Obédience : NC Loge : NC 07/11/2009


Mais qui est donc Joaben ?

Partant  d’une boutade, plus que d’une réflexion, nous nous sommes posé  la question, « pourquoi ne parle-t-on jamais de sexe en Loge alors qu’on en parle tant dans le monde profane, en salle humide ou sur les parvis ? »,  nous avons alors, admis que, plus nous avancions dans la voie de la réflexion et de la Sagesse, plus nous avancions en âge, moins ce thème ne trouvait son importance ! (Sic !)


Mais en y regardant de plus près, nous nous sommes rendu compte que ce n’est pas à vrai dire  l’âge ou la baisse des hormones qui fait que nous nous éloignons de cette « préoccupation ». Il nous est apparu rapidement évident que notre démarche de progression au-delà des loges bleues, se situe en dehors  de toute différence sexuelle, et aussi de toute différence de genre.

La question demeure néanmoins :
« Mais qui peut bien être Joaben ? »

Ainsi, reçu au 1er Ordre, tout jeune Elu, quelque soit son genre, s’interroge. Certes le titre semble valorisant, mais bien vite ce qu’il cache provoque un mal-être. Qu’est-ce à dire ? Qui devient Elu de la mission déclarée ? Selon le rituel, la mission de Joaben est de venger le crime. Cet acte, apparemment cruel, apparaît légitime et engage sa totale responsabilité. Mais comment obtient-il cette légitimité ? Comment peut-il devenir meurtrier à son tour ? Cet acte de justice ne le révèle-t-il pas tout simplement à lui-même ? Et n’est-ce pas en fait une alchimie particulière qui va progressivement transformer l’ancien maître en Elu reconnu, et cela, grâce à trois étapes symboliques. Notre Joaben se verra d’abord déséquilibré, puis ouvrira sa conscience à un plan supérieur, pour se libérer enfin et devenir acteur de sa quête.

Nous distinguerons ainsi une phase de déstabilisation, une phase de responsabilisation et pour finir   une phase d’action.

Ainsi   la démarche des deux genres progresse jusqu’à  la marche de l’Elu : Maître et Maîtresse, Traître et Traîtresse, mauvais Compagnon et mauvaise compagnonne : ces pôles de l’humanité  se sont surtout révélés à la mort d’Hiram. Et pourtant un seul genre reçoit la lumière, quelque soit le lieu de l’initiation  …
 
Avons-nous besoin de distinguer des Obédiences où  femmes et  hommes peuvent être initiés ? Peut-être…

Car, c’est aussi, parce que cette différence existe, que  cette démarche nous semble  individuelle et que la marche de la Maîtresse Maçonne  ou du Maître Maçon peut devenir précisément une marche solitaire : rassemblant les pas à gauche puis à droite pour se retrouver au centre, face à l’Orient ! Ainsi réunir les unes (et les uns) aux autres, se révèle-t-il le travail de tout Maître et Maîtresse, en marche vers le premier Ordre.

Et là, ô surprise, il n’y est plus question de genres différenciés : seul  existe l’Elu, ni femme ni homme - ou homme et femme à la fois - qui se découvre traître, vengeur et sauveur ! Ainsi, nous sommes bien au-delà du problème du genre.
Nous sommes  précisément à  notre place au sein de l’humanité, dans notre propre  rôle avec l’identité que nous y acquérons !

Toutes nos anciennes croyances, nos anciens démons sur l’égalité des sexes, sur la place de la Femme et de l’Homme, … se voient de la sorte sévèrement remis en cause. Et c’est  sans doute là une des premières raisons qu’a Joaben d’être déstabilisé !
Mais voyons de plus près le cheminement.

Comment Joaben est-il  donc déstabilisé ?
Après avoir quitté le cocon de la maîtrise, il assiste à l’acte 2 de l’assassinat d’Hiram. Il lui est demandé de répondre des carences de la maîtrise ; placé au centre des suites du drame, il se croyait jusqu’alors, innocent, ou avait éludé les problèmes existants. Maintenant il lui faut solder les questions restées en suspens. Il est comme provoqué, acculé à agir. De nouveau confronté à la mort, il doit faire face à l’incompréhension rationnelle de ce qu’on lui réclame : tuer à son tour. Il doit aussi affronter sa capacité à supporter la violence, même légitime. Alors, en acceptant la mission, il se désigne lui-même ; mais, en même temps, ne se reconnaît plus.
Le choc est intense certes, mais efficace, car refondateur.

En appréhendant sa bipolarité, il effectue une marche en miroir, car il sait qu’il est l’assassin en même temps que le justicier. Il accepte d’être à la fois celui en qui Hiram revit et celui dont le mot de passe est Abibaal. Le maître-assassin, ou plutôt l’Elu qu’il est, part de nouveau dans l’exploration de lui-même, et s’interroge sur ses pulsions maléfiques qui accompagnent souvent ses idéaux bénéfiques. Il entame son examen de conscience, effectue un examen de mémoire approfondi. Des questions lui apparaissent : où se situent la nécessité de justice, la qualité de la justice immanente et la gravité de l’impunité. Il n’est plus innocent, il a perdu ses illusions. Il découvre que, seule une conscience légitime peut le libérer de lui-même.
 Il apparaît alors acteur de lui-même, prend le poignard et devient le bras armé, prêt pour la mission, car, à ce stade, il a accepté de faire face à la réalité.

Cette phase d’une réalité déstabilisante, va amener Joaben à s’investir, à  ne plus subir et ainsi à se responsabiliser.
Et même si cette nouvelle identité peut en effrayer certains qui vont jusqu’à la démission, Joaben lui, va tenter de dépasser le mal-être.

Joaben ouvre dès lors, sa conscience à ce qui l’entoure. Il sait que sa mission est libératrice, d’abord pour lui-même. Il situe clairement sa propre responsabilité. Il a quitté la maîtrise pour redevenir « sujet » ; sujet de l’autorité ;  ce faisant, il s’éloigne du passeur d’idéal pour devenir le justicier légitime, car il appréhende plus distinctement le rôle qu’il lui incombe, pour se construire entre le mal de la réalité et le bien de l’avenir. Il fait, enfin, totalement corps avec l’engagement qu’il a contracté lors de sa réception à la maîtrise. Trouvant le sens de sa légitimité, il s’inscrit dans une mise en mouvement, se redresse et part mener le combat contre les dangers existants, car il veut sortir du déterminisme de cette société.
 
Comme il a rectifié dans la caverne, il est maintenant capable de palier les manques de la chambre du milieu. Et comme il souhaite épurer la situation, il accepte l’héritage, comme il a accepté l’existence de ses démons et a décidé de les anéantir pour retrouver son équilibre moral.

Ainsi il découvre la poursuite solitaire et la poursuite collective. De cette manière, il apprend qu’il n’est plus seulement acteur de lui-même dans une démarche individuelle. Il se veut défenseur d’un équilibre collectif ; il souhaite prendre sa place dans la société et a, pour objectif, de libérer cette même société de ses fléaux.
Mais il sait qu’il n’est pas seul. Joaben, de même que tout Elu qui l’accompagne, se responsabilise au regard de la réalité et accepte la mission.

Et de « Traître, vengeur, et sauveur », il va devenir le « Juste », possédant la Conscience de l’Action.

Paul CLAUDEL disait :
« A tous les surhommes, il faut préférer ce spectacle rare entre tous : un homme juste, et juste un homme »

C’est pourquoi, après le choc éclairant et la prise de conscience distanciée, Joaben se transcende. Comme son nom l’indique : « fils d’esprit », Joaben accède à un plan supérieur. La mort, sa propre mort, le transfigure. Il dépasse l’antagonisme bien/mal, la contradiction spiritualité/rationalité, et devient sauveur d’idéal, car il offre sa liberté retrouvée aux autres. Et c’est bien lui qui, à ce stade, incarne le gisement de sens autour des notions de mort, mais aussi, et surtout, de lien social et de liberté. Ainsi, engage-t-il ses efforts pour transcender la condition humaine. En visant des aspirations sociologiques élevées, il se sent responsable de la survie de la société. Il s’attelle alors, à éliminer les causes des malheurs de cette société, en jouant son rôle de garant de pureté, son rôle d’esprit, son rôle de lumière initiatrice.
 Ce faisant, il révèle sa volonté de progrès. Il devient le progrès incarné. Il a la persévérance suffisante pour poursuivre les assassins de toutes sortes : aussi haut et aussi bas que nécessaire ; et découvre même, qu’à force d’approfondissements en même temps que d’élévations, les problèmes peuvent se résoudre seuls, à condition qu’il crée  les conditions favorables à sa propre construction.

Ainsi fait-il l’expérience qu ‘en causant le mal, il défend la vie. Il doit vaincre ou mourir ; de même qu’il doit protéger la société ou la laisser dépérir. L’enjeu de sa mission est bien la vie de tous. Il s’est éloigné du maître, un peu utopique ; il sait vouloir agir maintenant et sait aussi pourquoi et pour qui. Et surtout, il est conscient que la mission ne peut se passer de lui et qu’elle ne peut passer « que » par lui. Il comprend clairement que cette mission est à sa portée, dés lors où il décide d’agir. Et même, si son acte est substitué comme la parole de la chambre du milieu, il admet que la conscience est un juge légitime imparable. En ayant élargi cette conscience, il s’est éveillé et devient moteur d’éveil à son tour. Blanchi, libéré, il peut maintenant avancer, car il a acquis sa « complétude » ; il a su comprendre ses erreurs, les accepter et les corriger sans rester dans l’illusion d’un idéal. Il est maintenant celui qui est en état d’être et en état de savoir- devenir. Il accomplit sa mission et devient ainsi le « Juste ».

Finalement,Toi Frère Elu et Moi Sœur Elue, sommes  Joaben , à la fois ange purificateur et démon destructeur ; l’androgyne homme-femme - celui qui signifie la volonté du masculin et du féminin de se rejoindre - l’être aux deux visages, comme Zeus, le « Un », à la fois viril-masculin et immortel- féminin.

Ensemble, nous sommes aussi Liborada, la vierge barbue, à la poitrine appétissante et à la barbe fleurie ; la matière première alchimique, le soufre qui brûle et le mercure qui coule, tendant à atteindre, en assassin et justicier, la pierre de Sagesse.

Nous sommes le linguam et le yoni de Shiva où la mâle- puissance et la féminine-douceur se fondent en un seul être. Nous sommes le Yin : c.a.d la féminité, le nord, le noir, la passivité, l’humidité et la terre, ce Yin imbriqué en « S » dans le Yang, représentant la virilité, le sud, le blanc, l’activité, la sécheresse et le ciel.

Il n’y a pas d’antagonisme entre nous, pas de domination de l’un sur l’autre. Joaben est l’expression d’une complémentarité essentielle de l’un par rapport à l’autre. Telle la roue de Lao-Tseu, Joaben représente l’unité de tous les contraires, la totalité dans sa perfection.

Nous sommes les deux « S » de Sophia et Satan, les deux visages opposés du serpent tel qu’on le trouve dans la baguette de Mercure ; le caducée, où les 2 aspects sont équilibrés.

Maître assassin de nous-mêmes, nous rassemblons les lobes gauche et droit de notre cerveau afin de réfléchir à la nécessité de justice et d’agir en justicier légitime.

Nous sommes Joaben, l’androgyne qui peut descendre dans la caverne, vaincre la mort, en revenir et continuer la perfection de son temple intérieur. En devenant le surhomme de Nietzsche, il nous sera possible grâce à la force et la beauté, d’agir sur le temple extérieur.

En  Conclusion,

Ni homme ni femme ou femme et homme à la fois, seul le Juste peut agir en toute conscience et en toute légitimité. Tant que nous sommes dans la marche solitaire du Traître ou du Sauveur, il est difficilement possible d’accéder à cette « justesse » de la marche de l’Elu. Il faut, pour ce faire, prendre du recul, marcher à reculons, mais sur un plan supérieur, et grâce aux autres Joaben, prendre conscience du parcours effectué et à  effectuer, prendre conscience de nos différences et surtout de notre « complétude » pour mieux agir et avancer vers. ? Mais cela est une autre histoire !

Le maître a quitté la chambre du milieu, où il se sentait protégé, pour perdre de son bel équilibre ; il a ainsi trouvé une nouvelle place au sein du groupe des initiés ; et ayant acquis une clairvoyance plus affinée, il est devenu le « Juste », capable de vigilance. Il peut dorénavant embrasser l’univers spirituel pour construire le rayonnement universel.

Voici un maillon qui, ayant accepté sa responsabilité, a acquis la liberté qui lui confère sa dignité. N’est-ce pas en effet, le devoir accompli qui donne un sens à la vie et à toute quête ? Avancer signifie alors, affronter les obstacles et transformer le plomb en or. Soyons comme Joaben, creuset de transformation et battons nous pour les bonnes causes !

Pour l’heure, retenons seulement les paroles de Goethe :
« Que ta soif d’absolu soit suivie d’actions enthousiastes. Que tes aspirations soient imprégnées d’amour. Que ta vie signifie : agir ! »

Nous avons dit.

Monique BEA\ et Béatrice CAI\

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