Le Chemin de
Saint Jacques
Si tu le veux vraiment, l'Univers entier
favorisera la réussite de ton projet
Sois assuré qu'il y a autant de chemins que
de cheminants.
Pars randonneur, tu arriveras pèlerin.
Fais le premier pas, le Chemin fera le reste.
C'est ce
que dit la légende et la légende dit vrai.
En marche, ne pense pas. Médite.
Ne t'arrête pas. Ne reviens pas en
arrière.
Aime ce que tu rencontres. Ne t'attache
à rien.
Regarde, sent, écoute, ris, pleure, chante,
souffre, jure…
Un jour la prière montera
à tes lèvres.
Mange, bois, partage…l'envie te viendra de
communier.
Connais l'épreuve de la terre, de l'air, de
l'eau et celle du feu.
Laisse-toi dissoudre et consumer.
Sur le chemin, dans les vallées, sur les
sommets, sois toi.
Ici on ne trompe que soi.
Au terme sois fier d'avoir pu réussir,
d'avoir dépassé tes limites,
d'avoir vaincu tes
peurs, d'avoir...
Mais, n'oublie pas qu'il t'est arrivé
d'être lâche.
N'oublie pas tout le reste…
Arriver…c'est renoncer !
Un proverbe chinois
assure que :
« l'ombre du promeneur ne
trouble pas le sable du fond de la rivière ».
Qu'en est-il du pèlerin sur le Chemin ?
Qu'en est-il de
l'homme dans le monde ?
Se préparer soigneusement pour renforcer la
motivation
Se faire confiance à
soi-même et penser que des millions d'autres l'ont fait avant
soi et que beaucoup d'autres millions le feront encore. C'est
ainsi que j'ai rencontré un gamin de 13 ans et un couple de
Suédois de 77 et 72 ans. J'ai 60 ans et je suis proche du
quintal.
Soutenir sa marche par un projet : sportif, culturel, touristique,
religieux, spirituel, philosophique…tout est possible.
Le mien était de retrouver tout au long de mon parcours le
CHRISME symbole de l'antique Compagnonnage.
Choisir son chemin. Les classiques par Paris,
Vézelay, Le Puy-en-Velay, Arles. Un
inédit « la Route des Etoiles » en
suivant la Voie Lactée (suppose d'avoir
l'expérience de la marche de nuit en forêt, de la
marche d'orientation à la carte et à la boussole
et de ne pas craindre le bivouac « en dur »). Parti
de Vézelay, j'ai rejoint Compostelle par :
Saint-Étienne, Le Puy-en-Velay, Mende, Castelnaudary, Foix,
Aulus-les-Bains, le Port (col) de Salau (limite frontière
Andorrane), celui d'Espot et le Parc National D'Aigüetortes,
Pont de Suert, Campo, Ainsa, Fiscal, Sabinanigo, Jaca et le «
Camino Frances ».
Tracer un itinéraire précis et
construire son journal de marche. J'ai utilisé «
Le guide de la France routière et
Touristique »
édité par Sélection du Reader's
Digest, les cartes IGN au 1/100 000 et les Topo-Guides de la
Fédération Française de
Randonnée Pédestre. Pour l'Espagne les cartes
françaises du massif pyrénéen et «
El Camino de Santiago »
édité par EL PAÏS AGUILAR (existe en
français).
Le journal de marche doit être
établi jour par jour. Noter : points de départ et
d'arrivée, points de passage, lieux remarquables, points de
repères, n\ des GR, chemins et routes, points de
ravitaillement et d'hébergement (plusieurs en secours).
Noter le kilométrage à parcourir ainsi que le
temps de marche (pauses comprises). Se baser sur 20-25Km en moyenne et
7-9 heures de marche (en terrain moyen on compte en Km, en montagne en
heures et dénivelé sur la base de 300 m
à l'heure). En cas de marche de nuit disposer d'un
« Planiciel » (facilite le repérage des
étoiles et l'orientation).
Préparer ses hébergements.
Hôtels économiques, gîtes
d'étapes ou de pèlerins, Auberges de jeunesse,
chambres d'hôtes, amis, relations, monastères,
couvents, paroisses, agriculteurs, bivouacs, rencontres…tout
est possible…c'est affaire de budget. Mis
à part les gîtes d'étapes que j'avais
inscrits sur mon journal de marche…j'ai fait confiance
à ma bonne étoile. J'ai ainsi dormi au hasard de
rencontres fraternelles chez l'habitant, dans des
monastères, des paroisses, à l'hôtel,
en chambre d'hôtes… Sauf en
hôtel ou en gîte où le prix est
déterminé…je me suis fixé
la règle, toujours respectée, de laisser une
« obole » au moins égale au prix d'une
étape en gîte. Les hôtes
apprécient et en font ce qu'ils en veulent (toujours le dire
avant d'accepter l'invitation et le poser comme une règle de
route).
Choisir le matériel. FAIRE LA CHASSE AU
GRAMME DE TROP. Cinq éléments clés :
chaussures, sac à dos, duvet, abri de fortune, chapeau large
bords.
Chaussures doivent être « sérieuses
» (mon choix 1/2 pointure de plus que le pied,
chaussettes 1/2 pointure de moins que le pied pour limiter la formation
des ampoules, éviter les chaussettes double peau,
préférer le tricotage fin). Compter un
investissement de F 800 à 1200.
Sac à dos 60-80 litres (mon choix : type
armée française doublé
imperméable, solide et léger - (dans les surplus
militaires) - coût F 350).
Duvet ultra léger (mon choix : 5-700 grammes, limite
à 0°, plus matelas pneumatique auto gonflable (poids
350 grammes) et couverture de survie) - coût environ F 800.
Abri de fortune (mon choix : deux ponchos militaires
agrafables (utilisation en cape de pluie et abri de fortune -
très utile en cas de coup de torchon)).
Pour le reste : deux shorts, deux chemises manches courtes, 3 slips,
3-4 paires de chaussettes, 1 veste blouson coupe vent
doublée mais légère, 1 pantalon de
ville léger, 1 serviette de toilette, savon non
parfumé (les odeurs attirent les insectes),
brosse à dent, dentifrice à mâcher,
couteau type Opinel, sifflet, ficelle (fine, 10 m), quelques pinces
à linge, mini trousse de couture, couverts de table, quart,
poêle assiette (en alu), pharmacie
légère (bétadine, aspirine,
crème pour les pieds, aspivenin - Eviter
crèmes solaires ou de beauté, anti-insectes,
anti-transpiration, rasoir… et sur-peau pour ampoules
(ça a failli me coûter un orteil)),
lampe électrique frontale, boussole, sandalettes
légères, guêtres ou sur-chaussettes...éventuellement
téléphone portable (utile surtout sur
parcours inédits). Budget global de F 3-4000
(hors portable). Pour la gourde le mieux me paraît
être le sac thermo et la bouteille 1,5 litre plastique. Pour
ma part, j'ai marché en short, chemisette et sur-chaussettes.
S'entraîner avant ou pas ? J'ai tendance
à penser que ça ne sert à rien d'autre
que de faire les chaussures.
S'assurer : Indispensable. Assurances
personnelles plus assurance spéciale FFRP.
Adhérer à la Société des
Amis de Saint Jacques, demander la Carte de Pèlerin qui
permet de valider le parcours et d'obtenir, au terme, le fameux
diplôme ou « Compostela ».
Bâton ou pas? Coquille ou pas ? Réponse oui. Ne
pas s'embarrasser d'un « bourdon » lourd et cher. Mon
bâton était une simple jetée de
hêtre séchée sur ses
extrémités au feu de bois (conserve la
sève, donc la souplesse, et durcit les pointes). Tenu, le
pouce sur l'extrémité supérieure,
l'avant bras doit être horizontal. Si possible l'une des
extrémités doit être fourchue (la
fourche déroute les chiens agressifs et permet de fixer un
serpent au cas où…). Normalement la
coquille est l'attribut du pèlerin de retour. J'en
avais fixé une sur mon sac à dos. Outre qu'elle
me fut d'agréable compagnie, elle a attiré vers
moi de nombreuses aides spontanées. Elle permet
également de se signaler aux anciens pèlerins qui
ne manquent jamais d'apporter un coup de pouce. Mon bâton et
ma coquille sont les deux objets les plus précieux que j'ai
ramené de mon voyage.
S'engager sur le Chemin
100% de préparation + 100% d'inconscience + 100%
d'adaptation au terrain et aux circonstances.
Fais le premier pas dit la légende, le Chemin fera le reste.
La légende dit vrai. Le Chemin offre tout et plus
encore…mais rien n'y est jamais gratuit. N'y cherche pas de
réponses ailleurs qu'en toi même.
Partir pour 1 kilomètre ou pour près de 2000 ?
Partir, et accepter d'être autre que ce marin de Gibraltar
qui n'a jamais voyagé que par procuration, partir et ne plus
être la sentinelle du Désert des Tartares.
Partir, et s'accrocher à la chaîne
multimillénaire des pérégrins.
Partir et lâcher prise. Sortir de son confort, de ses
habitudes matérielles et physiques, de ses
schémas spirituels et mentaux, de ses certitudes. Se mettre
en danger de nouveauté. S'en remettre à l'autre,
aux autres plus qu'à soi-même.
Etre clair sur ses motivations. Etre humble face à la nature
et à soi-même (on apprend vite
à le devenir). Apprendre à dire oui et
merci (là aussi ça vient vite). Si
j'ai assez facilement franchi les Pyrénées, alors
que je ne suis pas montagnard ; si je me suis assez bien sorti d'une
traversée de sierra hasardeuse ; c'est à la
douceur de la Nature que je le dois. Face à elle mes
aptitudes personnelles ont été peu de chose.
Avoir toujours en perspective que le but c'est d'abord le chemin. Mais
c'est aussi d'arriver…entier. Ecouter avec attention son
corps et l'avis des gens du pays (surtout en montagne).
Savoir clairement ce qui est essentiel ou accessoire, ce sur quoi on
peut transiger, ce sur quoi on sera ferme quoiqu'il en coûte.
Un pas + un pas…2000 Km…entre 4 et 5 millions de
pas !
Ce premier pas, dans le petit matin lumineux et frais
de Vézelay, après une extraordinaire
soirée en compagnie des moines et moniales dans la
basilique, après une courte nuit à l'Auberge de
Jeunesse, après 40 ans de vie professionnelle…
Qu'est-ce que je fais là et pourquoi ? Ces questions je me
les pose encore. Mais…ce premier pas…à
jamais gravé…
Fais le premier pas… ULTREÏA.
Pour bien marcher il faut V.E.N.T.I.L.E.R.
Sauf altitude, coup de froid ou pluie une chemisette et un short
suffisent. Garder le pull pour le soir. En ville, le soir, au
restaurant, il vaut mieux être présentable
(pantalon, chemisette, pull).
Toujours être I.M.P.E.C.A.B.L.E. Propre sur soi.
Pas de tenue sale ou mal ficelée, de sacs ou objets
brinquebalants. De la rigueur…c'est la clé
d'accueils spontanés, ouverts et chaleureux. Il m'est
même arrivé d'être
spontanément pris en stop sur la route (souvent
inévitable) par des dames seules. Etre propre c'est aussi
ramasser ses déchets, éventuellement ceux des
autres.
Bien se nourrir. Le matin petit déjeuner
aussi complet que possible. Dans la journée fruits secs,
fruits frais, pain, fromage, éventuellement un peu de jambon
blanc. Le soir repas normal à base de sucres lents. Le vin
c'est très bon - ne pas en abuser- la bière aussi
(facilite l'élimination de certaines toxines). En marche
boire de l'eau - entre trois et cinq litres par jour - refaire le plein
aussi souvent que possible pour garder l'eau fraîche -
éviter de s'approvisionner dans les ruisseaux et les
torrents (risques de contamination même en altitude).
Les principaux dangers du Chemin : ils viennent de soi (fatigue, hors
limites, chutes, imprudence, notamment le feu), des chiens
(éventuellement avoir sur soi un bip à ultrasons
qu'on trouve dans les armureries), et, sur la route, des automobilistes
- toujours marcher à gauche pour faire face à la
circulation - la nuit avoir une lampe électrique
allumée. Attention aux poids lourds, leur vent risque de
déséquilibrer. En forêt attention aux
cavaliers, « vététistes » et
autres motards verts, il est rare de les entendre venir. Sous la pluie,
la tête dans la capuche du poncho on n'entend plus rien.
Vivre les joies et les peines du Chemin
C'est un Chemin extraordinaire fait par des gens ordinaires pour
d'autres gens ordinaires. Mais :
Si tu n'es pas prêt à te réjouir de
tout, de rien ; si tu n'es pas prêt à souffrir,
à pleurer peut-être, reste chez toi, ne pars pas.
Comment te dire mes rencontres ? Comment te parler de ce
couple de pharmaciens du Morvan qui a été mon
premier accueil et de leur étonnante collection de dessins
à la plume d'Henri Vincenot ; de cette rencontre avec des
jeunes enfants en retraite de communion à AUTUN ; de ce
caviste du Beaujolais et de son Brouilly ; des Soeurs du Couvent de la
Paix à MAZILLES, si jeunes, si fragiles et si fortes qui
m’ont ouvert leur porte pour une nuit ; de celles du Couvent
de la Visitation à SAINT ETIENNE qui ont soigné
mes pieds et leurs ampoules infectées ; des «
Marcheurs à l’Etoile »
qui m’ont reçu ; de cette famille des environs de
Lyon qui m'a accueilli pour une soirée et une nuit, comme
ça, au simple vu de ma coquille ; des Dominicains du
monastère de L’ARBRESLES construit par LE
CORBUSIER et à son étonnant oratoire en forme de
pierre cubique à pointe ; de ce maire et de ses conseillers
qui m’ont copieusement nourri dans un petit village du LARZAC
dont l’épicerie venait de fermer
définitivement ses portes ; de mes amis du CREUZOT, de SAINT
AGREVE, de CASTRES, de LACAUNE, de CARCASSONNE, de FOIX qui
m’ont accueilli, à ceux de PAU
rencontrés sur le chemin et avec qui j’ai
marché plusieurs jours ; de cet interne du service des
urgences de CASTRES qui m’a refait des pieds neufs en une
nuit ; de ce guide pyrénéen qui, sur mes
indications, et pour le simple attrait de cette aventure, a
étudié pour moi l'itinéraire de
traversée de ces montagnes qui m'étaient
étrangères ; de ces jeunes espagnols fous de
montagne qui m’ont aidé à franchir un
passage dangereux ; de ce médecin de PUENTA DE LA REINA
à qui je dois peut-être de ne pas avoir
laissé un petit orteil sur le chemin ; des moines du
monastère de la MERCI à SARRIA ; de ces
automobilistes qui m’ont permis de terminer des
étapes quelques fois éprouvantes et bien longues
; de ces vieux espagnols qui sont simplement venus me toucher le bras
en me souhaitant bon voyage, c’était pour eux une
bénédiction car le pèlerin est un
dispensateur de grâces. Il y a encore beaucoup
d’autres mains offertes que je ne peux pas toutes citer ici.
Elles restent chères à mon cœur.
Comment te dire aussi mes difficultés, mes
peines ? Je me souviens que dans les Auberges de
Pèlerins j'ai plus souvent entendu parler de performances
kilométriques que de recherche personnelle. Comment
réunir les conditions du repos et de
l’élévation spirituelle dans des
dortoirs de 60 à 80 lits où la toilette se fait
au su et vu de tous dans la promiscuité hommes, femmes,
enfants ? Je ne parlerais pas ici de ces gîtes
d’étapes français où la
crasse est telle qu’elle provoque d’abord un
mouvement de recul, ni de ceux situés au diable, loin de
tout, comme si le marcheur devait être
relégué loin de ceux qu’on nomme les
braves gens.
Bien sûr qu'il y a aussi des gîtes
d‘étapes et des auberges de pèlerins
remarquables par la qualité de l’accueil et de
l’hébergement (pour mémoire les
meilleurs : Auberge de Jeunesse de Vézelay et du Puy,
gîte d'étape de Saint-Julien-Chapteuil, de
Saint-Alban-sur-Limagnole, de Saugues, de Viala-du-Pas-de-Jaux, de
Font-Bruno, d'Aulus les Bains, de Salau et de quelques auberges de
pèlerins en Espagne).
Je pense aussi à tous ces passants
croisés l’espace d’un instant et dont il
faut subir sans réagir les moqueries ou à tous
ces automobilistes plus près de m'envoyer au
fossé que de faire un écart et qu’il
m'a fallu menacer d’un coup de bâton dans la
carrosserie pour préserver ma
sécurité. Je pense à ces conducteurs
de poids lourds qui assourdissent le piéton à
grands coups de double ou triple tons plutôt que de
lui faire un appel de phares. Je pense à bien
d’autres choses encore, mais à quoi bon ?
Je pense encore à tous ceux qui souillent la
terre de leur seule présence en abandonnant en tous lieux, y
compris dans les plus sacrés et dans les plus beaux, leurs
papiers gras, leurs boîtes de conserves ou de boissons
rafraîchissantes, leurs déjections. A tous les
explorateurs du dimanche qui défoncent les chemins en 4*4 et
qui empuantissent les bois les plus sereins de leurs gaz
d’échappement. A ceux qui ne savent pas mettre
leur « bagnole »
ailleurs que sur les sites les plus remarquables. Aux motards et «
vététistes »
qui confondent les sentes forestières avec des circuits
d’enduro. La Nature, le Principe, Dieu fassent
qu’un jour nos enfants et leur descendance n’aient
pas à payer chèrement le prix de nos
inconséquences présentes.
Le vrai du Chemin
Ou plutôt ce que j'en ai perçu
Comment te dire le vrai du Chemin ? Sur le chemin des
étoiles, on redécouvre vite que la nature est un
tout et qu’il y a des liens d’évidence
entre le plus petit des insectes et la plus grande des
étoiles. C’est ainsi que je suis
surpris à déplacer le pied pour ne pas
écraser un coléoptère, à
sauver de la noyade une abeille, à ramasser soigneusement le
moindre détritus, à faire le ménage
pour les autres, à suivre les papillons ou les conseils
chantés d’un oiseau, à observer les
animaux des champs, à retrouver les amorces de chemins dans
l’inclinaison des herbes ou dans les différences
de leurs teintes. C’est ainsi que j'ai réappris
à marcher en silence et à
préférer les grands espaces à
l’irrespirable atmosphère des villes...si belles
soient elles.
Comment te dire qu'il te faudra gravir des
côtes en formes de murs et dévaler des pentes
abruptes. Parcourir des chemins enchanteurs et d’autres en
forme d’enfers, remplis de petits cailloux instables. Avaler
des kilomètres de bitume chauffé à
fournaise par le soleil. Recevoir des trombes d’eau sur la
tête. Cuire sous un soleil de tous les diables. Transpirer
des litres de sueur au point d’avoir les joues et les
lèvres brûlées par le sel.
Connaître des déserts et des forêts
profondes, des lieux propices à
l’élévation de l’esprit, des
églises et des monastères aux cloîtres
et aux ombres rafraîchissants. Voir des villages riches et
d’autres où la misère paraît
omniprésente. Passer par là où, il y a
quelques mois, tu n'aurais même pas imaginer passer. Croiser
des hommes et des femmes, de toutes sortes : Français,
Espagnols, Allemands, Danois, Anglais, Belges, Suisses, Italiens, de
très riches et d’autres très pauvres.
Beaucoup d’entre eux se feront accueillants au
pèlerin que j'étais. Je ne peux pas tous les
citer ici, leurs visages sont encore présents à
ma mémoire.
Comment te dire la dissolution des illusions ? Illusion
ma capacité à réaliser pleinement le
programme que je m’étais fixé.
Retrouver sur les églises romanes de mon parcours la
présence du CHRISME. Il est vrai qu’en France
aussi bien qu’en Espagne tous ces édifices ont
subi beaucoup d’outrages entre les guerres et les
restaurations qui jalonnent leur histoire.
Illusion mes 500 Km d’entraînement
préalable qui n’ont servi ni a vraiment
m’endurcir ni à m’éviter la
souffrance des pieds qui est le tribu payé par tous les
pèlerins. Illusion ma capacité a supporter la
souffrance. Illusion ma capacité à parcourir
beaucoup plus que les 25 Km quotidiens. Illusion ma capacité
à tolérer les conditions
d’hébergement réservées aux
pèlerins.
Illusion ma capacité à accepter le mode de vie
espagnol, à accepter l’étranger sur son
propre sol. Mais aussi illusion ma capacité à
voir dans les immenses plaines espagnoles autre chose qu’un
morne désert sans intérêt historique,
culturel et spirituel. Mais, peut-être ne suis-je pas fait
pour le désert ?
Illusion ma capacité à accepter ce pauvre que
j’ai rejeté un peu brusquement alors que je venais
moi-même de recevoir. Bien sûr que j’ai
regretté mon attitude, mais il était trop tard.
Combien d’autres illusions se sont ainsi
dissoutes au contact du chemin ? Je ne peux pas tout relater ici.
C’est là un débat entre moi et moi. De
ce point de vue le chemin continue.
Comment te dire la joie, le bonheur.
Merveilles mes rencontres retrouvailles avec la nature
souvent presque vierge.
Merveilles les paysages à couper le souffle.
Merveilles mes rencontres avec les hommes.
Merveilles les témoignages de leur travail.
Merveilles les dons reçus.
Merveilles le vin généreux et les nourritures
terrestres qui reconstituent le corps.
Merveilles notre sœur l’eau, notre frère
le soleil, notre ami le jour avec sa multitude de
découvertes, notre amie la nuit et son cortège
d’étoiles.
Merveilles les prières qui viennent aux lèvres du
marcheur qui de touriste devient bien vite pèlerin.
Merveilles ce chemin extraordinaire fait pour des gens ordinaires.
Merveilles mes intuitions car je préfère ce mot
à celui de visions, et pourtant...
Comment dire la perception que j’ai eu de la
quadri -unité lorsque sous mes pas, et probablement en
raison de la fatigue, j'ai eu l'impression que la terre se transformait
en un cristal au cœur duquel une présence se
tenait à la fois vierge, épouse et
époux, mère et père, enfant et
géniteur, matière et esprit ? Ne serait ce pas
cela la notion de centre qui donne forme, vie, cohésion et
sens aux différents symboles de la
géométrie sacrée ?
Comment dire cette étonnante impression de communion avec
tout l’univers ressentie alors que je
m’efforçais de sauver de la noyade une reine des
abeilles ? Est-ce cela la compassion au sens où elle est
décrite par Bouddha ?
Comment dire cette impression ressentie d’être
entré sur le territoire de la mort dans cette sierra
déserte située entre Fiscal et Yebra de Basa
où j’ai failli me perdre et où
j’ai manqué d’eau pendant au moins huit
heures sur une journée de marche qui m’en a pris
16 ? Bien qu’ici ma vie n’ait pas
été mise en danger immédiat, je puis
assurer que la présence de la mort est physiquement
perceptible et qu‘elle a une « odeur
» au sens où les
anciens égyptiens entendaient ce mot.
Comment dire la rencontre avec les puissances de la
nature autrement que par l’évocation de
ce petit papillon qui me montre une source alors que
j’étais assoiffé et de cet oiseau qui
me guide par son chant sur le bon chemin alors que
j’étais près de
m’égarer ? Rencontre avec l’ange
gardien... ? Peut-être ?
Comment dire ce que j’ai ressenti en vivant
physiquement la différence évidente
qu’il y a entre une perpendiculaire et une verticale? Sac
sur le dos, il faut y aller voir et passer, par exemple, d’un
Causse à l’autre, d'une montagne à
l'autre.
Comment dire ce que m’a inspiré ma
montée au col du Portarro et que je pourrais intituler
« le voyage de l’âme » ? Partir
en pèlerinage à pied c’est
s’arracher de soi même, de ses biens, de ses
habitudes, de son confort. C’est partir à
l’aventure. C’est lâcher prise et
s’en remettre à l’autre. C’est
vaincre ses peurs ou au moins tenter de les maîtriser.
C’est combattre l’angoisse à chaque
instant. C’est plonger dans l’obscurité
des forêts et des vallées et c’est
remonter dans la lumière des sommets. C’est
traverser des déserts arides et des plaines
fécondes. C’est affronter la foule et la solitude.
C’est peiner, souffrir et quelques fois pleurer.
C’est aussi être inondé de joie et
exulter de bonheur.
Et puis viennent les rencontres. Avec ceux qui
attendent le pèlerin. Avec ceux qui ne
l’attendaient pas mais qui l’accueillent les bras
grands ouverts. Avec ceux qui marchent déjà. Il y
a de ces rencontres lumineuses, il y en a aussi de sombres. Mes
rencontres avec le démon, elles, resteront
secrètes.
Partir, c’est accepter une petite mort.
C’est aussi devenir libre. Au terme, mais à cet
endroit je ne le savais pas encore, il y a cette extraordinaire
cathédrale et le merveilleux sourire de Saint Jacques,
quelle joie!... Là haut, sur ce col
pyrénéen, il me semble avoir vu, au terme de son
voyage terrestre, l’âme faire ce chemin sur lequel
j’ai peut être trouvé la
liberté de passer d’une rive à
l’autre. Ame, esprit, conscience, qu’importe, nous
poursuivons le voyage... « ULTREIA
».
Et ce qu'il m'a appris
Comme la destinée humaine, comme le dernier et grand voyage,
ce chemin extra ordinaire est fait pour des gens ordinaires.
Il a quelque chose
d’héroïque, non pas que le
pèlerin soit un héros, mais parce que le chemin
conduit celui qui s’y engage vers le dépassement
de lui même. Parce qu’il permet à celui
qui s’y aventure d’actualiser en lui
l’archétype du parcours de
l’âme, de la conscience humaine. Parce
qu’il l’engage sur la trace des millions
d’hommes qui, avant lui et pour lui, ont forgé la
civilisation. Parce qu’il est porteur de mythes et de
légendes.
Il est religieux au plein sens du terme. Parce
qu’il restitue l’homme dans ses racines. Parce
qu’il l’inscrit au cœur d’une
tradition universelle - celle du pèlerinage - connue de
toutes les civilisations, de tous les temps, de tous les continents.
Parce qu’il relie l’homme à la nature et
par elle au Principe. Parce que sur le chemin, rien ne
s’oppose au passage de la Lumière. Parce
qu’il est voyage et reconnaissance du véritable
« opus dei » sous la forme du
travail de la nature et de celui des hommes. Parce qu’il est
chemin de solidarité et de fraternité.
Il a quelque chose d’alchimique y compris dans
ses manifestations les plus élémentaires.
J’ai cuit sous le soleil, mais ne faut-il pas passer la
matière au creuset pour la dissocier ? J’ai
pris la pluie dense, mais ne faut-il pas plusieurs fois
procéder aux lavures pour recueillir le sel? J’ai
bu ma propre sueur, n’est-ce pas
l’humidité des corps en présence qui
est leur meilleur dissolvant ? J’ai même souffert
quelques kilomètres avant Compostelle d’un gros
ennui digestif, sans doute provoqué par des antibiotiques.
N’était-ce pas là une ultime purgation
pendant que les eaux du ciel procédaient au dernier lavage
de cette matière - moi-même - peut-être
un peu ennoblie par la route et ses épreuves ?
Il a aussi quelque chose d’initiatique. Parce
qu’il éclaire l’être sur ses
limites - mais il n’y a de limites que celles qu’on
accepte ou qu’on s’impose à soi
même -, sur les attitudes qu’il a vis à
vis du monde qui l’entoure. Parce qu’il
l’invite à renouveler et à
élargir la perception qu’il en cultive. Parce
qu’il remet l’homme au contact des
éléments naturels et de leurs principes radicaux.
Parce qu’il est apprentissage, celui de la route,
compagnonnage, celui des rencontres. Parce que ce chemin, qui fait
d’un touriste un pèlerin, conduit vers la
maîtrise en obligeant l’homme à trouver
en lui même les sources de sa spiritualité, de sa
lumière. Parce qu’il est un immémorial
chemin de sagesse. Parce qu’il réclame et insuffle
de force. Parce qu’il témoigne de la
beauté des œuvres de la nature et du travail des
hommes. Parce que chaque pèlerin, mettant ses pas dans ceux
de ses prédécesseurs, assure lui aussi, avec les
vivants et les morts, la pérennité de cette
œuvre.
Nous sommes là au cœur
d'enseignements secrets.
Pour de nombreuses traditions initiatiques, dont l'antique tradition
chrétienne, le néophyte, avant
d’être initié, est dans les
ténèbres. Il est admis pour avoir
désiré la Lumière. Il est
dépouillé d’une partie de ses
vêtements pour rappeler le dénuement de
l’origine, le cœur découvert en signe de
sincérité, le genou dénudé
en signe d’humilité. Il a le pied gauche
déchaussé par respect d’un lieu qui est
saint et privé de la vue par ignorance du chemin et du but,
dépourvu de tous métaux en signe de
désintéressement et de renonciation. Il fera
plusieurs voyages destinés à lui montrer la route
de la vérité, mais au début du chemin
il ne verra rien qu’un esprit humain puisse concevoir, un
voile épais couvre ses yeux. En recevant les
prémices des enseignements il est mis sur la voie de la
Vérité, il lui appartient de trouver la suite du
chemin. Pour l’aider, le temple est orienté pour
indiquer le point apparent d’où viennent la
Lumière et le sens de sa progression. Par toute la terre et
toute sa vie, il se consacrera à tenter de lever le voile de
l’obscurité, à tenter de rassembler ce
qui est épars et à répandre partout la
lumière. L’initié fera
d’autres voyages, verra d’autres
étoiles, il passera des lignes droites aux grandes courbes
et au cercle. Il ira sous le laurier et sous l’olivier,
remportera des victoires sur lui même et connaîtra
la paix et la fraternité, l’échec aussi
et son amertume. Il marchera de l’étoile du matin
jusqu'à l’étoile du soir. «
ULTREIA », toujours plus loin. Un jour il reviendra pour
poursuivre le travail sur la route du devoir.
Il suffit de regarder avec un peu d’attention
les nombreuses statues de saints et de pèlerins qui
jalonnent le chemin pour se convaincre que c’est
assurément la voie suivie notamment par les deux saint
Jacques et saint Roch, par de nombreux chemineaux
emblématiques et par tous les
pérégrins.
Il y a ainsi de nombreuses analogies entre la démarche
initiatique et celle du pèlerin de tous les temps en
quête lui aussi de la Lumière.
Parce que, et j'ai pu le vérifier en marchant
aux côtés de quelques uns d'entre-eux,
l’initié qui marche le chemin ne lui est pas
étranger et le chemin ne le reçoit pas en
étranger. En premier lieu parce qu’il est un
chemin traditionnel du Compagnonnage des métiers dont les
œuvres exaltent le Principe sous une double expression active
et masculine - celle de Dieu Créateur créant -,
passive et féminine - celle de la Vierge Marie, nature
toujours vierge et cependant toujours procréatrice. Ces
qualités, actives et passives, sont celles qui sont
attachées aux colonnes de beaucoup de temples ainsi
qu’à de nombreux outils symboliques.
Parce que, comme la démarche initiatique, la marche sur la
route des étoiles est orientée vers la
Lumière et vers toutes les directions du monde.
C’est, par exemple, ce qu’enseigne le Christ au
portail de Vézelay et dans d’autres lieux.
C’est ce que montrent les différentes
déambulations rituelles de la liturgie.
Parce qu’il est chemin de perfection qui
mène celui qui le marche de la position de disciple - celui
qui suit, celui qui apprend (Jacques le Mineur) - à celle
d’apôtre - celui qui est envoyé, celui
qui enseigne (Jacques le Majeur). C’est là
l’évolution qui conduit de
l’apprentissage à la maîtrise.
Parce qu’il est découverte, ou
redécouverte, de la double nécessité
d’une identité - non d’une
égalité - et d’une
continuité absolue et permanente entre le Principe et la
manifestation. Identité, continuité,
permanence...absolus sans quoi le Principe ne saurait être
l’Universel. C’est ce qu'enseigne, me semble-t-il,
la voie symbolique qui conduit, à travers
l’étude des symboles, à
re-connaître, dans la diversité, la
présence du « tout-un ».
Parce que, comme la voie initiatique, comme la voie
monastique, comme la voie du devoir, comme celle des entreprises
humaines c’est un chemin difficile sur lequel on ne peut
s’engager qu’au risque de se perdre. Prend-il des
risques celui qui ne se complaît qu’aux douceurs
des petits chemins de plaine ? Et quel est le risque de celui qui
cherche la Lumière vers les sommets ?
Parce qu’il est douceur et violence. Comme la
communauté initiatique ou religieuse, comme l'entreprise
c’est un cocon propice à la réflexion,
à la recherche de l’harmonie, à
l’échange fraternel entre celui qui chemine et le
monde qui l’entoure. C’est aussi un lieu
d’affrontement, de combat. Contre soi-même, contre
la nature et les éléments, contre les autres
aussi pour préserver son propre espace. C’est
quelques fois le lieu de l’urgence où
l’action prime en attaque et en défense.
Je pourrais encore poursuivre. Mais ici, avant
de conclure, je préfère laisser parler le Chemin
à travers une phrase empruntée à une
documentation trouvée sur la voie des étoiles : «
Le pèlerin, dit ce document, reviendra du «
Finis Terrae » (la fin
des terres) proche de « Compostelle »
(le séjour après la mort) avec la certitude
qu’il y a abordé l’annonce de
l’infini, de l’au-delà de
l’océan et qu’il y est un peu
préparé... Il n’a plus dès
lors qu’à attendre que
l’étoile vienne se fixer au lieu du
départ pour le grand voyage, le vrai ».
Entre mai et juillet 1997, j’ai mis mes pas
dans les pas de millions de pèlerins. J’ai vu leur
œuvre unir le ciel et la terre. Nulle part sur le chemin je
n’ai vu l’empreinte de leur nom. Que ce
témoignage soit l’hommage
qu’à travers l’espace et le temps leur
rend un pèlerin moderne. Ils ont écrit un livre
qui, pour être muet dans ses apparences, n’en est
pas moins le témoignage vivant et toujours actuel de la
Tradition.
Alors « ULTREIA », plus loin,
toujours plus loin. Ce n’est pas parce que le prochain est au
bout de notre main qu’il ne faut pas aller le trouver au bout
du monde. Ce n’est pas parce que le Principe est partout
qu’il ne faut pas aller le chercher ailleurs.
Si tu m'as bien suivi…comprends
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