Saint
Colomban et le monachisme du 7éme siècle
Sous ce titre nous souhaitons nous
attacher, à travers l’évocation
d’un grand saint, à une étude sommaire
des particularités du Christianisme Celte
d’Irlande et aux conséquences de sa diffusion en
Gaule et l’Europe du nord.
A cette fin nous traiterons les points suivants :
1- L’église d’Irlande :
son substrat celte
sa fondation et ses particularités
2- Saint Colomban la vie et la légende
3- Le monachisme irlandais et colombanien
4- Les apports dans le monachisme, l’église et la
société européenne.
5- une brève conclusion nous permettra de voir ce que nous
pouvons déduire de cet exemple pour aujourd’hui
1 L’église
d’Irlande
Son substrat celte :
L’Irlande est une île, je ne vous apprends rien je
pense ? Ce pays de légende est même
« Ultima Thulé »
la dernière terre habitée au large de
l’Europe. Et son paysage ne ressemble à nul autre.
Elle fut peuplée au premier siècle avant notre
ère par les Gaëls, Celtes qui prirent le dessus sur
un peuple lui même venu de l’orient, le peuple
adorant la grande Déesse Mère Danann, les
« Tuatha de Danann ».
Cette déesse intégrera
d’ailleurs le panthéon celte. En dehors de
l’archéologie nous avons le témoignage
des navigateurs grecs ayant fréquenté ses
côtes en ces temps pré-chrétiens
concernant ces peuples.
L’Irlande restera
isolée du continent européen pendant les quatre
siècles où celui-ci connaîtra sa
transformation la plus importante. Elle offre ainsi la
particularité d’être restée
totalement en dehors de l’empire romain.
Cette différence est importante car si la Gaule des
5ème et 6ème siècles est manifestement
romanisée, tant dans ses structures civiles, religieuses que
culturelles, « l’île
verte » reste celte.
Or il n’est rien de plus opposé que ces deux
cultures: l’une, la romaine, est
« carrée », les
habitations sont rectangulaires, l’architecture adopte des
formes précises aux angles droits. Les dieux sont
hiérarchisés, l’état et la
société sont centralisés. Elle fonde
des villes. La famille est de type patriarcal. Les hommes sont
rasés et portent les cheveux courts. La monnaie y joue un
rôle important.
L’autre est celte,
c’est à dire ronde, chevelue et barbue. Les Celtes
ont une vision circulaire du monde ; le temps est cyclique ; les
maisons, les champs et les hameaux sont ronds. Le territoire
n’a pas de limites précises (ce qui priverait les
Celtes de leur sport favori : la guerre). L’état
n’existe pas ; il y a plutôt une sorte de
fédération de tribus en petits royaumes,
eux-mêmes placés sous
l’autorité symbolique et sans cesse
contestée d’un grand roi. Celui du royaume du
milieu. La femme joue un rôle de premier plan dans cette
société ; elle combat avec et parfois devant les
hommes ; c’est à elle qu’appartient la
terre et la maison, elle peut choisir son époux, (le mariage
est généralement à durée
limitée). Le roi lui-même ne doit son titre
qu’au fait qu’il est le mari de la reine. On y
refuse l’usage de la monnaie et l’on
méprise les villes. L’organisation sociale est
basée sur la famille étendue, le clan. Le droit
coutumier ne repose sur aucun pouvoir exécutif. Il perdure
ne raison de son caractère sacré.
La répartition de la société se fait
en trois classes traditionnelles ; sacerdotale, guerrière et
productive.
Cette civilisation qui
s’épanouit en symbiose avec la nature, est
pourtant techniquement très en avance puisqu’elle
utilise le verre, connaît la charrue à roues
(alors que les romains et bien d’autres peuples ont des
araires encore pour longtemps) et surtout elle a mis au point ce chef
d’œuvre de l’artisanat qu’est
le tonneau.
L’exemple de l’art nous suffira pour situer la
différence ; l’art romain est très
figuratif et présent dans l’architecture.
L’art celte abstrait aux multiples volutes et entrelacs se
trouve principalement sur les bijoux et les armes ; l’art
roman en sera l’héritier direct.
Les dieux celtes sont des personnifications de forces naturelles ; tel
Lug, suprême artisan dit le dieu « longues
mains » qui est en fait un
démiurge mettant de l’ordre dans le chaos. Il sera
assimilé au Christ Pantocrator (voir à ce sujet
l’iconographie romane où, comme à
Vézelay le Christ en majesté est
représenté avec des mains
démesurément longues).
Mais chaque source, chaque arbre a
son dieu propre ; le chamanisme est présent et efficace. Le
culte se pratique dans la nature, face au soleil, au vent et aux
étoiles.
Le druidisme, structure sacerdotale, est organisé en
collèges. Un maître y enseigne oralement, selon un
mode mnémotechnique particulièrement
élaboré : on psalmodie en alternance de
très longs et très anciens poèmes qui
contiennent toute la mémoire du peuple celte depuis la
cosmogénèse jusqu’aux
généalogies. L’écriture est
connue mais peu employée car seule compte la parole vive :
la lettre fige le verbe et le fait mourir. Cette caste
connaîtra, au début de notre ère un
déclin du à l’abandon de ses traditions
spirituelles au profit de la magie et de la divination, ouvrant ainsi
la voie à une nouvelle spiritualité : le
Christianisme.
Les romains redoutaient, outre la violence de la femme
guerrière, l’efficacité de la
malédiction du druide. (César ne
s’est-il pas vu attaqué par une forêt,
les arbres étant guidés par un Druide).
L’organisation tripartite
de la caste sacerdotale, la divise en bardes ovates et druides, sans
que l’on puisse aujourd’hui savoir s'il
s’agit d’une distinction hiérarchique ou
correspondant à des spécialisations. (1)
Il est important lorsque l’on parle de la religion de
« nos ancêtres » (2) de ne pas
omettre la grande déesse mère Danann qui en est
l’élément central emprunté,
nous l’avons vu aux autochtones conquis, et que nous verrons
resurgir dans le christianisme sous bien des formes inattendues. (Dame
Anne est, en effet issue de Bretagne, et St Bernard en fera la Ste Anne
mère de la Vierge qui n’a aucun fondement
biblique).
La croyance en un au-delà accueillant les défunts
et en la métempsycose complètent un peu ce bref
aperçu d’une religion encore mal connue.
L’Irlande est un pays de
pasteurs. Ce qui donne aux habitants, paraît-il, une
propension à al rêverie Dans les villages on vit
en famille et les moindres événements donnent
lieu à de légendaires banquets, au cours desquels
on goûte avidement, outre les nourritures terrestres, des
mets spirituels : poésies, contes et chants. Les bardes
transmettent ainsi les légendes et tout le savoir au peuple
en s’accompagnant sur leurs fameuses harpes.
La spiritualité de l’Irlande doit beaucoup au
génie propre du peuple celte que l’on
décrit comme idéaliste, aventureux, enthousiaste
et communicatif. Le christianisme s’épanouit
naturellement en monachisme puisque cette structure religieuse
préexistait. De fréquentes légendes
nous rapportent l’histoire de collèges druidiques
entiers se convertissant comme un seul homme, ce fait qui parait
difficilement crédible a nos esprits modernes est pourtant
dans la logique du temps et du lieu. La prise de position du chef
spirituel suffisait pour que tout le groupe suive par
obéissance
Fondation et
particularités.
C’est généralement à Saint
Patrick que l’on attribue
l’évangélisation de
l’Irlande. Né vers 389 à Daventry en
Bretagne, (la grande), Celte romanisé, il fonde en effet
dès 444 deux monastères à Armagh qui
deviendra, plus tard le siège primatial. Il meurt en 461.
En fait des signes peuvent nous laisser penser que
l’île verte avait déjà
reçu le témoignage chrétien, notamment
le nombre important d’abbayes existant au 5ème
siècle.
il existe plusieurs hypothèses pour expliquer cela.
L’une des plus couramment évoquées est
celle de contacts avec l’Orient soit par le moyen du commerce
régulier qui se faisait de longue date avec les navigateurs
phéniciens, soit par les visites que les Celtes de la
péninsule ibérique et les scotti
d’Irlande se rendaient mutuellement.
Militent en faveur de ces suppositions :
- Des similitudes de légendes
pagano-chrétiennes (les sept dormants
d’Ephèses entre autres)
- Des similitudes liturgiques ; longues psalmodies
etc.…
- Une vénération
particulière de Notre Dame
- La célèbre
exubérance ascétique
- les apocryphes chrétiens avaient
déjà suffisamment circulé à
la mort de Saint Patrick pour que sa légende en soit
largement inspirée (3)
- Un étrange comput de la date de Paque
basé sur le cycle lunaire, en désaccord total
avec celui de Rome.
Une pièce de
l’antiphonaire de l’abbaye de Bangor ne dit-elle
pas au sujet de l’Eglise d’Irlande :
« Demeure pleine de
délices
Construite sur le rocher
Vraie vigne
Transplantée
d’Egypte »
Le pélagianisme est assez exemplaire des rapports entre
l’Irlande et le Proche Orient ; Cette
hérésie qui se développe surtout en
palestine et en afrique, entre 410 et 420, est très
rapidement répandue dans l’île
à tel point que l’intervention de Saint Germain se
révélera indispensable dès 440.
Cette floraison
d’ascétisme et de sainteté valut
très tôt à l’Irlande le
surnom «d’île des
saints ». Bon nombre d’entre ces saints
franchirent les mers au nom de l’exil pour Dieu, et
évangélisèrent le nord de
l’Europe. L’hagiographie de certains
d’entre eux nous révèle qu’un
de leur moyen favori de navigation est l’auge ou le
sarcophage en pierre ; analogie intéressante avec la
légende de Saint Jacques à Compostelle autre
terre celte et le mythe oriental d’Osiris, le vert (4).
Il nous reste quelques règles de ce monachisme, ou
plutôt des recueils de sentences pieuses et
d’exhortations. Elles offrent un aspect original au regard
des autres productions chrétiennes; elles adoptent parfois
le style poétique et rimé des bardes.
Seule la règle de Saint
Colomban a réellement le caractère
d’une règle monastique. Ecrite à
l’usage des moines gaulois elle est empreinte des traditions
ascétiques irlandaises.
Une des particularités de ces moines est de mêler
la culture profane et religieuse dans leurs travaux intellectuels. On
leur doit notamment la mise par écrit et donc la
préservation d’une partie importante du fond
légendaire celte grâce auquel nous sommes en
mesure depuis quelques décennies de reconstituer la
spiritualité de ce peuple.
Tout à fait
paradoxalement c’est dans ce pays celte que va être
conservée la culture latine la plus pure. Le latin, langue
officielle de l’empire romain n’a jamais
été parlée en Irlande il
s’agit d’une langue étrangère
dont les moines vont cultiver l’expression la plus classique.
Cet engouement va les conduire à reproduire bien des textes
profanes et ainsi à sauver une grande partie de la
philosophie grecque et latine. De plus dans ces monastères,
on s’intéresse de près à des
sciences considérées ailleurs comme profanes la
grammaire la géométrie et la
géographie. On y enseignait la
sphéricité de la terre dix siècles
avant Copernic ! La renommée de ces moines savants
était telle que l’on venait de très
loin pour en recevoir l’enseignement. Au titre
d’étudiant l’on pouvait
séjourner dans un monastère.
Toute l’église d’Irlande
s’organise autour des nombreux monastères dont les
pères abbés désignent les
évêques parmi leurs moines. Tout naturellement,
des pratiques, à l’origine propres aux
cénobites, vont se communiquer au peuple tout entier.
C’est le cas de la confession et de la pénitence.
Le moine représentant un idéale de
sainteté que l’on voudra imiter, la pratique du
pèlerinage, (souvent jusqu’à Rome) se
répandra parmi les laïcs qui voudront vivre
l’exil temporaire pour Dieu.
Le culte des saints
Les deux Saints Jean, avec Pierre et
Paul sont fort en honneur ; ils sont les seuls saints non autochtones
à être fêtés dans
l’église primitive d’Irlande, si
l’on fait abstraction de Saint Michel. En effet le gardien
d’Israël est le premier de tous et l’objet
d’une ferveur particulière. Ce trait cultuel
différencie l’église
d’Irlande de celle romaine qui règne ailleurs et
la rapproche des églises du proche orient. De plus nous
savons bien que cette spiritualité johannique donne une
couleur ésotérique particulière.
Le culte Marial
Solidement établi
dès les premiers temps il occupe une place importante. De
très anciens poèmes mentionnent le Christ comme
« Fils de Marie », ils sont, au
6ème siècle, le prototype du Stabat Mater qui ne
sera composé qu’au 13ème. Le Magnificat
est chanté tous les jours dans les monastères.
Ces chants, ces poèmes célèbrent Notre
Dame avec des images et des accents très orientaux. Le
thème parallèle d’Eve et Marie est
fréquent.
2_Saint Colomban : vie et la
légende
La vie :
La vie de Saint Colomban nous est
connue grâce à la plume
zélée de Jonas de Bobbio, moine de cette
fondation Italienne, qui, ayant suivi le père
abbé dans ses pérégrinations, les
mettra par écrit dès 640, soit 25 ans
à peine après la naissance au ciel
(c’est-à-dire la mort terrestre) de son
frère bien aimé.
Né en 540 d’une
famille du Leinester, Colomban est au dire de ses contemporains un
grand et beau garçon au port altier. Il est instruit
puisque, en bon barde, il connaît les arts, la
poésie, l’histoire, la philosophie et le rythme.
Il a étudié Virgile, Pline, Salluste, Horace,
Ovide et Juvénal. En vrai celte il restera sensible toute sa
vie à la poésie et à
l’occasion saura produire une pièce en vers latin
à la façon d’Horace. C’est un
homme décidé dont on redoute le
caractère.
Jeune moine il est formé
aux écritures et à la vie spirituelle par un
maître prestigieux, Sinell, au monastère de
Claun-Inis. Puis à Bangor dans «la
vallée des anges », sous la direction du
célèbre abbé Comgall, il est
dressé sous l’austère mais salutaire
règle à la milice du Christ.
C’est à partir de ce monastère
qu’il entreprend sa pérégrination pour
Dieu. Cet exil volontaire, bien dans la tradition des moines irlandais
le conduit en 575 à accoster, en compagnie de douze de ses
frères dont il a pris la tête, en Armorique,
près du village qui porte encore le nom de St Coulomb. De ce
lieu, situé entre le mont Saint Michel et Saint Malo, il
passe en Gaule et se dirige, à pied vers Rouen, puis
à l’est par Noyon et Reims, il constate, selon ses
dires que: « la vertu est à peu
près inexistante ». En effet
les invasions ont ramené le pays au stade de la barbarie la
plus cruelle et c’est à peine s’il
subsiste quelques rares foyers de Christianisme.
Chemin faisant, Colomban et ses compagnons prêchent et
suscitent des conversions. Ces hommes étranges, pour les
populations locales, ont un impact important. Leurs robes blanches,
leur tonsure si particulière,
l’austérité de leurs mœurs
qui s’accorde à leur propos, interpellent les
habitants des villes et des campagnes. Ce ne sont pas des inconnus qui
se présentent à la cour du roi de Neustrie,
Sigisbert. Leur réputation les a
précédés. Il leur accorde
l’autorisation de fonder un monastère ; ce sera
Annegray. Ce lieu isolé est situé dans la
vallée du Breuchin, près d’un village
dont le nom rappelle à l’évidence
qu’il est terre celte : Voivre (5). Là au pied des
Vosges ils construisent les premières cabanes de branchages
autour d’une hutte un peu plus grande ;
l’église.
Peu à peu la colonie
s’enrichit de vocations locales. La population a vite
accepté ces moines épris
d’extrême et d’absolu qui
prêchent par l’exemplarité de leur vie,
créant un contraste avec le clergé amolli de
cette époque. De généreux donateurs se
manifestent, procurant des vivres en cas de pénurie. Ils
seront d’ailleurs payés de retour, Colomban ne
dédaignant pas, à l’occasion de faire
quelque miracle en leur faveur.
Ce premier site ne suffisant plus, un second sera
érigé en 590, non loin de là
à Luxeuil. Ici également le monastère
sera fondé près des sources où la
tribu celte des Séquannes rendait un culte aux forces
chthoniennes. Peut-être même ce culte perdurait-il
malgré la romanisation des lieux transformés en
thermes ? Raison de plus pour y planter l’étendard
du Christ : on utilisa les ruines d’un temple de Diane pour
édifier l’église.
C’est à Luxeuil que séjournera le plus
ordinairement l’abbé Colomban
établissant des prévôts sur la
fondation précédente.
Puis ce fut, vers l’an
600, la création de Fontaines. Également
située dans une vallée, celle du Breuchot, petit
affluent de la Saône, la nouvelle fille de Annegray sera
confiée à la
prévôté.
Dès cette époque, dans l’ensemble des
trois monastères on dénombre environ trois cents
moines. Ce rapide succès, encourage sans doute le saint
homme dans son entreprise de redressement des mœurs. Pensant
à juste titre que l’exemple vient d’en
haut, il prend pour cible de sa prédication Thierry II qui
règne sur la Burgondie. Ce dernier est encouragé
dans sa licence par sa grand-mère Brunehaut qui en fait
règne et ne souhaite pas voir son petit-fils
épouser légitimement une jeune femme,
peut-être ambitieuse, qui deviendrait la vraie reine. En face
des grands, Colomban assume pleinement son rôle de
prophète ; il ne mâche pas ses mots. Rejetant tout
calcul diplomatique, il emploie le langage de la fermeté et
de la morale. Il semble bien que ces éclats
fréquents fassent partie de son ascèse. Thierry
et la noblesse de son entourage reprochent à Colomban de
leur interdire l’accès de son monastère
: le respect de la clôture n’étant sans
doute pas encore de règle en Gaule.
Les prélats du voisinage
voient également ce donneur de leçons
d’un mauvais œil. De plus ses pratiques originales
ne s’accordent pas toutes avec celles de Rome dont pourtant
Colomban se proclame le fidèle sujet. Outre la
vêture et la tonsure, les moines Irlandais avaient en propre
leur liturgie et surtout une date de la fête de
Pâque différente. (6)
N’ayant pas, malgré deux lettres à deux
Papes successifs, réussi à convaincre Rome
d’adopter le seul comput valable selon lui, Colomban fut
convoqué par le concile des évêques de
Burgondie, réuni à Châlon en 603. Il
répondit presque poliment en déclinant
l’invitation et en faisant part de son étonnement
qu’un si grand nombre de prélats se soient
assemblés pour débattre de sa modeste personne.
En bon père il leur conseille de se réunir plus
régulièrement pour débattre des
questions urgentes concernant l’église comme
l’exigent les canons et qu’au reste ils devraient
bien imiter plus fidèlement le Christ sur le chapitre de
l’humilité.
Celte intégral, Colomban, abbé,
c’est-à-dire faiseur
d’évêques ne pouvait pas admettre que
ceux-ci puissent le convoquer et de plus discuter son comput. Le
concile considéra qu’avec un tel homme la prudence
était mère de la paix et se garda
d’insister.
Mais il n’en fut pas de
même avec la reine Brunehaut qui fit émettre
à son encontre un ordre d’exil. Conduit
à Besançon, Colomban s’évada
libérant au passage les autres prisonniers. On le reprit de
nouveau dans son monastère où il était
simplement rentré, pour, cette fois, lui faire regagner son
île natale. Sous bonne escorte, il est conduit
jusqu’à Nantes en compagnie de ses
frères Irlandais de la première heure. Chemin
faisant, il accompli quelques miracles, prêche et converti
malgré la défense faite au peuple
d’entrer en contact avec lui. La petite troupe passe par
Autun, Auxerre et à Orléans où la
population, prévenue contre Saint Colomban, lui refuse la
nourriture, il est accueilli chez un couple de Syriens dont une
importante colonie réside en Gaule. On embarque sur la Loire
jusqu’à Tour, ville de Saint Martin, pour lequel
l’abbé nourrit une grande
vénération. Étape obligatoire, donc
pour un temps de prière sur les reliques du grand homme. En
retour l’intercession de Saint Martin fera retrouver les
bagages volés.
Arrivée à Nantes, la troupe séjourne
le temps de chercher un bateau en partance pour
l’île verte. Le navire trouvé, les
moines embarqués, les soldats s’en retournent
soulagés, sans doute d’avoir mené
à bien leur mission. C’était oublier la
complicité que Colomban avait nouée avec les
éléments naturels et sa détermination
à accomplir la mission que Dieu lui avait
confiée. Les vents soufflent en sens contraire et les
tentatives faites pour sortir de l’estuaire se soldent par un
échouage de la nef. Les moines
s’échappent et remontent vers l’est,
évitant simplement les terres de Thierry. Rouen, Soisson,
Paris, Metz, Coblence, Mayence, reçoivent la visite de la
sainte troupe toujours prêchante. A Ussy il
séjourne dans une noble famille dont le plus jeune fils
Dadon deviendra l’évêque de Rouen :
Saint Ouen. Est-ce à Rouen ou à Soisson que
Clotaire reçut avec empressement le saint homme dont la
réputation est maintenant bien établie ? Nous ne
le savons plus. Mais toujours est-il que le rôle de
conseiller politique ne fera pas oublier à Colomban son
devoir d’apôtre. Il profitera de sa
présence à la cour pour blâmer la vie
scandaleuse que l’on y mène. Remontant le Rhin
vers le lac de Constance, le prophète
s’arrête à Bregentz pour fonder un
nouveau monastère. C’est là que Saint
Gall, le vieux compagnon de Bangor sera laissé pour
évangéliser les Germains. Colomban lui
léguera son bâton lors de sa mort ; la fameuse
cambute des longues pérégrinations communes,
témoignage matériel d’une filiation
spirituelle et du devoir de continuer l’œuvre.
Colomban reprend sa route et passe
en Italie où il est (peut-être) appelé
par Agilulf, le roi des Lombards. Au passage, un autre de ses
compagnons s’arrêtera pour fonder lui aussi :
Sigisbert fit de son ermitage au pied du Mendels les
prémices de l’abbaye de Notre Dame de Disentis.
Seul avec Attal, le saint moine arriva à Milan où
il fut reçu par le roi en l’an 613.
L’arianisme qui avait quasiment supplanté le
christianisme romain dans toute l’Europe, (7)
était particulièrement virulent dans cette
contrée ; Agilulf lui-même professait cette erreur.
Colomban voit l’urgence de la prédication et
décide de fonder en Italie. Ce sera Bobbio, du nom de la
rivière au bord de laquelle
s’élèvera l’abbaye.
Tel un nouvel Elie, assumant sa vocation de prophète, il
écrit au pape Boniface IV afin de l’inciter
à la fermeté envers
l’hérésie. Cette lettre est un fleuron
de la littérature chrétienne, rien n’y
manque, style, poésie, humour et humilité ; un
des passages les plus savoureux nous montre l’état
d’esprit du Saint abbé : « Nous,
Irlandais qui habitons les extrémités du monde...
nul d’entre nous ne fut jamais ni
hérétique, ni juif, ni schismatique...
Pardonnez-moi si je vous ai dit quelques paroles offensantes pour des
oreilles pieuses. La liberté native de ma race me donne
cette hardiesse. Chez nous, ce n’est pas la personne,
c’est la raison qui prévaut. L’amour de
la paix évangélique me fait tout
dire. »
C’est à Bobbio
que Saint Colomban termine sa pérégrination
terrestre le 23 novembre 615. Dans l’oratoire de son
ermitage, dédié à Saint Michel,
où il passait la plus grande partie de son temps,
après avoir célébré une
dernière fois l’eucharistie dans le calice de
bronze (8) verdi par les ans, (celui-là même qui
lui avait été remis lors de son ordination), il
entre dans l’éternité. Il laisse une
œuvre dont les effets changeront le visage et
l’histoire de l’Europe.
La légende
Raconter la vie d’un Saint
du VIIème siècle en s’en tenant
strictement à ce qu’il est convenu
d’appeler la réalité historique,
c’est faire l’impasse sur une autre
réalité, beaucoup plus importante aux yeux des
générations qui nous ont
précédées, nous léguant des
légendes (ce qui doit être lu) afin que
précisément, les événements
parviennent jusqu’à nous, revêtus de
leur signification profonde. Si de plus, ce Saint est Irlandais,
c’est-à-dire Celte, cela reviendrait simplement
à amputer l’histoire :
Colomban est natif de cette île (verte c’est ce que
signifie le nom de l’Irlande en gaëlique)
où aborda Joseph d’Arimatie, porteur de
la Sainte Coupe ayant recueilli le Précieux Sang
du Christ. Cette coupe, le Saint Graal est comme chacun sait,
taillée dans l’émeraude (verte) que
l’Ange déchu, Lucifer, laissa échapper
lors de sa chute. Ce qui confère à chaque
Irlandais digne de ce nom un devoir spirituel particulier. Cette
légende si cela en est une nous indique que
l’Esprit avait préparé, dans cette
noble terre quelques gouttes du sang du rédempteur
c’est à dire le germe spirituel d’une
nouvelle forme de la Tradition. Nouvelle dans son exotérisme
mais éternelle dans son fondement.
La fidélité
à sa mission guidera toute sa vie notre saint ; cette
vocation lui est annoncée par une femme ermite
dès son adolescence. Ce qui donne sens à sa vie,
c’est en effet d’accomplir scrupuleusement la
fonction pour laquelle Dieu l’a créé,
dût-il, comme le continue la légende, passer sur
le cadavre de sa mère pour franchir la porte qui le conduit
vers son destin.
Ceci nous enseigne que certains hommes sont
prédestinés à une tâche
précise de toute éternité. Cette
lignée qui commence sans doute avant la naissance
d’Abraham passe par lui et par Elie (qui est, ne
l’oublions pas, « le
verdoyant ») Jean le Baptiste et
d’autres qui sont comme Colomban héritiers de
l’Esprit. Dans la tradition Bouddhiste on les appellerait
« Tulcu » en
Islam « Pôles ».
Ils jalonnent le temps et sont les bornes de
l’Eternité. N’oublions pas
qu’Elie est pour les Musulmans et pour les
Israélites, celui qui doit revenir à la fin des
temps comme dans les Evangiles.
Un autre point important de
l’histoire peut nous aider à comprendre la
démarche spirituelle de cette époque et de ce
peuple. Lorsque Colomban entreprend sa périgrinatio
pro Deo, il le fait en compagnie de douze de ses
frères. Il reproduit ainsi le modèle Christique.
(Nous retrouverons ce symbolisme dans la quête du Graal.) Ce
qui situe également son rôle au sein du petit
groupe et la raison de l’obéissance absolue et
volontaire de ses compagnons. Certains modernes objecteront sans doute
qu’abdiquer sa liberté n’est pas digne
d’un homme ? Il nous sera facile de leur
répondre par cette définition de la
liberté : « c’est
l’acceptation volontaire d’une discipline »
(Ph Pétain).
Le charisme de guérison
est aussi une invite à situer dans la suite du Christ ceux
qui le manifestent. Colomban possède à un haut
degré ce pouvoir thaumaturgie, signe évident de
sainteté, nécessaire pour convaincre les
populations. Or il guérit tout ce qui se
présente, peste et rhume...
Dans ce même ordre d’idées il est
possible de placer les diverses multiplications de froment, de pain et
de poisson qu’il accomplira, ainsi que les pêches
miraculeuses réalisées sur ses indications par
Saint Gall. Ce don est pour le moins utile dans cette
période de grande famine. Il n’est pourtant, comme
le montre l’exemple du Christ, que le symbole de la
multiplication d’une nourriture spirituelle et le symbole du
pêcheur d’hommes.
Pour ce qui est des rapports avec les animaux, il est possible
d’y voir la trace d’une spiritualité
accomplie. Toutes les traditions du monde véhiculent en
effet que certains hommes parvenus à un haut
degré de spiritualité sont en mesure de converser
avec les bêtes, comme sans doute le faisait Adam en
Éden, lorsque tout était Un.
Avec Saint Colomban il y a pourtant
une petite modalité particulière :
s’adressant au frère corbeau, s’en
faisant obéir, il devient un nouvel Elie affirmant sa
vocation de prophète et nous donnant ainsi une
précieuse indication concernant sa lignée
spirituelle. Puis il soumet les ours, leur faisant même
porter le joug à la place des bœufs ;
l’ours est en effet le symbole du roi dans la mythologie
celte (Artus-Arthur), ce roi qui ne meurt pas. Or c’est en
premier lieu vers les rois de son temps que va se porter
l’action de redressement moral de notre moine; ses
successeurs poursuivront sa tâche. Pour les convaincre il
prophétise et ce que l’Esprit lui donne
à dire n’est pas toujours le plus
agréable à entendre. Ceci lui vaudra, comme Elie
l’inimitié de la reine qui a jeté ses
rets sur le pouvoir.
Lorsque, près de son ermitage Saint Colomban frappe le
rocher de sa cambute (son bâton) et en fait jaillir une
source, c’est à Moïse qu’il
faut sans doute le comparer, et de fait son œuvre
civilisatrice peut certainement l’assimiler au plus grand des
conducteurs de peuples que l’Éternel ait
suscité.
Bien d’autres faits hagiographiques mériteraient
d’êtres étudiés plus en
détail : le pouvoir sur la pluie et sur les vents entre
autres. Mais ce haut pouvoir thaumaturgique, pour ma part me fait
penser à une autre filiation, celle des druides,
à l’archétype druidique
Merdwin…
3_Le monachisme Irlandais
et Colombanien
Ce sont souvent les aspects les plus
durs, tels les châtiments corporels qui sont retenus comme
singuliers de ce monachisme. Il est pourtant d’autres points
qui méritent attention.
Les centres monastiques d’Irlande se sont formés
à partir de la famille (muintir qui
donnera moutier), de la tribu et du clan.
L’aspect extérieur du monastère
celtique rappelle celui de la laure palestinienne :
L’organisation des communautés est en fait un
groupement d’ermitages à
l’intérieur d’une clôture
autour d’une l’église (8). Elles sont
sous l’autorité d’un abbé qui
est avant tout un maître spirituel au sens fort. Cette
autorité absolue est librement acceptée par ceux
qui s’engagent à sa suite. Le rôle de
l’abbé est considérable ; il est le
chef du clan monastique, c’est-à-dire de la
fondation et de toutes les filiales. Son nom a une large acception ;
ainsi le pape est l’abbé de Rome et même
le Christ est parfois nommé le Grand Abbé. Il est
bien au-dessus des évêques qu’il a
charge d’ordonner.
Les règles sont diverses
mais la même sensibilité semble
présider à leurs rédactions
(lorsqu’elles sont écrites).
Les monastères sont le centre de la vie spirituelle locale.
Ce sont également des foyers de vie culturelle ; outre les
écritures sacrées, on y étudie les
sciences profanes : la poésie, la musique.
L’enluminure et la calligraphie y sont à
l’honneur. Les légendes celtes seront pour la
plupart sauvées par ces moines cultivés qui
fourniront ainsi le seul matériel disponible pour
reconstituer la culture et la religion de ce peuple.
Paradoxalement c’est à ces moines que
l’on doit la conservation du latin pur. En Irlande on parle
celte, contrairement à la Gaule où la langue
vulgaire est un latin qui avec le temps et les invasions a
dégénéré. Ils conserveront
aussi le grec ancien et la philosophie de cette brillante civilisation.
La liturgie
Mais les différences avec
le monachisme continental se situent à un niveau plus
profond :
Toute la conception de la liturgie est différente et
révélatrice d’influences non romaines ;
les offices sont beaucoup plus longs, coupés de nombreuses
prostrations et génuflexions. La psalmodie prime ; il
n’est pas rare que le moine récite le psautier en
entier chaque jour. Elle se fait en alternance. Une place importante
est laissée à la prière,
conçue comme un moment de paix extatique, de louange et de
rapport avec le Créateur. Les litanies des Saints sont
fréquemment dites, et constituent souvent le
début de la messe conventuelle.
Les moines ont un rôle missionnaire qui les oblige
à dire l’eucharistie dans les campagnes sur des
autels portatifs, pour la communion ils se font aider des femmes qui
distribuent le Corps du Christ.
Dans certaines liturgies irlandaises le prêtre se livre
à une sorte de danse sacrée devant
l’autel ; il avance et recule alternativement par trois pas
en avant et en arrière. Le credo aussi est particulier.
C’est semble-t-il dans certains des monastères
celtes que naîtra l’idée de la
prière continue ; des chœurs de moines assurent
une louange perpétuelle en se relayant.
Les fêtes
Nous avons vu avec la vie de Saint
Colomban que la date de la Pâque posait problème.
Ce n’était pas la seule car les gallicans avaient
leurs saints propres et donc des dates pour les fêter. Ces
fêtes se substituaient à celles du calendrier de
Rome.
Les saints les plus particulièrement honorés
étaient Saint Jean le Baptiste, Saint Jean
l’Évangéliste, Saint Michel et saint
Patrick.
Dans un des nombreux conciles où est
évoqué le comput de la Pâque, celui de
Witby en Northombrie (664), le porte-parole du parti romain se
réfère à Pierre en tant que garant de
la tradition de l’église de Rome. De
l’autre bord, Colman représentant la tradition
dite de Saint Colomban fait référence
à l’église de
l’apôtre Jean. La question du roi Oswiu, qui doit
se faire une opinion, est éclairante sur
l’état du problème : il demandera aux
évêques en présence de lui indiquer qui
de Pierre ou de Colomban a la préséance.
Au travers de ces détails on comprendra que nous sommes en
présence d’une église qui se laisse
inspirer par la spiritualité johannique. Elle
présente donc un intérêt tout
particulier pour les maçons…
Le devoir d’exil
Est-il né de la
surabondance de vocations religieuses, (certains couvents
d’Irlande et d’Ecosse comptèrent plus de
mille moines) ou de la tendance des Celtes au voyage ? Il est certain
en tout cas que ce fut le facteur le plus important de la
christianisation du nord de l’Europe et de
re-christianisation de la Gaule, du nord de l’Espagne et de
l’Italie.
L’exemple de Columba (autre moine originaire
d’Irlande qui ne sera pas canonisé) est
significatif des coutumes en la matière. Ayant
réuni douze disciples il s’agenouille pour
recevoir la bénédiction de son abbé et
invoquer « maris Stella »,
puis s’embarque et se laisse porter au gré du vent
dans la direction que Dieu choisira, car Lui seul sait ou est le
besoin. Il aborde ainsi dans un petit archipel à
l’ouest de l’Ecosse dans l’île
d’Y ou Hy, depuis connue sous le nom de Iova ou Iona. Il y
plante ses cabanes, mais avant toute chose, pour bien marquer la prise
de possession perpétuelle, un cadavre sera enseveli sur les
lieux comme le veut la coutume. L’abbé demande
à Odran de bien vouloir rendre ce service à la
communauté et le saint moine par devoir
d’obéissance rend sur-le-champ son âme
à Dieu et laisse son corps à la fondation.
L’église du monastère
s’élèvera sur son tombeau.
Il faudrait pouvoir citer tous les Saints de cette église
d’Irlande et de Bretagne qui
débarquèrent ainsi durant quatre
siècles environ sur notre continent,
l’évangélisèrent et lui
redonnèrent la culture et la civilisation. Parmi les plus
connus citons Saint Malo, Brieuc Wandrille, Gall, Waast. Et chez les
successeurs de Saint Colomban originaire du continent; Saint Ouen et
Saint Eloi qui furent des conseillers du roi Dagobert.
La vêture et la tonsure
Autre point remarquable, pour les
continentaux, les moines insulaires étaient vêtus
de grandes robes blanches sur lesquelles ils portaient la cuculle,
(telle que la porte encore de nos jours les Chartreux) en laine bourrue
qui était, lorsque cela était possible, teinte en
blanc.
Mais ce qui frappait le plus les Gaulois était sans conteste
la tonsure particulière des frères. La mode
romaine exigeait soit la rasure totale dite de Saint Paul, ou bien la
couronne dite de Saint Pierre. Les Celtes eux, ne
démordaient pas d’une tonsure en croissant, qui,
partant d’une oreille à l’autre laissait
les cheveux longs sur la nuque et un toupet sur le milieu du front.
L’on disait que c’était celle de Simon
le magicien et nul n’ignorait, en ce temps-là, que
le dit Simon avait été le chef des Druides (qui
effectivement portaient la tonsure incriminée).
L’ascèse
Le végétarisme
est absolu, (à peine un peu de poisson les jours de
fêtes et le dimanche) les jeûnes
fréquents. Un seul repas journalier composé de
légumes et de céréales.
Peu de sommeil et certaines règles autorisent les moines
à dormir en marchant s’ils ne peuvent faire
autrement et de n’aller au lit qu’en cas
d’extrême fatigue. D’ailleurs on se
couche tout habillé sur des paillasses. La
propreté est par contre en grand honneur et l’on
se lave très fréquemment. (9)
Beaucoup de travail, pas seulement intellectuel, car les
frères essartent et cultivent les terres dont ils vivent et
font vivre les pauvres. Obéissance inconditionnelle
à l’abbé, maître spirituel.
La pratique de la confession communautaire et de la
pénitence par des châtiments corporels. La lutte
contre le péché peut conduire certains
à plonger en plein hiver dans des torrents de montagne et y
réciter un psautier pour rafraîchir les ardeurs de
la chair. Certains châtiments semblent ressortir
d’une optique différente de la simple
pénitence comme le sommeil (?) dans un tombeau en compagnie
d’un cadavre (ce qui n’est pas sans rappeler
certains écrits des pères du désert ou
certaines pratiques initiatiques communes à toutes les
Traditions ésotériques). L’usage
journalier de la confession est très répandu.
L’hospitalité
est un devoir sacré en pays celte et surtout dans les
monastères. Il n’est pas rare de voir
l’abbé en personne venir solennellement au devant
d’un humble pèlerin, et ils sont nombreux dans ce
monde itinérant. Tous sont reçus et font
l’objet d’une attention particulière.
Il existe également des monastères
féminins, mais en moins grand nombre. Ils ne
cèdent en rien à la rigueur des abbayes
masculines et certains d’entre eux seront
également des foyers de sainteté, pour
mémoire nous ne citerons que Sainte Brigide de Kildare (fin
du Vème siècle).
Les moines pratiquaient aussi la vie solitaire, lorsque leur
abbé, les aura jugés, sur leur comportement
conventuel, dignes de mener cette forme de vie supérieure.
Les anachorètes se retirent alors dans des grottes, des
cabanes ou des îlots ; c’est le disert
ou en breton le peniti. Ils passent sous le
contrôle d’un disertach,
supérieur des ermitages nommé par
l’abbé. Cette anachorèse peut
être temporaire ou définitive selon les cas.
4_Les apports dans le
monachisme, l’église et la
société européenne
L’action de ce monachisme
celte importé sur le continent est considérable.
Avec l’arrivée des moines insulaires dont Saint
Colomban est la figure paradigmatique, c’est toute la
civilisation qui va renaître.
Il faut se souvenir, en effet qu’après
l’effondrement de l’empire romain, la partie
occidentale envahie et ravagée par les barbares de
différentes origines, était tombée
dans le chaos et l’anarchie. Les luttes fratricides pour le
pouvoir, le crime et la licence des mœurs étaient
banalisés. L’église elle-même
s’était pervertie dans cet environnement et le
peuple des villes, le seul qui eut été vraiment
christianisé retournait à ses coutumes
païennes. Sur le plan culturel plus rien ne subsistait de
l’antique héritage.
Les Irlandais avaient, nous
l’avons vu, outre une grande connaissance des
écritures sacrées, une vaste culture profane dont
ils firent bénéficier ceux qui
fréquentèrent leurs fondations. Ils
enseignèrent également le beau latin classique
perdu ailleurs et qui devint la langue européenne
contribuant ainsi à l’unification.
Sur le plan de la moralisation des mœurs leurs habitudes des
confessions assorties de lourdes pénitences
appliquées tant au peuple qu’aux princes firent
des merveilles, atténuant notamment les
phénomènes de vendetta.
Une grande part de leur action se porta sur la classe dirigeante. Ils
instituèrent également une justification du
pouvoir royal par une onction manifestant le caractère
sacré de la fonction de roi. (10) Ce fut un pas
décisif dans le processus de civilisation ; le
trône devenant incontestable, (au moins en
théorie), et ne dépendant plus de la force,
devint plus stable. Les successeurs de Colomban furent pendant
longtemps encore les conseillers des rois et empereurs ; il
n’est besoin que de citer Ouen et Eloi. C’est sous
cette direction éclairée que se fit la grande
réforme de Charlemagne.
Les Celtes
christianisèrent les territoires germaniques et du nord de
l’Europe, impénétrables à
tout ce qui pouvait sembler Romain. Ils y implantèrent les
mêmes structures civilisatrices.
Travailleurs infatigables, ils essartèrent de grandes
surfaces donnant ainsi une impulsion salutaire à
l’agriculture.
Leur entreprise de moralisation ne se limita pas aux laïcs ;
sous leurs vigoureux exemples ce fut toute
l’église qui fut
régénérée.
En guise de conclusion
Vite adouci par la règle
bénédictine le monachisme colombanien est
pourtant la pierre de fondation de l’Europe :
C’est à Saint Colomban, et non à Saint
Benoît, comme on a pu le dire récemment que nous
devons la construction de l’Europe. C’est en effet
à partir des monastères que va se
développer l’agriculture. Ce sont les moines qui
essartent les terres cultivées de la Gaule. C’est
également à partir des Abbayes que va rayonner et
s’accroître le savoir dans tous les domaines.
C’est elles aussi qui formeront l’élite
qui gouvernera. Or en un siècle à partir de Saint
Colomban on dénombrera cent trente trois fondations de son
obédience. De plus ces fondations sont, pour la plus part
situées en gaule septentrionale. (A titre de comparaison les
quatre siècles précédents
n’auront donné à l’ensemble
de l’Europe qu’une petite quarantaine
d’abbayes et toutes situées au sud de la Loire.)
Dès lors il est aisé de comprendre pourquoi la
Gaule du nord fut le berceau de la civilisation européenne.
C’est à partir de ces moines celtes que son
rayonnement se fera sur le monde entier jusqu’à
une époque récente.
Si, de nos jours encore, la lumière de Luxeuil
éclaire tout œil attentif ; c’est que de
Fontaines jaillira comme une eau de jouvence, Bernard de Fontaines,
nommé plus tard, de Clairvaux. Saint Bernard, dont les
moines instruirons et formeront bien des compagnons
opératifs, sera également le parrain des
Templiers.
A cinq siècles de
distance, alors que le sel de la terre s’affadissait
à nouveau, ce fut lui qui porta à son plus haut
degré la réforme Cistercienne. Comme ses
ancêtres celtes il fonda près des sources dans les
vallées des monastères, foyers
d’oraison et de labeur. Il mit la dernière main
à une règle qui demeure aujourd’hui
l’exemple de l’ascèse.
Végétariens, vêtus de blanc, ses moines
défrichèrent à leur tour de larges
arpents de terre.
Son action moralisatrice déborda largement le cadre de
l’église, réorganisant la chevalerie et
prenant part à tous les débats de son temps Saint
Bernard fit œuvre de civilisateur.
C’est sans doute pour bien marquer cette filiation que le
dernier des bardes connu, Saint Malachie, vint mourir dans ses bras...
Mais il me semble que le lien le plus fort entre Saint Colomban et
Saint Bernard est, sans conteste d’avoir
été tous les deux nourris au Sein Virginal de
l’Etoile de l’éternel matin ; ils
avaient la même vénération pour Notre
Dame... Certains n’hésitent plus,
aujourd’hui à dire que Saint Bernard et ces 33
compagnons qui prirent en même temps que lui
l’habit étaient un collège druidique
qui, constatant la fin de leur Tradition
intégrèrent la nouvelle forme en marche.
Pour nous il est
également important de savoir que le peuple
d’Irlande se nome Scott et l’Ecosse est une terre
que les Scotts ont conquise et nommée de leur nom, ils y
implantèrent leurs coutumes et sans doute y
préservèrent les influences initiatiques en
provenance de Tyr la phénicienne
dédiée aux mystères d’Isis,
proches de ceux de Maître Hiram et du christianisme
johannique.
Nous sommes aujourd’hui dans une phase que je qualifierai par
l’euphémisme de « transitionnelle »
et, autour de nous, la société ancienne laisse
place à ce qui nous semble être un chaos. Les
formes religieuses et initiatiques changent. Certaines structures
perdent et leur âme et leur opérativité
initiatique. Soyons persuadé que la Tradition une et pure
transitera dans des formes nouvelles qui sont
déjà nées. Les rituels les
organisations ne sont que des vecteurs utilisés, un temps,
pour cette transmission. Soyons de bons conducteurs, de bons outils du
Tout Autre, lâchons prise le courant ne nous appartient pas.
Gardons précieusement
enclos dans l’arche scellée de notre
cœur, les germes de la Lumière dont aura besoin ce
demain qui viendra sans aucun doute.
Tout comme les Celtes ont su intégrer le Christianisme en y
voyant clairement ce que René Guénon nommait
« la Tradition primordiale »
intégrons le temps à venir sereinement, en
restant fidèles à notre héritage.
Les structures passent, elles se vident avant de mourir et se
décomposent de l’intérieur, la voie
initiatique elle, dure depuis avant les siècles et durera
bien au-delà. Car elle est l’appel de
l’Eternel qui éternellement rassemble ce qui est
épars et notre loge, ce soir n’est rien
d’autre que la caisse de résonance de son verbe
qui nous invite aux noces comme aurait dit Saint Bernard.
J’ai dit V\ M\
(1) Cette
partie fait références aux travaux
récents de J. Markal, M. Leroux et P. Guyomvach.
(2) Allusion humoristique à ce que
l’école primaire française a
véhiculé outre mer notamment sur un
arrière fond de patriotisme exacerbé.
(3) « L’art chrétien
de l’Irlande ancienne révèle une
influence orientale...la conception du combat ascétique est
typiquement orientale... Dans la règle de St Columban on
trouve une vingtaine de citations de Jean Cassien, et il est certain
que des œuvres chrétiennes venues
d’orient furent connues en Irlande avant le 6ème
siècle... » Dictionnaire de
spiritualité t72 col 1973.
(4) Il est étrange de voir en effet que
l’archétype légendaire du culte
à mystères d’Osiris (qui voyagea
d’Egypte à Tyr, une fois mort, dans son cercueil
de pierre, sur les flots et fut retrouvé par Isis
grâce à un arbre verdoyant signalant sa tombe) ait
été réemployé tel quel dans
la légende de St Jacques de Compostelle et celles de
nombreux saints Celtes ainsi que dans d’autres
mystères que nous connaissons bien.
(5) La Vouivre était le non donné à la
personnification des forces chtoniennes souvent
représentées par un serpent ou par un dragon. Ces
forces avaient le double aspect génésique, de
croissance et de mort, et de destruction.
(6) Il semblait impensable que la Pâque Chrétienne
puisse coïncider avec celle des Juifs, ce qui était
le cas avec le comput Irlandais au moins pour les années 600
et 603.
(7) On compte qu’à cette époque 80% du
clergé chrétien était arien.
(8) Les prêtres Irlandais utilisaient des calices de bronze
à l’exception de toute autre matière.
(9) On trouvera des ermitages, des églises et des
clôtures de forme circulaire. Tel celui d’Abingdon
où le monastère primitif mesurait 120 pieds de
diamètre. Il comptait douze cellules et douze
églises toutes circulaires. Ceci nous donne une
idée de l’importance de la symbolique du cercle et
du nombre douze pour les moines celtes.
(10) Les Celtes étaient les inventeurs du savon bien avant
l’ère Chrétienne.
(11) Les premiers rois chrétiens oints le furent en Irlande,
en Ecosse et au nord de l’Espagne par des moines Celtes. La
Gaule dut attendre quelques temps.
Bibliographie
:
Saint
Colomban
M.
Henry-Rosier
SPES, Paris 1950
Les moines et la
civilisation
J.
Decarreaux
ARTHAUD, Paris 1961
Dictionnaire de
spiritualité
T 2, 1131/1133
Dictionnaire de
spiritualité
T 1, 626/627
Dictionnaire de
spiritualité
T 3, 1075
Dictionnaire de
spiritualité
T 5, 817/819
Dictionnaire de
spiritualité
T 7, 786/1973/2168
Dictionnaire de
spiritualité
T 10, 1373
Dictionnaire de
spiritualité
T 12, 707/918/968
Dictionnaire de
spiritualité
T 9, 1009
La primauté du
pape
K.
Schatz
CERF Paris 1992
Traditions
celtiques
R. Ambelain
DANGLES Paris 1987
L’épopée
irlandaise
G. Dottin, J
Markal
PRESSES D'AUJOURD'HUI
La civilisation celtique F. Leroux, J
Guyonvarc’h
OUEST FRANCE ED Nantes 1989
Les
Druides
F. Leroux, J
Guyonvarc’h
OUEST FRANCE ED Nantes 1992
La femme
celte
F. Leroux, J
Guyonvarc’h
OUEST FRANCE ED Nantes 1991
La religion des
celtes
J. De
Vries
PAYOT Paris
Catholicisme
T 10, 1094
|