Giordano
Bruno
Il
est question ce
soir de présenter les points forts permettant de situer GB
et son œuvre. Pour
cela je m’en tiendrai aux éléments
trouvés sur le « net » qui paraissent
suffisants pour fixer convenablement les idées. Ils feront
l’objet de la
première partie de ce travail.
En
découvrant ces
éléments, dans lesquels s’inscrit sa
vie intense et
variée, on ne manque pas
d’être surpris par les engagements
particulièrement
courageux et dangereux
qu’il a su prendre vis-à-vis de
l’autorité
considérable que détenait
l’église
catholique. Il y décide de combattre dogmes et croyances
imposés par cette
église. Ce combat inégal le conduira au
bûcher. Une
telle attitude donne à
réfléchir sur le problème fondamental
de la
croyance, plus spécifiquement de la
croyance en Dieu, croyance que nous avons acceptée
d’affirmer au moment de
notre réception en franc maçonnerie. Que
représente donc cette croyance ?
Faut-il la considérer comme intouchable ou bien
faut-il la
réapprécier si
nous voulons accomplir notre initiation ? Quelques
réponses
à ces
questions fondamentales assureront la deuxième partie de
l’exposé.
Enfin
pour
terminer et prenant en compte l’ouvrage de Christian de Duve
prix Nobel de
Médecine en 1974, « A
l’écoute du vivant », seront
évoquées les
positions vis-à-vis de la foi qu’il faudrait savoir rendre
obsolètes et celles qui, sans lever
l’éternel mystère,
s’affirment sur des bases nouvelles dans lesquelles les
progrès acquis par la
raison humaine jouent un rôle essentiel.
D’abord
un aperçu
concernant l’homme et son œuvre.
GB est né en
janvier 1548
à Nola, bourgade
proche de Naples.
Son nom de baptême est Filippo. Sa famille ne disposant que
de revenus
modestes, c’est l’école qui lui donne
une première instruction. Il étudie le
latin et sa grammaire
et s’ouvre aux humanistes. Il devient universitaire
à Naples, où il découvre la mnémotechnique,
l’art de la mémoire,
qui constitue rapidement l’une de
ses disciplines d’excellence. Il prend aussi des cours
particuliers, qui le
mettent au cœur des débats philosophiques entre platoniciens
et aristotéliciens.
Sa culture va
s’enrichir d’un apport
théologique déterminant lorsqu’il entre
le 15 juin 1565
chez les Frères
prêcheurs de San
Domenico Maggiore,
prestigieux couvent dominicain,
dont la qualité des titres qui y sont attribués,
est incontestée et réputée dans toute
l’Italie. Chez les frères il trouve un
précieux refuge en ces temps de disette
et d’épidémie,
et rencontre Giordano
Crispo, maître en métaphysique,
auquel il rend hommage en adoptant son prénom. Il est alors
un dominicain
modèle, vivant selon la devise verba
et exempla (par le verbe et par l’exemple) et
est ordonné prêtre
en 1573.
Il devient lecteur
en théologie en juillet 1575, et
soutient une thèse sur la pensée de Thomas
d’Aquin et de Pierre
Lombard. Mais bientôt il ne supporte
plus le carcan théologique et se rebelle. Il fait alors
valoir sa culture
éclectique et peu orthodoxe, sans cesse alimentée
par ses nombreuses lectures,
ainsi que ses capacités exceptionnelles de
mémorisation. Il est tout
particulièrement adepte des œuvres d’Érasme,
humaniste
catholique qui use d’une
certaine liberté par rapport aux autorités
ecclésiastiques. Enfin grandit en
lui une passion prémonitoire pour la cosmologie,
détachée de l’approche
théologique.
La rupture qui couvait finit
par
être consommée. Dès sa
première année de noviciat, il avait
ôté des images
saintes de sa chambre, notamment celles représentant Marie,
s’attirant l’accusation de profanation
du culte de la Vierge. Au fil des
années, les heurts deviennent plus durs et
fréquents, tout particulièrement au
sujet du dogme de la Trinité,
qu’il critique et enfin repousse.
Finalement, en février 1576,
il doit abandonner le froc
dominicain
et fuir, une instruction le déclarant
hérétique ayant été ouverte
à son
encontre.
Choisissant de rester en
Italie, il y survit, de 1576
à 1578,
par des leçons de
grammaire ou d’astronomie,
mais sa condition d’apostat
l’amène à changer
fréquemment de ville ou de région. Gênes,
Noli,
Savone,
Turin,
Venise,
Padoue,
Brescia,
Naples
abritent successivement ses doutes et ses recherches. Durant ces deux
années,
il ne pourra publier qu’un seul ouvrage, dont on ne
connaît que le titre :
« Des signes des temps. »
Épuisé
par sa condition, il finit
par s’exiler, à Chambéry
tout d’abord, puis dans la Genève
calviniste
ensuite. Mais son intégration dans la communauté
évangélique ne durera qu’un
temps : une dispute avec la hiérarchie (il conteste
la compétence d’un de
ses membres) lui valent arrestation et excommunication,
le 6 août 1578.
Il rejoint Lyon,
puis Toulouse,
alors sujette au dogmatisme catholique
le plus intègre. Toutefois, il parvient à
enseigner
deux ans durant, alternant la physique et les mathématiques,
et à publier un ouvrage sur la
mnémotechnique : Clavis
Magna. Intéressé par
l’ouvrage et impressionné par sa
mémoire colossale, Henri III
le fait venir à la cour et devient
son protecteur, lui offrant, jusqu’en 1583,
cinq années de paix
et de sécurité.
Il figure parmi les
philosophes
attitrés de la cour, enseigne au Collège des
lecteurs royaux (le Collège
de France) et développe sa
pensée. Son
discours se fait plus conciliant, et face aux tensions religieuses,
adopte
des positions
marquées par davantage de
tolérance. En 1582,
son talent d’écrivain, ironique et lyrique,
vivant, imagé, se confirme dans Candelaio
(Le Chandelier),
comédie satirique sur son temps.
En avril 1583,
il se rend à Londres
puis à Oxford,
où il reçoit un accueil hostile.
Précédées par une
réputation brillante mais
sulfureuse, ses idées malmènent l’église
anglicane ; il essuie de nombreuses
critiques et consacre deux années à
répliquer ; il apparaît alors comme un
philosophe, théologien et scientifique novateur mais
impertinent.
En 1584
il publie des œuvres
importantes : Le banquet des
cendres. La cause, le principe et l’un. De
l’infini, l’univers et les mondes.
Il y expose sa vision cosmographique audacieuse et
révolutionnaire et y
soutient les thèses coperniciennes et imagine un univers
peuplé d’une infinité
de mondes.
En 1585,
trois nouveaux
ouvrages approfondissent et poursuivent ses audaces : L’expulsion
de la
bête triomphante :
il
y attaque les attitudes calvinistes
et catholiques. La cabale du cheval de
Pégase : il y démolit
systématiquement
la vénérable référence
aristotélicienne. Les
fureurs héroïques : il y
élimine l’idée d’un monde
centré et y
présente un univers où Dieu n’a plus de
lieu.
Mais les positions
religieuses se
durcissent : Henri III
ne peut plus se permettre de défendre
un révolutionnaire du savoir. De plus, une dispute avec Mordente,
géomètre
associé aux ligueurs, qui l’accuse de
s’attribuer la paternité du compas
différentiel,
l’oblige à s’exiler en Allemagne
en juin 1586 ;
les universités de Marburg
puis celle de Wittenberg
l’accueillent. Le voilà donc
intégré à
l’église luthérienne,
mais à l’automne 1588,
il apprend qu’il en est excommunié
après des heurts avec sa nouvelle
hiérarchie. Il reprend donc la route, toujours en Allemagne et
publie de nouveaux ouvrages dans lesquels il réexamine sa
cosmographie, aborde
l’infiniment petit, mène une réflexion
sur le rapport entre les nombres et les
figures géométriques et introduit un prodigieux
système mnémotechnique
A l’issue
d’une dernière expulsion,
GB accepte en août 1591
l’invitation à Venise
d’un jeune patricien de la famille Mocenigo
afin très vraisemblablement
d’être nommé à la chaire de
mathématiques de l’université de Padoue.
Le
jeune patricien en retour souhaite apprendre à son contact
la mnémotechnique et
l’art d’inventer. Les deux hommes ne
s’entendent pas : le patricien
considère vite qu’il n’en a pas pour son
argent, alors que GB considère que sa
présence est déjà un honneur pour son
hôte. Déçu, il veut repartir et froisse
Mocenigo, qui commence par le retenir prisonnier puis, ne parvenant pas
à le
soumettre, finit par le dénoncer à
l’inquisition vénitienne, le 23 mai
1592.
Au fur et à
mesure du procès, qui
durera huit années, l’acte d’accusation
va évoluer. Initialement cet acte se
concentre sur ses positions théologiques
hérétiques : sa pensée
antidogmatique,
le rejet de la transsubstantiation
que le concile de
Trente vient de confirmer, celui de la
Trinité, son blasphème contre
le Christ, et sa négation de la virginité de
Marie. Par ailleurs ses activités
sont critiquées : sa pratique de l’art
divinatoire,
sa croyance en la métempsycose,
et sa vision cosmologique.
Au long du procès, l’acte d’accusation
ne cessera de croître.
Blanchi par les tribunaux
vénitiens,
GB est presque libéré. Mais la Curie
romaine
semble vouloir lui faire payer son apostasie.
Sur intervention personnelle du pape auprès du doge,
procédure tout à fait exceptionnelle, Rome
obtient son extradition
et il se retrouve alors dans les redoutables geôles vaticanes
du Saint-Office.
En 1593,
dix nouveaux chefs
d’accusation sont ajoutés. GB subit sept
années de procès, ponctuées par une
vingtaine d’interrogatoires menés par le cardinal
Robert
Bellarmin, qui instruira aussi le
procès du système de Copernic
en 1616.
Il lui arrive de
concéder un geste
de rétractation, mais se reprend toujours :
« Je ne recule point
devant le trépas et mon cœur ne se soumettra
à nul
mortel. » Le pape
Clément
VIII
le somme une dernière fois de se soumettre, mais il
répond : « Je
ne crains rien et je ne rétracte rien, il
n’y a rien à rétracter et je ne sais
pas ce que j’aurais à rétracter. »
Le 20 janvier 1600,
Clément VIII ordonne
au tribunal de l’Inquisition
de prononcer son jugement qui le
déclare hérétique et qui,
« devant son
extrême et résolue
défense »,
le condamne à être remis au bras
séculier pour
être puni, selon la formule
habituelle, « avec autant de clémence
qu’il se
pourrait et sans répandre
de sang .» .
À la lecture de
sa condamnation au
bûcher, GB commente : « Vous
éprouvez sans doute plus de crainte à rendre
cette sentence que moi à
l’accepter. ». Le 17 février 1600,
il est mis nu, la
langue entravée par un mors
de bois l’empêchant de parler, sur le Campo Dei
Fiori et supplicié sur le bûcher
devant la foule des pèlerins venus pour le Jubilé.
Dans ce survol de sa vie il
apparaît
à l’évidence que GB est un homme
constamment en quête de savoirs et de
connaissance. Il s’ouvre à de nombreux
domaines : la théologie, la
cosmologie, l’astronomie, les sciences de la nature, la
philosophie, la
politique, la physique, les mathématiques,
l’hermétisme, la magie et même
l’alchimie. … A chaque occasion il en devient un
militant éclairé grâce à des
acquisitions nouvelles, n’ayant pas peur
d’affronter les tenants des positions
établies et cela dans le but de toucher puis de
révéler au mieux la vérité.
Lorsqu’on analyse la conduite de sa vie, on ne peut
qu’être admiratif devant
son courage et sa volonté. Après
s’être soumis aux dogmes imposés par
l’église
catholique lorsqu’il était dominicain, il
découvre à la lumière de son
intellect qui éclaire son savoir, que sa soumission
n’est plus possible, car il
perçoit que l’ignorance induisant craintes,
angoisses et superstitions est le
terreau de la foi. Il entre donc en conflit avec
l’église qui défend ses dogmes
et manifeste son autorité et sa puissance. Il lui oppose les
forces de la
raison et du savoir dans le but précisément de
faire reculer l’ignorance. Ce
conflit mémorable, comparable à celui
du « pot de terre »
contre
le « pot de fer, » le
mènera au bûcher.
Un point marquant de ses
travaux est
la thèse célèbre de
l’infinité de l’univers, dans laquelle
il n’apparaît pas
comme expert en physique mais plutôt comme un observateur
particulièrement
intuitif. Il y soutient les idées de Copernic mettant en
exergue
l’héliocentrisme et celles de la
pluralité de mondes habités. Par ailleurs et
même s’il est toujours en conflit avec
l’église catholique, il accepte
l’idée
de la transcendance divine et le dogme de la création. Il
postule aussi
l’existence d’une âme du monde qui
engendre des formes universelles dont
l’intelligence humaine forme des idées
compréhensives. Sans avoir excellé dans
une des disciplines objet de ses recherches, sauf
peut-être la mnémotechnique,
l’art de la mémoire, GB s’est
installé dans l’histoire avec l’image
d’un visionnaire, d’un progressiste, d’un
précurseur du matérialisme et même
d’un athée. Le moins que l’on puisse
dire
c’est qu’il ne laisse pas indifférent,
au point que des romans, des films et
autres spectacles musicaux et théâtraux lui seront
plus tard consacrés.
A
la fin du XIXe siècle
la réaction positiviste
italienne contre l’Église et la monarchie,
l’identifie à un authentique franc-maçon
et bien qu’aucun document n’atteste
son appartenance à la Franc Maçonnerie, les
francs-maçons italiens lui
érigeront une statue en 1889, œuvre du sculpteur Ettore
Ferrari,
sur le Campo del Fiori,
à l’endroit de
son supplice. Une loge du « Grand-Orient »
créée en 1985, porte
son nom.
En
France est publié
en 1877
« Le tour de France de deux
enfants » sous le pseudonyme de G. Bruno.
Grand succès de librairie de l’école
laïque, ce petit livre rouge de la
République est un manuel scolaire. Avec cet ouvrage, G.
Bruno est propulsé à
l’origine de la pensée moderne, et
désigné fondateur d’une philosophie
strictement rationaliste, annonciateur de Descartes
ou de Kant,
de l’égalité et de la
laïcité, et de la Révolution
française.
Si l’ensemble de
ces considérations
ne se prêtent pas facilement à
l’appréhension de l’engagement originel
de GB,
une constante est présente dans son
œuvre : le rejet de l’église
catholique et de l’essentiel des dogmes qu’elle
impose. D’autres aspects
montrant sa passion de savoir et son engagement dans la lutte contre
l’ignorance sont à découvrir et ne
peuvent être abordés dans le cadre de ce
travail qui ne se veut pas exhaustif. Pour les connaître il
faudra se référer à
la littérature.
Venons
en
maintenant aux quelques réflexions qu’inspire le
parcours de GB. Elles sont
induites par sa quête obstinée de la
Vérité avec un grand V, dans laquelle il
tente d’opposer la force de la raison, au pouvoir
d’une foi trop souvent exigée
et même imposée par la religion. Une telle
attitude donne à réfléchir sur le
problème fondamental de la croyance, plus
spécifiquement de la croyance en
Dieu, croyance que nous avons acceptée d’affirmer
au moment de notre réception
en franc maçonnerie. Que représente donc cette
croyance ? Faut-il la
considérer comme intouchable ou bien faut-il la
réapprécier si nous
voulons accomplir notre initiation ? Quelques
réponses à ces questions
fondamentales seront abordées ici.
Ce
qui est tout à
fait remarquable dans l’action de GB, ce sont sa
volonté et son courage mis à
l’épreuve pour rompre avec les
préjugés et les idées
reçues. Son comportement
ressemble à s’y méprendre à
celui que nous devons avoir si l’on veut réaliser
notre initiation. Il nous est en effet demandé de ne plus
nous laisser
illusionner par les croyances morales, politiques, religieuses et
« cerise
sur le gâteau » par les croyances
maçonniques elles-mêmes, qui, en tant
que telles, sont toujours
« grosses » elles aussi, de leur
propre
dogmatisme. Comme on le sait et sous couvert de dispositions dites
d’intérêt
général, ces
« grossesses » arrivent
très souvent à leur terme
et les dogmatismes qu’elles portaient, sont
engendrés. En étant attentifs, nous
sommes tous capables d’en observer, et curieusement au nom de
l’ordre à
maintenir, d’en accepter sans difficulté les
conséquences, ce qui de nombreuses
fois reste regrettable.
Si l’examen voire
la remise en
question des croyances morales et politiques paraissent ne pas poser de
problèmes particuliers, il n’en va pas de
même lorsqu’il s’agit des croyances
religieuses et plus précisément de la croyance en
Dieu. Pour nous francs-maçons
réguliers, la croyance en Dieu est un point essentiel, car
nous devons la
revendiquer pour que la Franc Maçonnerie nous accepte en son
sein. Or, à quoi
nous engageons-nous lors de notre initiation ? Nous nous
engageons à
accepter entre autres, la règle en douze points dont le
premier précise
que : « La Franc Maçonnerie est
une fraternité initiatique qui a pour
fondement traditionnel la foi en Dieu GADLU. »
De manière on ne
peut plus explicite
cette première règle nous demande
d’avoir foi en Dieu, révélé
en tant que Grand Architecte de l’univers et
que dogmatiquement nous reconnaissons être
« le Créateur
de toutes choses, mais Créateur à
partir de la matière existante ; le Principe de
toute vie ; et l’Ordonnateur
des lois dont on peut observer
l’inexorable application, du cours
régulier des astres à
l’immanente et mystérieuse
intentionnalité
présidant à l’évolution de
la vie dont il assure la pérennité et la
progression. » En tant que tel il est un
démiurge (1) et n’est que
le reflet de la transcendance divine.
Croire en le GADLU,
c’est se donner
la possibilité de trouver le soutien de la foi au moment
où la raison n’est
plus suffisante pour répondre à nos
questionnements existentiels. En nous
obligeant à cette croyance, la Franc Maçonnerie
témoigne de son souci
d’accompagnement de chaque initié et ce faisant
elle donne à la foi une place
essentielle dans le processus qui sous tend
l’évolution de l’initié. Bien
évidemment elle reconnaît dans ce processus
l’importance de la raison dont elle
ne peut ignorer le rayonnement. Mais elle sait que depuis longtemps
raison et
foi ont tendance à s’opposer plus
qu’à se compléter car leur domaine
d’expression ne sont pas les mêmes. La raison en
effet s’exprime
préférentiellement dans la science
fondée sur l’observation et
l’expérimentation, tandis que la foi
s’exprime généralement dans les
religions
qu’elle contribue à établir. Ainsi en
plaçant l’initié en situation de
confronter la raison à la foi, la Franc
Maçonnerie le fait participer même sans
le vouloir à l’opposition traditionnelle qui
existe entre la science et les
religions et qui subsiste encore aujourd’hui, même
si depuis quelques décennies
un rapprochement s’est opéré entre
elles, grâce à une minorité agissante
de
scientifiques, surtout dans les sciences de la vie, et à un
nombre croissant de
théologiens. Toutefois et malgré la
volonté de rencontre, le rapprochement qui
oblige au dialogue reste difficile car il manque pour que celui-ci
existe, un
langage commun. A défaut d’un tel langage les deux
parties doivent se contenter
d’un compromis dans lequel domine le seul respect de la
vérité. Dans ces
conditions et si des conflits subsistent entre ce que la science sait
et la
religion croit, il semble normal que ce soit cette dernière
qui « revoie
sa copie. »
Vous
l’aurez compris
sans doute, ce qui vient d’être dit est tout
à fait transposable à
l’éventuelle
opposition qui peut aussi exister entre la science et la Franc
Maçonnerie.
Toutefois celle-ci n’est pas une religion même si
certains de ses aspects font
penser à « du déjà
vu » dans les rites religieux. Comme on le sait,
elle encourage au contraire la quête de la connaissance, et
ne s’oppose
aucunement à la confrontation des
vérités acquises par la science, à
celles qui
sont proclamées de manière quasi dogmatique et
qui trouvent leur origine dans
la foi en le GADLU et uniquement en elle. Il faut tout de
même noter que
jusqu’à aujourd’hui, les recherches des
francs-maçons scientifiques n’ont pas
fait trembler semble t-il leur propre croyance au point
qu’ils aient eu le
désir pressant d’en témoigner. Elles
n’en ont même pas autorisé une
quelconque
« réappréciation. »
En
fait, la Franc
Maçonnerie ne recommande pas d’entreprendre cette
dernière, car elle souhaite
préserver le dogme du GADLU en l’état,
ce qui est tout de même paradoxal et
presque provocateur puisqu’elle n’hésite
jamais à se présenter comme étant non
dogmatique. Depuis plus de deux siècles les rites
maçonniques prônent le même
dogme, et les progrès scientifiques pourtant
considérables, n’en ont
pas changé un iota, ce qui à
l’évidence
semble très étonnant.
Comme
je l’ai
indiqué dans l’introduction et pour terminer, je
présenterai en me référant
à
l’ouvrage « A
l’écoute du vivant, » quelques
considérations de son
auteur qui fait autorité dans les milieux scientifiques les
plus avancés. Ces
considérations intéressent l’origine,
et l’évolution de la vie
jusqu’à
l’hominisation.
Elles
permettent de
comprendre pourquoi nous avons le devoir de nous interroger sur la
croyance en
Dieu telle qu’elle est signifiée dans nos Loges,
afin de la reconsidérer à la
lumière des vérités
apportées par la science.
L’auteur
indique que la terre a 4,5 milliards d’années et
que la vie y est apparue il y
a environ 4 milliards d’années. (Etude des restes
de bactéries fossilisées)
Il
soutient la thèse acceptée par
la
grande majorité des scientifiques que la
vie est née naturellement par le jeu des mêmes lois
physiques et chimiques, que celles qui
régissent d’autres
phénomènes naturels, tels la formation des
planètes, les
mouvements de la croûte terrestre, les marées ou
l’érosion des montagnes. Elle est une manifestation de la
matière et se produit sans l’intervention
directe d’un créateur ayant
un dessein intelligent, sans
l’aide d’un
quelconque principe vital. Tous les
êtres vivants y compris les humains sont les descendants
d’une forme ancestrale
unique : une bactérie, dont
ils ont hérité l’ensemble des
propriétés fondamentales qu’ils ont en
commun.
Cette thèse est opposée aux croyances religieuses
en une intervention divine
« insufflant la vie à la
matière. » Toutefois, et même
si ces
croyances ne résistent pas à une analyse
scientifique objective, la science ne
peut s’opposer à ceux qui croient à
l’intervention divine intelligente. Elle ne
pourra le faire qu’au moment où elle aura
démontré expérimentalement ce
qu’elle
avance. En revanche ce qu’elle se doit de
faire, c’est de souligner, à
la lumière des connaissances actuelles, que l’intervention divine
intelligente
n’apparaît être, ni
nécessaire, ni probable à la naissance de la vie.
(Prise
en considération d’une vaste chimie cosmique
engendrant des acides aminés et
autres substances organiques entrant dans la composition des
êtres vivants.)
Après
l’origine de la vie, l’auteur
s’intéresse à son évolution.
L’évolution
est un
fait, et son principal mécanisme est la sélection
naturelle agissant sur des
modifications génétiques accidentelles dépourvues
de toute intentionnalité.
Ce
fait
est aujourd’hui accepté par la plupart des
religions dont l’église catholique.
Il n’est nié que par
les « créationnistes
stricts. » Les
religions toutefois ne prennent pas position pour ou contre les
théories
modernes, et préfèrent garder leur sympathie pour
le concept de dessein
intelligent. D’une certaine façon, elles font de
la résistance.
Dans
cette évolution une place spéciale est
accordée au rameau humain qui s’est
détaché de la branche primate il y a environ 6
millions d’années et qui, d’un
ancêtre ressemblant à un chimpanzé a
permis dans un processus
continu,
l’établissement de notre lignée
humanoïde. Mais, et c’est ce que relève
Christian de Duve, cette lignée dont nous sommes, ne
correspond pas à
« l’incarnation de la
contingence. » L’homme
n’a
pas émergé par le seul hasard, il a
émergé parce que les contraintes naturelles
au sein desquelles s’exerce le hasard sont et ont toujours
été telles que
l’évolution vers une complexité
croissante devait obligatoirement se produire
du moment que l’occasion lui en était
donnée. Les humains sont donc le fruit de
cette évolution complexe et à
l’évidence nous dit Christian de Duve, ils
témoignent de ce que l’Univers était
« gros » de la vie et la
biosphère de l’homme, sans cela nous ne serions
pas ici.
C’est
dans le cadre de l’évolution de cette
lignée que s’inscrivent les désaccords
les plus profonds entre la science et les religions et peut
être aussi la FM
régulière. La science comme on vient de le voir
considère que le passage d’un hominidé
à un humain authentique avec ses capacités
psychiques et mentales s’est fait
grâce au processus continu de
l’évolution. Elle défend cela bien
qu’elle se
trouve confrontée à l’absence de
nombreuses formes intermédiaires qui pourtant
ont jalonné ce long processus continu.
Les
religions elles, assimilent l’absence de ces formes
intermédiaires à des
discontinuités favorisant des sauts
d’évolution. D’une certaine
façon elles
sautent sur l’occasion pour y placer l’intervention
divine qu’elles défendent
avec zèle, en particulier lorsqu’il
s’agit d’expliquer dans l’homme le
passage
au spirituel.
Il
y a
donc rupture entre les deux points de vue qui seront inconciliables
tant que la
science verra des artefacts dans les discontinuités de
l’évolution, et que les
religions y verront la contribution de l’intelligence divine.
En
fait l’auteur
veut faire savoir que mettre en cause la démarche
scientifique et la rendre
responsable d’un certain nombre de contradictions
n’est pas autre chose que
nier le bien fondé de la recherche de la
vérité. Par conséquent il
n’hésite pas
à s’engager en affirmant que les erreurs sont du
côté des enseignements
religieux et il préconise, non pas de tenter quelque
transformation des
structures religieuses qu’il sait être rigides,
organisées et quasi
inébranlables, mais de faire parler la science.
Faire
parler la
science, c’est afficher les vérités
incontestables qui font douter quant aux
bases sur lesquelles repose tout un tissu étroitement
entrelacé de relations,
de comportements et de croyances unissant et consolidant de vastes
groupes
humains. C’est par conséquent prendre une
énorme responsabilité vis-à-vis de
ces groupes humains dont la déstabilisation est plus
à craindre qu’à souhaiter.
Aujourd’hui,
l’état
des connaissance permet de dire que les croyances dans lesquelles se
retrouve un Dieu
anthropomorphique, et
une conception anthropocentriste, celle qui voit l’homme
placé au centre d’un
monde qui tourne autour de lui, et reconnu par les textes
sacrés comme étant le
maître de la création, ne
« tiennent plus la route. »
A
la fin de son
ouvrage il indique avoir du mal à définir sa
position vis-à-vis de la croyance
en Dieu. Il refuse toutefois l’athéisme et ne veut
pas se réfugier dans
l’agnosticisme car il y voit une démission. Il
aboutit alors à l’idée qu’il
faut dépersonnaliser Dieu, ce qui le conduit à lui substituer une
entité de remplacement qu’il nomme l’Ultime
réalité.
Pour
lui l’Ultime
Réalité
s’applique de la manière la plus pertinente aux
découvertes extraordinaires de
la science dont le pouvoir sans cesse croissant donne des
idées de plus en plus
précises de ce qui se maintient derrière des
entités telles que le cosmos, la
matière, la vie et la pensée. Ces
idées sont en fait le témoignage du
dépassement des apparences et celui de
l’acharnement à révéler la
vérité que
recouvrent ces apparences.
Il
indique ensuite
que l’accès à la
vérité, à la
réalité, oblige à transcender les
apparences.
Puis en évoquant les préoccupations mentales que
sont
l’aspiration à la beauté,
le bien et le mal, et le désir d’amour, qui
semblent
être avec le besoin de
vérité, des constantes universelles de la nature
humaine,
il en vient à la
question de savoir ce que sont réellement ces
préoccupations :
Sont-elles
strictement utilitaires, sans rapport avec une
réalité objective, et seulement
retenues par la sélection naturelle parce que les individus
et les groupes qui
en faisaient l’expérience survivaient mieux et
engendraient davantage que ceux
qui en étaient dépourvus ?
Ou
bien au contraire
reflètent-elles notre perception d’aspects
authentiques de l’Ultime
réalité, aspects
bien différents de ceux qui ne sont accessibles que par la
raison et qui
néanmoins ont une existence propre ?
A
ces
interrogations, il n’a pas de moyens scientifiques de
réponse, mais sa
connaissance et son intuition le font adhérer à
la seconde hypothèse, ce qui
lui donne l’occasion de préciser que l’Ultime
Réalité
s’exprime par
diverses facettes auxquelles chacun de nous est plus ou moins bien
accordé
selon la structure particulière de ses réseaux
poly
neuronaux corticaux tels
qu’ils ont
été « câblés »
par l’hérédité,
l’expérience et
l’éducation.
Même
avec
un « câblage »
excellent, l’exiguïté du cortex
cérébral humain
est telle, que la perception de cette Réalité
reste hélas très limitée. Elle est
toutefois suffisante pour nous remplir
d’émerveillement, d’aspiration au bien
et du sentiment d’appartenir à un Tout qui nous
dépasse totalement tout en
restant signifiant.
Sachant
que la vie
sur terre ne s’éteindra que dans 1,5 milliard
d’années, ce sont nos descendants
dont les experts scientifiques disent qu’ils disposeront de
capacités mentales
bien supérieures aux nôtres, qui en des temps
infiniment éloignés,
« toucheront » beaucoup mieux que
nous ne pourrons jamais le faire, à l’Ultime
Réalité dont
parle Christian de Duve.
Comme
vous l’aurez
compris mes FF, la vie et l’œuvre de GB ne sont que
les prétextes à une
réflexion intéressant les rapports de la raison
et de la foi et de ceux de
la science et de la religion. Avec l’arrivée des
applications pratiques de la
science qui ont envahi notre monde ces rapports ont
été modifiés et les
religions n’ont pu ignorer ce que représentaient
de telles applications
pratiques. A partir de là se sont alors
opérés des rapprochements dans lesquels
les scientifiques ont fait état des
vérités mises en lumière par leurs
travaux
avec l’espoir de voir les défenseurs de la foi les
intégrer dans leurs
processus mentaux afin qu’en soient issus des points forts
pour y faire reculer
le domaine de l’ignorance où les dogmes tiennent
trop souvent le haut du pavé.
Un tel espoir ne s’est concrétisé que
partiellement car lorsqu’il s’agit de
faire reculer l’ignorance un consensus est facilement
accepté, mais lorsqu’il
s’agit des dogmes il n’en est plus de
même. Il faut toutefois ajouter que les
scientifiques n’ont pas que des certitudes et dans leurs
recherches ils
découvrent des limites. Dans ce cas, pour expliquer
l’inexplicable, ils font
toujours appel à « Autre
chose » comme le faisaient nos ancêtres
les
plus lointains lorsqu’ils donnaient aux
phénomènes incompréhensibles auxquels
ils étaient confrontés, une cause surnaturelle.
Cet « Autre chose » dont
ils ne peuvent rien dire, les amène à croire que
sans lui, aucune avancée n’est
possible. Mais ils savent aussi que l’inexplicable ayant
enclenché un tel
processus, n’est que temporaire et que viendra un temps
où jaillira à nouveau
la lumière de la raison autorisant de nouvelles
avancées et entraînant par
contre coup le recul de la foi.
Pour
nous francs
maçons, il n’est pas question de ne plus croire,
mais il est question de donner
plus de sens à la croyance. Pour cela et si on
adhère aux idées de Christian de
Duve, la
dépersonnalisation de Dieu devrait nous
sembler raisonnable. De même nous devrions sortir
de l’anthropomorphisme et revoir le concept du Grand
Architecte ou du Grand
Horloger, (vous voyez tout de suite le scandale) en
confrontant avec
plus de rigueur les croyances relatives au créateur de
toutes choses, au
Principe de toute vie, à l’ordonnateur de lois,
chères à nos discours et à nos
planches, aux vérités que la science
révèle et qui bien évidemment
posent
problèmes.
Si
vous en êtes
d’accord nous pourrons sur ce point bâtir notre
discussion.
A\ M\ F\
Références
(1)
Un démiurge est une divinité créatrice
et organisatrice
du monde.
C’est le nom
donné par Platon (Dans Le Timée) au Dieu organisateur qui créa
le monde à partir de la matière
préexistante. Dans le gnosticisme,
c'est une
divinité émanée du vrai Dieu. Il est
la cause du mal par sa création
désastreuse qui mêla la matière
à l'étincelle divine.
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