Obédience : NC Loge : NC 05/01/2011


Déisme et Théisme

La Franc-Maçonnerie au XVIIIème  Siécle

Les différents travaux de notre Loge nous ont conduits à nous intéresser à l'histoire mouvementée des débuts de la Maçonnerie spéculative et plus particulièrement à toutes ses implications dans ce siècle dit "des Lumières" si riche et si déterminant.
Le sujet de Dieu immanent ou transcendant est complexe et important, j'en resterai aux origines de ces schismes du début du siècle, m'arrêtant avant les prémices de la révolution.
Et sachant que toute religion doit demeurer du domaine privé, je tenterai de m'en tenir aux faits; et qui sont d'ailleurs ardus à démêler.

Ces termes, déisme et théisme, sont au départ rigoureusement les mêmes: le premier est latin et le second grec et sauf erreur… ils sont tous les deux relatif à Dieu, être suprême.

Le distinguo du concept ne vient ensuite que de ce que les hommes ont voulu en faire et en imposer.

On se souvient des graves problèmes de la fin du règne de Louis XIV, la révocation de l'édit de Nantes[1] et en Angleterre la lutte des jacobites et des orangistes obligeant entre autre la famille de Desaguliers à quitter la France et rencontrer par la suite le pasteur James Anderson avec qui il rédigera une partie des constitutions.
Ces hommes de réflexion, rejetés par les catholiques fondamentalistes, vont tout normalement continuer la démarche anglaise vers plus de liberté spirituelle.

Mais avant de comprendre le cheminement religieux d'un maçon du début du 18ème siècle, essayons de faire le point sur le poids de la religion à la même époque.

Quels sont les valeurs appliquées par l'ensemble de la population en grande majorité inculte et ignare  ?

Le principe en est simple et clair : l’homme a été créé par Dieu pour obéir à Dieu. La volonté de Dieu lui est transmise par des intermédiaires religieux qu’il ne peut ni ne doit discuter. En tête, le pape, chef absolu des cardinaux et des évêques qui eux transmettent au clergé les directives et la gestion de la foi pour son application par tous.

Les pouvoirs sont partagés entre royauté et religion. (le tiers état et la bourgeoisie ne sont même pas évoqués). Les rois sont « oints de Dieu » et tiennent de Lui une puissance absolue dont ils n’ont de compte à rendre qu’à Dieu. Seule l'obéissance est accepté. Le Roi use, parfois abuse, de son droit, c'est l'ordre contre le désordre. En obéissant au roi, ses sujets obéissent à Dieu et à ses dogmes.
Ce puissant dogme religieux est identique en Europe occidentale et ce jusqu'à l'explosion du protestantisme. Toute cette croyance pourra être invoquée sous le terme de théisme.

Mais l'Angleterre, à partir de  1689, suite à la "bill of rights"[2], qui voit la mise en place de la royauté constitutionnelle, fera une approche d'une religion dite "naturelle" qui portera quelques décennies plus tard le surnom de déisme. Cette recherche de vérité et de réflexion mènera lentement à cette notion de Dieu non omnipotent, avec un nouveau concept de tolérance et de simplicité naturelle.

Les premiers, les philosophes anglais[3] ont tenté de comprendre les contradictions existantes entre foi et raison. Pour le déiste, Dieu, une fois la création achevée, n'intervient plus dans le cours de l'histoire du monde. Ca éloigne l'idée de la religion révélée, surnaturelle et miraculeuse au profit d'une religion où l'homme est en relation directe avec l'Eternel et où la tradition n'a plus besoin d'être écrite.
Anderson, fils de maçon écossais, maçon lui-même, suivra les principes de Newton et de sa philosophie naturelle et rationnelle qu'il appelle la "religion primitive" mais où Dieu reste le grand ordonnateur de l'univers et de la vie. Lui, Newton qui comprendra les lois de la gravitation, sera intimement persuadé que l'agencement des planètes n'est pas du au hasard. Il pense que Dieu reste une révélation, en cela il est théiste. Il ne croit plus au dogme de la trinité et considère que la bible n'est plus si importante dans ce manifeste et alors il est déiste.
Preuve s'il devait en avoir une que ces deux interprétations, parfois se chevauchent.

Mandaté en 1721 par la toute jeune Grande Loge, James Anderson, avec l'aide de Desaguliers, pourra, afin de rassurer tant le pouvoir religieux que royal et sans soulever de tollé, écrire en 1723 dans son 1er article des constitutions qu'il n'est plus nécessaire de pratiquer la religion du Pays.
Il me semble utile de lire une partie de cet article 1er  des constitutions :
«  Un maçon est obligé, d'obéir à la loi morale. S'il entend bien l'Art, il ne sera jamais un athée stupide ni un libertin[4] irréligieux ». Si, dans les temps anciens, les maçons étaient obligés, en tous les pays, de suivre la religion de ce pays ou de cette nation, on juge plus commode de nos jours de ne les obliger qu'envers la religion sur laquelle tous les hommes se mettent d'accord, laissant à chacun la liberté de ses opinions personnelles[5].
En 1723 pas encore de notion de Grand Architecte informel, mais comme le précise Anderson, les athées[6] ne sont pas reconnus. Durant tout le siècle et au moins jusqu'à la révolution personne n'est supposé être athée. A la limite pouvait on être panthéiste ou déiste.

Le panthéisme est naturaliste.  Sa définition : "Dieu est tout" ou alors "tout est en Dieu."
Sans pouvoir développer l'idée de Spinoza[7] pour qui Dieu et la nature font Un ou reprendre l'idée de notre bien aimé Giordano Bruno, qui précisait "Le monde est infini parce que Dieu est infini. Comment croire que Dieu aurait pu se limiter lui-même en créant un monde clos et borné " qui pour ces propos fut brulé vif[8].
Le déisme devient rapidement en Angleterre un refus de l'autorité et l'église d'Angleterre n'est pas contre et ne se heurte pas de front à ces nouvelles interprétations libertaires. Elle suit ce mouvement déiste qu'on nomme aussi latitudinaire, signifiant " avec plus de liberté", avec tolérance dirait-on aujourd'hui, tout en conservant tout de même, le dogme de la sainte trinité. Preuve de l'irrationalisme de ces mouvements perpétuellement en recherche.
Il faut préciser que l'Angleterre et ses églises anglicane ou presbytérienne n'aiment pas les polémiques de styles latins ou romains. Elles sont indifférentes aux pures questions théologiques et par là très opposées aux habitudes de la religion catholique continentale qui débat sans cesse sur toutes les affres de la foi.
Pour les Anglais, la religion sert à donner une moralité aux hommes. Il n'y a donc pas de conflit religieux quand Anderson écrit son article premier. Les esprits sont prêts.

Mais alors, et le Théisme !
Y aura-t-il une sorte de contre-réforme face à la montée de ces libres penseurs désirant s'émanciper du joug de Rome ?
Oui et non comme toujours.

En 1753 se crée toujours en Grande-Bretagne les Anciens,  le titre officiel: la "Grande Loge des Francs et Acceptés Maçons de l'Ancienne Institution", issue de la loge d'York , en contrepartie, celle de 1717 quoique plus vieille, sera nommé les modern. Ce n'est pas une scission, mais une véritable création. La majorité des membres de cette nouvelle obédience est d'origine irlandaise  fuyant déjà leur ile pour famine et guerre et qui en tant que catholiques se voient mis à l'écart par les Anglais.
Ces iliens considèrent les maçons de la lignée andersonnienne bien sur comme des déistes trop tolérant et se radicalisent en loge théiste, intégriste dirait on aujourd'hui si on voulait la comparer à la fronde de monseigneur Lefebvre et de sa fraternité saint Pie X.
Ils conserveront en souvenir de cette loge mère le nom de rite d'York basé sur la bible. et ses légendes. Ils reprochent aux modern d'avoir abandonné les prières et les règles strictes des "Old Charges". Leur règlement précise :" un maçon est obligé de croire fermement et d'adorer fidèlement le Dieu éternel." On ne peut être plus théiste.[9]
Position encore valable aujourd'hui pour la Grande loge unie d'Angleterre.

L'Angleterre[10] et son Habeas Corpus accepte la pluralité des religions et des sectes. Il n'y a ni hostilité ni opposition à la F\M\ de la part des anglicans et des presbytériens.
Ces deux obédiences se développeront conjointement et porteront en Europe et plus particulièrement en France ces deux courants. Le succès est rapide. La diffusion des idées est lancée.
Les deux lignes de pensée, déiste et théiste, passeront en France avec les Jacobites fuyant leur ile. Mais la France n'est pas l'Angleterre et les deux mouvements, séparés en Angleterre, vont souvent  se mélanger dans des ateliers composés d'aristocrate et de bourgeois, mais aussi de plus en plus de membres du clergé et ce jusqu'à ce que la hiérarchie papale mette un frein brutale à ces idées contestataires.

En cette année 1738, la bulle du pape Clément XII , "In eminenti apostolatus specula" est un véritable choc; je vous en lis quelques lignes ;

"Nous avons appris, par la rumeur publique, qu'il se répand à l'étranger, faisant chaque jour de nouveaux progrès, certaines sociétés, assemblées, réunions, agrégations ou conventicules, appelés communément du nom de Francs-Maçons ou d'autres noms selon la variété des langues, dans lesquels des hommes de toute religion et de toute secte, affectant une apparence d'honnêteté naturelle, se lient entre eux par un pacte aussi étroit qu'impénétrable, d'après des lois et des statuts qu'ils se sont faits, et s'engagent par serment prêté sur la Bible, et sous les peines les plus graves, à couvrir d'un silence inviolable tout ce qu'ils font dans l'obscurité du secret.
Nous avons conclu et décrété de condamner et d'interdire ces dites sociétés par Notre présente constitution, valable à perpétuité" confirmé ensuite par une deuxième en 1751 du pape Benoit XIV , Providas romanorum,[11] qui interdisent aux catholiques, c'est-à-dire à 95 % de la population l'accès à la F\M\. La papauté frappe large sans vouloir distinguer ni courants ni sensibilité. La Grande Bretagne est surprise par tant d'animosité mais reste indifférente alors que l'Europe est atteinte de plein fouet..

Joseph de Maistre depuis sa loge de Chambéry a pu répondre : "nous sommes surs dans notre conscience que le secret maçonnique ne contient rien de contraire à la religion et à la patrie"[12].Le Vatican ne transigera jamais et ce jusqu'à aujourd'hui. L'Italie, l'Espagne, le Portugal souffriront énormément de ces diktats papaux. La France moins car ces actes pontificaux se seront jamais enregistrés par le Parlement de Paris. Il n'y aura pas d'excommuniés en France.
Mais la France qui affirme dans le développement des  loges, un équilibre confessionnel ou tant de membres du clergé avaient demandé la lumière, verra petit à petit ce nombre de prêtres maçons diminuer pour bien sur à la révolution devenir quasi nul.  Ils ne reviendront jamais en Loge.
Les papes dans leur grande ignorance de la Franc-maçonnerie faisaient grief que : " des hommes de toute religion affecte une apparence d'honnêteté naturelle" et "que tels des voleurs ou des renards ne pervertissent le cœur des simples"[13].

Le pasteur Anderson, lui, toujours en recherche de cet idéal de déisme, précisera dans la nouvelle version de ses constitutions en 1738, faire référence à la légende biblique de Noé et mettra en avant trois préceptes de l'ancien testament :
Interdire les idoles
Interdire le blasphème
Interdire la mise à mort.
Mettant dans ses propos encore plus de tolérance que dans la version précédente et se gardant bien aussi d'aller trop loin dans cette doctrine déiste, voulant garder la main sur une plus grande ouverture. " un maçon comprend que Dieu ne voit pas comme l'homme, car l'homme regarde les apparences extérieures, mais Dieu regarde le cœur"[14].

Les loges françaises marient religion et rite maçonnique. Le carême est respecté, Jean l'évangéliste et Jean le Baptiste sont fêtés. Le tronc de la veuve est parfois donné à la paroisse.
Le poids de la religion coutumière reste très lourd. Les idées nouvelles pénètrent lentement en Province[15] et se heurtent à un traditionalisme conséquent, mais n'oublions pas qu'en ce début de siècle peu de personne ont accès à la simple lecture ou à l'écriture. Les loges ont été organisés, fréquentés par des hommes qui, au lieu de se contenter de vivre et d’accepter, ont voulu lire, comprendre, discuter, s'enrichir de nouveautés tout en étant respectueuses de la religion et du roi. On vient en loges pour se sortir du quotidien. Les distractions sont rares ou nulles dans les petites et même dans les grandes villes. « Que voulez-vous que je vous dise, écrit notre président dijonnais Charles de Brosses en 1744 : « Pendant vingt ans que j’ai fréquenté les loges des francs-maçons, je n’ai jamais entendu un mot d’opposition, même de froideur sur les droits et intérêts du roi... Dans toutes les loges, on ne laissait jamais échapper aucune occasion de faire l’éloge du roi. »
L'accélération du partage des idées religieuses se fera jusqu'à la révolution. Les maçons, à ce titre seul, n'en seront pas les instigateurs. C'est la révolution qui influencera la maçonnerie et non pas le contraire, comme on aimerait parfois s'en référer.
Peut-être un autre travail

J'ai dit, V\M\

B\ P\ 

[1] en 1685
[2] Déclaration des droits suite à la glorieuse révolution
[3] Charles Blount, John Toland, Anthony Collins
[4] Libertinus, esclave libéré.
[5] Suite de l'article : "Cette religion consiste à être hommes de bien et sincères, hommes d'honneur et de probité, quelles que soient les dénominations ou les croyances qui puissent les distinguer. Ce en quoi la maçonnerie devient le Centre de l'Union et le moyen de réunir, par une vraie amitié, des gens qui sans elle seraient à jamais restés étrangers."
[6] Athéos : qui ne croit pas aux dieux
[7] l 'immanence par opposition à la transcendance
[8] Tout à ses convictions, il ne s'est jamais renié « Je ne crains rien et je ne rétracte rien, il n'y a rien à rétracter car je ne sais pas ce que j'aurais à rétracter. ».
[9] Le schisme s'arrêtera en 1813 avec la création de la grande loge unie d'Angleterre
[10] Pas d'habeas en Irlande ou en Ecosse
[11] Les bonnes choses aiment toujours la publicité, les crimes se couvrent du secret. La troisième est le serment qu'ils font de garder inviolablement ce secret, comme s'il était permis à quelqu'un de s'appuyer sur le prétexte d'une promesse ou d'un serment, pour ne pas être tenu, s'il est interrogé par la puissance légitime, d'avouer tout ce qu'on lui demande afin de connaître s'il ne se fait rien dans ces conventicules qui soit contre l'État et les lois de la religion ou du gouvernement.
[12] Mémoire au duc de Brunswick
[13] Clément XII
[14] Constitutions version 38
[15] En 1740 les œuvres de Voltaire sont saisies

7476-1 L'EDIFICE  -  contact@ledifice.net \