GLDF | Lieu : Grand Temple de la Grande Loge de France | 05/05/1981 |
L’Abbé
Grégoire Suite de la page : 7305-1 Jusqu’à
sa mort Grégoire mena la plus ardente campagne
pour obtenir l’abolition définitive de l’esclavage et de la traite. Il
restait
rigoureusement fidèle à ce qu’il avait écrit, en 1790. « C’est une
cause dont
je me suis fait l’avocat que je n’abandonnerai jamais ». En 1817, il
écrivait
encore au cardinal, préfet de la propagande à Rome : « je me suis
dévoué à la
cause des enfants de l’Afrique, à travers des persécutions dont la
continuité
et la noirceur, loin d’amollir mon courage, l’ont accru ; et jusqu’à
mon
dernier soupir, ils trouveront en moi un défenseur ». Il tint parole. Plusieurs
ouvrages publiés par lui sont autant de
plaidoyer de démonstration, d’appel au respect de la dignité des noirs
: « De
la traite de l’esclavage des noirs et des blancs par un ami des hommes
de
toutes les couleurs », en 1815. « Des peines infamantes a infligé aux
négriers
», en 1822. « De la noblesse de la peau ou du préjugé des blancs contre
la
couleur des Africains » ; en 1826, pamphlet d’une mordante ironie. Ces
efforts répétés avaient abouti cependant à la
publication du décret du 29 mars 1815 abolissant la traite, neuf jours
après
que Napoléon fut revenu de l’ile d’Elbe. Étrange retour des choses !
Grégoire
avait été l’adversaire constant et déclaré du premier consul Bonaparte,
et de
l’empereur Napoléon, qu’il appelait « l’incorrigible ». L’homme ouvert
à la
liberté et à l’égalité, s’était toujours opposé au dictateur. « La
liberté ?
Avait-il déclaré un jour, il ne sait pas encore trouver de main assez
robuste
pour forger le lien qui pourrait à jamais la retenir. » Il fut l’un des
trois
sénateurs qui votèrent contre l’établissement du régime impérial, de la
noblesse et des majorats : il résiste à toutes les tentatives de
séduction de
l’empereur. « Tête de fer », dira de lui l’historien Jules Michelet. Un
jour vint pourtant où Napoléon donna raison à «
l’incorrigible » ; il abolit l’esclavage des noirs. L’expérience
haïtienne, la
guerre qu’il avait portée à Saint-Dominique pour rétablir l’esclavage
et brisé
Toussaint Louverture, et qui s’était révélé un cuisant échec, avait
fait
réfléchir l’empereur. Là encore c’était les idées et la persévérance de
Grégoire qui triomphaient. Voilà
qui illustre le fait d’expérience souvent
constatée dans l’histoire des peuples. L’idée jouit d’une force
souveraine qui,
lentement, douloureusement parfois, triomphe des contraintes et des
obstacles.
Napoléon lui-même, grand capitaine qui a du tout à son épée, finit par
s’en
convaincre, et il a écrit : « la France est un trop noble pays, trop
intelligent pour se soumettre à la puissance matérielle et pour
inaugurer chez
elle le culte de la force. À la longue, le sabre est toujours battu. » La
restauration, quoique opposée aux conceptions de
Grégoire, ne rapporta pas le décret impérial, mais elle le tint pour
lettre
morte et ne l’appliqua jamais. Et Grégoire n’eut pas la satisfaction de
voir
son œuvre achevée. Elle
devait l’être 17 années plus tard par l’un de ses
disciples les plus ardents. Dans son testament Grégoire avait institué
un prix
à remettre aux lauréats d’un concours portant sur le sujet suivant : «
quels
seraient les moyens d’extirper le préjugé barbare et injuste des blancs
contre
la couleur des Africains ». La société pour l’abolition de l’esclavage
organisa
ce concours en 1839. Le lauréat fut Victor Schoelcher. Victor
Schoelcher,
l’alsacien résolu, farouches républicains qui, malgré les déboires, les
lâchetés, les menaces réitérées qu’il connut lui aussi, eut l’immense
satisfaction d’obtenir de la deuxième République la signature des
immortels
décrets d’avril 1848, qui proclament « nulle terre française ne doit
plus
porter d’esclaves ». Victor Schoelcher que nous, les fils de
l’outre-mer,
appelons « le libérateur ». N’est-il
pas frappant que les deux philanthropes qui
ont aussi passionnément défendu les races opprimées soient originaires
des deux
provinces qui, à la frontière de l’est, ont si souvent souffert de la
domination étrangère. Sans doute les annexions et les humiliations
qu’elles ont
subies ont-elles fait naître en elle un goût très vif de la liberté, et
une
sympathie particulière, dans le sens profond du terme, pour tous ceux
qui en
sont privés. On ne saurait trop méditer sur cette convergence. L’action
de Grégoire ne se borna pas à restituer aux
juifs et aux noirs leur dignité d’homme. Elle s’étendit à toute
l’humanité
souffrante, et notamment aux Grecs et aux Irlandais, nation dont
l’indépendance
et les libertés étaient mises sous le boisseau. Ici encore Grégoire
reste
d’actualité -- douloureusement ! Décidément, l’opinion d’un de ses
biographes,
le sénateur Carnot, qui publia un ouvrage intitulé « Etude sur Henri
Grégoire »
est profondément juste. « Tous les « parias » de la société, a-t-il
dit,
trouvent en lui un défenseur. » Une
telle passion de justice, une telle activité pour
tenter de l’instaurer dans les relations humaines, une telle ardeur
combative,
un tel mépris de toute prudence dans l’action, ne pouvaient que créer
beaucoup
d’inimitié, voire de haine et vigilante contre Henri Grégoire. Ses
ennemis --
et ils furent nombreux -- ne restez pas inactifs. Calomnies,
diffamations,
menaces furent désormais son lot. Les
uns lui reprochaient d’avoir voté la mort de Louis
XVI, en pur jacobin qu’il prétendait être ; les autres lui faisaient le
reproche inverse. En fait, Grégoire s’était prononcé publiquement pour
le
jugement du roi, et sa condamnation. Mais il avait formellement exprimé
son
opposition à la condamnation à mort, il avait toujours été partisan de
la
suppression de la peine de mort, ainsi qu’il avait déclaré dans les
discours
publics, singulièrement dans celui qu’il prononça à la séance du 15
novembre
1792, où il dit : « je réprouve la peine de mort et, je l’espère, ce
reste de
barbaries disparaîtra de nos lois ». Toujours fidèle à lui-même il ne
pouvait
donc pas la requérir pour Louis XVI. Son opinion était qu’il fallait
condamner
le roi à « vivre », pour qu’il endurât les conséquences des souffrances
que la monarchie
avait fait subir au peuple. En mission au savoir au moment du jugement
de Louis
XVI, c’est ce qu’il écrivit à la convention. Mais la calomnie et la
haine
furent les plus fortes. On alla jusqu’à falsifier les écrits de
Grégoire, à y
interpoler des textes qui n’étaient pas de lui. Il fut victime à la
fois des
soupçons persistants des Jacobins, et des ultramontains qui estimaient
qu’il
avait trahi l’église catholique, son église, en acceptant de prêter le
serment
à la convention et de devenir évêque constitutionnel. Crime
impardonnable à
leurs yeux. Par ordonnance royale, Louis XVIII le raya de la liste des
membres
de l’institut qu’il avait fondé et largement illustré, de l’avis même
des pays
étrangers. Par la même ordonnance était chassée de l’institut Lazare
Carnot et
Gaspard Monge, fondateur de l’école polytechnique. S’il
ressentit l’injustice d’une telle décision,
Grégoire n’en fut nullement atteint dans sa fierté. Une lettre du grand
chancelier de la Légion d’honneur, poursuivant l’épuration commencée
par Louis
XVIII, ayant rappelé aux membres de cet ordre qu’en vertu d’une
ordonnance du
26 mars 1816, ceux-ci devaient se pourvoir de nouveaux brevets,
Grégoire lui
adressa aussitôt sa démission dans les termes que voici : « repoussé du
siège
législatif, repoussé de l’institut, à ces deux exclusions ont permettra
sans
doute que j’en ajoute moi-même une troisième, et que je me renferme
dans le
cercle des qualités qui ne peuvent être conférées par « brevet », ni
enlever
par « ordonnances » ; qualité seule admise devant deux tribunaux qui
révisant
beaucoup de jugements contemporains : le tribunal de l’histoire et
celui du
juge éternel. » Quelle
fierté dans ses mots ! La fierté légitime d’une
conscience pure, -- et d’un homme de caractère qui fit dire plus tard
de
Grégoire par Edgar Quinet : « toujours foudroyé est toujours serein ». De
même, quoique élu comme représentant de l’Isère à
l’assemblée législative, il en fut rejeté en raison du rôle éminent
qu’il avait
joué sous la révolution. La lettre pleine de dignité qu’il écrivit le
28
septembre 1819 aux électeurs du département de l’Isère, et où il
rappelle les
calomnies, et, -- je cite-- « l’ample collection de libelles » dirigés
contre
lui, « pour avoir défendu les juifs, les Africains étant d’autres
opprimées,
pour avoir combattu l’acquisition, le despotisme, l’ultramontanisme et
la
féodalité » s’achève par ces mots teintés de mépris : « elle ne me
Nicky,
rattachant son existence fugitive à désespérance d’un ordre suprême, se
retranche, dans une conscience pure, de la hauteur moelleux place peut
verser
le dédain de la pitié sur des êtres dévorés du besoin de nuire. » Cependant
Grégoire n’avait pas encore atteint le fond
de l’injustice. Il
lui restait une dernière épreuve subir -- la plus
cruelle pour son cœur de croyants. Conventionnelle sans arrière-pensée
évêque
constitutionnelle de Blois, il était resté fidèle à sa religion, la
religion
catholique apostolique et romaine ; en tout respect pour la hiérarchie.
Au
milieu des cris, des vociférations, des insultes et des menaces,
Grégoire
n’avait pas hésité à proclamer à la convention son attachement
invariable au
catholicisme et à l’épiscopat. Il avait risqué les pires sanctions à
une époque
où la passion anticléricale ne connaissait pas de bornes. Il fit face
sans
faiblir. Lorsque
la gravité de son état de santé ne lui laissa
aucun doute sur une issue prochaine, il manifesta le désir de recevoir
les
secours de sa religion. L’archevêque de Paris les lui refusa. Ou plutôt
il mit
une condition absolue : que Grégoire abjurât le serment civique qu’il
avait
prêté à la convention. Une correspondance existe qui montre
l’assistance
intransigeante de l’archevêque de Paris, et la sereine résistance de
l’évêque
de Blois : « je viens de vous exposer, réitère celui-ci, les motifs qui
m’interdisent une rétractation que je regarderai comme un parjure. » Pour
Grégoire, en effet, il n’y avait nulle opposition
entre les principes de la convention et les devoirs que lui imposait la
religion. S’il prêta serment à la constitution civile du clergé, c’est,
ainsi
qu’il a précisé dans le discours qu’il prononça alors, « par ce
qu’après le
plus mûr examen », il « déclare ne rien y apercevoir qui puisse baisser
les
vérités cinq que nous devons croire et enseigner ». Il ajoute : « ce
serait calomnié
l’Assemblée nationale que de lui supposer le projet de mettre la main à
l’encensoir. À la face de la France, de l’univers, elle a manifesté son
respect
pour la religion catholique. Jamais elle n’a voulu priver les fidèles
d’aucun
moyen de salut ; jamais elle n’a voulu porter la moindre atteinte au
dogme, à
la hiérarchie, à l’autorité spirituelle de l’église ; elle reconnaît
que ces
objets sont hors de son domaine. Nulle considération ne peut donc que
suspendre
l’émission de notre serment ». Donc
aucune apostasie de sa part, mais l’adhésion
réfléchit d’une conscience libre. Pendant
une quinzaine de jours, l’échange de notes
entre le palais archi épiscopal et la maison de Grégoire se prolongea
jusqu’alors de l’agonie. L’archevêque
de Paris maintint son refus. Outré
de cette intolérance, divers membres du clergé,
profondément touché par la pureté de sentiments de Grégoire, décidèrent
de
l’administrer. L’un d’eux, l’Abbé Gallion, séparé de Grégoire par ses
opinions
religieuses et politiques, le fit « par charité chrétienne ». Grégoire
mourut le 28 mai 1831, laissant un testament
spirituel d’une grande élévation. « Je désire qu’on appelle des pauvres
à mon
convoi, je veux emporter leur bénédiction » … Plus loin : « sur ma
tombe on
placera une croix de pierre, avec mon nom et cette inscription : « mon
Dieu,
faites-moi miséricorde et pardonner à mes ennemis ». Il
mourût presque ignoré par le pouvoir
révolutionnaire de juillet. Il avait pressenti puisque en-tête de ce
testament
il avait écrit : « je présume que peu de personnes assisteront à mon
inhumation, les amis dignes de ce nom sont si rares. Je pardonne de
tout cœur …
mais mon furibond qui ne manqueront pas de m’insulter jusqu’au-delà du
tombeau.
Je laisse à mes amis, aux hommes justes et impartiaux la défense de ma
mémoire
». Ce
testament était encore inconnu au moment des
obsèques de Grégoire. Pourtant, spontanément au sortir de l’église, des
jeunes
gens nés tolèrent les chevaux du char funèbre et de traînèrent à bras
jusqu’au
cimetière Montparnasse. Le cortège qui suivit comprenait plus de
20 000
personnes, en majorité des ouvriers, des étudiants, des enseignants
mêlés aux
décorées de juillet, aux députés de l’opposition et plusieurs des
anciens
collègues de Grégoire aux assemblées républicaines, de retour dans leur
patrie
grâce à la nouvelle révolution populaire. Quel étonnant hommage ! Le
peuple
dont il était issu escorté Grégoire, « l’ami des hommes de toutes les
couleurs,
qui fut pleuré dans tous les pays où son œuvre d’une générosité si
humaine était
connue : par les anciens esclaves, par les persécutés, par les
opprimées de
tous pays et de toutes origines, par tout ce qui lui devait d’avoir
retrouvé
dignité et espérance. Dans
son testament, je viens de vous l’indiquer,
l’ancien évêque constitutionnel de Blois avait écrit : « je laisse à
mes amis,
aux hommes justes et impartiaux la défense de ma mémoire. » La
mémoire d’Henri Grégoire n’a pas à être défendue.
Il suffit de méditer sur l’œuvre à tous égard remarquable qu’il a
accomplis
avec une générosité et un désintéressement qui confonde, non seulement
pour
l’admirer, mais pour assurer sa mémoire d’une gratitude que le thon ne
saurait
affadir. Par le caractère, par la pureté de ses sentiments, par un
courage de
tous les instants dans une période où souvent la parole ou l’action
déclenchait
les plus dures sanctions, -- jusqu’à la sanction suprême --, par
l’amour
fraternel qui témoigna à tous les humains mêmes à ceux qui ouvertement
ou
hypocritement, avaient juré sa perte, Grégoire se révéla un homme
d’exception,
alors que trop d’hommes hélas ne sont que des ombres. C’est
le sens que nous donnons à l’hommage que, tous
les enfants, nous lui rendrons notre pèlerinage au cimetière
Montparnasse.
Juifs, homme de race noire, croyant oignons agnostiques, appartenant à
toutes
les catégories sociales ou philosophiques, nous évoquons les bienfaits
de son
action et nous nous recueillons avec piété devant cette sépulture si
simple,
combien émouvant par sa sobriété voulue, surmonté de la croix de pierre
dans
laquelle, comme l’a demandé Grégoire sont gravées ces mots : « mon Dieu
fait-moi miséricorde et pardonner à mes ennemis. » Bien
d’autres hommages -- des milliers -- ont été
rendu au député-prêtre de la convention, à l’évêque constitutionnel de
Blois au
patriote jacobin, au fils du modeste artisan qui s’était promu lui-même
défenseur de tous les « parias » de la société de son temps et des
opprimés
contemporains ou futurs. Je ne désire rappeler que quelques-uns. Dans
l’étude des
qui lui a consacré, le sénateur Carnot n’hésite pas à écrire : « si
l’église
chrétienne savait être fidèle à la pensée de son fondateur, si elle
mettait au
rang des premières vertus l’amour de l’égalité au rang des premiers
devoirs la
charité envers ses semblables, auront des premiers mérites celui de
souffrir
pour sa foi, cet homme serait, dans l’église chrétienne honorée comme
un saint.
» Au
cimetière de Montparnasse, Ferdinand Brunot, doyen
honoraire de la faculté des lettres de Paris, membre de l’institut
préside de
la société des amis de l’abbé Grégoire, grand savant qui fut aussi une
conscience, s’exprimait ainsi le 30 mai 1937, époque où l’antisémitisme
et le
nazisme accentuait leur action néfaste : « l’heure où nous sommes n’est
pas
celle où il conviendrait d’abandonner notre culte pour … l’homme de
bien qui,
jusqu’à sa mort, a répondu sur le monde une âme toute de pitié et
d’amour ». Il
ajouta : « dans ces heures obscures, venons encore une fois demander
conseil à
celui dont nous nous inspirons ». Il reprit la saturation que, les deux
pluvioses, à la classe des sciences morales et politiques de
l’institut,
Grégoire avait lancé à tous les hommes de bonne volonté « puisse les
blancs et
les noirs, abjurant les rivalités, les aînés les vengeances, confondre
leur
affection et ne plus former qu’une famille ! ». Et Ferdinand Brunot de
conclure, à l’exemple de Grégoire : « en dépit des déceptions, des
malédictions, nous gardons notre conviction. À tous les problèmes, il
n’y a
qu’une solution durable, définitive, c’est la solution de justice et
d’humanité. » Plus
récemment, René Cassin, membre de l’Académie des
sciences morale et politique, dans une glorification qu’au nom de
l’institut il
fit de Grégoire, « indissolublement catholique et républicain »
précisa-t-il,
affirmait : « le verdict instinctif des peuples, l’histoire elle-même
l’a
affirmé. La figure de l’abbé Grégoire émerge, grandit au fur et à
mesure que
les institutions dont il fut l’initiateur en France se développent et
que les
idées soutenues par lui pénètre dans le droit des gens. Mort depuis
près 220
ans, Grégoire est de plus en plus vivant pour l’humanité dont il fut un
des
bienfaiteurs comme Louis Pasteur. » La
reconnaissance et l’admiration de ses concitoyens
lorrains s’était matérialisées dans une statue de l’abbé Grégoire élevé
sur la
place centrale de Thionville. Elle fut détruite au cours de la dernière
guerre
par les occupants nazis dont l’aversion pour les hommes de couleur
n’est que
trop connue. Par souscription publique un nouveau monument fut élevé à
la même
place. La population et les élus lorrains me convièrent à l’inaugurer.
J’ai
tenu, et je n’ai cessé de tenir cette offre pour un honneur
inoubliable.
Privilège peu commun, qui me rappela celui qui m’avait été réservé
lorsqu’en
1949, j’avais obtenu du Parlement français le transfert des cendres de
Victor
Schoelcher au Panthéon national. Et le 16 juillet 1955, mon émotion fut
profonde, -- comment ne l’aurait-elle pas été -- de célébrer devant la
population et les autorités de cette région de la Lorraine, les mérites
de
l’ancien curé d’Embermesnil. « Justice est parfois rendue sur terre aux
hommes
de bonne volonté ai-je-dit, puisque nous sommes réunis pour honorer la
mémoire
d’un fils de ce terroir de Lorraine qui suscita de son vivant et haine
farouche
et des enthousiasmes fébriles, mais dont l’action fécondée créatrice ne
fut pas
perçue dans toute son ampleur et ses conséquences par ses
contemporains. » Je
rappellerai l’œuvre immense de cet esprit exceptionnel. « Bel et rare
exemple
de caractère, et de fidélité à ses principes d’honnêteté intellectuelle
et
morale. » L’actualité
de l’abbé Grégoire n’est plus à démontrer.
Combien son exemple et sa leçon sont indispensables à tous ceux qui
veulent
voir les relations humaines marquées du sceau de la liberté, de la
compréhension fraternelle, dans l’intelligence et de respect des
différences !
Grégoire eut à lutter contre l’intolérance, contre toutes les
inégalités.
Aujourd’hui l’apartheid, la ségrégation, la violence, le mépris de
l’homme sévisse
encore dans maints esprits et dans maints états. Le racisme est ce que
l’on
peut imaginer de pire pour l’homme, en ce qui le porte à se détruire
lui-même.
En effet, le racisme d’attaque engendrant nécessairement un racisme de
défense,
c’est l’humanité tout entière qui est finalement affectée. La
résurgence du racisme et de la discrimination en
cette fin du XXe siècle est une preuve évidente que la lutte pour la
reconnaissance des droits de l’homme requis encore beaucoup d’efforts ;
qu’elle
demeure une longue marche, dont, hélas, nous ne pouvons encore
discerner le
terme. Mais une marche nécessaire, indispensable, qui doit être
continue, sans
halte ni repos ; une marche ardue au cours de laquelle doit nous est
stimulé et
nous aider l’exemple d’homme comme l’abbé Grégoire qui disait de
lui-même « je
suis de granite ; on pourra me briser mais pas me faire plier ! » Il
peut nous arriver de nous demander ce que valent
aujourd’hui les valeurs morales et spirituelles que défendait Grégoire.
Elles
demeurent il n’est que de les faire resurgir, par la croyance en leur
vertu et
en leur nécessité, pour l’évolution progressive des hommes. Question de
temps
et de durée, donc question de volonté et de foi. On n’imagine pas assez
la
puissance de la vie en expansion. : Deux blés qui germent finissent par
soulever et par rejeter une pierre bien plus grosse que ; la science
nous
l’apprend. Et l’illustre Simon Bolivar, le fédérateur des républiques
de
l’Amérique latine, l’homme de volonté patient, s’il en fut, nous
enseigne aussi
: « les idées mettent du temps à mûrir, mais quand elles sont justes et
humaines, on n’y revient toujours. » À
nous donc à savoir puiser dans l’œuvre et
l’enseignement de l’homme délimite dont nous avons évoqué la mémoire ce
soir,
les ressources nécessaires pour combattre et vaincre le scepticisme ou
le
découragement des pusillanimes et des tièdes ; pour poser les bases
d’une
société fondée sur l’esprit de compréhension, sur le respect de
l’imminente
dignité humaine. Appliquons-nous,
avec persévérance, avec courage à
bâtir une cité plus juste, plus fraternel pour tous les hommes. Et
si d’aventure le doute venait à envahir notre
esprit, à faire faiblir notre résolution, alors rappelons-nous cet
antique
adage de la philosophie hindoue, source inépuisable d’espérance : « de
quelque
côté que l’on inclinait la torche Laflamme se redresse et monte vers le
ciel. » |
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