Obédience : NC | Loge : NC | Date : NC |
Tradition
et Modernité
Je vais tenter d’approcher le sujet extrêmement vaste et passionnant de la tradition et de la modernité. Est-ce en opposition ou alors complémentaire ?? Pour cette planche, j’ai choisi d’aborder plus particulièrement le thème de la Franc-Maçonnerie à travers les temps afin de démontrer que la tradition peut être modernité mais que le travers de la tradition peut également aboutir à l’obscurantisme quand celle-ci fait abstraction de l’homme pour ne s’attacher qu’à un traditionalisme irraisonné alors très vite sectaire. La notion même de tradition suppose la transmission. Transmission des principes, des règles, des exigences intellectuelles, transmission des savoirs, des cultures, des connaissances. Cette notion est valable dans tout groupe humain. Depuis l’aube de l’humanité, les traditions ont évidemment évolué au fil des temps et personne ne revendique aujourd’hui de prendre ses repas selon les habitudes de l’homme de Cro Magnon ! Il n’est cependant pas douteux que depuis cette lointaine époque, les traditions ont suivi un lent mais régulier mouvement d’adaptation aux conditions nouvelles : technologiques bien sûr, mais aussi démographiques, économiques, commerciales, politiques et sociales. Il y a continuité mais pas nécessairement. On ne doit donc concevoir une tradition qui serait figée dans des principes anciens sans prendre le risque d’un immobilisme collectif qui à terme serait très rapidement et inexorablement décadent voire suicidaire. Pas plus qu’une autre organisation humaine, la franc-maçonnerie n’a vocation à devenir une “réserve de fossiles”. En s’appuyant sur l’héritage du passé et prenant en compte les leçons des anciens, les francs-maçons se doivent aussi de s’inscrire dans le temps actuel. Il ne s’agit pas de cultiver une tradition qui telle un arbre mort ne connaîtrait jamais de jeunes pousses, qui ne verrait jamais tomber ses branches mortes pour en voir repousser de nouvelles plus vigoureuses. En cela, les francs-maçons du siècle des Lumières, fondateurs de la franc-maçonnerie moderne, avaient déjà tracé la voie en élaguant les rituels médiévaux pour construire un ensemble de rituels orienté vers la philosophie et vers la société. Se nourrir du passé pour progresser aujourd’hui est le fondement de l’idéal maçonnique : la tradition maçonnique devient alors une référence, un rappel du point de départ, mais certainement pas un dogme immuable, immobile, comme il me semble le percevoir encore trop fréquemment dans certaines obédiences conservatrices. Mais quels sont donc au demeurant les fondements de cette tradition maçonnique ? L'histoire de la Franc-Maçonnerie peut schématiquement être divisée en trois périodes : Il a existé tout d'abord une Maçonnerie dite opérative, qui ne regroupait que des gens des métiers de la construction. Dans un deuxième temps, ces Loges vont recevoir des hommes de qualité mais étrangers au métier, qui deviendront des Maçons Acceptés. Enfin, les Loges perdront tout caractère opératif, pour devenir purement spéculatives. Il faut noter que, de tous temps, les Maçons bâtisseurs ont eu le sentiment de faire œuvre sacrée. Je citerai, au sujet des bâtisseurs de cathédrales, ces lignes d'Albert Lantoine, un des historiens de la Franc-Maçonnerie : « Cet Art qui consistait à proportionner les diverses parties d'un monument, à dresser des flèches et des clochers audacieux, à courber des voûtes grandioses, sur lesquelles, le son, loin de s'atténuer, prenait une ampleur plus harmonieuse, semblait un art magique. Ces Maçons opératifs se déplaçaient de ville en ville et n'avaient pas de local permanent. Ils utilisaient, pour entreposer leurs outils, se réunir, s'instruire, préparer leur travail ou se détendre, des locaux appelés Loges. On les appelait Francs-Maçons parce qu'ils n'étaient pas assujettis à un fief. Ils étaient francs, c'est-à-dire libres. Ces Francs-Maçons opératifs observaient un certain nombre de règles qui avaient pour but aussi bien de respecter les normes de qualité et de morale, que de préserver les secrets du métier. Leurs obligations comportaient aussi des devoirs de solidarité. C'est cette Franc-Maçonnerie opérative qui va se transposer en Franc-Maçonnerie spéculative aux XVIIème et XVIIIème siècles. » Les obligations des Francs-Maçons opératifs, lorsque la Franc-Maçonerie est devenue spéculative, se sont alors transformées en Loi Morale, les outils de la construction sont devenus symboles, et la promotion sociale des ouvriers bâtisseurs s’est transposée en volonté affirmée d’amélioration morale, spirituelle et matérielle de la société. La Franc-Maçonnerie a toujours voulu être un ordre initiatique traditionnel et universel fondé sur la Fraternité. Elle constitue une alliance d'hommes libres et de bonnes mœurs, de toutes origines, de toutes nationalités et de toutes croyances. La Franc-Maçonnerie a pour but déclaré le perfectionnement moral de l'humanité. A cet effet, les Francs-Maçons travaillent à l'amélioration constante de la condition humaine. Les Francs-Maçons se reconnaissent entre eux comme Frères et se doivent aide et assistance. Dans la recherche constante de la vérité et de la justice, les Francs- Maçons n'acceptent aucune entrave et ne s'assignent aucune limite. Ils respectent la pensée d'autrui et sa libre expression. Ils recherchent la conciliation des contraires et veulent unir les hommes dans la pratique d'une morale universelle et dans le respect de la personnalité de chacun. Ils considèrent le travail comme un devoir et comme un droit. Les Francs-Maçons doivent respecter les lois et l'autorité légitime du pays dans lequel ils vivent et se réunissent librement. Ils sont des citoyens éclairés et conforment leur existence aux impératifs de leur conscience. Ils veillent au respect des règles traditionnelles, us et coutumes de l'Ordre. Les Francs-Maçons, dans la poursuite commune d'un même idéal, se reconnaissent entre eux par des mots, signes et attouchements qu'ils se communiquent traditionnellement en Loge. Les Francs-Maçons s'associent entre eux pour constituer, conformément à la tradition maçonnique, des collectivités autonomes qui prennent le nom de Loges. Toute Loge se gouverne conformément aux décisions prises par la majorité des Maîtres Maçons, mais elle ne peut s'écarter des principes généraux de la Franc-Maçonnerie ni des lois de l'obédience à laquelle elle appartient. Ainsi est maintenu le caractère universel de l'Ordre Maçonnique dans le respect de la personnalité de chaque corps maçonnique national, dans celui de l'autonomie de chaque Loge et dans celui de la liberté individuelle de chaque Frère, afin qu'entre tous les Francs-Maçons règnent l'Amour, l'Harmonie et la Concorde. Les rituels maçonniques, pour être évolutifs, n’en sont pas moins les meilleurs outils de la tradition maçonnique. L’ouverture des travaux en loge, les cérémonies de réception ou d’initiation, les prises de parole, les symboles d’ancienne maçonnerie qui sont attachés à chacune de ces étapes puisent à la même source, qui fait qu’un maçon en voyage, même s’il ne comprend pas la langue, saura toujours ce qui se dit ou se réalise devant lui, saura toujours ce qu’on attend de lui. Malgré toutes les évolutions et l’apparition de rituels différents, nous pouvons imaginer qu’un maçon du 18ème siècle transporté à notre époque serait perturbé par beaucoup de nos comportements modernes sauf en loge où il retrouverait l’essentiel de sa pratique rituelle. Ce maçon voyageur dans le temps ne serait pas plus dépaysé que nous le sommes nous-mêmes lorsque nous visitons une loge en Inde, au Mexique ou à l’Île Maurice. Cette mesure du temps et de l’espace qui ponctue les rituels maçonniques garantit la permanence de l’idéal maçonnique dans le coeur de chacun. A chaque outil - l’équerre, le compas, l’étoile flamboyante, la disposition de la loge selon une géométrie cosmique - correspondent des valeurs dont la signification peut varier et c’est l’évolution normale, mais dont le fond reste identique parce qu’il est constitutif du Maçon. On y retrouve toujours le besoin de fraternité, l’ouverture d’esprit, l’idéal de perfection, l’introspection, et ces valeurs qui sont rassemblées, concentrées et codifiées en loge, appartiennent bien aux aspirations de tous les hommes de bonne volonté. Mais peut-on par tradition vraiment s’opposer à l’épreuve du temps ? Est-ce possible ou même souhaitable ? On peut vouloir lutter contre la fuite en avant d’une époque moderne, matérialiste, qui cache ses misères humanistes derrière des montagnes d’argent, des monceaux de biens possédés par quelques très rares privilégiés et des technologies galopantes. La destinée humaine n’est, quand on y réfléchit un tant soi peu, guère enviable : longue succession de guerres et de malheurs, inégalité fondamentale des hommes entre eux, tour de Babel de l’intolérance au quotidien. Le monde moderne semble avec délectation amplifier les tares humaines - guerres désormais mondiales, presque planétaires, inégalité érigée en principe socio-économique, intolérance mondialisée - sans que nous percevions la moindre amélioration de l’âme humaine depuis la plus lointaine préhistoire. On peut vouloir épargner certains îlots de l’humanité de cette triste modernité et, en maçonnerie, ne pas accepter la pénétration du monde dans ce que la tradition maçonnique nous a permis d’acquérir, au fil des ans. Vivre ainsi sur une île déserte, une planète vierge de toute pollution de notre morale maçonnique apparaît pour certains maçons la seule solution pour préserver l’idéal maçonnique. Dans ce contexte, le temps est réellement une épreuve à endurer, contre laquelle il faut lutter chaque jour pour échapper à son emprise. C’est une aspiration respectable qui court cependant le risque de l’isolement, de l’égoïsme collectif. Le temps est là, le monde est là et les maçons sont des hommes et des femmes au milieu des autres qui ne peuvent pas demeurer étrangers aux tourments de l’humanité pour se consacrer exclusivement au perfectionnement de leur seule personne. Par contre, la tradition maçonnique, en acceptant et en intégrant la modernité, aussi laide soit-elle, peut apporter la preuve de sa validité voire de sa nécessité actuelle. L’actualité de la tradition maçonnique, le désir d’un grand nombre d’intégrer cette famille ne prouve-t-il pas le bien-fondé d’une telle démarche dans le monde moderne ? C’est certainement en apportant la preuve de sa résistance au temps que la tradition maçonnique accomplira au mieux l’idéal des fondateurs, philosophes et humanistes du siècle des Lumières. C'est en 1732 que la première Loge française fondée à Paris reçut patente de la Grande Loge de Londres. Très rapidement, d'autres Loges françaises furent créées en province. En 1738 toutes ces Loges constituèrent la première Grande Loge de France. Cet ordre initiatique, travaille aux trois premiers degrés du Rite Ecossais Ancien et Accepté, qui en compte 33. La Grande Loge de France a adopté comme texte de référence les Constitutions d’Anderson et invoque, dans tous ses travaux, le Grand Architecte de l'Univers, expression symbolique d’un Principe Créateur, librement interprétable dans son for intérieur par chacun des membres de l'obédience. Les Constitutions d'Anderson ont été établies en 1723 par le Pasteur anglais James Anderson, lequel y affirme que la Franc-Maçonnerie doit être le centre de l'Union, cette union d'hommes d'origines, de confessions, de conditions sociales et de cultures différentes qui, sans la Franc- Maçonnerie, ne se seraient jamais rencontrés et appréciés. La Grande Loge de France n'impose aucune limite à la recherche de la Vérité et c'est pour garantir à tous les frères cette liberté, qu'elle exige de chacun une tolérance inconditionnelle. On pourrait penser que dans toutes les obédiences de la Franc-Maçonnerie la tradition rejoint la modernité au moins dans la spiritualité de la démarche maçonnique. Ce n’est pas toujours le cas ! on peut citer pêle-mêle l’obligation dans telle obédience de croire en Dieu ou l’interdiction faite aux femmes d’entrer en maçonnerie dans d’autres obédiences ou encore l’interdiction d’aborder les sujets politiques ou religieux…. Ces règles de fonctionnement sont même édictées par certaines des obédiences pour déterminer la régularité d’autres obédiences. Pourtant ces règles apparaissent à géométrie très variable et les obédiences les plus conservatrices, comme la Grande Loge Unie d’Angleterre, qui dénoncent toute évolution, ont elles-mêmes modifié leurs propres règlements de nombreuses fois au cours des deux derniers siècles. Ces évolutions sont évidemment dues aux situations socio-politiques que rencontrent les obédiences maçonniques à un moment précis dans leur pays. Comment, dans ce contexte, vouloir imposer des règles immuables au reste du monde maçonnique ? Faut-il alors suivre pas à pas les caprices circonstanciels des uns ou des autres ? Pourtant la maçonnerie qui nous rassemble, a pour principe de faire descendre l'homme en lui-même, afin qu'il découvre les dimensions de sa vie intérieure, sa place dans le cosmos, le sens de son destin. L'initiation en maçonnerie est une longue quête qui doit amener le Franc-Maçon, affermi dans sa démarche, à la conquête du Beau, du Vrai, du Juste, à la recherche de sa vérité intérieure. Pour cheminer dans cette voie, le Maçon doit travailler en utilisant la méthode maçonnique qui repose sur la compréhension et l'utilisation des symboles traditionnels. Pour être authentique et efficace, cette expérience initiatique ne peut exister qu'entre gens pratiquant la même méthode, soumis aux mêmes règles, se réclamant d'une tradition commune. Depuis sa réapparition à la fin du XVIIème ou au début du XVIIIème siècle, la Franc-Maçonnerie a conjugué tradition et progrès, philosophie et initiation, tolérance et approche de la vérité. Les Loges sont le lieu de la différence harmonieuse entre tradition et modernité. Là où le profane n’y verrait que de l’inconciliable, de la contradiction insurmontable, le Franc-maçon perçoit le différend comme l’harmonie des contraires, comme une infime partie du monde et de la vie. Ainsi en loge la tradition rencontre la modernité, la tolérance nous fait nous ouvrir vers la vérité. Mais attention, la tradition ne saurait se confondre avec le traditionalisme, et l’ésotérisme n’est en rien un intégrisme. C’est comme le secret des choses du maçon, ce n’est pas de l’occultisme mais plutôt le moyen de garder mémoire des choses traditionnelles, et l’imagination symbolique ou la puissance imaginale n’est en rien de l’irrationnel. La tradition du maçon peut se comprendre comme un fait spirituel et comme un fait culturel. Elle est en un sens ce qui distingue notre humanité de notre animalité : nous sommes humains par héritage, animaux par hérédité. L’histoire de la tradition ou plutôt des traditions est généalogie et non simple génétique. Cette généalogie n’exprime nullement la nostalgie d’un passé révolu ou d’un paradis perdu. Cependant les maçons ne sont pas seulement des dépositaires de la Tradition initiatique, ils sont aussi façonnés par l’état du monde dans lequel ils vivent, et comme tels ils sont confrontés aux mêmes problèmes spirituels que l’ensemble de leurs contemporains dans les sociétés qui sont les nôtres. Comme par le passé, ils doivent être vigilants à enfermer leurs secrets dans un lieu sûr pour ne pas être victimes du sectarisme des autres hommes. Méditons ces quelques faits : A Londres, une commission de la Chambre des communes a demandé la fin de la confidentialité des membres de la Franc-Maçonnerie. La Grande Loge Unie d’Angleterre a ainsi été menacée, si elle n'obtempérait pas, d'outrage au Parlement. La Grande Loge a bien sûr refusé. En son temps, Jacques Delors avait souhaité que les membres du Parlement européen et les fonctionnaires européens francs-maçons soient connus en tant que tels. Sa proposition avait jeté un froid et était restée sans suite. Cette tentation n'est ni nouvelle ni isolée, elle est à inscrire dans le dossier Tradition et modernité. Les francs-maçons ont souvent recherché une reconnaissance sociale, ce faisant ils ont rompu avec la perspective traditionnelle. En demandant à être reconnus par le monde profane en tant que francs-maçons comme acteurs sociaux, ils se sont évidemment exposés à des exigences profanes. Dans notre démarche initiatique, souvenons-nous que l'action sur l'homme passe avant l'action sur les sociétés. C'est exactement l'inverse de la démarche politique, pourtant indispensable dans toute société qui se réclame de la démocratie. Notre travail initiatique se fait au niveau des loges. Elles doivent inciter chacun à prendre conscience de soi, de ses problèmes, de ses aspirations, et à se reconstruire soi-même. Attention, pas de méprise sémantique, je n'ai pas dit construire l'homme, on a vu le résultat de doctrines totalitaires qui prétendaient changer l'homme. Nous ne devons pas nous considérer comme des pédagogues, il n'y a pas véritablement d'enseignement maçonnique, car il n'y a pas en fait de contenu à apprendre, il y a une méthode à appréhender. Au dessus des loges, l'obédience a pour mission d'intervenir dans la société, mais pas n'importe comment. Nous devons nous abstenir de toute intervention politique directe. Mais nous devons nous réserver le droit d'intervenir chaque fois que nos valeurs, qui sont celles des droits de l'homme, sont menacées. Notre action dans la société doit d'abord être culturelle. La Franc-Maçonnerie a pour but la fraternité entre tous les hommes, le perfectionnement de l’être humain et le progrès de l’humanité. N’étant ni église, ni école, la Franc-Maçonnerie ne doit souscrire à aucune doctrine, ni à aucun dogme. Elle prône la tolérance et contribue à la grandeur de l’être humain, dont l’aventure la plus héroïque est de pouvoir devenir un homme. Le travail de la Loge consiste à concilier savoir et connaissance, tradition et modernité et à participer à l’enrichissement spirituel et humaniste de notre temps. En conclusion, je pourrais résumer que la Franc-Maçonnerie moderne doit pouvoir concilier une tradition ancestrale avec un humanisme moderne. J’ai dit T\ V\ M\ E\ O\ |
7450-1 | L'EDIFICE - contact@ledifice.net | \ |