GLNF | Loge : NC | 12/1999 |
Hiram et Mithra, parallèles symboliques Le Mithriacisme, comme toutes les doctrines
initiatiques, présente par essence de nombreux points
communs avec la Franc-Maçonnerie. C'est même,
probablement, une de celles qui en comporte le plus, et il faudrait un
long morceau d'architecture pour tous les aborder. On retrouve à l'origine Mithra aussi bien dans le panthéon indou (Mithra védique) que dans le panthéon iranien (Mithra avestique) où il a tous les attributs d'une divinité à laquelle est lié un culte. Le Mithra qui s'est imposé dans le monde gréco-romain semble cependant très différent et les spécialistes s'opposent sur les rapports exacts entre tous ces concepts. C'est en étudiant les témoins archéologiques que l'on verra que le nom même de « Mithra » dans les mystères gréco-romains qui nous intéressent est probablement le seul rapport avec les cultes indous ou iraniens et que le mithriacisme n'est pas plus une religion que la franc-maçonnerie, même s'il utilise comme elle des symboles et des noms issus des religions. Il faut revenir en fait à l'étymologie : en védique mitra signifie « ami » masculin, « alliance » ou « amitié » au neutre ; l'avestique mitra désigne le « contrat ». C'est donc une abstraction qui a évolué en divinité, phénomène bien attesté par ailleurs (comme Fides chez les Romains) et le mithriacisme gréco-romain peut être analysé comme un retour à l'origine du nom, à la notion de contrat ou d'alliance, entre les hommes d'une part, et entre Dieu et les hommes d'autre part. En dehors des textes antiques, qui sont pour la plupart sujets à caution, car écrits soit par des témoins à charge (les premiers Chrétiens, en particulier) soit par des témoins indirects), le mithriacisme nous est accessible par l'iconographie et par les restes des mithræa, c'est-à-dire les lieux où se déroulaient les cérémonies. Tout d'abord il faut souligner avec force qu'un mithræum n'est pas un temple ; il n'en a aucune des caractéristiques et en particulier il ne possède pas de chœur, naos ou « saint des saints » qui serait la demeure du dieu, réservé à son seul usage ou à celui du prêtre, élément constant dans toutes les religions de toutes les civilisations. Voilà bien là une des preuves formelles que le mithriacisme n'est pas une religion. Un mithræum est toujours
un lieu souterrain ou semi-enterré ; certains ont
même été aménagés
dans des grottes (1), quand c'était possible, ou au moins
dans des sites rupestres, en appuyant une partie de
l'édifice à une paroi de rocher (2). Cela est
à rapprocher bien sûr de notre cabinet de
réflexion ou d'un « lieu
caché et connu des seuls initiés
». C'est aussi le symbole de la terre. Autre
parallèle, le plafond, souvent peint et stuqué,
était constellé à l'image du
firmament, comme dans nos temples ; parfois un zodiaque pouvait
l'illustrer (3), ou bien la voûte pouvait être
percée de sept cavités circulaires symbolisant la
lumière des planètes (4). Des auteurs antiques, Numenius,
puis Porphyre, nous expliquent d'ailleurs que la grotte mithriaque est
une « image du monde ». Le mithræum est une salle centrée autour d'une double fonction : réunion des adeptes pour un rituel symbolisé par la stèle représentant le sacrifice du taureau, suivie d'un repas pris en commun. Le local est toujours organisé autour d'une allée centrale avec de part et d'autre deux banquettes où les convives pouvaient prendre leur repas allongés. Tenue et agape étaient donc réalisées dans le même lieu, une fois la stèle du fond cachée ou retournée, montrant alors parfois une représentation du repas de Mithra avec le Soleil, c'est-à-dire de l'initié avec la lumière (5). Autrement dit, une fois les feux éteints et le tableau de loge retiré, les frères pouvaient participer à l'agape. Car cette fameuse stèle ressemble furieusement à un tableau de loge : son iconographie centrale est la « tauroctonie », Mithra sacrifiant le taureau, scène entourée de personnages et de panneaux à scène multiples qui constituent la trame d'un mythe au même titre que celui d'Hiram et qui, avec des symboles proches, cherche à nous faire prendre conscience des mêmes concepts. Un rapprochement trop rapide avec les sacrifices gréco-romains pourrait faire croire à la représentation d'une scène qui était effectuée réellement. Il n'en est rien, et même les Chrétiens, parmi les plus farouches opposants au mithriacisme, n'ont jamais mentionné la réalité du sacrifice d'un taureau. Aucun témoin archéologique ne permet d'ailleurs de le présenter comme tel. Il faut chercher plutôt dans le domaine symbolique. Mithra, c'est l'initié, le franc-maçon ; le taureau, c'est l'animal lunaire, l'animal primordial dont le sacrifice, d'après Jung, « permet à l'homme de triompher de ses passions primitives (…) après une cérémonie d'initiation ». Il s'agit de tuer la bête intérieure. « Le taureau est la force incontrôlée sur laquelle une personne évoluée tend à exercer sa maîtrise (6) ». On est là en plein dans le mythe d'Hiram : l'initié doit mourir symboliquement avant de renaître à la maîtrise. Mithra sacrifiant le taureau, c'est l'initié qui, ayant vaincu ses passions et soumis sa volonté, montre que le maître Maçon, parvenu à la sagesse, est en mesure d'approcher la Connaissance (7). On a aussi pu vérifier archéologiquement dans certains mithræa un dispositif d'ensevelissement rituel, cavité ou auge taillée pouvant contenir un homme allongé. Robert Turcan nous indique d'ailleurs que « les mystères de Mithra comportaient pour les candidats un trépas fictif (…). Le myste était préliminairement en position d'accusé, puis condamné à mort et fictivement exécuté avant de renaître à une vie nouvelle (8). » La « tauroctonie
» est entourée d'autres symboles, qui, comme dans
nos tableaux de loge, concourent à recréer un
espace et un temps sacré, indépendants du monde
profane. Le chien c'est bien sûr, universellement, le psychopompe, le guide de l'homme dans la nuit de la mort, avant son retour à la Lumière. C'est aussi, dans certaines traditions (9), le conquérant et le maître du feu, d'autant plus qu'il s'abreuve ici du sang. C'est donc un double symbole qui relie la mort (pour nous, celle d'Hiram) et le feu, deuxième de nos quatre éléments, après le symbole de la terre représenté par la grotte. Le scorpion est aussi, par sa nature même d'animal venimeux, une évocation de la mort. On peut également le relier à l'eau, troisième de nos quatre éléments, par sa position zodiacale. Certaines stèles montrent d'ailleurs un crabe (cancer) à côté ou à la place du scorpion. Quant au serpent, c'est aussi, parmi ses très riches significations, un symbole de la mort. Il est perçu également comme maître du mouvement, surtout à travers son équivalence au dragon, animal de l'air, dernier de nos quatre éléments. Autour de cette scène centrale, constante,
les sculpteurs ont souvent rassemblé un maximum de motifs
symboliques, allusions voilées aux rituels
pratiqués. Sans rentrer dans les détails, on peut
relever par exemple la présence de sept autels
allumés (le chiffre du maître), une
scène montrant Mithra naissant du rocher (comme
l'impétrant qui sort du cabinet de réflexion), ou
la représentation de la dexiôsis,
Mithra et le Soleil se serrant la main au-dessus d'un autel
(l'équivalent de notre serment). Pour finir le hasard fait qu'Hiram et Mithra sont
presque composés des mêmes lettres. Mais le hasard
existe-t-il ? J'ai dit, Très Vénérable Maître. C\ M\ Notes : (1) Sankt-Urban (Carinthie), Epidaurum
(Dalmatie), Kreta (Bulgarie), Tirgusor (Roumanie) Bibliographie : Chevalier J. & Gheerbrant A., Dictionnaire
des symboles, Paris 1982, 17e éd. (1995). |
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