Obédience : NC Loge : NC 10/2007

Le Rugby
 
L’ordre du jour de ce midi prévoyait une planche sur les dimensions de la vie.
Excusez moi mes frères, mais l’actualité sportive du moment, en l’occurrence, la coupe du monde de rugby, m’incite à oser une comparaison entre ce sport et notre démarche initiatique.
 
Je ne parlerai pas en béotien, ayant moi-même, pendant de nombreuses années arpenté les chemins de l’Ovalie au poste de talonneur.
Comme en maçonnerie, c’est un monde où l’on se rencontre plus qu’on ne se croise et qui a tout d’une école de la vie.
Les codes s’acquièrent au fil du temps, sur le pré et dans les vestiaires où la nudité des corps nivelle les différences sociales et révèle peu à peu celle des esprits.
Il s’y raconte des légendes où s’affrontent les grands noms de notre panthéon ; il s’y vit des épopées où les émotions brutales et intenses tissent entre les hommes des liens indéfectibles.
Près de deux siècles après la naissance de ce jeu, novices et initiés partagent une culture faite de règles officielles ou officieuses, d’un langage, de rituels, d’un patrimoine et plus important que tout, un esprit !

Rappelons nous le geste frondeur de l’inventeur opératif du rugby , le jeune William Webb Elis qui , sur un terrain de football prend soudain le ballon à pleine main , et le porte dans les buts adverses , en opposition totale avec les règles du jeu.

Quel culot a-t-il fallut à ce jeune homme pour transgresser ainsi les règles établies de l’Angleterre victorienne !
Quel culot faut-il au franc-maçon dans ce monde moderne, industrialisé, rationalisé, dans ce monde où la technique et la technocratie triomphent pour affirmer que la pensée symbolique garde tout son sens et conserve toute sa valeur, constituant une approche originale de la réalité et que les outils peuvent permettre à l’homme d’aujourd’hui de déboucher sur un mode spécifique de connaissance et permettre de mieux appréhender la vie et de la vivre ?
L’idéal du rugby affirme que «  se mesurer à l’autre fait grandir ».
L’autre, a quinze têtes, trente bras et trente jambes,  est « un partenaire » avec qui l’on se construit dans l’affrontement.
Mais il suffit de coller l’oreille à une porte de vestiaire pour entendre une marée de mots d’une violence inouïe qui nous rappelle que, au rugby, la limite entre partenaire et ennemi est fragile.
 
Notre vocabulaire aime jouer avec la métaphore du meurtre et de la guerre :
« Dépecer, découper en tranche, réduire en bouillie, faire de la chair à pâté, broyer, écraser….. » et tant d’autres…..
« Se construire ensemble »…. vraiment ???
Il faut reconnaître que ce combat sportif procède d’un rituel inversé par rapport à la maçonnerie ;
Ainsi devons nous laisser nos métaux (canifs, matraques, poings américains) à l’entrée du temple avant la tenue.
Au rugby, l’adversaire qui nous construit ( ?) devient tout à coup un monstre, très fort , très méchant ou au contraire , nul , vilain et boutonneux…
Mais dès que le match est fini, il est à nouveau un type sympa, plutôt vaillant, avec qui l’on va boire des coups, une bonne ambiance de salle humide en quelque sorte !
La vérité au rugby, comme en maçonnerie, c’est que l’adversaire ou le partenaire nous ressemble terriblement.
Fabien Galthié, célèbre international, répond ainsi à la question :
« Quels joueurs avez-vous le plus admirés » ?
Il en cite quelques uns et termine par ces mot : « Mais en grandissant, les modèles ont disparu. J’ai plutôt cherché à m’accomplir. A partir de 25-26 ans, j’avais surtout, en toute modestie, envie de ressembler à moi-même ».
 
La beauté du rugby réside dans l’égalité et la victoire ne vaut que si l’on joue contre un adversaire à sa mesure.
L’idéal du rugby est en cela imprégné des valeurs chevaleresques chères à Coubertin : « Dis moi contre qui tu te bats, je te dirai qui tu es ».
La confrontation avec l’autre permet donc de se situer, de trouver sa place.
On se mesure à un adversaire égal, miroir de soi-même, comme dans le rituel d’initiation, pour affirmer sa propre identité.
L’idéal maçonnique dit : « se construire ensemble » et c’est bien ce qui fait l’essence même du rugby.
En fait, la franc-maçonnerie a joué un rôle déterminant dans l’émergence du sport moderne et l’évolution conjointe du courant humaniste franc-maçon et du rugby dans l’Angleterre du XIX° siècle n’est pas un hasard.
Rappelons pour mémoire qu’en 1723, le Frère James Anderson, écrivit les premières règles ou Principe -les Olds Charges toujours en vigueur aujourd’hui.

Un siècle plus tard , alors que la franc-maçonnerie commençait à exercer son influence dans la société anglaise , un personnage clé établit le lien d’origine entre les francs-maçons et le rugby : Sir Thomas Arnold , proviseur du collège de Rugby de 1828 à 1842 , et franc-maçon de grand rayonnement.

Sous son impulsion, la morale humaniste imprégna le monde de l’éducation en Angleterre, et par extension, le rugby.
Arnold arriva dans une institution affaiblie par une hiérarchie entre élèves très dure : les bizutages étaient violents, les plus jeunes se faisaient régulièrement humilier par leurs aînés qui s’adjugeaient un droit de regard tyrannique sur la vie du collège.
L’école avait reçu de nombreuses plaintes et certains éléments avaient même été exclus à la suite de rébellion contre les professeurs.
Franc-maçon à l’idéal humaniste, Arnold s’employa à changer l’esprit qui prévalait au collège : il mit au cœur de son projet éducatif l’idée d’un code de conduite de gentlemen inspiré des valeurs chrétiennes et adressé à toutes les classes sociales sans distinction de pedigree.
Cependant, s’il perçut l’impératif besoin de réformes, il eut l’intelligence de ne pas s’imposer comme un chef autoritaire et ennemi des étudiants.
Au contraire, convaincu de la justesse de ses principes, il s’appliqua à responsabiliser les élèves, à les considérer comme ses assistants et tenta habilement de changer les mentalités.
Les plus anciens ne devaient par exemple plus considérer  le commandement des plus jeunes comme un droit, mais comme un devoir.
Il fit du rugby un relais indirect de son enseignement.
Sa philosophie de l’éducation influença plusieurs générations d’élèves pour qui le rugby était un aspect essentiel de la vie de l’école.
A la fin de leurs études, les « Arnold’s men » se sentaient presque investis d’une mission messianique et voulaient partager avec la société tout entière les valeurs qui leur avaient été transmises.
Beaucoup d’entre eux continuèrent à prêcher la parole du Head master dans d’autres écoles, d’autres villes, d’autres pays.
Arnold avait de plus toujours encouragé les meilleurs talents à s’expatrier pour établir les principes chrétiens de bon gouvernement dans les nouvelles nations de l’Empire.
Cette dispersion de disciples passionnés de rugby aux quatre coins de la planète explique probablement l’essor du jeu, mais aussi sa survie.
 
A Oxford, Cambridge et Rugby, dans toutes les écoles et universités qui connurent les premières le football rugby , le ferment franc-maçon servit de limon nourricier aux pratiquants , insufflant un esprit nouveau à ce sport d’équipe unique.
Dès sa naissance, le rugby s’est confondu avec les valeurs franc-maçonnes de fraternité, liberté et union entre les hommes, aussi différents soient-ils.
Le rugby porte haut et fort ces idéaux, qu’il finit même par incarner.
Il se construit autour d’un pivot moral essentiel chez les maçons : la diversité fait la force.
Une équipe et une Loge n’existent que par la complémentarité des différences, voilà notre fierté.
L’extrême variété des cultures, des morphologies, des tempéraments contribue au bonheur des hommes, à leur épanouissement.
Allons même jusqu’à dire : à leur beauté.
Antoine de Saint Exupéry, lui-même maçon écrivit :
« Si tu diffères de moi, frère, loin de me léser, tu m’enrichis. »
 
Dans la pensée maçonnique, la diversité enrichit seulement si les liens se nouent, si l’agrégat, si «  l’égrégore » fait de l’addition des individus, une équipe vivante.
La solidarité, la fraternité, grands idéaux maçonniques sont au cœur du jeu ; impossible de gagner sans l’adhésion totale du groupe, sans le soutien infaillible de ses coéquipiers.
Francs-maçons et rugbymen ont d’ailleurs aussi en commun le plaisir de la fête après l’effort, il y a une grande parenté entre agapes et troisième mi-temps !
Le rugby a pris son élan grâce au souffle des bâtisseurs. Il s’est construit sur leur morale et a trouvé son identité au cœur même de leur langage.
Tout se pense en termes de construction, de poutres maîtresses, de ligne de perspective.
Le vocabulaire rugbystique se colore logiquement de la métaphore architecturale, hautement symbolique de la pensée maçonnique.
En Ovalie, par exemple, on appelle certains stades « les temples » et depuis quelques temps on y construit « des loges » !
Les gens y viennent plus pour faire du business que pour réfléchir ou échanger, mais avouons que la coïncidence est troublante.
Plus sérieusement, la mêlée est souvent appelée « cathédrale » et ce sont bien « des piliers » qui la soutiennent.
Le pilier droit, le numéro 3 est d’ailleurs considéré comme la pierre angulaire de la bâtisse.
La mêlée peut-être envisagée comme l’extension sur le terrain de la loge maçonnique : on s’y prend par les épaules et dans l’obscurité des débats, l’union des forces et des dons produit une alchimie sacrée.
Au sein de ce « tas d’hommes » se partagent les secrets  inaccessibles aux non-initiés.
Sorti de la mêlée, le ballon passe de main en main, saisissante image de la transmission de la connaissance.
Pierre Mac Orlan a dit d’ailleurs :
« Une sortie de mêlée, c’est avec le recul du temps une entrée dans la vie ».
 
L’histoire du rugby est en marche, ce jeu d’adolescents crée par des adolescents cristallise les valeurs essentielles pour eux : courage, force physique, fidélité et camaraderie.
Comme le dit l’Evangile de Jean : « on ne verse pas le vin nouveau dans de vieilles outres ».
Le football revisité devient rite initiatique, passage symbolique de l’enfance à l’adolescence et gagne ses premières lettres de noblesses, aux côtés des premiers poils sur le menton, des prix d’excellence et du premier baiser avec la fille du directeur.
Fort de cette place centrale dans la vie du collège, le football rugby modifie les comportements collectifs et les mentalités, d’autant plus que le brassage social vient modifier les recrutements habituels de ces écoles d’aristocrates.
 
Vous comprendrez, mes Frères, en ces temps de sports médiatisés, pourquoi j’ai voulu vous faire partager cette belle aventure qui relie depuis près de deux siècles franc-maçonnerie et rugby.
 
Pour ma part, à l’adolescence, complexé par ma petite taille et peu sportif, j’ai rencontré un homme qui avait pressenti chez moi une ou deux qualités (mon présentateur en quelque sorte).
Je me suis lancé dans le rugby où j’ai acquis combativité, confiance en moi et cet esprit dont je parlais plus avant et que je revis désormais dans ma Loge.
Vous remarquerez que dans ce sport, les décisions de l’arbitre ne sont pas contestées, pas plus que celles du Vénérable Maître ne le sont dans le Temple.
Bien sûr je fus couvert de bleus , de pansements et de boue ; parfois humilié quand mon équipe se déplaçait au sud de la Loire ; dès Clermont-Ferrand nous n’étions plus de taille , mais qu’importe , nous étions cassés mais indestructibles.
Nous sommes, bien loin des chauvinismes exacerbés, totalement baignés dans les valeurs essentielles de nos Ordres avec en plus, le bonheur et l’enthousiasme du spectateur.
Frères de tous les pays rassemblez vous comme se sont rassemblés les rugby mens de tant de pays !
 
Ah ! Oui, j’oubliais les résultats de la coupe du monde….
Cà n’est pas l’essentiel, je suis sûr que la troisième mi-temps mettra tout le monde d’accord !!!
 
J’ai dit.

G\ D\ 

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