Obédience : NC | Loge : NC | Date : NC |
La
charité
est-elle plus facile
à l’égard du prochain que vis à vis des êtres que nous ne connaissons pas ? La question soumise à notre réflexion pose d’emblée un problème de sémantique et d’analyse lexicale. En effet, que faut-il entendre par « charité » et qui définit-on sous le terme « prochain » dans cette interrogation ? Selon le sens que nous donnons à chacune de ces deux notions, les résultats de notre réflexion sont totalement différents voire contradictoires. Pour le Robert comme pour la plupart des autres dictionnaires courants, la charité a deux sens : - L’amour de Dieu et de son prochain, l’une des trois vertus théologales ; - L’acte de bonté, de générosité fait envers autrui. La
charité, selon
l’une ou l’autre des définitions aurait
donc comme synonymes altruisme, amour,
désintéressement, humanité,
fraternité dans le premier cas, don, offrande,
obole, aumône, pitié dans le second. En
outre, si nous nous
référons aux mêmes sources
encyclopédiques, le
« prochain » est la
personne, l’être humain
considéré comme un semblable. Le
« prochain »
ne doit pas être confondu avec le
« proche » qui sous-entend un
lien
de parenté ou à défaut un lien
d’amitié très intime avec
soi-même. En résumé,
le proche est un parent ou ami intime alors que le prochain
c’est autrui, c’est
l’autre. Lorsque nous pensons à la sentence
« Aime ton prochain comme
toi-même », le prochain, nous pensons
irrémédiablement que c’est le
proche. Or dans la parabole des Evangiles, le prochain, c’est
l’autre. On
pourrait même dire que le prochain, c’est le
lointain mais on préfère souvent
penser que le prochain est le proche et c’est bien dans ce
contresens que la
question est posée. Dès
lors reprenons
la formulation en remplaçant les termes
« charité et
prochain » par
certains de leurs synonymes comme amour ou aumône pour le
premier et autrui ou
proche pour le second. Pour
que la question
ait un véritable sens, il faut bien se résoudre
à remplacer « à
l’égard du
prochain » par « à
l’égard du proche » puisque,
par définition,
le prochain est autrui et qu’autrui, nous ne le connaissons
pas forcément
puisqu’il s’agit de tous les autres. Selon
le sens que
nous prêterons au mot
« charité » la
question formulée pourrait
donc être la suivante : « L’aumône, le don, la générosité, le secours sont-ils plus faciles à l’égard d’un proche que vis à vis des êtres que nous ne connaissons pas ? » Chez
nous, Francs –
Maçons de toutes obédiences, ce que nous appelons
« charité »
c’est
l’amour du prochain, l’amour d’autrui. Il
ne s’agit donc pas ici de l’aumône ou
de l’entraide envers les autres même si les oboles
versées au Tronc de la Veuve
ressemblent à s’y méprendre aux oboles
que nous pourrions donner lors d’une
quête dominicale ! Dans ce sens, verser son obole,
faire la charité est
certainement plus facile à l’égard des
êtres que nous ne connaissons pas plutôt
qu’à l’égard d’un
proche ! Faire
la charité au
sens d’apporter son obole nous donne souvent bonne
conscience. Nous avons fait
preuve de bienfaisance et nous en sommes satisfaits tout comme le
boy-scout est
content d’avoir fait sa bonne action quotidienne ! A
cet égard, il est
certes bien plus difficile de faire l’aumône
à un proche dans le besoin car ce
proche peut juger nos actes de
générosité à leur juste
valeur contrairement à
l’inconnu que l’on pense soulager en lui donnant
quelques pièces. Il
est temps de
s’attarder dorénavant sur la seule question qui
mérite réflexion :
« L’Amour,
l’altruisme, le désintéressement, la
fraternité, en un mot, la Charité sont-ils
plus faciles à l’égard d’un
proche que vis à vis des êtres que nous ne
connaissons pas ? » - liberté, égalité, fraternité, (notre devise) - force, beauté, sagesse, (nos trois piliers) - foi, espérance et charité (les trois vertus théologales). Dans
notre tradition
maçonnique cependant, il convient
d’éviter d’attribuer à ces
notions une
connotation purement matérielle ou simplement religieuse et
dans le cas qui
nous intéresse de ne pas confondre la notion de
charité avec celle de l’aumône
au sens chrétien du terme. Au
sens noble du
terme, la charité c’est donc l’Amour
avec un grand A… Alors, est-il plus facile
d’Aimer un proche qu’un inconnu ? La
réponse semble évidente au premier
abord : oui, il est beaucoup plus aisé
d’Aimer ses proches que les
« autres » et c’est
pourquoi la parabole du Bon Samaritain vient nous
rappeler que les « autres »
existent, qu’ils sont nos semblables et
que nous devons les aimer comme nous-mêmes. Mais
pourquoi, parmi
les neuf vertus évoquées ci-dessus, nous
n’avons pas citée la Justice pourtant
omniprésente aux différents degrés de
notre Ordre ? C’est,
qu’à mon
sens, la Charité est une vertu supérieure
à la Justice. En effet, la Justice
consiste à donner à l’autre ce qui lui
est dû de par la Loi ou la coutume alors
que la Charité est un acte totalement gratuit donc
désintéressé. Ainsi
que l’a
exprimé Schopenhauer, la Justice consiste à ne
pas faire de tort à autrui. La
Justice repose donc sur une notion
« négative » (ne pas
faire) alors
que la Charité repose sur une notion
« positive » (faire du bien). C’est
toute la
différence entre ces deux vertus et si ,
jusqu’à présent, nous parlions
volontiers de Justice depuis le début de notre initiation,
si les sentences
nous invitaient à plus de Justice dans nos comportements,
nous devons
maintenant passer à un stade supérieur, celui de
la Charité, de l’Amour
d’autrui. Alors,
est-il plus
facile d’être charitable envers son proche
qu’envers son prochain ? Est-il
plus facile d’Aimer ses proches qu’autrui ? Très
personnellement, je pense que l’Etre humain est ainsi fait
que l’Amour de ses
proches est un sentiment tout à fait naturel alors que
l’Amour d’autrui est
pour lui un concept idéaliste voire tout à fait
utopiste. Pour
cette raison,
la morale, religieuse surtout, a fait de la Charité sa
principale Vertu. E Aime-toi E Aime ton proche comme toi-même E Aime ton prochain comme toi-même Ces
trois étapes
menant successivement du « soi »
aux « autres » commencent
par une analyse intérieure pour terminer par
l’ouverture aux autres. L’adage
populaire ne
dit-il pas : « Charité
bien ordonnée commence par
soi-même » ? L’analyse
intérieure, c’est le
« Aime-toi » mais pour
s’aimer, la condition
nécessaire est de se connaître. C’est le
« connais-toi toi
même ».
Nous voilà de retour dans le cabinet de
réflexion… En effet, comment aimer
l’Autre comme soi-même si on ne commence pas par
s’aimer soi-même ! Cette
étape
d’introspection franchie, qui, entre parenthèses,
nécessite souvent toute une
vie initiatique, l’Amour du proche, du parent, de
l’ami est est à portée du
cœur et de la raison. Nous aimons très
naturellement ceux qui nous entourent
sinon nous nous serions éloignés
d’eux… Dorénavant,
nous
touchons l’étape ultime :
l’Amour d’autrui. Si,
à l’origine,
dans l’Ancien Testament, le « Aime ton
prochain comme toi-même »
limitait cet Amour aux membres du même peuple, le prochain
étant assimilé au
proche, à celui que l’on côtoie, le
Nouveau Testament en a élargi
l’application, faisant de chaque être humain un
sujet d’Amour, un sujet de
Charité. Le devoir de secourir son prochain
s’étend donc à tous les humains
sans exception et ce secours n’est pas seulement un secours
physique (obole)
mais bien plus un secours moral (humanité,
fraternité). Aimer
son prochain
comme soi-même c’est donc aimer autrui dans toutes
ses différences avec soi.
C’est la fameuse phrase que nous entendons souvent dans nos
Temples : « C’est
ta
différence qui m’enrichit ». Cela
nécessite bien
entendu qu’à la première
étape, celle du « Connais-toi
toi-même, Aime-toi »,
nous puissions non
seulement nous accepter tel que nous sommes mais bien plus encore, nous
aimer
nous-mêmes dans nos propres contradictions. Pour
nous,
Francs-Maçons, « être
charitable » n’est pas synonyme de
« faire
la charité ». « Etre
charitable », c’est aimer son prochain
comme soi-même. Ce n’est pas
simplement une des trois vertus théologales mais une vertu
qui doit être la
Vertu primordiale de l’altruiste, de l’humaniste,
en un mot, du Franc-Maçon que
nous nous sommes engagés à devenir. Il
est bien plus
facile d’être charitable avec son proche
qu’avec son prochain mais devenir
charitable au sens premier du terme, au sens noble du terme,
c’est avoir
l’esprit chevaleresque. C’est le combat de toute
une vie, un combat pour
l’Amour de soi et l’Amour des autres. Je
terminerai cette
réflexion sur cette citation de Saint François de
Sales : « L’homme
est
la perfection de l’Univers,
L’esprit est la perfection de l’homme, L’Amour est la perfection de l’esprit et La Charité est la perfection de l’Amour » M\ M\ |
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