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Giordano Bruno

Il est question ce soir de présenter les points forts permettant de situer GB et son œuvre. Pour cela je m’en tiendrai aux éléments trouvés sur le « net » qui paraissent suffisants pour fixer convenablement les idées. Ils feront l’objet de la première partie de ce travail.

En découvrant ces éléments, dans lesquels s’inscrit sa vie intense et variée, on ne manque pas d’être surpris par les engagements particulièrement courageux et dangereux qu’il a su prendre vis-à-vis de l’autorité considérable que détenait l’église catholique. Il y décide de combattre dogmes et croyances imposés par cette église. Ce combat inégal le conduira au bûcher. Une telle attitude donne à réfléchir sur le problème fondamental de la croyance, plus spécifiquement de la croyance en Dieu, croyance que nous avons acceptée d’affirmer au moment de notre réception en franc maçonnerie. Que représente donc cette croyance ? Faut-il la considérer comme intouchable ou bien faut-il la réapprécier si nous voulons accomplir notre initiation ? Quelques réponses à ces questions fondamentales assureront la deuxième partie de l’exposé.

Enfin pour terminer et prenant en compte l’ouvrage de Christian de Duve prix Nobel de Médecine en 1974, « A l’écoute du vivant », seront évoquées les positions vis-à-vis de la foi qu’il faudrait savoir  rendre obsolètes et celles qui, sans lever l’éternel mystère, s’affirment sur des bases nouvelles dans lesquelles les progrès acquis par la raison humaine jouent un rôle essentiel.

D’abord un aperçu concernant l’homme et son œuvre.

GB est né en janvier 1548 à Nola, bourgade proche de Naples. Son nom de baptême est Filippo. Sa famille ne disposant que de revenus modestes, c’est l’école qui lui donne une première instruction. Il étudie le latin et sa grammaire et s’ouvre aux humanistes. Il devient universitaire à Naples, où il découvre la mnémotechnique, l’art de la mémoire, qui constitue rapidement l’une de ses disciplines d’excellence. Il prend aussi des cours particuliers, qui le mettent au cœur des débats philosophiques entre platoniciens et aristotéliciens.

Sa culture va s’enrichir d’un apport théologique déterminant lorsqu’il entre le 15 juin 1565 chez les Frères prêcheurs de San Domenico Maggiore, prestigieux couvent dominicain, dont la qualité des titres qui y sont attribués, est incontestée et réputée dans toute l’Italie. Chez les frères il trouve un précieux refuge en ces temps de disette et d’épidémie, et rencontre Giordano Crispo, maître en métaphysique, auquel il rend hommage en adoptant son prénom. Il est alors un dominicain modèle, vivant selon la devise verba et exempla (par le verbe et par l’exemple) et est ordonné prêtre en 1573.

Il devient lecteur en théologie en juillet 1575, et soutient une thèse sur la pensée de Thomas d’Aquin et de Pierre Lombard. Mais bientôt il ne supporte plus le carcan théologique et se rebelle. Il fait alors valoir sa culture éclectique et peu orthodoxe, sans cesse alimentée par ses nombreuses lectures, ainsi que ses capacités exceptionnelles de mémorisation. Il est tout particulièrement adepte des œuvres d’Érasme, humaniste catholique qui use d’une certaine liberté par rapport aux autorités ecclésiastiques. Enfin grandit en lui une passion prémonitoire pour la cosmologie, détachée de l’approche théologique.

La rupture qui couvait finit par être consommée. Dès sa première année de noviciat, il avait ôté des images saintes de sa chambre, notamment celles représentant Marie, s’attirant l’accusation de profanation du culte de la Vierge. Au fil des années, les heurts deviennent plus durs et fréquents, tout particulièrement au sujet du dogme de la Trinité, qu’il critique et enfin repousse. Finalement, en février 1576, il doit abandonner le froc dominicain et fuir, une instruction le déclarant hérétique ayant été ouverte à son encontre.

Choisissant de rester en Italie, il y survit, de 1576 à 1578, par des leçons de grammaire ou d’astronomie, mais sa condition d’apostat l’amène à changer fréquemment de ville ou de région. Gênes, Noli, Savone, Turin, Venise, Padoue, Brescia, Naples abritent successivement ses doutes et ses recherches. Durant ces deux années, il ne pourra publier qu’un seul ouvrage, dont on ne connaît que le titre : « Des signes des temps. »

Épuisé par sa condition, il finit par s’exiler, à Chambéry tout d’abord, puis dans la Genève calviniste ensuite. Mais son intégration dans la communauté évangélique ne durera qu’un temps : une dispute avec la hiérarchie (il conteste la compétence d’un de ses membres) lui valent arrestation et excommunication, le 6 août 1578.

Il rejoint Lyon, puis Toulouse, alors sujette au dogmatisme catholique le plus intègre. Toutefois, il parvient à enseigner deux ans durant, alternant la physique et les mathématiques, et à publier un ouvrage sur la mnémotechnique : Clavis Magna. Intéressé par l’ouvrage et impressionné par sa mémoire colossale, Henri III le fait venir à la cour et devient son protecteur, lui offrant, jusqu’en 1583, cinq années de paix et de sécurité.

Il figure parmi les philosophes attitrés de la cour, enseigne au Collège des lecteurs royaux (le Collège de France) et développe sa pensée. Son discours se fait plus conciliant, et face aux tensions religieuses, adopte des  positions marquées par davantage de tolérance. En 1582, son talent d’écrivain, ironique et lyrique, vivant, imagé, se confirme dans Candelaio (Le Chandelier), comédie satirique sur son temps.

En avril 1583, il se rend à Londres puis à Oxford, où il reçoit un accueil hostile. Précédées par une réputation brillante mais sulfureuse, ses idées malmènent l’église anglicane ; il essuie de nombreuses critiques et consacre deux années à répliquer ; il apparaît alors comme un philosophe, théologien et scientifique novateur mais impertinent.

En 1584 il publie des œuvres importantes : Le banquet des cendres. La cause, le principe et l’un. De l’infini, l’univers et les mondes. Il y expose sa vision cosmographique audacieuse et révolutionnaire et y soutient les thèses coperniciennes et imagine un univers peuplé d’une infinité de mondes.

En 1585, trois nouveaux ouvrages approfondissent et poursuivent ses audaces : L’expulsion de la bête triomphante : il y attaque les attitudes calvinistes et catholiques. La cabale du cheval de Pégase : il y démolit systématiquement la vénérable référence aristotélicienne. Les fureurs héroïques : il y élimine l’idée d’un monde centré et y présente un univers où Dieu n’a plus de lieu.

Mais les positions religieuses se durcissent : Henri III ne peut plus se permettre de défendre un révolutionnaire du savoir. De plus, une dispute avec Mordente, géomètre associé aux ligueurs, qui l’accuse de s’attribuer la paternité du compas différentiel, l’oblige à s’exiler en Allemagne en juin 1586 ; les universités de Marburg puis celle de Wittenberg l’accueillent. Le voilà donc intégré à l’église luthérienne, mais à l’automne 1588, il apprend qu’il en est excommunié après des heurts avec sa nouvelle hiérarchie. Il reprend donc la route, toujours en Allemagne et publie de nouveaux ouvrages dans lesquels il réexamine sa cosmographie, aborde l’infiniment petit, mène une réflexion sur le rapport entre les nombres et les figures géométriques et introduit un prodigieux système mnémotechnique

A l’issue d’une dernière expulsion, GB accepte en août 1591 l’invitation à Venise d’un jeune patricien de la famille Mocenigo afin très vraisemblablement d’être nommé à la chaire de mathématiques de l’université de Padoue. Le jeune patricien en retour souhaite apprendre à son contact la mnémotechnique et l’art d’inventer. Les deux hommes ne s’entendent pas : le patricien considère vite qu’il n’en a pas pour son argent, alors que GB considère que sa présence est déjà un honneur pour son hôte. Déçu, il veut repartir et froisse Mocenigo, qui commence par le retenir prisonnier puis, ne parvenant pas à le soumettre, finit par le dénoncer à l’inquisition vénitienne, le 23 mai 1592.

Au fur et à mesure du procès, qui durera huit années, l’acte d’accusation va évoluer. Initialement cet acte se concentre sur ses positions théologiques hérétiques : sa pensée antidogmatique, le rejet de la transsubstantiation que le concile de Trente vient de confirmer, celui de la Trinité, son blasphème contre le Christ, et sa négation de la virginité de Marie. Par ailleurs ses activités sont critiquées : sa pratique de l’art divinatoire, sa croyance en la métempsycose, et sa vision cosmologique. Au long du procès, l’acte d’accusation ne cessera de croître.

Blanchi par les tribunaux vénitiens, GB est presque libéré. Mais la Curie romaine semble vouloir lui faire payer son apostasie. Sur intervention personnelle du pape auprès du doge, procédure tout à fait exceptionnelle, Rome obtient son extradition et il se retrouve alors dans les redoutables geôles vaticanes du Saint-Office.

En 1593, dix nouveaux chefs d’accusation sont ajoutés. GB subit sept années de procès, ponctuées par une vingtaine d’interrogatoires menés par le cardinal Robert Bellarmin, qui instruira aussi le procès du système de Copernic en 1616.

Il lui arrive de concéder un geste de rétractation, mais se reprend toujours : « Je ne recule point devant le trépas et mon cœur ne se soumettra à nul mortel. » Le pape Clément VIII le somme une dernière fois de se soumettre, mais il répond : « Je ne crains rien et je ne rétracte rien, il n’y a rien à rétracter et je ne sais pas ce que j’aurais à rétracter. »

Le 20 janvier 1600, Clément VIII ordonne au tribunal de l’Inquisition de prononcer son jugement qui le déclare hérétique et qui, « devant son extrême et résolue défense », le condamne à être remis au bras séculier pour être puni, selon la formule habituelle, « avec autant de clémence qu’il se pourrait et sans répandre de sang .» .

À la lecture de sa condamnation au bûcher, GB commente : « Vous éprouvez sans doute plus de crainte à rendre cette sentence que moi à l’accepter. ». Le 17 février 1600, il est mis nu, la langue entravée par un mors de bois l’empêchant de parler, sur le Campo Dei Fiori et supplicié sur le bûcher devant la foule des pèlerins venus pour le Jubilé.

Dans ce survol de sa vie il apparaît à l’évidence que GB est un homme constamment en quête de savoirs et de connaissance. Il s’ouvre à de nombreux domaines : la théologie, la cosmologie, l’astronomie, les sciences de la nature, la philosophie, la politique, la physique, les mathématiques, l’hermétisme, la magie et même l’alchimie. … A chaque occasion il en devient un militant éclairé grâce à des acquisitions nouvelles, n’ayant pas peur d’affronter les tenants des positions établies et cela dans le but de toucher puis de révéler au mieux la vérité. Lorsqu’on analyse la conduite de sa vie, on ne peut qu’être admiratif devant son courage et sa volonté. Après s’être soumis aux dogmes imposés par l’église catholique lorsqu’il était dominicain, il découvre à la lumière de son intellect qui éclaire son savoir, que sa soumission n’est plus possible, car il perçoit que l’ignorance induisant craintes, angoisses et superstitions est le terreau de la foi. Il entre donc en conflit avec l’église qui défend ses dogmes et manifeste son autorité et sa puissance. Il lui oppose les forces de la raison et du savoir dans le but précisément de faire reculer l’ignorance. Ce conflit mémorable, comparable à celui du « pot de terre » contre le « pot de fer, » le mènera au bûcher.

Un point marquant de ses travaux est la thèse célèbre de l’infinité de l’univers, dans laquelle il n’apparaît pas comme expert en physique mais plutôt comme un observateur particulièrement intuitif. Il y soutient les idées de Copernic mettant en exergue l’héliocentrisme et celles de la pluralité de mondes habités. Par ailleurs et même s’il est toujours en conflit avec l’église catholique, il accepte l’idée de la transcendance divine et le dogme de la création. Il postule aussi l’existence d’une âme du monde qui engendre des formes universelles dont l’intelligence humaine forme des idées compréhensives. Sans avoir excellé dans une des disciplines objet de ses recherches, sauf  peut-être la mnémotechnique, l’art de la mémoire, GB s’est installé dans l’histoire avec l’image d’un visionnaire, d’un progressiste, d’un précurseur du matérialisme et même d’un athée. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’il ne laisse pas indifférent, au point que des romans, des films et autres spectacles musicaux et théâtraux lui seront plus tard consacrés.

A la fin du XIXe siècle la réaction positiviste italienne contre l’Église et la monarchie, l’identifie à un authentique franc-maçon et bien qu’aucun document n’atteste son appartenance à la Franc Maçonnerie, les francs-maçons italiens lui érigeront une statue en 1889, œuvre du sculpteur Ettore Ferrari, sur le Campo del  Fiori, à l’endroit de son supplice. Une loge du « Grand-Orient » créée en 1985, porte son nom.

En France est publié en 1877 « Le tour de France de deux enfants » sous le pseudonyme de G. Bruno. Grand succès de librairie de l’école laïque, ce petit livre rouge de la République est un manuel scolaire. Avec cet ouvrage, G. Bruno est propulsé à l’origine de la pensée moderne, et désigné fondateur d’une philosophie strictement rationaliste, annonciateur de Descartes ou de Kant, de l’égalité et de la laïcité, et de la Révolution française.

Si l’ensemble de ces considérations ne se prêtent pas facilement à l’appréhension de l’engagement originel de GB, une constante est présente dans son œuvre : le rejet de l’église catholique et de l’essentiel des dogmes qu’elle impose. D’autres aspects montrant sa passion de savoir et son engagement dans la lutte contre l’ignorance sont à découvrir et ne peuvent être abordés dans le cadre de ce travail qui ne se veut pas exhaustif. Pour les connaître il faudra se référer à la littérature.

Venons en maintenant aux quelques réflexions qu’inspire le parcours de GB. Elles sont induites par sa quête obstinée de la Vérité avec un grand V, dans laquelle il tente d’opposer la force de la raison, au pouvoir d’une foi trop souvent exigée et même imposée par la religion. Une telle attitude donne à réfléchir sur le problème fondamental de la croyance, plus spécifiquement de la croyance en Dieu, croyance que nous avons acceptée d’affirmer au moment de notre réception en franc maçonnerie. Que représente donc cette croyance ? Faut-il la considérer comme intouchable ou bien faut-il la réapprécier si nous voulons accomplir notre initiation ? Quelques réponses à ces questions fondamentales seront abordées ici.

Ce qui est tout à fait remarquable dans l’action de GB, ce sont sa volonté et son courage mis à l’épreuve pour rompre avec les préjugés et les idées reçues. Son comportement ressemble à s’y méprendre à celui que nous devons avoir si l’on veut réaliser notre initiation. Il nous est en effet demandé de ne plus nous laisser illusionner par les croyances morales, politiques, religieuses et « cerise sur le gâteau » par les croyances maçonniques elles-mêmes, qui, en tant que telles, sont toujours « grosses » elles aussi, de leur propre dogmatisme. Comme on le sait et sous couvert de dispositions dites d’intérêt général, ces « grossesses » arrivent très souvent à leur terme et les dogmatismes qu’elles portaient, sont engendrés. En étant attentifs, nous sommes tous capables d’en observer, et curieusement au nom de l’ordre à maintenir, d’en accepter sans difficulté les conséquences, ce qui de nombreuses fois reste regrettable.

Si l’examen voire la remise en question des croyances morales et politiques paraissent ne pas poser de problèmes particuliers, il n’en va pas de même lorsqu’il s’agit des croyances religieuses et plus précisément de la croyance en Dieu. Pour nous francs-maçons réguliers, la croyance en Dieu est un point essentiel, car nous devons la revendiquer pour que la Franc Maçonnerie nous accepte en son sein. Or, à quoi nous engageons-nous lors de notre initiation ? Nous nous engageons à accepter entre autres, la règle en douze points dont le premier précise que : « La Franc Maçonnerie est une fraternité initiatique qui a pour fondement traditionnel la foi en Dieu GADLU. »

De manière on ne peut plus explicite cette première règle nous demande d’avoir foi en Dieu, révélé en tant que Grand Architecte de l’univers et que dogmatiquement nous reconnaissons être « le Créateur de toutes choses, mais Créateur à partir de la matière existante ; le Principe de toute vie ; et l’Ordonnateur des lois dont on peut observer l’inexorable application, du cours  régulier des astres à l’immanente et mystérieuse intentionnalité présidant à l’évolution de la vie dont il assure la pérennité et la progression. » En tant que tel il est un démiurge (1) et n’est que le reflet de la transcendance divine.

Croire en le GADLU, c’est se donner la possibilité de trouver le soutien de la foi au moment où la raison n’est plus suffisante pour répondre à nos questionnements existentiels. En nous obligeant à cette croyance, la Franc Maçonnerie témoigne de son souci d’accompagnement de chaque initié et ce faisant elle donne à la foi une place essentielle dans le processus qui sous tend l’évolution de l’initié. Bien évidemment elle reconnaît dans ce processus l’importance de la raison dont elle ne peut ignorer le rayonnement. Mais elle sait que depuis longtemps raison et foi ont tendance à s’opposer plus qu’à se compléter car leur domaine d’expression ne sont pas les mêmes. La raison en effet s’exprime préférentiellement dans la science fondée sur l’observation et l’expérimentation, tandis que la foi s’exprime généralement dans les religions qu’elle contribue à établir. Ainsi en plaçant l’initié en situation de confronter la raison à la foi, la Franc Maçonnerie le fait participer même sans le vouloir à l’opposition traditionnelle qui existe entre la science et les religions et qui subsiste encore aujourd’hui, même si depuis quelques décennies un rapprochement s’est opéré entre elles, grâce à une minorité agissante de scientifiques, surtout dans les sciences de la vie, et à un nombre croissant de théologiens. Toutefois et malgré la volonté de rencontre, le rapprochement qui oblige au dialogue reste difficile car il manque pour que celui-ci existe, un langage commun. A défaut d’un tel langage les deux parties doivent se contenter d’un compromis dans lequel domine le seul respect de la vérité.  Dans ces conditions et si des conflits subsistent entre ce que la science sait et la religion croit, il semble normal que ce soit cette dernière qui « revoie sa copie. »

Vous l’aurez compris sans doute, ce qui vient d’être dit est tout à fait transposable à l’éventuelle opposition qui peut aussi exister entre la science et la Franc Maçonnerie. Toutefois celle-ci n’est pas une religion même si certains de ses aspects font penser à « du déjà vu » dans les rites religieux. Comme on le sait, elle encourage au contraire la quête de la connaissance, et ne s’oppose aucunement à la confrontation des vérités acquises par la science, à celles qui sont proclamées de manière quasi dogmatique et qui trouvent leur origine dans la foi en le GADLU et uniquement en elle. Il faut tout de même noter que jusqu’à aujourd’hui, les recherches des francs-maçons scientifiques n’ont pas fait trembler semble t-il leur propre croyance au point qu’ils aient eu le désir pressant d’en témoigner. Elles n’en ont même pas autorisé une quelconque « réappréciation. »

En fait, la Franc Maçonnerie ne recommande pas d’entreprendre cette dernière, car elle souhaite préserver le dogme du GADLU en l’état, ce qui est tout de même paradoxal et presque provocateur puisqu’elle n’hésite jamais à se présenter comme étant non dogmatique. Depuis plus de deux siècles les rites maçonniques prônent le même dogme, et les progrès scientifiques pourtant considérables, n’en ont  pas changé un iota, ce qui à l’évidence semble très étonnant.

Comme je l’ai indiqué dans l’introduction et pour terminer, je présenterai en me référant à l’ouvrage « A l’écoute du vivant, » quelques considérations de son auteur qui fait autorité dans les milieux scientifiques les plus avancés. Ces considérations intéressent l’origine, et l’évolution de la vie jusqu’à l’hominisation.

Elles permettent de comprendre pourquoi nous avons le devoir de nous interroger sur la croyance en Dieu telle qu’elle est signifiée dans nos Loges, afin de la reconsidérer à la lumière des vérités apportées par la science.

L’auteur indique que la terre a 4,5 milliards d’années et que la vie y est apparue il y a environ 4 milliards d’années. (Etude des restes de bactéries fossilisées)

Il soutient la thèse acceptée par  la grande majorité des scientifiques que la vie est née naturellement par le jeu des mêmes lois physiques et chimiques, que celles qui régissent d’autres phénomènes naturels, tels la formation des planètes, les mouvements de la croûte terrestre, les marées ou l’érosion des montagnes. Elle est une manifestation de la matière et se produit sans l’intervention directe d’un créateur ayant un dessein intelligent, sans l’aide d’un quelconque principe vital. Tous les êtres vivants y compris les humains sont les descendants d’une forme ancestrale unique : une bactérie, dont ils ont hérité l’ensemble des propriétés fondamentales qu’ils ont en commun. Cette thèse est opposée aux croyances religieuses en une intervention divine « insufflant la vie à la matière. » Toutefois, et même si ces croyances ne résistent pas à une analyse scientifique objective, la science ne peut s’opposer à ceux qui croient à l’intervention divine intelligente. Elle ne pourra le faire qu’au moment où elle aura démontré expérimentalement ce qu’elle avance. En revanche ce qu’elle se doit de faire, c’est de souligner, à la lumière des connaissances actuelles, que l’intervention divine intelligente n’apparaît être, ni nécessaire, ni probable à la naissance de la vie.

(Prise en considération d’une vaste chimie cosmique engendrant des acides aminés et autres substances organiques entrant dans la composition des êtres vivants.)

Après l’origine de la vie, l’auteur s’intéresse à son évolution.

L’évolution est un fait, et son principal mécanisme est la sélection naturelle agissant sur des modifications génétiques accidentelles dépourvues de toute intentionnalité.

Ce fait est aujourd’hui accepté par la plupart des religions dont l’église catholique. Il n’est nié que par les « créationnistes stricts. » Les religions toutefois ne prennent pas position pour ou contre les théories modernes, et préfèrent garder leur sympathie pour le concept de dessein intelligent. D’une certaine façon, elles font de la résistance.

Dans cette évolution une place spéciale est accordée au rameau humain qui s’est détaché de la branche primate il y a environ 6 millions d’années et qui, d’un ancêtre ressemblant à un chimpanzé a permis dans un processus continu, l’établissement de notre lignée humanoïde. Mais, et c’est ce que relève Christian de Duve, cette lignée dont nous sommes, ne correspond pas à « l’incarnation de la contingence. » L’homme n’a pas émergé par le seul hasard, il a émergé parce que les contraintes naturelles au sein desquelles s’exerce le hasard sont et ont toujours été telles que l’évolution vers une complexité croissante devait obligatoirement se produire du moment que l’occasion lui en était donnée. Les humains sont donc le fruit de cette évolution complexe et à l’évidence nous dit Christian de Duve, ils témoignent de ce que l’Univers était « gros » de la vie et la biosphère de l’homme, sans cela nous ne serions pas ici.

C’est dans le cadre de l’évolution de cette lignée que s’inscrivent les désaccords les plus profonds entre la science et les religions et peut être aussi la FM régulière. La science comme on vient de le voir considère que le passage d’un hominidé à un humain authentique avec ses capacités psychiques et mentales s’est fait grâce au processus continu de l’évolution. Elle défend cela bien qu’elle se trouve confrontée à l’absence de nombreuses formes intermédiaires qui pourtant ont jalonné ce long processus continu.

Les religions elles, assimilent l’absence de ces formes intermédiaires à des discontinuités favorisant des sauts d’évolution. D’une certaine façon elles sautent sur l’occasion pour y placer l’intervention divine qu’elles défendent avec zèle, en particulier lorsqu’il s’agit d’expliquer dans l’homme le passage au spirituel.

Il y a donc rupture entre les deux points de vue qui seront inconciliables tant que la science verra des artefacts dans les discontinuités de l’évolution, et que les religions y verront la contribution de l’intelligence divine.

En fait l’auteur veut faire savoir que mettre en cause la démarche scientifique et la rendre responsable d’un certain nombre de contradictions n’est pas autre chose que nier le bien fondé de la recherche de la vérité. Par conséquent il n’hésite pas à s’engager en affirmant que les erreurs sont du côté des enseignements religieux et il préconise, non pas de tenter quelque transformation des structures religieuses qu’il sait être rigides, organisées et quasi inébranlables, mais de faire parler la science.

Faire parler la science, c’est afficher les vérités incontestables qui font douter quant aux bases sur lesquelles repose tout un tissu étroitement entrelacé de relations, de comportements et de croyances unissant et consolidant de vastes groupes humains. C’est par conséquent prendre une énorme responsabilité vis-à-vis de ces groupes humains dont la déstabilisation est plus à craindre qu’à souhaiter.

Aujourd’hui, l’état des connaissance permet de dire que les croyances dans lesquelles se retrouve  un Dieu anthropomorphique, et une conception anthropocentriste, celle qui voit l’homme placé au centre d’un monde qui tourne autour de lui, et reconnu par les textes sacrés comme étant le maître de la création, ne « tiennent plus la route. »

A la fin de son ouvrage il indique avoir du mal à définir sa position vis-à-vis de la croyance en Dieu. Il refuse toutefois l’athéisme et ne veut pas se réfugier dans l’agnosticisme car il y voit une démission. Il aboutit alors à l’idée qu’il faut dépersonnaliser Dieu, ce qui le conduit à  lui substituer une entité de remplacement qu’il nomme l’Ultime réalité. 

Pour lui l’Ultime Réalité s’applique de la manière la plus pertinente aux découvertes extraordinaires de la science dont le pouvoir sans cesse croissant donne des idées de plus en plus précises de ce qui se maintient derrière des entités telles que le cosmos, la matière, la vie et la pensée. Ces idées sont en fait le témoignage du dépassement des apparences et celui de l’acharnement à révéler la vérité que recouvrent ces apparences.

Il indique ensuite que l’accès à la vérité, à la réalité, oblige à transcender les apparences. Puis en évoquant les préoccupations mentales que sont l’aspiration à la beauté, le bien et le mal, et le désir d’amour, qui semblent être avec le besoin de vérité, des constantes universelles de la nature humaine, il en vient à la question de savoir ce que sont réellement ces préoccupations :

Sont-elles strictement utilitaires, sans rapport avec une réalité objective, et seulement retenues par la sélection naturelle parce que les individus et les groupes qui en faisaient l’expérience survivaient mieux et engendraient davantage que ceux qui en étaient dépourvus ?

Ou bien au contraire reflètent-elles notre perception d’aspects authentiques de l’Ultime réalité, aspects bien différents de ceux qui ne sont accessibles que par la raison et qui néanmoins ont une existence propre ?

A ces interrogations, il n’a pas de moyens scientifiques de réponse, mais sa connaissance et son intuition le font adhérer à la seconde hypothèse, ce qui lui donne l’occasion de préciser que l’Ultime Réalité s’exprime par diverses facettes auxquelles chacun de nous est plus ou moins bien accordé selon la structure particulière de ses réseaux poly neuronaux corticaux tels qu’ils ont été « câblés » par l’hérédité, l’expérience et l’éducation.

Même avec un « câblage » excellent, l’exiguïté du cortex cérébral humain est telle, que la perception de cette Réalité reste hélas très limitée. Elle est toutefois suffisante pour nous remplir d’émerveillement, d’aspiration au bien et du sentiment d’appartenir à un Tout qui nous dépasse totalement tout en restant signifiant.

Sachant que la vie sur terre ne s’éteindra que dans 1,5 milliard d’années, ce sont nos descendants dont les experts scientifiques disent qu’ils disposeront de capacités mentales bien supérieures aux nôtres, qui en des temps infiniment éloignés, « toucheront » beaucoup mieux que nous ne pourrons jamais le faire, à l’Ultime Réalité dont parle Christian de Duve.

Comme vous l’aurez compris mes FF, la vie et l’œuvre de GB ne sont que les prétextes à une réflexion intéressant les rapports de la raison et de la foi et de ceux de la science et de la religion. Avec l’arrivée des applications pratiques de la science qui ont envahi notre monde ces rapports ont été modifiés et les religions n’ont pu ignorer ce que représentaient de telles applications pratiques. A partir de là se sont alors opérés des rapprochements dans lesquels les scientifiques ont fait état des vérités mises en lumière par leurs travaux avec l’espoir de voir les défenseurs de la foi les intégrer dans leurs processus mentaux afin qu’en soient issus des points forts pour y faire reculer le domaine de l’ignorance où les dogmes tiennent trop souvent le haut du pavé. Un tel espoir ne s’est concrétisé que partiellement car lorsqu’il s’agit de faire reculer l’ignorance un consensus est facilement accepté, mais lorsqu’il s’agit des dogmes il n’en est plus de même. Il faut toutefois ajouter que les scientifiques n’ont pas que des certitudes et dans leurs recherches ils découvrent des limites. Dans ce cas, pour expliquer l’inexplicable, ils font toujours appel à « Autre chose » comme le faisaient nos ancêtres les plus lointains lorsqu’ils donnaient aux phénomènes incompréhensibles auxquels ils étaient confrontés, une cause surnaturelle. Cet « Autre chose » dont ils ne peuvent rien dire, les amène à croire que sans lui, aucune avancée n’est possible. Mais ils savent aussi que l’inexplicable ayant enclenché un tel processus, n’est que temporaire et que viendra un temps où jaillira à nouveau la lumière de la raison autorisant de nouvelles avancées et entraînant par contre coup le recul de la foi.

Pour nous francs maçons, il n’est pas question de ne plus croire, mais il est question de donner plus de sens à la croyance. Pour cela et si on adhère aux idées de Christian de Duve, la dépersonnalisation de Dieu devrait nous sembler raisonnable. De même nous devrions sortir de l’anthropomorphisme et revoir le concept du Grand Architecte ou du Grand Horloger, (vous voyez tout de suite le scandale) en confrontant avec plus de rigueur les croyances relatives au créateur de toutes choses, au Principe de toute vie, à l’ordonnateur de lois, chères à nos discours et à nos planches, aux vérités que la science révèle et qui bien évidemment posent problèmes.

Si vous en êtes d’accord nous pourrons sur ce point bâtir notre discussion.

A\ M\ F\

Références

(1) Un démiurge est une divinité créatrice et organisatrice du monde.

C’est le nom donné par Platon (Dans Le Timée) au Dieu organisateur qui créa le monde à partir de la matière préexistante. Dans le gnosticisme, c'est une divinité émanée du vrai Dieu. Il est la cause du mal par sa création désastreuse qui mêla la matière à l'étincelle divine.


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