui qui nous éclairait…
- Au commencement était le Verbe…en lui était la lumière des hommes…
 
Au début de la « légende », nous sommes avant la « chute » ; l’ordre, l’harmonie et la sérénité règnent sur le chantier (hiérarchie pyramidale, division des ouvriers par classe ; l’existence du monde est inséparable de son organisation). Dans le Prologue, le Verbe et la lumière illuminent le cosmos (subconscient). Après l’assassinat d’Hiram, nous sommes plongés dans les ténèbres ; Adam a déjà croqué le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal ; Lucifer apparaît en filigrane, la Genèse sous-entend l’avènement de la souffrance pathologique qui apparaît avec l’être conscient (conscience du crime, de la transgression). « Le Verbe (Dieu) symbolise l’acte créateur, organisateur ; au niveau humain, l’organisateur du fonctionnement psychique (…) de sa réalité psychologique » (10).
 
- Il (Hiram) a péri par le plus détestable des crimes…(la lumière est éteinte).
- Et la lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont point saisie…
 
Mais l’esprit d’Hiram, mort assassiné, perdure dans les ténèbres ; il cesse d’être instinctif pour devenir directif (celui qui dirige) et subconscient. On assiste à un refoulement de l’appel de l’esprit. La « lumière qui brille dans les ténèbres » est la vérité éternelle qui ne parvient plus à s’imposer, car le subconscient, le refoulement, s’opposent à l’émergence et à l’influence du subconscient.
 
- Le sage roi Salomon avait conçu le pieux dessein d’élever au Grand Architecte de l’Univers un temple, où seul il recevrait l’encens des hommes…
 
Le roi Salomon n’est pas ici le personnage historique, contestable, de l’ancien testament, mais un symbole du Bien, personnage mythologique supra-humain, dont il est l’exécuteur.
 
- Hiram, savant dans tous les arts et spécialement dans l’architecture et dans le travail des métaux, fut envoyé à Salomon (…) pour conduire cette entreprise…
- Il y eut un homme envoyé de Dieu son nom était Jean…
 
Qui envoya Hiram à Salomon ? : Dieu (le Verbe). Nous retrouvons ici un sens caché commun à toutes les mythologies où le Créateur (Dieu) et le Juge (Salomon) unis en un seul symbole - le Verbe - signifiant le mystère de l’existence. Le temple devient alors le centre (la chambre du milieu), le lieu du subconscient (l’encens des hommes).
 
Voyons ici une annonciation de l’esprit prophétique davantage conforme à une lecture mythique du texte qui nous dit : « Soyez les prophètes de votre propre vie ! » En effet, Hiram mort, nous sommes conviés à l’achèvement psychique de la construction du temple, de notre Soi, de notre archétype, à une rencontre avec le Mystère. Nous sommes conviés à nous prendre en main. Souvenons-nous ici des mots de Jung : « Auparavant, les choses m’arrivaient; maintenant c’est moi qui veut » (11). Ou bien encore : « Tandis que celui qui nie s’avance vers le néant, celui qui obéit à l’archétype suit les traces de la vie jusqu’à la mort. Certes, l’un et l’autre sont dans l’incertitude, mais l’un va à la rencontre de son instinct tandis que l’autre marche avec lui » (12).
 
- Hiram (…) maintenait encore les esprits révoltés (…) lorsque trois compagnons formèrent l’horrible projet d’arracher, de gré ou de force, les Mot Sacré des Maîtres.

- Celui qui dit être dans la lumière tout en ayant de la haine pour ses frères… Les ténèbres ont aveuglé ses yeux (première épître de Jean (II/8).
 
Les trois compagnons haineux : ignorance, fanatisme et ambition, représentent les pulsions inconscientes, incontrôlées. L’assassinat d’Hiram est une transgression involutive, forme négative des intentions du psychisme ; c’est le fruit défendu du jardin d’Eden, le feu de Prométhée.
 
À la fin de la légende d’Hiram, après que le récipiendaire a été relevé par les cinq points parfaits de la maîtrise, le V\ M\ annonce joyeusement le retour de la lumière :
 
- Le M\…est retrouvé et il reparaît aussi radieux que jamais ! C’est ainsi que tous les MM\ Maç\ affranchis d’une mort symbolique, viennent se réunir avec les anciens CC\ de leurs travaux et que, tous ensemble, les vivants et les morts, assurent la pérennité de l’Œuvre !
- Mais à tous ceux qui l’ont reçu (le Verbe), il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu.
 
La voie de l’harmonie intérieure est désormais tracée. Le déroulement même de la cérémonie revêt une signification symbolique qu’il convient de ne pas ignorer : La loge est désorientée; elle est tendue de noir; un épais rideau noir isole le De’b’ir de l’Ehal ; le Delta à l’orient reste allumé, mais n’est plus visible, l’Étoile Flamboyante à l’occident est faiblement éclairée; l’emplacement des trois colonnettes a changé ; le V\ M\ n’occupe plus la chaire du roi Salomon mais est installé à une table au pied des marches de l’orient. Cette disposition correspond à l’image du chaos psychique dans lequel se trouve celui qui recevra la lumière quelque temps plus tard.
 
Nous remarquons ici qu’un même personnage peut recouvrir deux significations antithétiques. Le « rôle » joué par le V\…M\…se situe à deux niveaux :

a) la présidence de l’atelier (Salomon dans sa chaire).
b) un des trois assassins d’Hiram, en fait celui qui achève l’architecte.
 
Nous nous apercevons enfin que les lectures analogiques du Prologue, dans son sens symbolique, et celle du mythe d’Hiram, présentent des correspondances flagrantes. Certes, aucun miracle ne s’accomplira sans la volonté auquel l’âge du grade (sept ans et plus…) donne sa valeur et sa portée. Une nouvelle lumière éclaire l’inconscient. Siècle des Lumières et Franc-maçonnerie.
 
L’humanisme se développe au début du 18° siècle principalement en Angleterre où la Royal Society joua un rôle éminent. Dans ses Lettres philosophiques, Voltaire écrivait : « Tout prouve que les Anglais sont plus philosophes et plus hardis que nous. Il faut bien du temps pour qu’une certaine raison et un certain courage franchissent le Pas-de-Calais ». Constatons le parallèle chronologique entre cette nouvelle « voie royale de l’intelligibilité », purement anglaise, et la création (purement anglaise elle aussi) de la franc-maçonnerie spéculative de 1717. L’historicité de la Franc-Maçonnerie est ainsi intimement liée à celle de l’humanisme du Siècle des Lumières, générateur de rationalismes postérieurs comme le positivisme d’Auguste Comte, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes. En effet, l’humanisme pris au pied de la lettre est une doctrine philosophique qui place l’homme et les valeurs humaines au-dessus des autres valeurs y compris celle du Mystère.
 
Or, le symbolisme, tel qu’il doit être compris dans la démarche mythique de la Franc-Maçonnerie, place justement l’homme devant le Mystère. En fait, le paradoxe n’est qu’apparent. Isaac Newton, membre de la Royal Society, elle-même indirectement liée à la Franc-Maçonnerie (souvenons-nous de B. Franklin, à la fois membre de cette institution et Maçon), auteur des « Principes mathématiques de la philosophie naturelle », introduit le concept de « Démiurge », « l’Horloger », expliquant le fonctionnement de l’Horloge-Monde à partir des lois immanentes et non pas transcendantes de l’univers, monde fabriqué une fois pour toutes et sans intervention ultérieure. Ce qui est précisément le Mystère.
 
Il serait niais et stérile de réfuter en bloc l’héritage des Lumières. Mais force est de reconnaître que les doctrines philosophiques qui en découlèrent (positivisme, structuralisme, physicalisme, etc.) se sont évertuées à démontrer vainement l’indémontrable.
 
La Franc-Maçonnerie, pourquoi ? Le développement de notre thèse nous invite à réfléchir au bien-fondé d’une démarche correctement comprise et pratiquée au sein de notre organisation. Quelle que soit l’époque, toute société a creusé sa tombe pour s’y coucher une fois morte. Une éternelle palingénésie fait renaître le Phœnix de ses cendres jusqu’à ce que, à nouveau, il s’effondre et implose. Sir Thomas More écrivait déjà au 16° siècle dans son Utopie : « Que faites-vous donc, je vous le demande, que de fabriquer vous-mêmes les voleurs que vous pendez ensuite ? » Nous nous fabriquons voleurs pour nous pendre ensuite, comble de l’absurde. Bateaux ivres sur l’océan de la vie, nous ne sommes souvent plus capables de trouver le bon cap.

Notre frère J\ S\ dans son « Histoire de l’Utopie » (13) soulignait avec justesse : « À quoi bon bâtir, philosopher, rêver, prier si l’homme n’est pas le but suprême de toute démarche et son bonheur sur terre mal assuré ». La question se pose alors de savoir en quoi consiste le bonheur de l’homme. La prédominance de la matérialité de notre siècle oblitère le vrai sens de la vie sans tenir compte de l’inter-influence constante entre les deux phénomènes existants : esprit et matière, et conduisant au renversement du rapport survalorisant la matière et rendant inutile l’approfondissement épistémologique (ou Théorie de la Connaissance) instituant une croyance en une Matière absolue, à la place d’un Esprit absolu, fondant ainsi de fausses bases à toute tentative d’explication. Et cela reste l’origine même de la névrose dont nous parlions au début de cet exposé.
 
Dans toutes les traditions, le carré a été le symbole de la matière, le cercle, celui de l’esprit. Dans notre tradition maçonnique, le carré est l’équerre, le compas, le cercle. Passer de l’équerre au compas pour “être relevé plus radieux que jamais” est réaliser cette transmutation de la matière à l’esprit. La trinité maçonnique prend alors toute sa valeur symbolique. La dualité Esprit/Matière (Compas/Équerre) se fond dans le Verbe (V\ D\ L\ S\) pour se reconstituer en un seul et unique élément : « Un le tout ». L’homme debout (relevé) est symboliquement rétabli dans sa totalité psychique.

Vanité des vanités, tout est vanité, dit l’Ecclésiaste ; le serpent du Jardin d’Eden la symbolise. Cette vanité aveugle l’homme et l’entraîne dans un cul-de-sac, sur un chemin qui ne le mène nulle part. Afin que sa vie ne reste pas un « grouillement d’intentions obscures », l’être humain doit accéder à la clairvoyance de lui-même, doit procéder à un retour essentiel sur ce qu’il est : comprendre le sens même du cogito ergo sum, ne pas se limiter à dire : « je pense donc je suis » mais se penser lui-même, réaliser que l’important n’est pas de savoir qu’il est, mais qui il est, et, d’étape en étape (les degrés successifs de l’initiation), de s’élever de façon évolutive jusqu’à l’homme, de construire l’édifice des valeurs (le Temple) aboutissant au niveau supérieur de l’esprit humain.
 
Le faux jugement porté inconsciemment sur soi-même conduit à une survalorisation (ou sous valorisation) de soi et au chaos. La vérité subconsciente occultée par la vanité illusoire, peut être découverte, et la satisfaction intense de soi-même n’est plus vanité, mais devient sérénité, ordre (Ordo ab Chao). Le surgissement de la culpabilité au regard intérieur, à l’introspection, est, elle aussi, créatrice d’angoisse ; la découverte de son fantôme (de son ombre) peut devenir traumatisante sur l’instant, mais c’est le prix de la plénitude.
 
Il faut être clair cependant. L’analyse de l’aspect psychologique de la démarche maçonnique, telle que nous avons tenté de la démontrer, n’a jamais représenté en soi une forme de thérapie particulière soignant les troubles mentaux, les déséquilibres psychopathiques ou les dépressions profondes. Mais l’espace sacré, constitué pendant la durée des travaux, est pour beaucoup une « aire de repos », un espace clos où se confinent ceux qui poursuivent une quête semblable, une forme inconsciente de regresus ad uterum (de retour dans la matrice)…un but glorieux et ardemment escompté pour ceux qui ont erré et qui sont déçus (c.f. supra). Gardons-nous bien cependant d’hypostasier l’irrationnel comme beaucoup de dérives nous y invitent ! Restons les pieds sur terre !
 
La loge devient alors une vraie fraternité d’hommes ayant « laissé leurs métaux à la porte du temple » (l’ensemble de leurs pulsions inconscientes, de leurs angoisses, de toute forme d’inhibitions psychologiques, aussi bien de toute apparence sociale falsifiée).
 
À mi-chemin entre le zénith et le nadir, dans une position équidistante des quatre points cardinaux, devant les trois grandes Lumières que sont le Volume de la Sainte Loi, le Compas et l’Équerre, sous le regard muet de l’Œil inséré dans le Triangle, quinte partie de l’Étoile flamboyante, muni des outils symbolisés devenus ceux des bâtisseurs d’âmes, l’homme est invité à réfléchir.
 
Le Mystère est devant soi, ad vitam eternam. Aucune équation ne démontrera jamais l’existence de Dieu, ineffable sentiment au plus profond de soi-même, vision fugitive de la pierre caché annoncée dans le cabinet de réflexion. Sans relâche, sans relâche : Visita Interiora Terræ, Rectificando Invenies Occultum Lapidem !
 
Note :
 
1) C.G. Jung, L’Homme à la découverte de son mee – Ed. Albin Michel ; Paris 1987 p. 9.
2) Frédérick Tristan, Travaux de la loge nationale Villart de Honnecourt, N° 24, 1° semestre 1992, pp. 190 et suivantes.
3) C.G. Jung, Ma Vie, collection folio 1973, p. 139.
4) C.G. Jung, Les racines de la Conscience, Ed. Buchet Chastel, Paris 1971.
5) S. Kiekegaard, Traité du Désespoir, Ed. Gallimard/folio 1949, p. 63.
6) « Partie divine de l’esprit humain », Paul Diel in Le Symbolisme dans la Bible, Ed. petite bibliothèque Payot 1996.
7) U. Eco, Le Pendule de Foucault, Ed. Grasset, col. Livre de poche, 1990, p. 268.
8) Rituel officiel du R\ E\ A\ A\ à la G\ L\ N\ F\ et à la G\ L\ F\, ouverture des travaux au grade d’apprenti.
9) Paul Diel, La Symbolique dans la Bible, Ed. petite bibliothèque Payot, page 54.
10) ibid.
1)1 Ma Vie – op. cit. p. 52.
12) ibid – p. 348.
13) Jean Servier, Histoire de l’Utopie, Coll. Folio/Idées – Gallimard 1967.

Par le V\F\ M\ W\


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