GODF Loge : Paganis - Orient de L'ile Rousse 18/11/2008


La Désobéissance Responsable


Être responsable c’est répondre de… Répondre de quelque chose ou de quelqu’un : répondre de mes actes devant mes pairs ; répondre du profane que j’aurais pressenti à vos suffrages. Le langage juridique est très clair qui précise dans les contrats (convention de loyer par exemple) que le preneur doit s’assurer pour tous les risques, vol, incendie, mais également pour la « responsabilité civile de son fait ou du fait d’autrui. »

Être responsable c’est aussi répondre à… Répondre à une lettre, à un appel, à une question, voire même répondre à une agression. Être responsable est donc un échange, un état qui se vit par rapport à autrui. Dans l’espace puisqu’il concerne tous les domaines de notre existence et dans le temps, puisque nos actes nous engagent pour le futur. Nous sommes responsables de la Terre que nous laisserons à nos enfants.

Être responsable, nous place dans une situation de soumission à un code, qu’il soit écrit ou code d’honneur, à un ensemble de valeurs, de devoirs, de règles, fondement des diverses sociétés dans lesquelles nous évoluons : l’entourage professionnel, le cercle familial, le ressort associatif ou sportif, le domaine relationnel, etc. À cet égard, l’adhésion aux principes de la Franc-maçonnerie nous rend doublement responsables : à titre individuel et à titre collectif. Vous remarquerez de surcroît que le fait d’appartenir à une Obédience implique étymologiquement le devoir d’obéissance.
 
Être responsable suppose donc l’obéissance à des règlements, à la loi. Désobéir constitue une infraction passible de sanction.

Et pourtant, la désobéissance est inhérente à la vie. De cette cellule qui refusera obstinément d’évoluer, qui n’évoluera pas comme le prévoyait sa chaîne chromosomique, de cet enfant qui tape du pied en criant « NON ! », de l’adolescent en crise de révolte, jusqu’à cet homme désespéré qui décide finalement de marcher hors des clous.

La Genèse nous conte, sous forme de fable, la désobéissance primordiale, érigée en péché originel. Et sa sanction immédiate : l’Homme est chassé de l’Eden et condamné à vie. Mais une seconde lecture nous présente l’Homme affranchi de la tutelle paternelle. Châtié mais libre. C’est-à-dire disposant de son libre arbitre, du droit de choisir : faire ou ne pas faire. « Être ou ne pas être ? »

Dès ce stade, l’Homme endosse la responsabilité de son existence jusque là assumée par l’autorité parentale de son Créateur. « L’homme est, écrivait Saint-Exupéry dans "Citadelle", ce dont il est responsable. »

Tout est réglementé. Depuis les Tables de la Loi qui énumèrent les Commandements, jusqu’à l’arrêté préfectoral interdisant la pêche de l’omble chevalier à partir du deuxième mardi de mars… Et, paradoxalement, c’est la loi qui constitue la faute ; ce que résume l’adage juridique « nullum crimen sine lege – aucun crime sans loi. » Pour paraphraser Saint-Paul, je dirais que je ne commets une infraction que parce que je connais la loi. « Je n’aurais pas connu le péché de convoitise si la loi n’avait dit : Tu ne convoiteras point. » (Romains, 7,7).

Nous touchons là aux aspects négatifs de la désobéissance. Le refus de la loi qui conduit à la punition de l’acte commis en violation de la norme. Ne pas obéir et ne pas punir, deux non-actes qui aboutiraient à la désorganisation de la société, à l’anarchie. L’obéissance à la loi est un acte de responsabilité civique.

Pour autant, cette conformité à la norme ne doit pas nous faire oublier que nous sommes également responsables envers nous-mêmes. Être responsable c’est aussi un acte qui se vit par rapport à soi-même. Jusqu’à quel point puis-je retarder le moment de regarder dans les yeux celui que je vois dans mon miroir ? D’où une prise de conscience, dans certaines situations, d’un engagement moral conduisant à refuser la loi.

Le droit français, en accordant en 1963 un statut à l’objecteur de conscience, a reconnu la possibilité de s’opposer à une obligation légale. Le préambule de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen reconnaît de même le droit de résistance à l’oppression. Le Code Pénal autorise la désobéissance d’un fonctionnaire confronté à un ordre manifestement illégal.

Ces exemples de désobéissance « légale » coexistent avec d’autres formes d’insoumissions qui ne trouvent pas leur fondement dans la Constitution ou un règlement mais dans une prise de conscience de la responsabilité de l’auteur à l’égard d’une situation donnée.

L’histoire populaire foisonne de héros qui ont refusé de se plier à l’ordre : Guillaume Tell, Robin des Bois, Sitting Bull… L’histoire récente aussi nous donne nos héros médiatiques. Ghandi au début du XXème siècle, en faisant serment de désobéissance aux Anglais a conduit son peuple, sur la route du sel, jusqu’à la Liberté. Les Résistants en 1940, en choisissant de refuser la collaboration demandée par le gouvernement de Vichy avec les troupes d’occupation ont préparé la Libération. De grands leaders politiques, Nelson Mandela en Afrique du Sud, Martin Luther King aux États-Unis ont défié les lois de l’Apartheid et de la Ségrégation. Parce que la désobéissance était leur seule arme, ils ont fait le choix, responsable, de ne plus obéir.

Face à ces grands noms, l’histoire ne retiendra peut-être pas la désobéissance responsable de Romain Roland qui publie en pleine guerre mondiale en 1915, sous le titre "Au-dessus de la mêlée", une série d’articles appelant à la réconciliation des peuples français et allemand. L’histoire ne retiendra peut-être pas la désobéissance responsable de Rosa Mac Cauley, arrêtée, inculpée et jugée pour avoir bravé l’interdiction faite aux Noirs de s’asseoir dans un bus sur les sièges réservés aux Blancs. L’histoire retiendra t’elle le geste d’euthanasie de Marie Humbert, inculpée en septembre 2003 de meurtre avec préméditation pour avoir abrégé la vie de son fils Vincent ? L’histoire retiendra t’elle l’acte de mariage de deux homosexuels prononcé par le Maire de Bègles ? L’histoire retiendra t’elle les hectares de maïs transgénique fauchés par les partisans de José Bové ? L’histoire retiendra t’elle les noms de Philippe Brand ou de Léon Laclau qui militent, contre l’église romaine qui les a excommuniés, pour le mariage des prêtres catholiques ? L’histoire retiendra t’elle le nom de Pascal Oumaklouf, simple citoyen, qui décide avec Augustin Legrand de vivre dans la rue, avec les SDF du Canal Saint-Martin ? Je pourrais multiplier les exemples.

Ces actes sont dérisoires me direz-vous. Il ne m’appartient pas d’en juger. Il ne m’appartient pas non plus de juger de leur inopportunité ou de leur bien-fondé, mais seulement de reconnaître qu’ils sont éminemment responsables.

Tous ces hommes ont franchi, à un moment donné de leur existence, la ligne continue qui sépare la loi, l’ordre du chaos et de l’anarchie. Devant ces formes de désobéissance que je viens d’évoquer, se pose évidemment le concept de la responsabilité. D’un côté, la responsabilité de l’auteur envers la loi, la responsabilité de l’auteur envers la société ; de l’autre, la responsabilité de la loi – et de la société qui a promulgué cette loi – à l’égard de l’auteur.

Ces actes dérisoires illustrent l’aspect positif de la transgression. La prise de conscience d’une nécessité impérieuse et responsable de refuser d’obéir est en même temps une prise de conscience de l’affirmation de soi, de sa liberté de décider, de la prise en main de son destin. Si ce n’est pas comme cela qu’il se crée, au moins c’est comme cela que l’homme se construit. Affranchi, autonome, responsable, son audace le transcende. Il ose affronter son Créateur jusqu’à devenir, pour un temps, l’égal de Dieu.

En conclusion, je citerai cette phrase du Pasteur Ralph Emerson : « Il faut avoir en soi quelque chose de divin quand on s’est défait des normes communes de l’humanité pour s’aventurer à compter sur soi-même comme maître. »

J’ai dit.

P\ R\

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