Obédience : NC Loge : NC 07/10/1999


Je suis l’autre

Je vous remercie pour cette minute de silence qui, comme ses congénères aura duré à peine 10 secondes.
Je vous remercie car ce bref instant contenait une part de magie : celle de la perfection de l’égrégore un peu comme dans la chaîne d’union: la loge est juste, parfaite et…vivante dans son attente.
En effet, à cet instant T-1, je n’ai encore ennuyé personne par la lecture monotone d’un texte sans doute insipide ; à cet instant privilégié, je ne me suis pas encore compromis dans une liaison dangereuse entre deux mots et je n’ai pas non plus trébuché sur les marchepieds de la syntaxe : personne ne baille et le silence est de rigueur : bref, l’idéal maçonnique. Inquiétez-vous, cela ne va pas durer.

N’importe quel F\, à ma place au plateau du conférencier, pourrait tenir ainsi le pistolet virtuel du starter tandis que tous les SS\ et FF\ ici présents seraient comme vous placés sur les « starting-blocks » de l’écoute : à ma place, ils seraient l’autre.
« Je suis l’autre ou le jeu de l’égo ».
L’autre parce que je suis encore plus différent de vous que d’habitude : je suis debout, je ne porte pas de gants, je suis à l’Orient et je suis le seul à parler (ça c’est moins rare poufferont d’aucuns) et pourtant, maintenant, mes SS\ et mes FF\, je me sens vraiment au centre de notre Union car j’ai conscience de vivre un bref instant exceptionnel durant lequel tant de paires d’oreilles autour de moi jouent non seulement leur rôle d’antennes de l’esprit mais aussi d’antennes du cœur : je ne me priverai pas d’en user.

Pour vous faire une confidence en aparté, ne le répétez pas, l’idée de cette planche m’est sournoisement venue à l’occasion d’une réaction épidermique de ma part, en salle humide, à un quolibet sur les Belges.
Vous n’ignorez pas, bien évidemment comme disent les Français, que les Noirs sont gentils mais naïfs et fainéants, que les Arabes qui pour la plupart d’ailleurs n’en sont pas, sont voleurs et agressifs, les Juifs sont comploteurs et cupides et les Jaunes hypocrites et sournois : on ne peut rien y faire, c’est comme ça.

En Maçonnerie, on peut encore penser tout ça mais on ne peut plus le dire sinon mes SS\ et mes FF\ cela ferait « desordo in chao », en un mot « raciste ». Et le racisme c’est un peu comme le tabac, on peut s’en passer mais qu’est-ce ce que c’est difficile : alors on cherche un substitut : une Valda ou un chewing-gum d’autant qu’on n’ose même plus, de nos jours, faire trébucher un unijambiste ni jouer à colin-maillard avec un aveugle et c’est là que les Belges interviennent.
On peut heureusement encore un peu tirer sur les Belges qui sont, nous devons en convenir, travailleurs et balourds voire un peu cons mais aussi Blancs et Européens que les Français donc…ce n’est pas du racisme. Ah bon !…chouette, on peut continuer alors !

A l’origine, je pensais mes SS\ et mes FF\, aborder ce sujet avec vous pour tenter de remettre les pendules (suisses) à l’heure mais j’y ai renoncé estimant, à raison je pense, le sujet aussi étriqué que son objet d’autant qu’il serait en flagrante contradiction, me semble-t-il, avec ce qui va suivre.
Y réfléchisse qui pourra…en toute fraternité.
Je suis l’autre ou le jeu de l’égo.
Mon propos est le fruit de réflexions mûri à la lumière et à la chaleur de notre Atelier. Non pas que celui-ci soit plus remarquable que d’autres bien que je le pense vraiment (suis-je bien objectif ?) mais c’est notre Athanor dans lequel nos matières et énergies se mêlent et se fondent pour que s’accomplisse en son sein le Grand Œuvre de l’Idéal Maç\ : n’oublions pas que le Tout est contenu dans chacune de ses parties, si modestes soient-elles.

A ce moment de la jeune histoire de notre Loge, il convient de remplacer l’intention par l’attention et cette dernière ne se maintiendra pas sans faille ni anicroche comme tout société humaine, fut-elle maçonnique: nous avons donc tous un devoir de vigilance à accomplir.
Dans ce qui va suivre, je ne m’érigerai pas en censeur ni même en cinquante ou encore en dix car ces paroles, je me les adresse autant qu’à vous ; en effet, il n’est point de résultat collectif sans prise de conscience individuelle et nul ne peut s’y soustraire.

Je suis l’autre, chacun de vous est l’autre et les règles du jeu de l’égo sont les mêmes pour tout le monde : c’est un jeu de construction et si chacun a sa boîte, le mode d’emploi a disparu.
Dès la naissance, il n’est guère facile de franchir la porte étroite séparant la chaleur humide et la quiétude nocturne du ventre maternel de la violence lumineuse froide et sèche du monde d’autant qu’un cordon ombilical peut vous étrangler comme ça juste pour vous prévenir de ce qui vous attend.

Naître est difficile, mes SS\ et mes FF\, mais exister, c’est pire.
Car exister, « c’est naître à soi-même » ou comme nous disons encore, « devenir ce que l’on est » pas seulement face à soi-même mais encore sous le regard des autres et là les règles du jeu de l’égo d’inconnues deviennent compliquées.

En effet, exister est sans doute plus facile pour un moine anachorète du mont Athos abonné au NATIONAL GEOGRAPHIC MAGAZINE qui existe en français depuis ce mois-ci (pub gratuite) que pour les individus « lambda » que nous sommes tous les jours ou les cénobites tranquilles que nous sommes aussi, mais à temps partiel, dans notre Atelier.
L’individu « lambda » c’est celui que je me refuse d’appeler « profane » dans le cas qui nous occupe car, mes SS\ et mes FF\, nous vivons, dans notre vie quotidienne, des événements d’individus « lambda » alors que nous ne sommes plus et ne seront plus jamais profanes.
Ces événements seront fortement influencés non seulement par le comportement des autres mais également par leur simple présence individuelle et même collective dans notre cadre de vie.

Dès le début de notre existence, la disponibilité d’une mère, la sévérité d’un père, la présence d’une sœur ou d’un frère aîné, l’arrivée d’une sœur ou d’un frère cadet ou celle d’un beau-père ou d’une belle-mère plus jeune « avec des gosses qu’on connaît pas » auront une influence importante sur notre développement affectif en participant à nos désirs et, par là même, faisant naître des frustrations ou participant à nos frustrations sans même que nous ayons eu conscience de nos désirs : c’est ce que je nomme « les autres qui nous sont proches ».

Plus tard, dans notre vie sociale, scolaire puis professionnelle, notre rapport aux autres dans notre désir d’exister, se concrétisera dans notre capacité à nous réaliser, ce que certains nommeront « ambition ».
Cela se traduira par la recherche d’une image de réussite toujours relative aux autres ou d’une démonstration d’originalité ; en cas d’échec entre guillemets, la frustration se déclinera sans doute en résignation muette : les autres seront alors les habitants de la jungle sociale qui cherchent à nous impressionner par leurs peintures de guerre.

La famille que l’on créera peut-être, une ou plusieurs concomitantes ou successives, les amis de toujours ou plus souvent les amis d’époque ou de circonstances, participeront à nos désirs de reconnaissance et/ou affection en engendrant également leurs déceptions à soustraire (je pose 2, je retiens 1) d’une somme d’attente mesurée à la même aulne.
Plus tard et même…le plus tard possible, quand nous serons vieux et/ou malades, quand nous ne pourrons plus offrir que notre maigre sourire et notre patrimoine ou notre sourire et notre maigre patrimoine, nous guetterons à la fenêtre la visite promise depuis longtemps, la boîte de chocolat et la ration de d’ennui : les silences des grands seront insupportables, leurs soupirs mal contenus et les rires des petits seront trop sonores : et où sera la tendresse bordel ?

Après une analyse succincte, partielle et parfois caricaturale des relations de l’individu « lambda » avec les autres, examinons ensemble leur traduction au plan des relations entre les FF\ au sein d’un At\ Maç\.
J’attire au préalable votre attention, mes SS\ et mes FF\, sur le fait que toute ressemblance avec des FF\ tirés au sort dans un At\ pris au hasard ne peut être que fortuite.
Ils ne sont pas si tranquilles que ça les « cénobites » : AA\, ils nous arrivent tout chauds de l’Init\, après une série de formalités administratives, le passage au scanner des enquêtes, le crible du « bandeau », l’attente et son mystère qui plane jusqu’à l’horizon de la Terre Promise et tous les fantasmes idéalisants qu’elle sous-tend quand explosent d’abord la lumière et ensuite les effusions de la Fraternité.

Ils nous arrivent, mes FF\ et mes SS\, forts comme des nouveaux et fous de l’énergie de leur désir, fragiles mais attentifs et donc volontiers critiques. Avant eux, nous avons été des légions dans la même situation, nous nous sommes posés les mêmes questions sur le sens et même sur le bien-fondé du rituel ; nous avons douté, nous avons faibli, nous nous sommes découragés devant la distraction ou la négligence de ceux parmi les Anciens que l’on considérait parfois et le plus souvent à tort comme arrogants et peu fraternels mais nous nous sommes ressaisis et notre foi est plus forte. Aux premiers, je leur rappellerai que la Maçonnerie n’est pas la Société Idéale, elle est faite tous les jours par des borgnes, des boîteux et même…des Belges.

Aux plus anciens dont je fais un peu partie, je leur dirai, je me dirai, soyez attentifs, sois attentif, la Fraternité ne se limite pas aux Maçons de même grade, de même génération, de même groupe socio-professionnel ou culturel ; sorties au cinéma, amitié sincère ou plus si affinités.
A tous et à chacun, aux autres et à moi-même, j’ajouterai que la Maçonnerie n’est pas une école de l’esprit mais une école du cœur qu’il ne faut pourtant pas assimiler à une école maternelle : nous y sommes tous entrés de notre plein gré en hommes faits et en adultes responsables avec une belle ambition fraternelle, des utopies et des idéaux.

Prenons donc garde : plus l’attente est forte, plus la déception peut sembler cruelle. Mais heureusement, grâce à la règle, à l’équerre et au compas, nous prenons mesure de toute chose et à l’aide du maillet et du ciseau, nous taillons inlassablement notre pierre.

Quant aux conflits qui pourraient miner les relations entre certains FF\ pour des motifs maçonniques ou même purement profanes, je n’en connais pas de si violents qui ne puissent se résoudre par le dialogue même si nous savons que la démarche est rarement simple.
Allons vers l’autre en utilisant la symbolique de la Marche de l’A\ qui conduit celui-ci, hésitant mais réfléchi puis ferme et assuré, dans sa L\, vers ses FF\, vers son F\.

A cet instant de mon propos, je citerai Oswald WIRTH qui, dans son ouvrage, « la F\ M\ rendue intelligible à ses adeptes, tome 1 « l’Apprenti » écrivait ceci aux pages 165 et 166 :
« La force d’une association réside essentiellement dans la cohésion de ses membres. Plus ils sont unis et plus ils sont puissants.
En Maçonnerie, l’union n’est point l’effet d’une discipline imposée, elle ne peut naître que de l’affection que ressentent les uns pour les autres les Initiés. Il est donc de la plus haute importance de contribuer par tous les moyens à resserrer les liens qui unissent les Maçons. »
Et un peu plus loin : « L’homme est toujours imparfait. Il faut donc éviter de s’arrêter aux faiblesses d’autrui ; discernons les qualités de nos FF\ et passons la truelle sur les rugosités des pierres que doit indissolublement unir le ciment de la plus franche amitié ». Fin de citation.

Appuyons-nous, mes SS\ et mes FF\ sur le besoin d’Amour et de Fraternité qui a justifié notre démarche : ce besoin est intact, j’en suis sûr. Si nous attendons beaucoup des autres, nous avons bien raison, mais ne leur demandons pas plus qu’ils ne peuvent nous offrir, soit parce que cela heurterait leur conception de la morale ou les mettrait en difficulté soit parce que cela leur serait tout simplement impossible : ce faisant nous les rendrions malheureux, ce qui serait en parfaite contradiction avec notre démarche.
Je suis l’Autre, vous êtes les Autres, nous sommes les Autres.
« Pas besoin de gril, l’Enfer, c’est les autres » disait Sartre dans « huis clos » : j’espère qu’il s’est trompé.
Ou alors, l’Enfer est partout, même dans les LL\.
J’ai dit.

J\ L\


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