GLDF | Lieu : Grand Temple de la Grande Loge de France | 05/05/1981 |
L’Abbé
Grégoire Conférence
prononcée au Grand Temple de la Grande Loge
de France le 5 mai 1981 par Gaston MonnerviIle â l'occasion du cent
cinquantième anniversaire de la mort de l'Abbé Grégoire. Ceux
qui n‘appartiennent pas à la Franc-Maçonnerie
pourront s'étonner d'entendre glorifier ä la Grande Loge de France une
autorité
d‘une hiérarchie religieuse, et singulièrement d'un haut dignitaire de
Ia
hiérarchie catholique Car celui que l’histoire désigne sous !'humble
vocable
d'Abbé Grégoire fut un haut dignitaire de l’Eglise. Mais
pareille surprise sera vite dissipée, lorsque
j‘aurai rappelé un principe tout simple, qui est à la base même de
notre
Institution. A l'inverse des religions, qui sont fondées sur la vérité
révélée,
l‘Ordre maçonnique ne prétend pas posséder l'éternelle
vérité ; elle n’a
pas la prétention de détenir la solution à toute choses. Ce а quoi elle
prétend. C'est
s'appuyer, avec conscience, avec vigueur, à la
recherche de la compréhension mutuelle, de la tolérance, de la
solidarité dans
l’absolu respect de la liberté de croire, d’agir, de penser. Elle tient
pour un
devoir impérieux de mieux connaître, et, lorsqu’ils le méritent, de
proposer en
exemple les hommes qui, par leur dévouement, ont contribué au progrès
moral des
humains, et plus que beaucoup d’autres, ont ennobli le beau nom de
l’homme. Henri
Grégoire est de ceux-là. Et
c’est pourquoi notre ordre a eu à cœur de donner
son nom à l’un de nos ateliers, et de rappeler, en cette cérémonie
d’admiration
et de gratitude, qui il fut, ce qu’il fit, et le caractère exceptionnel
de son
action pour la cause de tous ces frères en humanité. Dans
ses mémoires, l’abbé Grégoire s’est amusé à
énumérer les titres officiels qu’il reçut de son vivant ! Curé
d’Embermésnil,
évêque de Blois, membre de l’assemblée constituante, membre de la
convention
nationale, du conseil des cinq cents, du corps législatif, sénateur,
commandeur
de la Légion d’honneur, membre de l’institut, des sociétés
d’agriculture de
Paris, de philosophie chrétienne, et de nombreuses académies savantes.
On
pourrait ajouter à cette liste : fondateur du conservatoire des arts et
métiers, du bureau des longitudes et de l’observatoire de Paris. Il
n’en – aucune vanité. Il fait suivre cette longue
énumération de cette observation ironique : « cette accumulation de
titres ne
donne pas le mérite et, même, elle ne me suppose pas toujours ». Mais
ce qu’il
ne dit pas c’est qu’à ses titres multiples et divers il fit honneur par
le
déploiement d’une activité constante, rigoureuse, efficace qui lui
mérita et
numérique encore la reconnaissance lucide de beaucoup. D’abord
de ses concitoyens lorrains. Né à Vého,
village voisin de Lunéville, il était issu d’une famille assez humble.
Son père
Annonay et artisans étaient tailleurs d’habits. Dès son jeune âge Henri
Grégoire connu les difficultés matérielles d’un loyer fort modeste. Il
vit la
pauvreté autour de lui, et ne fit que s’intéresser davantage au sort du
peuple.
« Né plébéien, écrira-t-il, ma roture remonte probablement à Adam, et
je ne
veux séparer mon affection et mes intérêts de ceux du peuple ». Henri
Grégoire reçut une formation religieuse,
notamment au collège des jésuites. Il conserva un profond d’attachement
pour
ses formateurs, « quoi que, a-t-il précisé, je n’aime pas l’esprit de
cette
société », qui lui laissa la pression de rechercher la domination des
humains,
et un règne politique. Devenu curé d’Embermesnil, il s’attira mieux que
la
sympathie, l’affection et le respect de ses concitoyens, par son
dévouement
sans discrimination, son goût de la liberté et une évidente volonté de
servir.
Et c’est ainsi que -- je cite -- « la cité reconnaissante du bien que,
nuit et
jour, l’abbé Grégoire lui avait prodigué », et le curé lorrain issu du
peuple
comme lui-même, le lire, le premier de son ordre, aux États généraux de
1789. Alors
commence, pour Grégoire, une existence marquée
d’une lutte permanente et sans merci contre les privilèges, les
inégalités,
l’injustice sociale, l’obscurantisme -- c’est lui qui a créé le mot --
et pour
la formation, l’éducation et l’évolution du peuple de France. Il
est d’usage de poser la tradition et le mouvement.
Dans l’action qui menace sans répit, Grégoire, sans renier ses
convictions
religieuses, fut le mouvement. Ces discours ses écrits ses actes
montrent qu’il
avait une étonnante avance sur son temps. Par ses conceptions
originales, il se
révéla un éveilleur d’idées, un semeur de réforme. Par son action il se
montra
un réalisateur surprenant, en tous domaine. Le
trait dominant de cette personnalité très forte, si
exceptionnelle, était une aptitude à envisager les grands ensembles à
porter le
regard au-delà des frontières de l’espace et du temps pour rejeter
hardiment
les fondements d’un véritable humanisme moderne. Visionnaire
? Voilà une expression dont on a trop
tendance à abuser. Henri Grégoire ne l’était nullement. Robuste dans
son
physique et dans son esprit, comme il était dans ses convictions
politiques ou
religieuses, il avait le sentiment profond des valeurs humaines, et la
prescience exacte de l’évolution des idées et de l’événement. En 1789,
lorsque
ses confrères du bailliage de Nancy l’envoient siéger aux États
généraux,
l’abbé Grégoire est déjà connu des « philosophes » pour son « essai sur
la
régénération physique, moral et politique des juifs », qui fit grand
bruit.
Tout l’homme est déjà là -- dans cette revendication ardente et
passionnée en
faveur des victimes d’une société inique à ses yeux en faveur des
simples, en
faveur des persécutés et des opprimés. De
même, la déclaration universelle des droits de
l’homme, œuvre internationale adoptée à Paris le 10 décembre 1948,
proclame que
« l’individu a des devoirs envers la communauté dans laquelle, seul, le
libre
et plein développement de sa personnalité est possible ». En outre,
l’assemblée
générale des Nations unies, dès 1949, a rédigé la « Déclaration des
droits et
devoirs des états » qui, note le grand juriste international, René
Cassin, « a,
sur des points essentiels, une communauté d’inspiration très
remarquable avec
le projet d’Henri Grégoire. » Lorsqu’on
réfléchit assez importante innovation
introduite dans les législations modernes et dans les rapports
internationaux,
on ne peut qu’admirer la hardiesse et le modernisme des conceptions
civiques et
sociales qui, déjà, inspiré Grégoire. La
même hardiesse de vue présida aux efforts qu’il fit
pour obtenir la coopération internationale des savants, des lettrés et
des
artistes, -- dans l’intérêt de l’avancement des connaissances au profit
des
peuples. Déjà,
en février 1794, Grégoire, au nom du comité
d’instruction publique, avait rédigé un rapport pour la protection des
chefs-d’œuvre d’art, et contre le vandalisme (le mot a été créé par
lui) des
objets d’art. Son élévation de pensée en ce domaine retient et séduit,
il croira
l’influence salutaire des arts sur l’existence politique et le
caractère moral
des nations. Dénonçant les dégradations causées aux œuvres d’art, il
fustige «
les nouveaux barbares qui voudraient porter partout le fer et le feu ».
Avec
son habituel courage, il s’élève contre « l’insouciance criminelle de
beaucoup
de municipalités et d’administration qui s’approprient pour leur usage
et qui
détruisent des objets d’art, qui laisse les tableaux et les livres
s’altéraient
sous scellés, et ne font pas annuler les ventes contraires à la loi ». Et
le conventionnel, à la pure conscience de ses
criées : « les objets d’art doivent avoir autant de gardiens qu’il y a
de bons
citoyens… la convention doit à sa gloire et/ou peuple de transmettre la
postérité et nos monuments et son horreur pour ceux qui veulent les
anéantir. » Pour
Grégoire l’attache de la convention n’était pas
seulement de protéger, de sauvegarder les productions artistiques de la
France
: elle était aussi d’encourager des créations nouvelles et d’inciter
aux
échanges artistiques et culturels entre nations. À ses yeux, il fallait
ouvrir
à tous les amis des sciences et de la liberté, -- notions que Grégoire
associa
constamment -- l’accès dans notre pays : encourager tous les talents
ont toutes
les sociétés libres ; appeler tous les artistes à l’exécution
d’ouvrages d’un
grand caractère « simples comme la nature, beaux et durables comme elle
», pour
employer ses propres expressions, « que des colonies de voyageurs
aillent dans
les contrées lointaines faire chérir le nom français, conseillait-t-il,
et
qu’en échange il nous rapporte leurs richesses naturelles,
indestructibles, et
scientifiques… en fait de vertu et de lumière, aucun peuple n’eut
jamais de
superflu » Cette
préoccupation fut l’une des plus lancinantes de
toute son existence. En 1816, sous la restauration, il reviendra sur
cette idée
dans ses discours et dans ses écrits. 10 ans plus tard en 1826,-- peu
d’années
avant sa mort -- il reprendra son action dans ce sens. Grégoire qui fut
l’auteur de quatorze ouvrages, écrit alors un essai intitulé : « Plan
d’association générale entre les savants, gens de lettres et artistes
de tous
les pays ». Ce n’était pas qu’un recueil de vœux ou d’hypothèses.
Fidèle à sa
passion des solutions concrètes, Grégoire y établit un plan
d’organisation et
d’action parfaitement réalisable en cette matière. J’invoque ici encore
le
témoignage réfléchis, irrécusable de René Cassin qui n’a pas hésité à
rendre
hommage, dit-il, « à la clairvoyance de l’ancien membre du comité
d’instruction
publique de la constitution » que fut Henri Grégoire. Celui-ci
tenait « pour certains que l’obscurantisme a
plus de partisans qu’on ne le croit chez les maîtres de la terre ; ils
savent
que l’ignorance est un moyen puissant pour museler les peuples ». Pour
lui la
coopération organisée, et solidaire des esprits qui, dans tout pays,
pensent,
recherchent et inventent, devait apporter une aide considérable à la
formation
et l’émancipation des individus et des peuples. Ce
n’est pas seulement à la conservation du patrimoine
culturel, spirituel, social de la France que l’abbé Grégoire consacra
ses
forces et son existence. Outre tous les aspects de son œuvre que je
viens de
résumer, il voua la plus grande partie de son activité et de son combat
pour
les droits de l’homme aux déshérités, aux persécutés, aux opprimés. Dès
son
jeune âge, il s’engagea corps et âmes dans une lutte sans répit pour
l’émancipation des juifs, des esclaves noirs et la protection de toutes
les
minorités. Rappelons
que déjà, alors qu’il n’était que le modeste
curé d’Embermesnil, il avait publié le célèbre essai couronné par
l’académie de
Metz, sur la « régénération physique, morale et politique des juifs ».
Il
continua son action dans toutes les assemblées au sein desquels il
siégea, en engageant
son repos, sa vie et son honneur. L’apôtre
de la tolérance, celui qui s’était élevé
contre les brimades infligées aux protestants, fait entendre sa voix
puissante
et passionnée pour dénoncer les vexations, les humiliations, les
sévices subis
par les fils d’Israël, « les crucifiés des nations », selon l’exacte et
douloureuse définition du R.P Michel Riquet. Sans
doute, dans sa lutte pour la justice et le bon
droit, Grégoire a-t-il d’illustres répondants, les Mirabeau,
Robespierre
Clermont-Tonnerre, La Rochefoucauld qui ont prononcé à la tribune
française de
vibrant plaidoyer en faveur de ces malheureux opprimés. Mais
c’est à Grégoire qu’il appartiendra d’attacher
son nom au décret et fameux du 27 septembre 1791 qui fera des
israélites des
citoyens français, dont les droits, comme les devoirs, seront ceux de
leurs
concitoyens. Et
j’imagine qu’elle a dû être la joie de ce profond républicain ennemi de
toutes
les formes de discrimination, lorsqu’il apprit que les armées de la
révolution
avaient défoncé les portes des ghettos de Hollande, d’Italie et
d’Allemagne, et
rendu la liberté avec l’honneur à tous les juifs de ces pays, lesquels
arrachèrent les insignes infamants qu’il portait pour raccrocher sur
leur cœur
la cocarde révolutionnaire, la cocarde tricolore. C’est
avec la même farouche ardeur que l’abbé Grégoire
lutta pour la suppression de l’esclavage, pour la libération et
l’égalité des
noirs. Avant son élection comme délégué aux États généraux en 1789, il
avait
déjà adhéré à la cause anti esclavagiste à la suite des comptes
philosophes
français du XVIIIe siècle, telles que Montesquieu, Raynal, Turgot,
Condorcet.
Député, il devint membre de la société des amis des noirs, fondée en
1785 par
Brissot Clavière et Condorcet et qui comptait parmi ses membres
Lavoisier,
Lacépède, le duc de La Rochefoucauld, Mirabeau, Sieyès, Lafayette. Les
fondateurs s’étaient inspirés du modèle des sociétés existantes aux
états unis
et en Angleterre, auxquelles appartenait par exemple Wilberforce,
l’illustre abolitionniste
anglais. Les relations entre ces hommes et Grégoire furent continus
confiantes
G amicales. Dès
son arrivée aux États généraux, Grégoire s’attaque
aux « Grands planteurs » de Saint-Dominique, irréductibles adversaires
des gens
de couleur et des noirs. Par ses discours, par ses écrits, il défend
sans
ambages les droits politiques de ce qu’on appelait les « sang-mêlé ». « Les âmes ont-elles une
couleur ? »
Réplique-t-il aux esclavagistes. Ses amis lui, après deux jours de
discussion
et de vote contradictoire, pense l’avoir emporté. Mais en septembre
1791, dans
les derniers jours de l’assemblée constituante, un décret proposé par
Barnave,
à l’instigation des colons de Saint-Dominique et des armateurs
négriers,
supprime les avantages accordés aux « sang-mêlé », Grégoire ne
l’emportera
définitivement qu’à l’assemblée législative le 28 mars 1793. La
tâche n’est pas terminée pour autant. Devenu député
à la convention nationale, il adjure ses collègues de supprimer cette
plaie
immorale qu’est le trafic d’esclaves. « Jusques à quand, citoyens,
permettrez-vous ce commerce infâme », s’écrie-t-il, il réclame avec
force et il
obtient la suppression des primes accordées par l’État aux armateurs
négriers,
comme contraire à la Déclaration des Droits de l’Homme. Les planteurs
esclavagistes le poursuivirent de leurs menaces et de leurs calomnies.
N’allèrent-ils pas jusqu’à le pendre en effigie au Cap Français, à
Saint-Domingue, Haïti d’aujourd’hui, pour avoir lancé en pleine
assemblée,
cette prédiction que les siècles ont ratifiée : « Un jour, le soleil
des
Antilles n’éclairera plus que des hommes libres ». Mais les noirs et
les gens
de couleur lui vouaient un amour et admiration comme leur protecteur et
leur
ami. L’Abbé Grégoire ne se nommait-il pas lui-même « l’ami des hommes
de toutes
les couleurs », blanc ou noir. Le
4 février 1794, la convention vota
l’affranchissement total et immédiat des noirs. Grégoire dit ses
appréhensions
: il craignait qu’une mesure aussi radicale ne fut prématurée, donc
dangereuse.
Mais il continua à s’intéresser avec la même ardeur au noir et au
sang-mêlé de
Saint-Domingue et des autres colonies françaises d’Amérique. Lorsque
en 1802 Bonaparte, Premier Consul, mal inspiré
par Joséphine, décida de rétablir l’esclavage aux colonies, et saisit
le Sénat
de son projet, une seule opposition ne manifesta publiquement, celle du
sénateur Grégoire. Puis celui-ci se rendit en Angleterre pour étudier
avec
Wilberforce et les membres de sa Société les modalités d’une campagne
commune
en faveur de l’abolition. Il vous le montrait que les races africaines étaient capables de développer leur qualité intellectuelle autant que la race blanche si on leur en donnait les moyens, et publie un ouvrage intitulé « la littérature des nègres ». Il prédisait notamment un grand avenir au noir dans l’art musical. Combien il avait vu juste n’est-il pas vrai ! Pour lire la suite : 7305-2 |
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