Obédience : NC | Loge : NC | Date : NC |
Comment
sont entrées les
femmes au Grand Orient de France ?
En 2004, je suis intervenu devant
l’association
tourangelle « Le café des femmes » sur le thème « L’histoire des
femmes et de la
FM » ; et je dois bien avoué que j’ai eu toute les
peines du monde à
répondre aux questions d’un public majoritairement féminin quand il
s’est agi
de défendre les positions discriminantes du GODF d’alors à l’égard des
femmes…
Ce
midi, je ne parlerai pas des
Constitutions d’Anderson de 1723 qui fixent les règles de la
FM spéculative
et exclut les femmes, puisqu’au XVIIIe siècle elles ne sont pas libres
et,
concernant les mœurs, ce sont les hommes qui en fixent les règles sans
elles. Je
ne développerai pas, non
plus, les loges d’adoption[1]
au sein desquelles
les femmes se réunissaient sous la tutelle des hommes et du GODF dès
1774.
Issues pour la plupart de la noblesse ou de la haute bourgeoisie des
salons du
Siècle des Lumières, les femmes (je cite) sont
prises en
considération avec un rituel et des règles très précises. Enfin,
Je n’évoquerai pas le
courage d’individus parmi les deux sexes ou le
combat des mouvements
féministes qui vont faire évoluer le droit des femmes en
France de la fin
du XIXe siècle jusqu’à nos jours. Non !
Je veux vous parler
des « difficultés existentielles » que les maçons du
GODF ont
traversé ces dernières années, - voire traversent encore pour certains
-, et
vous faire part des méthodes qui ont abouti à l’admission des femmes
dans
l’obédience en 2010, après deux siècles et demi d’aveuglement et de
surdité. Comment
les femmes
sont entrées au GODF ? A la fin des années 1990, la loge
Delgado procède à l’initiation d’une femme qui conduira à la radiation
immédiate de la loge. Son action dite « sauvage »
aura eu le mérite
de remettre au devant de la scène la question récurrente des femmes au
GODF.
Dès lors, cette question sera mise à l’ordre du jour des convents et
des loges,
mais surtout des congrès régionaux. Le 28
mai 2008, la loge Combat initie une femme à l’hôtel Cadet, suivie par
quatre
autres loges qui agissent de même. Une plainte du Conseil de l’ordre en
date du
27 février 2010 est déposée auprès de la Justice maçonnique qui relaxe
les cinq
loges le 24 mai ; la décision est confirmée en appel le 10
juin 2010, à
deux mois et demi du convent. La réception des six candidates est donc
validée.
Elles sont de facto les premières femmes
« XX »régulièrement initiées
au sein du GODF. Vous
avez bien entendu, les
premières femmes initiées au GODF, dotées d’une paire de chromosomes
‘XX’. car,
chronologiquement, l’histoire retiendra que la première femme admise au
sein de
l’obédience le fut quelques mois auparavant : c’est une
transsexuelle.
Membre de la loge Université Maçonnique à Paris, le frère Olivier
Chaumont,
initié en 1975 – devenu en 2009 Olivia – demande à l’obédience
d’entériner son
changement de sexe. À travers cet acte, la « soeur
trans » sera à
l’origine d’une évolution historique du Grand Orient de France, sans
provocation et dans un esprit constructif. Le conseil de l’ordre est
embarrassé, il tergiverse. Le paroxysme du ridicule est atteint quand
il
propose à l’intéressée son transfert au Droit Humain ; ce
qu’Olivia
Chaumont refuse. Dès
lors, le « cas Olivia » va secouer les mois suivants
l’ensemble des
principales obédiences françaises, le GODF en tête, en posant
directement la
question de la discrimination de genre pratiquée au sein de nos
vieilles
institutions. Olivia Chaumont est à l’origine d’une révolution d’un
Grand
Orient de France exclusivement masculin, en demi-teinte il est vrai,
mais une
révolution tout de même. Le 22
janvier 2010, à la suite d’un nouvel entretien avec le grand-maître
Pierre
Lambicchi, l’exécutif annonce par voie de Presse que la sœur est bien
membre de
l’obédience parce que (ouvrez bien vos oreilles !) même si elle est juridiquement
devenue une femme,
« il » a été initié comme frère et reste
génétiquement un homme. Une décision qui fera date
malgré ce communiqué
alambiqué et peu glorieux. Le lendemain, Olivia réagit
sagement, tout en
nuances (avec ironie en réalité), se plaçant au
plan humanitaire, non
juridique. Elle salue la décision courageuse de la reconnaître
en tant que
femme et d’aller à l’encontre de la structure masculine, parce qu’il
s’agit
d’un problème humain. Son
dossier était réglé, mais pas celui de la mixité au Grand Orient de
France.
L’obédience était plus que jamais divisée sur l’admission des
femmes : un
Grand Orient englué dans ses contradictions, repoussant la moitié de
l’humanité
tout en proclamant travailler pour son progrès ! En fait, le
Conseil de
l’ordre tout à fait dans son rôle quand il s’agit d’exécuter fidèlement
la
Constitution et le RG, se trouvait écartelé depuis un an entre des vœux
pour
l’initiation des femmes, tous repoussés depuis des années, et les
récentes
initiations féminines des cinq loges qu’un grand nombre de conseillers
de l’ordre
approuvait officieusement. Au convent de 2009, les vœux avaient été
repoussés
par une majorité de 56 % des voix (c.a.d 5 points de plus
qu’au convent de
2008 !), à la grande surprise de beaucoup ; un écart
non négligeable
de 12 %, 120 loges environ, séparant les plus ouvertes des
plus
réactionnaires). Les délégués du prochain convent 2010 avaient encore
la
possibilité soit d’entériner l’admission des femmes en approuvant un
nouveau
vœu à application immédiate, soit d’effacer en gravant dans la
Constitution le
caractère strictement masculin de l’association. Durant les quelques
mois qui
les séparaient du convent, les loges avaient toute liberté d’initier sans
discrimination de genre.
De
nouvelles tentatives pour bloquer dans la constitution du GODF son
caractère strictement masculin auront cours pendant
deux ans, mais elles seront toutes
rejetées. Ce n’est pas faute d’avoir essayé dans le camp des
phallocrates.
Regroupés au sein de l’UGODFM (Union pour un Grand Orient de France
maçonnique), ils croiseront le fer avec leur obédience à l’extérieur du
temple
en contestant auprès de la Justice civile les deux décisions de la
Justice
maçonnique d’avril et juin 2010 et le vœu n° 9 du convent de
septembre. Le
dossier sera étudié sérieusement par l’ensemble du conseil de l’ordre.
En mars
2011, la section sociale de la Première Chambre du Tribunal de Grande
Instance,
confirmée par la Cour d’Appel de Paris, se prononcera sur
l’irrecevabilité de
l’action judiciaire. Les quatre jusqu’au-boutistes à l’origine de la
plainte
n’en resteront pas là. Mais en 2012, ils seront condamnés pour frais
irrépétibles et aux dépens, sonnant le glas à leur action. L’UGODFM
poussera le
bouchon jusqu’à faire appel à une souscription de solidarité auprès de
toutes
les loges pour régler à la place des quatre tartuffes les dix mille
euros plus
les frais de l’article 700 du code de procédure civile décidé
en sus par
le juge, le total de la somme étant dû au GODF. Pendant cette
période 2010-2012, au cours de laquelle la confusion
judiciaire avait
réussi à gangrener même des têtes bien faites, le grand-maître m’avoua
que, si
l’institution avait dû se soumettre aux frères rétrogrades, il aurait
démissionné de ses fonctions, considérant qu’il lui serait impossible
de parler
au nom d’un Grand Orient de France en contradiction avec l’évolution de
la
société. Très
tardivement, l’institution avait pris le sens de l’Histoire en vivant
sa
troisième révolution depuis sa fondation, (après la démocratie dans les
loges
en 1773 et l’abandon d’être obligé de croire en l’immortalité de l’âme
en 1877)
même si, à l’inverse des deux premières, cette révolution devait
s’inscrire en
mode mineur. L’hystérie collective sur la question des femmes avait
cessé au
niveau du convent et des congrès. Mais pas au sein des loges tenantes
d’un
masculinisme ridicule (ce qui est un euphémisme !) Un plaidoyer improbable En
effet, si en 2010, il était plus
que temps de se défaire des préjugés d’une époque révolue, des loges
tenantes
d’un masculinisme à tout crin continuaient de s’illustrer avec des
arguments proches
de ceux qui sont relatés précisément dans le compte-rendu des travaux
du
congrès des loges de la Région centre de… 1908 ![2] C’est au sujet d’un vœu sur « la reconnaissance dans ses principes
par le prochain
convent de l’admission des femmes ». En voici
trois extraits, choisis parmi quinze interventions qui développent des
arguments contre : 1- La femme aime l’originalité, par
conséquent, les
ornements, la parure. Je ne crois pas m’avancer en assurant que, dans
une loge
de femmes, un vœu en faveur de la suppression des faveurs et emblèmes
ne
ralliera que fort peu de suffrages. Vous voyez, par avance, dans une
telle
loge, à quelles intrigues – au détriment du travail – on se livrera
pour
posséder un insigne distinctif quelconque. Je me borne à signaler cet
unique
inconvénient parmi tant d’autres. 2- La discrétion, vous l’admettrez,
n’est pas, en général,
une des qualités principales de la femme. Sera-t-il bien prudent, je
vous le
demande, de vouloir faire supporter à son esprit fragile le poids si
lourd de
nos secrets à garder ? 3- Notre Ordre est d’essence masculin,
ses emblèmes, ses
légendes (les maîtres me comprennent) sont virils et non efféminés, ils
ne
peuvent parler aux cœurs féminins comme aux nôtres et si la maçonnerie,
depuis
tant de siècles, après tant de luttes, a survécu pour répandre ses
bienfaits
sur la surface du globe, c’est parce que, peut-être, la femme n’a
jamais pu s’y
glisser ! Malgré
la force déployée par les
femmes, - le courage remarquable dont elles firent preuve durant la
Première
Guerre mondiale -, malgré l’évolution de la société à l’égard des
femmes,
malgré l’ouverture d’esprit qui émerge chez les frères des Démophiles
qui, en
1920, 12 ans après les positions machistes que vous venez d’entendre,
revendiquent en réponse à la question à l’étude des loges l’admission
de la
femme en FM par 47 voix contre 5 : L’entrée de la femme dans
nos Loges
leur donnera une force et une impulsion nouvelles et un regain
d’activité ; fermer nos Temples aux femmes, c’est leur ouvrir
les Églises
ou les rejeter vers d’autres groupes sociaux créés ou à créer. Au
moment où
doivent être coordonnées, raffermies, toutes les forces sociales, la
Maç. ne
doit pas laisser inutilisée l’une d’entre elles, manquant ainsi sa
haute et
moralisatrice mission toute d’évolution et de progrès… Malgré cela, tous
les convents qui aborderont le sujet par la suite rejetteront toute
velléités
de modification, à commencer par celui de 1920. Huit décennies plus
tard, les
frères se partageaient toujours dans les années 2000 entre défendre ou
combattre les mêmes inepties que celles que leurs aînés proféraient en
1908.
Ceux qui fréquentaient les congrès régionaux à cette époque peuvent en
témoigner.
Petite ou
grande histoire ? Mais
revenons au convent 2010, où la
petite et la grande histoire se croisent ce vendredi 4 septembre, cent
quarante
ans, jour pour jour, après que Léon Gambetta ait proclamé la Troisième
République depuis l’hôtel de ville de Paris. Les frères du Grand Orient
de
France réunis à Vichy suivent du regard la progression au lutrin de la
sœur
déléguée de la loge parisienne Université maçonnique… Olivia Chaumont,
tailleur
noir, chemisier échancré, décorée du baudrier et du tablier de maître,
s’approche du micro pour intervenir dans le cadre des réflexions sur le
développement durable, digne, consciente du moment. Elle est la
première femme
dans l’histoire de l’obédience à prendre la parole au convent. Après
s’être
présentée rituellement, Olivia poursuit d’une voix posée :
Respectable
maître,
dignitaires, mes frères, je crois que c’est la première fois qu’une
sœur prend
la parole dans un convent du Grand Orient de France depuis sa création,
d’où
mon émotion. Aussi je demanderai votre indulgence, d’autant plus que
c’est le
premier moment et je suis véritablement surprise de cette bouffée d’air
frais
qui a survolé l’obédience, et je dois vous dire que je suis fière, très
très
fière d’être parmi vous, d’être au Grand Orient de France. Ces
52 secondes d’introduction de l’intervention de la
« sœur » au pupitre du convent furent banales dans la
forme, mais
d’une grande intensité et d’un impact historique pour le Grand Orient
de
France. J’étais assis à l’Orient et je vous assure que j’avais des
frissons
comme beaucoup d’autres frères. Le souffle élégant, la parole apaisante
d’Olivia Chaumont, se sont répandues peu à peu dans le temple,
refermant une à
une les pages de l’histoire peu glorieuse du GODF pour la gent
féminine,
histoire discriminante depuis le XVIIIe siècle.
Dans son récit
autobiographique publié en 2013[3],
Olivia Chaumont se confie :
Dans l’allée qui mène à la tribune, je sentais les
regards peser sur moi et
je regardais droit devant. On entendait les mouches voler. Je me suis
dit :
je ne vais pas pouvoir parler…
Entouré des représentants des instances du Grand
Orient de France, le
grand-maître Guy Arcizet était très ému lui aussi, mais satisfait. Elle
s’est présentée avec distance et simplicité. Certains avaient prédit
des jets de
chaussures, mais pas du tout, répond-il à la Presse. Elle
a eu un rôle
discret, mais évident. On était bien conscients des changements que sa
présence
apporterait[4].
Cinq jours plus tard, Olivia
Chaumont devint la première femme présidente d’un atelier du Grand
Orient de
France. Les décisions du convent de Vichy d’une part, et l’intelligence
de
l’exécutif d’avoir su accompagner la liberté des loges d’initier ou
d’affilier
« sans aucune considération de sexe » d’autre part,
ont permis depuis
sans heurt à une soixantaine de loges de passer annuellement à la
mixité et à
une trentaine de femmes de rejoindre l’obédience chaque mois. Qu’aurait
pensé Elisabeth Adlsworth de cette interminable mascarade au Grand
Orient de
France, si elle était toujours de ce monde ? Elle fut la
première femme
initiée en… 1712 !
Son père et ses frères, aristocrates francs-maçons dans le comté de
Cork en
Irlande, se réunissaient dans la demeure familiale. Elle aurait assisté
à une
tenue par le trou d’un mur en chantier entre la bibliothèque et le
bureau.
Découverte, elle n’eut le choix qu’entre « l’initiation ou la
mort »
pour garder le secret[5].
La « Lady Freemason »
devint célèbre au point d’être signataire en 1725 de la première
Constitution
de la Grande Loge d’Irlande[6].
Ce qui ne fut qu’un incident
gaélique aurait dû être la norme au Grand Orient de France dès sa
création.
L’association philanthropique qui se réclame de la philosophie des
Lumières
aura attendu trois siècles pour se mettre d’accord avec ses
prétentions. Force est
de constater que les « esprits éclairés » que sont
les maçons du GODF
ont mis un temps fou à recharger leurs accus. Jean-Philippe
Marcovici Bonus :
propos d’un frère en 1908 Le
Dr.
Doutrebente, frère des Démophiles, éminent aliéniste français, ancien
directeur
de l’asile de Blois et administrateur de l’hospice général de Tours,
primé par
l’Académie de médecine, se lève pour intervenir. (On imagine l’homme de
science, drapé dans son honorabilité et son savoir, s’adresser à la
noble
assemblée) : J’estime qu’au point de vue
physiologique la femme n’est
point organisée pour résister à la lutte à laquelle notre ordre se
livre
journellement. Si, en elle, certaines qualités intellectuelles se
trouvent
aussi bien, sinon plus, développées que chez l’homme, ces qualités ne
peuvent
s’exercer et donner leur fruit que par intermittences, c’est à dire en
dehors
des périodes mensuelles de trouble de son organisme et son état
d’infériorité
manifeste sur l’homme, ne permet point de l’admettre à des discussions
qui ne
peuvent être soutenues que par les hommes les plus forts, parmi les
meilleurs. [1] Nom donné à la « Franc-maçonnerie des Dames ». Les Loges d’Adoption étaient à l’origine sous la tutelle des loges masculines et travaillaient avec un rituel particulier. [2] « Congrès
tenu à Tours les 7 et 8 juin 1908 au Temple de la R.L. Les Démophiles
[…]
Présidence d’Honneur du F. René Besnard, Avocat, Député
d’Indre-et-Loire,
Membre du conseil de l’Ordre. » Archives des Démophiles [3] Chaumont,
O., D’un corps à l’autre, Paris, Robert Laffont,
2013. [4] Vécrin,
A., « Franche Maçon », libération.fr,
8 mars 2011. [5] Day,
B.J., Memoir of the Lady Freemason, Cork (Ireland),
Guy&Co, 1914. [6] Catalogue
exposition musée des Beaux-Arts de Tours, Le Franc-maçon en
habit de lumière,
Tours, Association 5997, 2002, pp.85, 247. |
7433-B | L'EDIFICE - contact@ledifice.net | \ |