GLDF | Loge : Véritas Vincerit - Orient de Saulx les Chartreux | Date : NC |
Le Grand Architecte de L’Univers, concept ou réalité La Franc Maçonnerie proclame, comme elle l’a proclamé dès son origine, l’existence d’un principe créateur, connu sous le nom de Grand Architecte de l’Univers (Manifeste de Lausanne, 22/09/1875) A la Grande Loge de France, au rite Ecossais Ancien et Accepté, nous ouvrons et fermons chacun de nos travaux «à la gloire du Grand Architecte de l’Univers». Mais cette invocation rituelle nous est devenue si familière qu’on peut se demander si nous y attachons toujours autant l’importance qui lui est due ou si, au contraire nous ne détournons pas bien vite notre attention et notre réflexion de ce qui est pourtant un concept si essentiel. Peut être cette attitude, que j’ai eu souvent l’occasion de constater en 25 ans de Maçonnerie, résulte-t-elle confusément d’un refus de s’impliquer dans les questionnements et les problèmes nombreux et délicats que le symbole soulève, son implication supposée religieuse provoquant même chez certains Frères une réaction négative. J’ai donc souhaité à travers cette modeste planche «sur le métier remettre l’ouvrage» et vous proposer une réflexion personnelle sur ce concept fondamental, en essayant d’éviter toute prise de position dogmatique. J’ai voulu aussi vous proposer autre chose qu’une simple adhésion respectueuse à la Tradition afin que nous nous convainquions, ensemble, que ce symbole est en fait riche d’un sens initiatique profond et universel. Bien que l’on puisse sans risques, en faire remonter la notion au monde grec, qui offre maints témoignages de l’idée d’un être suprême créateur et ordonnateur de l’univers, il faut bien reconnaître tout d’abord que le terme même de Grand Architecte de l’Univers est daté, et qu’il porte la marque du temps où il fut d’abord employé, c'est-à-dire la seconde moitié du XVIIIème siècle. A travers lui les esprits éclairés de cette époque voulaient sinon s’écarter de la notion d’un Dieu révélé tel que l’impliquait les religions chrétiennes, du moins mettre l’accent sur une conception abstraite, philosophique de la Divinité. Ils entendaient la confondre plus ou moins avec la notion de Raison universelle, de Principe ordonnateur, voire de Cause première éternelle et nécessaire, comme l’écrivait déjà Pierre BAYLE au siècle précédent. Poursuivant dans cette voie «critique» KANT allait plus tard insister sur les limites de notre raison, qui n’avait ni le droit ni les moyens de s’aventurer au-delà des phénomènes, au delà du domaine des apparences pour aller jusqu’à celui des «choses en soi». Il déniait ainsi toute valeur aux preuves de «l’existence de Dieu» léguées par la scolastique médiévale, à travers PLATON, ARISTOTE, SAINT ANSELME ou SAINT AUGUSTIN. Cependant, alors qu’il niait la possibilité de fournir des preuves «scientifiques» ou simplement rationnelles de cette existence, KANT en réintroduisait la nécessité comme principe empirique, régulateur. Il en faisait la source de la loi morale, avec pour corollaire la liberté de l’homme et la nécessité pour lui de rechercher sans cesse une vertu de plus en plus parfaite, dans une progression indéfinie. Dans la mesure où historiquement la Franc Maçonnerie a largement emprunté ses inspirations philosophiques à l’idéologie du siècle des Lumières, en raison aussi de la tendance de chacun à se réfugier dans de tranquilles certitudes, nous avons longtemps accepté de confondre le Grand Architecte de l’Univers avec deux de ces concepts : celui d’un Principe régulateur du monde manifesté et celui d’un fondateur des obligations éthiques. Toutefois l’évolution des idées depuis cette époque nous conduit aujourd’hui à nous interroger sur la pertinence actuelle de ce point de vue et – au minimum – à le mettre en débat. L’accent mis sur un principe ordonnateur et rationnel, universellement présent dans le monde des phénomènes allait largement aider au développement des sciences dites exactes. La volonté de pénétrer la réalité des choses à travers une démarche exclusivement rationnelle ne pouvait s’appuyer que sur des notions d’exactitude, d’efficacité, d’objectivité, ou de neutralité. Tout jugement de valeur devait être exclu, toute notion de cause finale rejetée. Or dans la mesure où l’on ne pouvait ni constater, ni analyser ni manipuler les notions métaphysiques, et en particulier celle d’une pensée créatrice universelle et éternelle, appelée au choix Dieu ou Grand Architecte de l’Univers, la science expérimentale devait d’abord se refuser de la prendre en compte, puis en écarter la nécessité et finalement nier que son existence soit seulement plausible. Une telle démarche, «fanatiquement» rationnelle, ne pouvait que tomber dans un piège qu’elle-même condamnait ; en affirmant sans cesse que seule une explication purement matérialiste de l’univers était concevable elle était inévitablement conduite à verser dans le dogmatisme, dans la suffisance intellectuelle et dans le refus de l’esprit de libre examen, en considérant qu’une représentation du monde, fournie à un moment donné pouvait être éternelle. Fort heureusement, les hommes de science ont été amenés progressivement, et à la lumière même de leurs découvertes, à d’avantage d’humilité et ils se gardent bien aujourd’hui en général d’affirmer qu’ils offrent des vérités définitives. Lorsqu’ils sont intellectuellement honnêtes ils sont même tout prêts à réviser les positions acquises, voire à revenir en arrière. Cela est notamment observable dans les disciplines qui ont le plus progressé, celles où ont été conçues des formalisations plus générales et plus perfectionnées comme la physique par exemple. Ce sont les physiciens qui se montrent les plus ouverts, au delà de leur domaine propre, aux questions métaphysiques, à la différence des spécialistes des sciences dites humaines par exemple. Cependant, la réintroduction dans le discours scientifique actuel du hasard et de l’indéterminé n’a pas eu que des avantages. S’interroger sur la notion même d’un ordre universel et sur ses origines, remettre en cause le principe de causalité, installer la subjectivité de l’observateur dans le fait observé, affirmer qu’une théorie n’a le droit de s’appeler scientifique que si elle est infirmable ne sont pas des positions intellectuelles «confortables» On peut même admettre que le souci du XIX ème siècle de remplacer les certitudes religieuses par des certitudes matérialistes et scientistes et exhaler la foi dans un incessant progrès de l’homme et des sociétés était finalement plus rassurant que les incertitudes et remises en cause contemporaines. Celles-ci dans la mesure où elles posent la question fondamentale de la possibilité de connaître la vraie nature du monde manifesté ouvrent devant l’esprit humain de larges abîmes. C’est Jacques MONOD qui disait : « l’ancienne alliance est pour toujours rompue ; l’homme sait enfin qu’il est seul dans l’immensité indifférente de l’univers d’où il a émergé par hasard. Non plus que son destin, son devoir n’est inscrit nulle part » Terrible citation qui exprime un nihilisme désespéré si présent dans le monde contemporain. A la démarche rationaliste, évacuant peu à peu toute transcendance du monde des phénomènes, s’en sont rajoutées d’autres qui ont remis en question l’aspiration même de l’homme à la spiritualité. Des penseurs ont affirmé qu’un au-delà ne pouvait se concevoir qu’aux dépens de l’homme et de sa vraie grandeur ; d’autres ont réduit Dieu à un désir des dominateurs de continuer à faire peser sur l’homme des conditions sociales injustes et à pérenniser son aliénation. NIETZSCHE considérait que Dieu n’était engendré que par le ressentiment, et qu’il était initiateur d’une morale misérable du bien et du mal, faite à usage des fainéants, des faibles et des humiliés. FREUD quant à lui le réduisait à un souverain tyrannique, et l’aspiration spirituelle aux désirs infantiles, à des illusions issues d’un complexe de culpabilité. Toutes ces affirmations ont peu à peu conduit à la disparition des valeurs et des idéaux de l’homme occidental, son désir d’unité, de justice, d’amour, de loi morale ; les uns et les autres n’existaient plus nulle part «en soi» et devenaient les seuls produits de l’invention et de la détermination humaine. Et cela a produit ce discours, largement répandu, suivant lequel rien n’a de sens, rien n’est souhaitable, tout est faux, selon lequel il n’y a ni cohérence, ni valeur, ni signification dans la réalité. Avec l’objectivité qui doit accompagner notre réflexion, nous pouvons reconnaître que toutes ces critiques contiennent une part de vérité. Mais nous savons aussi que toute la vérité n’est pas là et que nous pouvons élever le débat à une plus haute conception. L’affirmation du symbole du Grand Architecte de l’Univers à la gloire duquel nous travaillons n’est ce pas justement le refus de ce pathos du « pour rien », du non sens de la nature, de la vie et de l’homme ? Le premier message qu’il nous délivre c’est celui d’un «oui» à la réalité. Le Temple ne saurait se construire sur l’absurde et sur le néant. Une de ses significations profondes est l’affirmation qu’au delà de toutes les contradictions existe une réalité, qu’en dépit de l’absence apparente de sens nous saurons découvrir une signification cachée, qu’en dépit de l’absence apparente de valeur incontestable nous saurons découvrir une valeur cachée. De cette réalité nous devons admettre que son origine ultime ne dépend pas des explications scientifiques successives. Que notre univers soit infini ou fini, dans le temps comme dans l’espace, que l’apparition de la vie soit due ou non à une intervention surnaturelle, que le processus de l’évolution biologique implique ou non un créateur n’importe pas à une conception initiatique du GADLU. La question fondamentale c’est de savoir, comme le disait Leibniz, « pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien », pourquoi il y a la vie et la conscience de soi plutôt qu’une nature inanimée et inconsciente, pourquoi l’homme à travers ses religions, ses mythes, ses traditions revient toujours à la quête du Transcendant, pourquoi inachevé en tant qu’individu il est constamment en train d’essayer de se surpasser dans sa pensée comme dans son action. Pourquoi est-il toujours habité par ce «principe d’espérance» comme l’a écrit Ernst BLOCH, un philosophe marxiste ? A ces questions essentielles la seule raison, discursive et analytique ne saurait apporter de réponse car elle n’est «compétente» que dans le domaine de l’expérience. Mais cette raison, si elle est éclairée, si elle n’est ni obtuse ni sectaire elle ne saurait les rejeter comme inutiles ou absurdes. Et c’est là que nous, Franc Maçons nous pouvons nous tourner vers la Tradition, vers les traditions, principalement la tradition judéo-chrétienne à laquelle nous empruntons l’essentiel de nos symboles et de nos rites. Cette Tradition, elle ne se soucie pas de donner une explication rationnelle du monde phénoménal mais à travers le langage métaphorique des images elle entend nous faire saisir la cohésion et l’unité du cosmos sans lesquelles nous ne saurions concevoir une éthique ou une échelle de valeur. Elle ne nous donne pas de réponse à la question de savoir ce qu’il y avait avant le Big Bang, si le néant seul existait ou si l’univers connaissait une alternance perpétuelle de contraction et de dilatation. Elle ne nous apportera pas non plus les preuves de l’exactitude des hypothèses de la biologie moléculaire sur les origines de la vie ou de l’absence d’une finalité dans l’évolution. Ce qu’elle nous laisse entendre par contre c’est qu’il y a une totalité qui vient de ce «fondement des fondements» premier et créateur que nous appelons le Grand Architecte de l’Univers mais que l’on peut appeler Dieu si l’on préfère. Elle nous murmure aussi que tous tant que nous sommes, nous nous trouvons confrontés à une alternative existentielle fondamentale. Nous pouvons librement refuser de prêter foi au processus de l’évolution et il nous faudra alors admettre l’absurdité de la situation de l’homme seul et en marge de l’univers où il doit vivre, univers sourd à ses espoirs, ses souffrances et ses craintes. Mais si nous y adhérons ce sera avec l’humilité de reconnaître que l’on ne peut avancer vers l’inconnu sans inclure des attentes métaphysiques se situant au-delà des choses que nous connaissons. C’est Einstein qui a dit : « quand la physique rejoindra la métaphysique, le monde sera parfait » Conséquents avec nous-mêmes nous refuserons de choisir entre les religions, les philosophies et les cosmogonies. Nous nous contenterons d’affirmer que le processus d’évolution qui s’est accompli à travers la matière et la vie et qui continue à s’accomplir à travers l’homme possède un support, un sens, auquel nous donnons le nom de Grand Architecte, celui que notre Frère Pierre Simon qualifiait de « force principielle architecturale qui n’implique pas plus la croyance en Dieu, qu’une non croyance en son existence ». Ce concept de Grand Architecte de l’Univers c’est pour moi le symbole même de la liberté de penser. Il permet de réunir à la fois les croyants de toutes confessions, les agnostiques, les athées même en laissant à chacun la possibilité d’y trouver ce qui lui ressemble et ce qui lui convient le mieux selon sa culture propre : Ce sera alors selon le cas, - le Dieu de ses pères, - l’origine de toute chose, - la source de vie, - l’harmonie des sphères, - l’intelligence suprême, - le principe créateur et la liste n’est évidemment pas exhaustive. Cette conception du Grand Architecte de l’Univers n’affirme rien, n’impose rien, ne ferme aucune porte mais au contraire s’ouvre à toutes les recherches ; il constitue pour nous un point d’appui. Le rejeter cela reviendrait à couper la racine même de nos interrogations, et laisser l’homme infirme, et aux seules prises avec sa raison dont on a rappelé les limites. Nous ignorons si l’univers a un sens et s’il n’est pas gouverné par le seul hasard ; mais nous en faisons partie, qu’on le veuille ou non, et nous Francs Maçons s’il n’a pas de sens nous userons de mots substitués pour lui en donner un. Mais ceci est une autre histoire. Mes Frères, à travers cet exposé, je n’ai certes pas la prétention d’avoir épuisé la signification du symbole. L’interprétation que je vous en ai proposé tient plus à une démarche de l’intellect que du cœur ; d’autres sont possibles qui empruntent moins à l’historique du symbole et beaucoup plus à l’intériorité de chacun. Sur le chemin qui mène à ces significations, tout initié est libre de s’engager mais je crois profondément que le but de la Voie n’appartient pas à l’expression collective, seulement au langage intérieur et unique à chacun de nous. Ce sera la ma conclusion que je ponctuerai par cette réflexion d’ Oswald Wirth qui a dit «N’érigeons pas le Grand Architecte de l’Univers en un objet de croyance mais voyons y le symbole le plus important de la Maçonnerie afin de la comprendre et de construire chacun pour soi le sanctuaire de ses considérations personnelles.» J’ai dit C\ G\ |
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