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Pygmalion
chez les francs-maçons I - Les
sociologues ont été les
premiers à s’intéresser au
phénomène qu’en croyant que quelque
chose est vrai
on peut la rendre réelle. Baptisé
«selffulfilling prophecy» (prophétie
auto-réalisatrice) ou effet Pygmalion,
le phénomène de la
prédiction créatrice (ou
autoréalisatrice) opère une sorte
d’inversion de la
causalité : le
réel n’est plus
donné d’emblée mais devient une conséquence
des postulats à propos d’un sujet et de son
action. Faisons une
expérience pour le mettre en évidence. 1°)
Prenons
deux échantillons de rats
totalement au hasard, on en
trouve facilement de pas très gros à
l’opéra. Informons un groupe
d’étudiants
qu’un ensemble n° 1 de 6 rats,
sélectionné d'une
manière extrêmement sévère,
a donné des résultats
d’intelligence exceptionnels de la part de ces animaux. Signalons,
ensuite, à d’autres étudiants, que dans
l’ensemble n° 2, 6 autres rats n'ont
rien d'exceptionnel et que, pour des causes
génétiques, il est fort probable
que ces rats auront du mal à trouver leur chemin dans un labyrinthe. Mettons
en relation les rats et les étudiants Que
va-t-il se passer ? Certains rats du groupe n° 2 ne
quitteront même pas la
ligne de départ. Après
analyse, il s'avère que les étudiants qui
croyaient que leurs rats étaient
particulièrement intelligents, leur ont manifesté
de la sympathie, de la
chaleur, de l'amitié ; inversement, les
étudiants qui croyaient que leurs
rats étaient stupides ne les ont pas entourés
d'autant d'affection. Cette
expérience, Rosenthal l’a faite voulant, ainsi,
vérifier l’application de cet
effet-pygmalion. Les
résultats confirment très largement les
prédictions effectuées par
Rosenthal : Dorénavant,
Rosenthal sait qu’il peut
jouer avec le
discours, avec le semblant pour interférer sur le
comportement d’autrui. Et
là est le nœud de notre problématique. Cela
se vérifie aussi au cours d’une autre
expérience, faite dans un quartier
pauvre, délaissé de la politique et où
habitent un nombre important de familles
immigrées vivant dans des conditions très
difficiles (milieu socio-économique
défavorisé). Rosenthal se présente
dans une école de ce quartier avec une
fausse carte de visite et explique qu’il dirige une vaste
étude à Harvard.
Cette étude porte sur l’éclosion
tardive des élèves testés par QI. Par
la suite,
il pourra recommencer son test sur les mêmes
élèves et voir s’ils auront le
même résultat ou non. Rosenthal
fait passer le test à l’ensemble des
élèves et, ensuite, en ensuite triche,
s’arrangeant pour que les enseignants prennent connaissance
des résultats,
croyant qu’il s’agit d’une erreur de
transmission de courrier. Les résultats ne
sont pas les résultats réels du test de QI, mais
comportent des notes
distribuées aléatoirement. 20% des
élèves se sont vu attribuer un
résultat
surévalué. A la fin de l'année,
Rosenthal fait repasser le test de QI aux
élèves. Résultat :
une année après le premier test, les 20% se sont
comportés comme les
« super-rats » ; ils ont
augmenté de façon significative leurs
résultats, non seulement au test d’intelligence,
mais, également, leurs
résultats scolaires. Les enseignants ont porté un
autre regard sur ces élèves.
Le hasard a créé un nouveau type
d’élèves grâce au regard
qu’ont eu les
enseignants sur eux, suite aux résultats du test. Les
résultats s'améliorent du
simple fait que le professeur attend davantage d'eux. De
l’école à
l’usine, l’effet Hawthorne est à
rapprocher de l'effet
Pygmalion. 2°)
L’expérience Hawthorne décrit la
situation dans
laquelle les résultats d'une expérience ne sont
pas seulement dus aux facteurs
expérimentaux mais au fait que les sujets ont conscience de
participer à une
expérience dans laquelle ils sont testés, ce qui
se traduit généralement par
une plus grande motivation.
Cet effet tire son nom des études de sociologie du
travail menées par Elton Mayo dans
l’usine Hawthorne Works,
près de Chicago. Elton Mayo,
professeur à
la Harvard
Business
School, mena une série
d'études entre 1927 et 1932 sur la productivité
au travail
des employés de cette société,
occupant dans plusieurs ateliers une main
d’œuvre ouvrière principalement
féminine. Ces ouvrières assemblaient des
circuits électriques destinés à des
appareils de radio. Afin de déterminer les
facteurs modulant la productivité, Mayo et son
équipe de psychologues
sélectionna un groupe d'employées qu'il fit
travailler dans différentes
conditions de travail, en jouant notamment sur l'intensité
de la lumière de
l'éclairage. Mayo vérifia que
l'amélioration des conditions matérielles de
travail (l'éclairage, en particulier) faisait
croître la productivité. Mais il
s'aperçut aussi, paradoxalement, que la suppression de ces
améliorations
(allongement des horaires, interdiction de parler pendant le travail,
etc.) ne
faisait pas baisser la productivité. D'autre part, Mayo et
son équipe
constatèrent que la productivité des
ouvrières dans l'atelier témoin avait,
tendance à s'accroître sans qu'aucune
amélioration des conditions n'ait pu
l'expliquer quand les employées étaient remises
dans leurs conditions
habituelles de travail. La
conclusion des études de Mayo est double : Sur
le plan de la méthode
expérimentale, le
simple fait d'être participant à une
expérience peut être un
facteur qui a une conséquence importante en termes de motivation. Le
fait d'être l'objet
d'une attention particulière de la part de
l'expérimentateur et le fait d'avoir
été choisi comme sujet de l'expérience
peut contribuer à donner une meilleure estime de soi. Sur
le plan de la psychologie
du
travail,
le fait d'avoir été associés aux
objectifs de l'expérience, d'avoir pu exercer
un minimum d'initiative et de s'être sentis solidaires d'un
groupe où règne l'émulation
interne a eu un effet
bénéfique sur la productivité des
employés, bien supérieur aux seuls effets des
conditions matérielles du travail. Tous
ces phénomènes ne sont-ils pas
amplifiés dans nos ateliers maçonniques ? Alors
posons comme postulat
qu’il existe une force du regard de l’autre sur nos
comportements et nos
potentiels. Cependant,
on ne peut ignorer
que cette force peut-être aussi destructrice voir
perverse ; n’en doutons
pas. Il n’est que de se
souvenir du
rôle néfaste, dans l’apprentissage, du
mauvais professeur qui gâche
définitivement la scolarité de certains enfants,
les dégoûtant à jamais de
certaines matières. Que
dire du
matraquage médiatique destiné à la
jeunesse sous forme de pubblicité ou
d’émissions qui leur sont
réservées conduisant à un
endoctrinement au plaisir
et à la dépendance de la
société de consommation, aux conditions
à la violence,
à la culture de l’onirisme les
préparant à la drogue et aux anxiolitiques. Mais
nous ne retiendrons que les aspects
positifs et idéalisant de ces effets-pygmalion pour la suite
de nos
propos. On
parle de
« l’effet-Pygmalion »
ou de l’effet-Frankenstein, ou encore
de l’effet-Gepetto (tous créateurs de
créatures). Rêve de pédagogue,
rêve
humain, plus généralement : nous
n’aurions pas inventé tant de mythes si
le fantasme divin de fabriquer un être avec un peu de boue,
l’Adam, le glébeux,
ne nous était pas archétypiel. Alors
on se fait pédagogue. Et on rêve de transformer
définitivement, et durablement
des êtres que l’on façonnerait. Je
te crée, constitue, et reçois F\M\par
cette phrase des
commencements la F\M\ ne se
voudrait-elle pas Pygmalion? II - Pygmalion
en F\M\ Pour
mémoire,
Pygmalion
était sculpteur à Chypre.
Révolté contre le
mariage à cause de la conduite
répréhensible des Propétides
(femmes de Chypre) dont il
était chaque jour témoin, il se voue au
célibat. Mais il tombe amoureux d'une
statue d'ivoire, ouvrage de son ciseau : il la nomme
Galatée, l'habille et
la pare richement. Lors des fêtes
dédiées sur l'île à Aphrodite, il
prie la déesse de lui
donner une épouse semblable à sa statue. Son
vœu est exaucé par la déesse, qui
donne vie à Galatée. Pygmalion
l'épouse alors et aura d'elle deux filles, Paphos et Matharmé. Pygmalion
représente le désir du créateur
solitaire qui aspire à s'unir à sa
création et à lui donner vie. Lorsque
Galathée s'anime, elle se touche et dit:
«Moi»; ensuite, caressant l’ivoire:
«Ce n'est plus moi». Quand enfin elle touche
Pygmalion: «Ah! Encore moi»,
témoignant ainsi de l'identité du
créateur et de la création dans laquelle il
se projette. Cette
création n’est-elle au fond qu’un
miroir ayant force de prédiction
créatrice? 1°) La
fraternité est un idéal relationnel. A la
question : « Etes-vous
franc-maçon ? », La réponse est
«mes frères
me reconnaissent comme tel ». Cela suppose
que la fraternité
soit chargée de contrôler
l’appartenance à la franc-maçonnerie et
d’en
définir l’approbation, par un regard autre qui
nous fonde, nous crée en quelque
sorte, à laquelle il faut accéder. Le 1er
miroir rencontré en maçonnerie est le bandeau
.En effet, le bandeau tel un
miroir, renvoie à
l’image intérieure.
Mais dans l'obscurité demeure le regard de l'autre, de ceux
qui sont sur les
colonnes, qu’il ne faut pas décevoir, miroir
difracté de l'impétrant qui est
jaugé par boules blanches ou noires. Finalement,
le miroir
prend sens aussi en tant qu’il est vivant n’y
a-t-il pas alors, dans l’œil d’un
F\ou
d’une S\, le
reflet d’une attente d’une certaine
façon d’être
F\M \? Un
œil qui
comprend ? Un œil qui connaît ?
Un œil qui écoute avec son
cœur ? Cet œil, ce miroir idéal
et humaniste, ce troisième œil qui rayonne
à l’Or\
n’est-il pas un pygmalion qui nous
regarde avec confiance ? L’homme
a ceci d’étrange
que sa personne se constitue sous l’incidence du regard de
l’autre, de sa mère,
pour commencer, et la cérémonie
d’initiation donne à l’app\ une
loge-mère. C’est un être
« en
miroir » dont il procède
existentiellement. Il
faut également
retenir le sens de visée (venant du mot mire). Le miroir
doit être l’instrument
qui permet la visée... l’alignement. C’est
pourquoi le miroir
n’est pas, en fait, un objet d’auto contemplation,
mais aussi l’instrument de
la ligne de mire qui doit révéler
l’angle secret de ce qui n’apparaît pas
encore, mais qui est en gestation, le futur Maître. La
personnalisation de
notre perception est en fait fonction de l’angle que nous
donne le miroir tenu
par les F\ et S\, en
particulier les M\ Nous
devons apprendre à
contempler (con-templer), “être avec le
temple”, à trouver l’angle harmonique
qui révèle et diffuse la lumière
initiante. Disposant
de moyens spécifiques qu'autorisent la durée et
la continuité, la répétition de
l'exercice avec le rituel, la progressivité de
l'acquisition, l'action
pédagogique, par des effets-pygmalion,
se différencie des actions d'influence
ponctuelles ou sporadiques en ce
qu'elle réussit à inculquer aux F\et S\un
ensemble organisé de schèmes de perception,
de pensée et d'action qui, même lorsque les
connaissances transmises se sont
effacées, continue à faire sentir ses effets dans
les comportements sous la
forme d'une disposition générale, durable et
transposable à l’extérieur du
temple. L’influence
du regard de
l’autre dans la formation des apprentis, et donc des F\M\, pose
dès lors le problème de la
légitimité du pouvoir
charismatique du Maître. Apparemment,
il n'y a aucune différence entre le silence d'un
maître du zen et le silence
d'un idiot de village puisque, dans les deux cas, le contenu informatif
du
message est réduit à rien. Toute la
différence, à quoi tient l'effet
pédagogique de l'enseignement par le silence,
réside dans les statuts
respectifs du maître et du disciple, c'est-à-dire
dans une relation sociale
faite de respect préétabli. Qu'il s'agisse de la
relation entre parents ou
adultes et enfants, entre professeurs et élèves
ou entre un maître de sagesse
et ses disciples, la relation pédagogique suppose toujours
une relation sociale
dissymétrique, c'est-à-dire un rapport
de forces plus ou moins
implicite. La dissymétrie tenant, chez nous, dans une sorte
de hiérarchie des
fonctions des officiers. Les
surveillants ne sont pas seulement désignés, dans
les règlements généraux et
les rituels, comme dirigeants les app\ et
les comp\ mais
aussi en tant que supérieurs
hiérarchiques. Pourquoi êtes-vous placé
ainsi ? Pour commander
à la colonne du Nord (ou du Sud) et surveiller ceux qui
entrent dans le temple. Par
l’alchimie de
l’initiation, le disciple, à son tour, renvoie au M\une
réflexion-réflection. Le
Maître doit aussi être à
l'écoute de l'appø, on ne peut dire qui enseigne
l'autre. Et celui qui obéit à un maître
devient une partie de ce maître. A bon
chat, bon rat ! On voit dès lors la limite
bénéfique de l’effet-pygmalion.
La
FøMø nous fait jouer une fiction, nous donne des
rôles imposés auxquels nous
consentons mais jusqu’à quel point le personnage
attribué reste-t-il neutre
psychologiquement ? Est-ce un transfert de
personnalité, devient-on un
avatar, vit-on en Franc-maçonnerie une second life ? 2°) Et
pourtant « être libre et de bonne
mœurs » n’est-il une injonction
à
refuser toute domination, et en particulier le
regard de
l’autre, pour échapper à sa
force de prédiction
créatrice ?
Imiter ou fuir un modèle,
répéter, singer, copier, être
homothétique ou reflet inversé,
répondre à une
attente extérieure n’est pas, à mon
sens, une démarche d’homme libre. Nous ne
sommes pas des clones psychiques; chaque histoire est unique. L’homme
libéré n’a pas de modèle
préexistant, parce qu’il n’existe que
par une
actualisation sans cesse renouvelée de son devenir sans
laquelle il n’y a pas
de quête possible. Ni
modèle ni guide « Ne demande pas ton
chemin, tu risquerais de ne pouvoir
te perdre » dit le cabaliste. Celui qui, cherche
sait qu’il doit parfois
s’écarter de la voie mais pour
n’explorer que ce qui est à sa mesure.
C’est son
identité qui fonde son parcours. Si, « A
force d'être le rêve du
vieil homme, on ne sait plus très bien si on
existe», le
maître initié a-t-il encore besoin de
l’assentiment de
l’autre ? Si tu
n’éprouves aucune
peine à ignorer ce que l’on pense et ce que
l’on dit de toi, courage ! Tu
as déjà progressé sur la voie de
l’absolu selon Grillot de Givry. Le
regard attentif du pygmalion FøMø devrait, non
pas déclencher une imitation
servile, mais pousser chaque Føou Sø vers la
création de lui-même, à partir de
soi, pour une re-naissance autonome en se dépouillant du
vieil homme. Parmi
les habits du vieil homme, les idéaux
moraux qui servent l'utilité sociale,
intériorisés par des
générations qui les
ont transmis, oppriment-ils l'individu ? La morale comme puissance
extérieure s'imposant tyranniquement à
la vie comme prédiction créatrice,
Nietzche la repousse : Toutes
les questions de la politique, de
l'ordre social, de l'éducation ont été
foncièrement faussées par le fait qu'on a pris les hommes les plus nuisibles
pour de grands hommes, qu'on a enseigné à
mépriser les choses
« insignifiantes », entendez les
conditions fondamentales de la vie
même... «
Peu de nos mesures de
valeurs sont propres, plus nombreuses celles empruntées ou
subies
inconsciemment. Pourquoi donc les acceptons-nous ? Par crainte, par
timidité,
par faiblesse à l'égard de ceux qui nous ont
formés où plutôt
déformés? Contre
nos convictions trop despotiques, Nietzche dit :
« nous devons
être traîtres avec délices et
pratiquer l'infidélité d'un coeur
léger. Soyons à cet effet des boules de neige
pensantes sans cesse accrues et fondues tour à tour dans
leur mouvement sur le
terrain des idées ». Et quand
Nietzsche croit avoir enfin secoué le
joug de l'idée, on sait le lyrisme enflammé de
son chant de délivrance. Contrairement
à la
théologie chrétienne qui incite au renoncement
devant amener le dépouillement
complet du vieil homme pour s'écrier avec l'apôtre
Paul : « Ce n'est plus moi
qui vis, mais Jésus qui vit en moi ! », la
liberté maçonnique nous conduit à
pouvoir nous écrier : « Ce n'est plus le
vieil homme qui vit, mais c’est
moi ! ». Cette
liberté demandée à
l’impétrant, par la magie de la quête de
soi, devient chez
l’initié, grâce à l’éthique,
à la relation
fraternelle de l’un à l’autre
libératoire et tolérante, le bon lieu,
l’eutopie,
où le sens de l’être, la merveille des
merveilles comme le dit Lévinas, la
merveille du moi débarrassé du Soi,
répond favorablement à la question :
ai-je droit à être, rendant Pygmalion
aveugle? |
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