L'agnosticisme
Tout d'abord, pour ne pas m'exposer à la
pertinente critique des formalistes, cherchons à mieux
définir les termes.
On sait que le mot « agnostique » est
composé du verbe « gnoscere
» qui veut dire à peu près «
savoir », et du préfixe négatif
« a ». L'agnostique, littéralement est
donc celui qui ne sait pas. Pour éviter des confusions sur
ce que l'agnostique ne sait pas, je voudrais ici préciser
rapidement ce que nous appelons savoir et connaissance.
Le savoir désigne
généralement ce qui est accessible par
l'intelligence et le raisonnement. La connaissance est une sorte de
« méta-savoir »
que l'on acquiert, outre l'intelligence, par les autres
facultés de l'esprit humain que sont la
sensibilité, l'intuition, l'affectivité,
l'imagination, l’esthétisme. Le savoir est un
avoir, alors que la connaissance est du domaine de l'être. Le
but du savoir est la science ; son aboutissement est le savant. Le but
de la connaissance est l'accès à la culture,
à l'art, à la spiritualité ; son
aboutissement est le sage. Précisons également
que le verbe savoir peut avoir pour objet un
savoir ou une connaissance, ce qui peut souvent prêter
à confusion.
I. Définition de l'agnosticisme.
Vous remarquerez, mes SS et mes FF que ce concept est peu
évoqué. On n'en parle pas. Il n'y a pas d'ouvrage
sur ce thème ou, s'il y en a, ils doivent être
très confidentiels, car je ne les ai pas trouvés.
Ou, si l'on en parle, c'est pour le dévier, le
présenter comme le ventre mou de la métaphysique,
pâle café au lait entre le déisme et
l’athéisme, et même comme le marais
indécis du parlement philosophique.
« Agnostiscismus ist die höfliche form
des Atheismus » :
L'agnosticisme est la forme polie de
l’athéisme, dit Nietzsche. Dire en effet
« je ne sais pas si Dieu existe »
voudrait dire implicitement : si Dieu existait, cela se manifesterait
et se saurait. Si cela ne se sait pas, c'est qu'il n'existe pas. Ce
raisonnement un peu simpliste, est bien sûr, combattu de
façon assez convaincante par les déistes de tous
bords.
Lorsqu'il n'est pas ainsi déprisé, l'agnosticisme
est présenté de façon très
imparfaite, et je cite un dictionnaire courant : «
Toute doctrine qui déclare l'absolu inaccessible
à l'esprit humain, ou qui considère toute
métaphysique comme futile ».
…« Doctrine qui
déclare »… Est-ce vraiment
une doctrine que de dire « je ne sais pas
» ?... ou est-ce le contraire, voire une absence, de doctrine
? Il me semble que poser la question, rend la réponse
évidente. Et est-ce déclarer, c'est à
dire exprimer pour les autres, ou bien plutôt n’est
ce pas constater pour soi-même que d'avouer une ignorance ?
En réalité, on ne peut définir ce
terme car, en tant que théorie, l'agnosticisme n'existe pas
plus que le néant, tout aussi difficile à
définir. C'est un état d'esprit que l'on ne peut
donc aborder que de façon
phénoménologique. Abandonnons donc l'agnosticisme
et considérons existentiellement l'agnostique.
Car si l'agnosticisme n'est rien, l'agnostique existe,
et nous en avons tous rencontré...
II. L'agnostique.
L'agnostique est celui qui ne sait pas. Cependant, comme tout un chacun
en ce bas monde ne détient qu'une faible parcelle de savoir,
le mot n'existe pour désigner une
variété particulière d'ignorant :
L'agnostique, sur le plan du savoir et de la science
est un être apparemment normal.
Son domaine - devrais-je dire son non domaine ? - son domaine
particulier d'ignorance est la matière
métaphysique et même, plus
précisément cette partie de la
métaphysique qui traite de l'existence de Dieu, c'est
à dire, l'ontologie.
Ne prenant pas position sur le problème ontologique,
l'agnostique reste neutre en matière religieuse, et sur de
nombreux points philosophiques ou moraux qui en découlent. Il
se distingue des autres variétés d'ignorants ou
d'ignares, par la conscience de son incertitude laquelle
est un choix intellectuel, ou plus exactement,
spirituel…MD-(Agnosticisme)
Cette attitude est le résultat d'un curieux cheminement
spirituel en trois étapes, que je voudrais maintenant
décrire.
1.) Je ne sais pas.
Cette première étape est évidemment le
point de départ de l'agnostique. Cette constatation, faite
à propos d'une question métaphysique qui a
été méditée s'apparente
à une révélation.
Constater qu'il n'y a pas de solution à un
problème que l'on se pose, est sans doute aussi
libérateur que de trouver une solution : «
Car, non moins que savoir, douter m’est agréable »(Dante
Allighieri)
On peut donc passer à autre chose.
Curieusement, cette expérience de l'agnostique naissant est
une sorte de premier degré initiatique : Un bandeau tombe
des yeux précédemment obscurcis par une vaine
recherche.
Dès cette première étape, l'agnostique
se différencie bien sûr de ceux qui savent, mais
aussi des indifférents. Ce postulat est bien celui d'un
spiritualiste qui a entrepris une recherche et y apporte une sorte de
non-réponse qui va lui permettre de poursuivre un autre
cheminement. Il n'est donc ni athée stupide, ni libertin
irréligieux.
2.) Je ne peux pas savoir.
Cette proposition est le complément nécessaire de
la précédente. Après le
baptême, vient la confirmation qui ne le contredit pas, mais
lui donne tout son sens. Que serait en effet un non savoir, s'il existe
une possibilité de savoir ?
Faute de cette seconde étape, le sens de la
première deviendrait : « je
ne sais pas encore »
C'est ici que l'on peut mieux préciser l'état
d'esprit de l'agnostique, et sa véritable signification. Car
cette seconde proposition est un aveu, un aveu à
soi-même, un aveu d'humilité qui distingue
profondément l'agnostique de l'arrogance de ceux
qui savent.
Cette constatation des limites de l'esprit humain émane de
celui qui a considéré les mystères de
l'univers et pourra diriger son effort à en saisir
l'harmonie plutôt qu'à en chercher vainement
l'explication originelle.
Abandonnant de vaines spéculations,
l'agnostique aura tendance à se préoccuper
davantage de son épanouissement personnel et du
développement de l'harmonie entre les hommes. A l'inverse,
on pourrait penser que certaines formes de spéculations
dites spirituelles sont surtout une évasion permettant
d'éviter les problèmes qui se posent ici et
maintenant.
De même, l'agnostique se distingue-t-il de ceux qui doutent.
Non que le doute lui soit étranger : il lui est
consubstantiel. Mais celui qui doute a fait un choix
métaphysique, qui répond à son esprit
et à son coeur, sans satisfaire pleinement sa raison ni
calmer son angoisse.
3.) Vouloir savoir est vain et même
néfaste.
Cette dernière affirmation, troisième
degré de cette curieuse démarche initiatique en
est l'ultime et nécessaire aboutissement : il est
vain de vouloir ce que l’on ne peut.
En fait de métaphysique, le savoir est peu de chose, et la
vraie connaissance est exploration et méditation sur les
grandes questions transcendantales et non la recherche d'une
réponse obligatoire et unique.
Le sage est celui qui pose les vraies
questions, non celui qui donne d'incertaines réponses.
Vouloir donner une explication aux mystères qui nous
angoissent : est-ce vraiment savoir, ou est-ce succomber à
ses frayeurs ?
Pour échapper à ses angoisses, l'homme
érige en certitude telle explication de l'univers. Ne
pouvant trouver par la raison les réponses aux questions qui
les troublent, les hommes font des choix passionnés qui les
poussent à l'intolérance puisqu'ils vont chercher
à conforter leurs incertaines certitudes par la destruction
des certitudes contraires et tout aussi incertaines. Le
fanatisme n'est qu'une réponse panique au doute et
à l'incertitude que seule la sagesse permet de
surmonter…MD-(Agnosticisme)
III. L'agnostique et la foi.
Le véritable choix en la matière ne trouve pas sa
source dans un progrès de la connaissance, mais
résulte très précisément de
ce qu'on appelle un acte de foi qui consiste à adopter une
croyance et à la considérer comme certaine, pour
des raisons que la raison ne connaît pas. Le contraire du
sachant, du connaissant n'est finalement pas l'agnostique, mais
l'ignorant...et le contraire de l'agnostique est le croyant.
L'acte de foi en portugais se
dit : « auto da fé »,
et le dictionnaire énonce la suite des sens du terme qui
sont aussi les conséquences de ce choix. L'un d'eux dit
joliment : Autodafé = « Acte de foi »
puis « proclamation solennelle d'un jugement de
l'Inquisition » puis « destruction
par le feu ».
Des autodafés, il y en eût à toute
époque. Hier en Iran, en Chine ou au Chili ; avant hier sous
l'aimable règne des nazis ; l'Inquisition
déjà nommée avait accompli
d'historiques prouesses en pays Cathares.
Au 16ème siècle, Servet fuyant
l'Inquisition se réfugia à Genève que
dominait Calvin, l'inventeur du libre-arbitre.
La tolérance de Calvin avait
de saintes limites : il fit mettre l'oeuvre
de Servet au feu et l'auteur au milieu... Il
avait eu l'impertinente audace de mettre en doute le dogme de la Sainte
Trinité.
Le plus ancien autodafé, tout aussi
mérité, est sans doute celui qui concerne un
certain Protagoras au 5ème siècle avant J.C. Les
Athéniens de l'époque étaient gens
plus civilisés que ne le furent par la suite les
croisés dominicains ou les calvinistes genevois : ils se
contentèrent de brûler l'oeuvre de Protagoras qui
est donc mal connue. L'auteur ne fût que banni et contraint
de s'embarquer sur un frêle esquif : il en périt
dans un naufrage. Ecoutons l'historien antique Diogène
Laërce narrer les causes de ce premier autodafé :
« Protagoras fût le premier à
affirmer que sur chaque chose, il y avait deux discours possibles,
contradictoires. Un de ses livres commence ainsi : Touchant
les Dieux, je ne suis pas en mesure de savoir ni s'ils existent, ni le
contraire. Ce début lui valût
d'être expulsé par les Athéniens ;
saisis par un héraut chez tous ceux qui en
possédaient, ses livres furent brûlés
sur la place publique » (Fin de citation).
On peut ainsi constater que Protagoras, sans doute le premier
agnostique nommément connu, fut aussi le premier
bénéficiaire d'un autodafé. Ce curieux
citoyen présente aussi une particularité que
relève un autre historien antique nommé
Philostrate. Je cite : « Cette affirmation »
(il s'agit de l'incertitude concernant les Dieux) «
est une idée condamnable que Protagoras a tiré de
l'enseignement des Perses. De fait, les mages s'interdisent toute
profession de foi en faveur d'aucun Dieu ».
(Sic)
Ceci laisse supposer que Protagoras avait été
initié par les mages perses dont la réputation de
grande sagesse a traversé les siècles (et qui ont
toujours été considérés
comme les inspirateurs des gnostiques ! !)
De cette lamentable histoire, je crois, mes S. et mes F.
que l'on peut tirer trois conclusions provisoires : - Il y a une
parenté certaine entre l'état d'esprit agnostique
et la démarche initiatique.
L'attitude agnostique est une tradition millénaire,
même s'il semble qu'elle fût toujours
très minoritaire (ce qui est d'ailleurs aussi le cas des
initiés)
- Pour les croyants et les bien-pensants, l'agnostique qui ne nie
pourtant pas est au moins aussi intolérable que ceux qui
croient ou pensent autrement.
J\ C\
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