Obédience : NC Loge : NC Octobre 2012


Le Discours

Selon notre V\ M\ il est de tradition que l'orateur prononce un discours de circonstance lors de l'installation du collège et de l'ouverture des travaux de l'année. Mais à mon avis ce n'est qu'une habitude récente.

En tout cas cela me permet de vous faire part de quelques réflexions issues de mes élucubrations estivales. Bref on dit que la tradition reposerait sur la transmission continue d'évènements à travers le temps. Elle est à ce titre une sorte de vecteur immatériel, imaginaire, chimérique d'une identité collective, unificatrice ou communautaire et elle sert de lien à la mémoire d'évènements fondateurs, mythiques ou réels. Ça, c'est pour les généralités, mais souvent le mot tradition désigne plutôt une habitude, un usage, une pratique maintenue. C'est aussi souvent un prétexte pour imposer une pratique, une autorité, une domination en s'appuyant sur de fausses coutumes dont l'interprétation prête à confusion, dont seuls les détenteurs du pouvoir savent en décrypter le sens. En utilisant les matériaux du passé, les traditions jouent un rôle pour justifier l'autorité, légitimer les institutions et, jusqu'à un certain point, établir une cohésion sociale en contribuant à la constitution des nations, communautés, groupes, etc.

Les traditions sont en quelque sorte la manière dont un texte est compris puis mis en application vivante. C'est de cette interprétation formelle ou implicite qui permet à l'adepte de ne pas aller seul vers sa foi, mais avec l'ensemble de la communauté.

Les traditions ne sont pas forcément des contraintes à condition qu'elles n'entravent pas le libre arbitre des personnes sinon devenir vite dogmatique.

Pour ma part, je dirais que, tout comme les rituels, les traditions n'ont de sens que si leur interprétation leur en donne un. On constate souvent, et ceci sans porter de jugement, qu'on nom de la tradition, on aille à l'encontre du bon sens. Autrement dit, si la tradition c'est de reproduire le modèle sans se poser de question, alors c'est une aliénation.

Bref, cette étude de la tradition pourrait être le sujet d'une planche philosophique, avis aux amateurs. Dans notre pratique maçonnique, qu'il convient à mon avis de différencié de la tradition, il est une phrase qui m'a toujours attiré : Mes sœurs et mes frères me reconnaissent comme tel.

Dans le rituel c'est une réponse à la question : « êtes-vous franc-maçon » et qui oblige à déterminer le maçon comme un homme ou une femme libre et de bonnes mœurs, libre de contraintes, libre d'agir et de penser, libre de se déterminer en conscience, en dehors des dogmes et les préjugés.

Mais ce qui m'intéresse ce soir c'est la réponse à cette question : Mes sœurs et mes frères me reconnaissent comme tel.

Cette expression, qui semble à priori banale est pourtant d'une importance capitale et pas seulement dans la sphère maçonnique.

Quel peut en être le sens ?

Mais avant de se poser cette question, essayons de savoir qui nous sommes.

Au fil de notre vie, en même temps que nos mécanismes d'apprentissages s'éveillent, se mettent en place et se construisent, nous nous forgeons une personnalité. Tant bien que mal nous construisons notre MOI, comme disent les psys, selon les stimuli, les aléas de la vie et l'éducation reçue, acceptée ou non.

Ainsi donc chaque évènement nous forge une personnalité qui tient compte des évènements antérieurs afin d'agir en conséquence, d'avoir une réponse adaptée. Bref, nous entrons ici dans le domaine de la psychologie, domaine ardu s'i il en est et qu'on ne peut appréhender sans en avoir quelques bases.

Cependant, pour illustrer mon propos je vais tenter de l'expliquer par un schéma. Imaginons un triangle équilatéral avec :

  • à l'un des sommets la notion de l'image que nous avons de nous-mêmes, tel que l'on croit ÊTRE,
  • à un autre sommet c'est l'image que nous voudrions donner ; LE PARAITRE,
  • puis au dernier sommet, l'image qu'en ont les autres, tels que les autres nous voient ; ce qu'on pourrait appeler LE RECONNAITRE.

La conjonction en un centre idéal des bissectrices donnerait l'image d'un être à la personnalité parfaitement construite.

Mais ce n'est pas chose aisée que d'y parvenir, parfois nous forgeons notre personnalité principalement sur un seul côté, un seul axe du triangle.

Ainsi :

  • Si la construction s'établit principalement sur l'axe de L'ÊTRE et du PARAÎTRE il pourra en résulter une personnalité arrogante, orgueilleuse, etc., posture des personnes publiques par excellence.
  • Au contraire si l'axe n'est principalement qu'entre L'ÊTRE et le RECONNAÎTRE, apparaitrons des attitudes d'apathie, de soumission, d'exclusion dont l'ermite ou le timide sont des exemples parmi d'autres.
  • L'axe PARAÎTRE et RECONNAÎTRE signifiera un besoin de reconnaissance, d'admiration, attitude hautement représentative de cupidité, synonyme de pouvoir, entre-autres exemples.

La reconnaissance semble donc être l'un des points essentiels de l'existence, autrement dit, sans reconnaissance existons-nous vraiment ?

Dans l'expression « mes SS\ et mes FF\ me reconnaissent comme tel » non seulement il est suggéré le besoin d'une appartenance à un clan, une tribu, une société, mais on suscite l'attention des membres des dites structures pour être accepté. « Je pense, je souhaite, j'espère être reconnu pour mes qualités, au besoin magnifié, pour donner une meilleure image de moi, mais mon attitude, mon comportement pour être reconnu suscitent-ils une réponse en retour qui m'est favorable ? »

La reconnaissance est un besoin social vital dont on retrouve trace dans « la hiérarchie des besoins » hypothèse développée entre autres par le philosophe André Comte-Sponville (1). Cette théorie, que la psychologie explique et que le marketing exploite, est constituée de cinq niveaux principaux, en démontrant que nous recherchons d’abord à satisfaire chaque besoin d’un niveau avant de penser aux besoins situés au niveau supérieur de l'échelle.

Par exemple, il est préférable de rechercher à satisfaire les besoins physiologiques avant les besoins de sécurité : ainsi, dans une situation où notre survie serait en jeu, nous serions prêts à prendre des risques. Assurer sa survie avant de se rebeller explique, en partie, la relative passivité et docilité des soumis, des déportés, des abandonnés ou des exilés. Cette attitude, ce comportement naturel induit évidemment à frustrer les personnes que l'on veut asservir. À un autre degré, mais aux effets d'autant plus pervers, le marketing se base sur ce concept : créer artificiellement de la frustration en présentant un produit ordinaire comme essentiel à la survie. (Ça a été déjà évoqué par Anne dans une de ses planches). C'est ainsi que se nourrit la mode avec la belle auto pour les messieurs, la belle robe ou les belles chaussures pour les dames ou le nouveau Smartphone ou console pour les ados par exemple. Et qu'on le veuille ou nous, nous n'y échappons pas.

Le besoin de reconnaissance se situe au 3ème niveau, en plein centre de cette pyramide ce qui indique qu'elle est nécessaire à notre survie sociale. Il vient après les besoins physiologiques comme manger, boire, dormir, respirer, se reproduire, après le besoin de sécurité et avant le niveau d'estime, comme le respect ainsi que le dernier niveau de l'accomplissement personnel.

Ces niveaux se définissent ainsi par ordre croissant :  

  1. Besoins physiologiques (manger, boire, dormir, respirer, se reproduire).
  2. Besoins de sécurité (du corps, de l’emploi, de la santé, de la propriété…)
  3. Besoins d’appartenance et affectifs (amour, amitié, reconnaissance, intimité, famille, sexualité).
  4. Estime (confiance, respect des autres et par les autres, estime personnelle).
  5. Accomplissement personnel (morale, créativité, résolution des problèmes…)

C'est donc une évidence, nous n'existons que parce que quelqu'un nous reconnaît. Imaginait le malaise si nous passions inaperçus aux yeux d'autrui, comme si leur regard passait à travers notre corps. De quoi devenir parano.

La reconnaissance mutuelle au sein d'un groupe identifie ce groupe qui devient alors une identité à part entière. C'est aussi ce qui provoque les phénomènes communautaires qui parfois engendre une sorte de ghettoïsation, souvent morale, par le poids de la tradition, de la religion, des mœurs ou parfois physique.

Bref, sans trop développer ni entrer dans les détails il est difficile d'échapper à ce communautarisme aussi bien par enfermement moral, qu'ethnique ou politique. Les exemples sont nombreux : comme difficulté d'échapper à son appartenance en cas d'union mixte, discriminations à l'embauche, au logement, etc.

Parfois ce phénomène de ghettoïsation, qui peut paraître volontaire, est une conséquence des barrières culturelle, cultuelle, de langue, de nationalisme... C'est le cas du besoin de se rassembler des expatriés dans un pays étranger.

Un autre aspect du besoin de reconnaissance est à la base de l'endoctrinement, car c'est ainsi que fonctionnent les sectes, mais pas seulement, les religions également se basent sur ce besoin de reconnaissance ; nous nous reconnaissons entre nous comme adorateur d'une même croyance, d'un même dieu. Le phénomène de la révélation procédé du même principe, endoctrinement et reconnaissance. Je dirais aussi que l'adhésion à une idéologie politique procède également par reconnaissance : « J'appartiens à tel groupe parce que j'adhère aux idées mais aussi parce que je m'y reconnais et que l'on me reconnaît ».
 
Mafia, gang, parti politique, religion, équipe, nationalité, autant de besoin d'appartenir et d'être reconnus.

Un détail important quand même l'appartenance à une communauté, une tribu, un clan n'est pas choisi, mais subit et on comprend qu'il soit difficile d'épouser les valeurs d'un autre clan, d'une autre tribu, alors que c'est librement consentant que nous adhérons aux idéologies politiques, ou que nous entrons en maçonnerie et que nous sommes tout à fait libres d'en sortir lorsque nous n'y trouvons plus notre compte.

Nous désirons tous être reconnus, ce qui explique que certaines personnes s'ingénient parfois à des excentricités ou des extravagances pour attirer l'attention.

Lorsque nous acceptons une place, un poste, une charge, nous désirons être approuvés, aimés, remerciés afin de satisfaire notre égo. La reconnaissance par les parents est primordiale dans le développement harmonieux d'un enfant, la reconnaissance par le conjoint est indispensable au bonheur et à la solidité d'un couple. De la reconnaissance sociale dépend l'efficacité du travailleur. Tout le monde veut être reconnu à sa juste valeur, au moins en tant qu'être humain.

Sans tenir compte des comportements pathologiques, en psychologie on souligne les excès de comportement, paresse, révoltes, délinquance, drogue, fugues, voir suicide qu'engendre la perception, même erronée, d'une non-reconnaissance.

L'homme ordinaire ne peut vivre perdu sur sa terre et la solitude est son pire ennemi.

En quelque sorte nous n'existons que parce que les autres nous reconnaissent à l'intérieur d'un espace, d'un lieu d'une période. Autrement dit, une loge n'existe que par ses membres qui s'y reconnaissent et qui la constitue et non l'inverse. Ce n'est pas la loge qui fait le maçon mais le maçon qui fait la Loge. C'est égal pour une obédience qui n'existe que par les Loges qui la constituent.

Mais dans le cas d'une appartenance subie, ce sont les personnes qui en souffrent qui souvent l'entretiennent, justement au nom de la tradition. Et ça, ça pose question.

Le besoin de reconnaissance semble donc indispensable pour exister au sein d'une société organisée, même pour ceux qui s'en retirent comme les ermites par exemple, car ils sont reconnus comme tels. Mais encore faut-il reconnaître l'autre, faut-il avoir la capacité pour reconnaître autrui, faut-il en avoir la volonté, le désir afin de ne pas se ghettoïser soi-même, ou exclure l'autre parce que différent, parce qu'il pense différemment, qu'il prie autrement, qu'il vénère un autre dieu.

Tout le monde veut être reconnu, mais nous soucions-nous des gestes à accomplir pour qu'à la place que nous occupons nous soyons reconnus ? Comme si la reconnaissance était un fait de droit et non de responsabilité.

Dans un ancien rituel à la question : « à quoi reconnaitrais-je que vous être franc-maçon ? » la réponse est claire : « un franc-maçon se reconnaît à sa façon d'agir, toujours équitable et franche, à son langage loyal et sincère, enfin à la sollicitude fraternelle qu'il manifeste pour tous... »

Et là, personnellement, je m'interroge : « ai-je toujours été à l'écoute, attentif aux sollicitations de reconnaissance des autres, maçons ou pas ? »

Mes FF\ et mes SS\ me reconnaissent comme tel, mais moi, me reconnaitrais-je comme tel, reconnaitrais-je mes faiblesses, mes pulsions, mes désirs, mes peurs et mes vanités afin de les étrangler dans l'œuf ?

Note :

(1) André Comte-Sponville, né le 12 mars 1952 à Paris, est un philosophe français. Il est un membre du Comité  consultatif national depuis mars 2008.

J'ai dit.

J\C\ S\


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