Obédience : NC | Loge : NC | Date : NC |
Église catholique et franc-maçonnerie Lorsqu’il nous a été demandé de collaborer à la rédaction d’un travail portant sur les dernières déclarations de l’Église à propos des associations maçonniques, nous avons accepté avec joie cette invitation d’autant plus que l’hostilité farouche des autorités ecclésiastiques vis à vis de la franc-maçonnerie nous a toujours paru incompréhensible. Celle-ci, dès sa structuration en obédiences, a été en butte à la volonté pontificale de l’abaisser, y voyant un ennemi qu’il fallait absolument éradiquer. Cette attitude est difficilement compréhensible dans la mesure où, à l’origine, les deux entités avait fait relativement bon ménage comme nous allons le rappeler ci-dessous ; mais, hélas, cette bonne entente ne devait durer qu’un temps… Au vu de ces premiers propos, sans nous lancer dans une histoire détaillée de la franc-maçonnerie, il nous faut néanmoins expliquer les conditions dans lesquelles elle prit racine.
Les Anciens Devoirs (ou Old Charges) Les premières traces remonteraient aux alentours de l’an 1000 avec ce qui est souvent appelé les Anciens Devoirs (ou Old Charges) ; c’étaient essentiellement des réglementations de la profession de maçon mais surtout des manuscrits s’étant étalés sur près d’un demi-millénaire, ce qui fait qu’il est quasiment impossible d’en dégager une relative cohérence tant ils ont varié dans un si grand intervalle de temps. Toutefois, que l’Église et les organisations professionnelles du bâtiment aient pu être amenées à vivre en bonne intelligence était relativement cohérent dans ce Moyen-Âge voyant des cathédrales s’ériger dans les principaux royaumes européens. L’une ayant besoin des autres pour édifier un « art gothique », l’ensemble coexistait dans une paisible harmonie et l’on vit s’instaurer à proximité des édifices religieux, des cabanes de chantier qui, par extension, usèrent très vite du terme de « loge ». Ce préambule justifie le fait que se trouvent, dans les (copies des) Anciens Devoirs, qui furent élaborés de façon quasi-systématique, des références religieuses. Leur trame démarrait le plus souvent par une prière à la divinité ; puis, après la description des arts libéraux positionnant la géométrie en bonne place, la présentant comme étant « la science la plus noble de toutes, celles qui trouve toutes les autres », venait une histoire mythique du métier suivant vaguement le cheminement biblique, l’histoire débutant avant le déluge quand Jabel, Tubal, Tubal-Caïn décidèrent de sauver les sciences en les gravant sur les deux colonnes… Ces points reviennent donc assez fréquemment dans les manuscrits Régius (vers 1390) et Cooke (1410), les textes les plus connus des Anciens Devoirs. Néanmoins, il faut distinguer ceux-ci des règlements de métiers stricto sensu, les premiers étant des documents exclusivement d’origine anglaise et ayant été rédigés au sein du l’intérieur du métier tandis que les seconds proviennent d’une autorité extérieure. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant d’apprendre que les auteurs de ces fameux Anciens Devoirs fussent des clercs ou des religieux et, en aucune façon, des opératifs ; par voie de conséquence, la référence au divin revient très souvent comme, par exemple, la construction du Temple de Salomon qui y était mentionnée à de multiples reprises. Il est donc possible de voir, avec les Constitutions d’Anderson, le texte fondateur de la maçonnerie moderne du début du XVIIIe siècle, un prolongement des Anciens Devoirs. Mais n’allons pas trop vite en besogne et arrêtons-nous quelques instants sur les statuts Shaw qui constituèrent une étape clé dans les débuts de cette maçonnerie dans les Îles britanniques en cette fin du XVIe siècle. Les « statuts Shaw » Ces deux « statuts » datant de 1598 et de 1599 doivent en fait s’insérer dans une unité beaucoup plus large car il faudrait, pour être un peu plus exhaustif, leur adjoindre les deux chartes Saint-Clair de 1600-1601 d’une part et 1627-1628 de l’autre. De plus, il est indispensable d’évoquer en amont la lettre-décret « Copland d’Udoch » de 1590 et, en aval, les « statuts Falkland » de 1636. Cependant, nous nous limiterons aux statuts Shaw sensu stricto car, avant tout, nous voudrions montrer qu’ils furent probablement le résultat d’une négociation avec les autorités ecclésiastiques du temps dans un contexte d’intolérance. La chronologie nous impose à dire qu’ils représentaient une évolution notable avec les Anciens Devoirs, d’une part parce que, cette fois, il n’était plus question de se préoccuper d’une « loge » au pied d’une cathédrale…, mais de monter une structure à l’échelle d’un pays, à savoir dans le cas présent, l’Écosse. Lesdits statuts proposaient alors une règlementation de la profession de maçon « opératif » s’appliquant dans sa totalité avec les employeurs et les salariés sous la houlette des gens du métier. Mais, à la différence des Anciens Devoirs, cette nouvelle codification devait donc s’appliquer aux loges maçonniques et non plus aux guildes régentant alors les secteurs des bâtiments, dont faisaient partie les maçons. Il faut noter préalablement noter que, si ce projet a nécessité six textes, c’est qu’il dut être particulièrement ardu à écrire et qu’il résulta très probablement de compromis passés entre les diverses parties prenantes. Un réaménagement dans une zone géographique aussi large ne pouvait mener qu’à une centralisation efficace hiérarchisant les loges dirigé par un véritable « patron ». Or, Shaw, du fait de sa position sociale, avait une telle carrure. L’homme était en effet Surveillant général, position équivalent peu ou prou à celle du ministre des bâtiments du royaume d’Écosse. En clair, il était le donneur d’ordre pour tout le pays. Se mit alors en place une hiérarchisation globale de la profession car, jusqu’ici, la juridiction des guildes était limitée à un bourg ou, au mieux, dans ceux l’avoisinant ; de plus, dans certains lieux où habitaient ou bien travaillaient des maçons, il n’y avait souvent pas de guilde appropriée, ce qui s’avérait préjudiciable pour ces derniers. Apparurent dorénavant trois catégories parmi eux : d’abord un surveillant ou un maître de loge, puis des compagnons ou maîtres et des apprentis-entrés, différents de ceux utilisés dans les guildes. La discipline y était très stricte et les sanctions pouvaient pleuvoir sur ceux qui ne la respectaient pas. En contrepartie, les adhérents y obtenaient des compensations en matière de garantie d’emploi, les employeurs s’engageant à respecter les contrats signés (même s’ils trouvaient un concurrent moins cher avant la fin de la réalisation du chantier). Il n’empêche que William Shaw voulût aussi affranchir les maçons de la tutelle des guildes où ils étaient peu représentés à côté des autres métiers du bâtiment comme les menuisiers-charpentiers, les peintres, les couvreurs ou encore les vitriers… En conséquence, l’objectif du Surveillant général était d’attirer une certaine élite dans les « loges » au détriment des guildes. Elle se devait d’être bien sûr technique au sens large du terme, mais également morale. Pour ce qui était du premier point, Shaw souhaitait mettre à l’écart les ouvriers non qualifiés censés ne construire qu’en pierres sèches, sans mortier et surtout ne possédant pas le « mot de maçon » (sur lequel nous reviendrons ci-dessous). Ces derniers, dénommés « cowans », n’avaient aucun droit de cité dans les règles émises par Shaw ; d’ailleurs, il était stipulé dans l’article 15 des « statuts » qu’aucun maître ou compagnon du métier ne devait en accueillir sous peine de condamnation[1]. En réalité, il existait des dérogations, en particulier lorsqu’aucun maçon n’appartenait à une loge dans une zone géographique donnée ; dans ce cas, il n’y avait d’autre recours que de faire appel à un « cowan ». Cet empêchement de force majeure remettait plus ou moins en cause le soi-disant manque de maîtrise des techniques de maçonnerie qui leur était prétendument reproché. Néanmoins, il est possible d’expliquer cette contradiction avec le fait que celui-ci était obligé de composer avec les guildes tenues par les maîtres / employeurs qui étaient tout à la fois des électeurs ou des conseillers du bourg ; ainsi, dans une ville comme Édimbourg, il étaient de grands commanditaires de travaux où il leur arrivait de croiser aussi William Shaw qui représentait le Roi. Si cette négociation avec les donneurs d’ordre à la tête des guildes fut probablement âpre, celle menée avec les forces religieuses ne dut pas non plus s’apparenter à un chemin de roses… A ce propos, il faut d’ailleurs s’interroger sur le fait que Shaw ait beaucoup insisté sur les critères moraux exigés par les maçons ayant accès aux loges. Cela pouvait être pris comme étant une sorte de revanche par rapport à la possibilité de payer des « cowans » en montrant que, s’ils détenaient un certain bagage technique, ils étaient loin de posséder les valeurs morales requises eu égard à leurs homologues des loges. De plus, inscrire la moralité en exergue présentait l’immense avantage de ne pas se référer à Dieu ni à la religion stricto sensu, et ainsi d’observer une certaine neutralité en cette période de guerre de religions, ce qui ne relevait pas du simple hasard. Pourtant, William Shaw avait des convictions chevillées au corps et n’était nullement un tiède. Le catholique qu’il était s’opposait (vivement) à un protestantisme extrémiste ou au presbytérianisme très puissant dans cette Écosse de la fin du XVIe siècle. Dans ce contexte, ses adversaires saisirent ce prétexte du fameux « mot du maçon » donnant l’entrée en loge pour l’attaquer, s’interrogeant pour savoir si ce dernier était compatible avec l’Église. Or, celle-ci s’était arrogé le pouvoir et il est donc très plausible que l’apparition desdites valeurs morales dans les statuts ait résulté d’un compromis. Car, paradoxalement, la hiérarchie religieuse ne freina pas l’extension des loges. C’est ce qu’exprime David Stevenson dans son ouvrage déjà mentionné en précisant que : « … Les francs-maçons exprimaient clairement qu’ils n’avaient nulle intention d’empiéter sur le monopole de l’Église par une quelconque ingérence des loges dans des pratiques religieuses, tout en mettant en relief qu’ils n’en constituaient pas moins une organisation fortement dévouée à la morale chrétienne. Dans ces conditions, l’Église accepta évidemment les rituels maçonniques comme tolérables[2] ». Le même Stevenson rappelle également que les guildes comme les corporations avaient été des fraternités religieuses ; pourtant, l’Église ne s’alarmait pas du phénomène et pensait (peut-être ?) que ces rituels maçonniques pouvaient être un dérivatif à la progression papiste qui lui faisait tant peur. En tout cas, les premiers francs-maçons jugèrent plus raisonnable de laisser leurs pratiques religieuses à l’extérieur des loges de façon à ne pas affronter le monopole religieux, comportement qui ne fut pas sans conséquence pour la suite en rendant la maçonnerie attractive à des individus prônant des idées tolérantes ou déistes. En effet, encore une fois, martelons que, face à l’hégémonie des guildes, les loges pouvaient être qualifiées de lilliputiennes, leurs responsables (les diacres) ne répondant qu’à William Shaw, et étaient donc étroitement surveillées. Mais un événement imprévu survint : le décès brutal de ce dernier en 1602, modifia énormément la donne… puisque désormais les loges, n’ayant plus de « patron » à qui en référer, en profitèrent immédiatement pour faire absolument ce qu’elles voulurent. En particulier, il faut noter les péripéties advenant dans les deux plus importantes, celles de Mary’s Chapell à Édimbourg et de Kilwinning située dans l’ouest de l’Écosse. Si elles se querellèrent sur leur primauté, elles firent entrer, toutes les deux, des non-opératifs[3] et eurent également comme point commun le fait d’arrêter quasiment ce processus simultanément dans les années 1670. Il est vrai qu’entre-temps, l’histoire de la Grande-Bretagne avait subi des secousses assez terribles…
Il est d’ailleurs clair que, durant la présidence de Cromwell, les partisans du souverain en exil Charles II, usèrent de l’affiliation maçonnique (la création du Collège invisible) comme du soutien de la religion. Un monarque en Italie Suite à la révolution de palais en 1688 provoquant l’éviction de Jacques II, celui-ci fut sous la protection de Louis XIV, alors à l’apogée de sa puissance, qui l’hébergea au château de Saint-Germain-en-Laye, dans les environs de Versailles, en compagnie de sa famille, dont son fils Jacques III. Mais les rayons du Roi-Soleil dardaient nettement moins à la fin de son règne et la guerre de Succession d’Espagne cessa après dix années de batailles où il n’y eut ni vainqueur ni vaincu, mais où tous les belligérants étaient fatigués. Bien évidemment, cet arrêt des hostilités fut notifié par un traité mettant fin à l’hégémonie de la France ; mais une clause secrète stipulait que Jacques III était désormais persona non grata dans les états de la France. Finalement, après une longue errance, il fut accueilli en février 1717 avec sa cour par le Pape. La
Grande Loge de Londres
Quelques mois plus tard, à des centaines de kilomètres de là, si nous nous en tenons à la version officielle en vigueur, naissait la Grande Loge de Londres et de Westminster réunissant des gens issus de milieux socio-professionnels épars puisque s’y retrouvaient des bourgeois et des militaires associés à des gens du bâtiment avant d’être rejoints par des érudits ; en effet, un mathématicien ainsi qu’un docteur en médecine et le Pasteur Anderson, auteur des Constitutions, devaient grossir les effectifs. L’hétérogénéité socio-professionnelle de ses membres nous plonge dans une très grande perplexité ; en effet, le Grand Incendie de Londres, faisant suite à une terrible épidémie de peste, était la cause d’un immense chantier. Donc voir apparaître dans ces conditions des opératifs souhaitant profiter de l’occasion pour se réorganiser devenait assez cohérent ; en revanche, que venaient faire là des soldats et des personnes relativement aisées ? La défense du monarque, au vu des tensions entre Jacobites et Hanovriens déjà indiquées, et des valeurs religieuses a été avancée. C’est possible tout en n’étant pas certain… Dès lors, la Ville éternelle devint un foyer d’intrigues entre les Jacobites, partisans de Jacques III, et les Hanovriens, soutiens de la nouvelle monarchie britannique[5]. Parmi les premiers, citons surtout Charles Radcliffe, futur lors Derwentwater, qui n’était pas à une provocation près pour faire briller sa cause. Et cela était loin d’être un propos en l’air. A la Noël 1733, se produisit un fait à priori bizarre : une cinquantaine d’individus provoquèrent un énorme vacarme pratiquement sous les fenêtres du palais de Jacques III, ce qui, sur le coup, demeura inexpliqué. Le Pape avait-il des informations en provenance de ses agents ? Rien n’était moins sûr mais, au début de l’année 1734, il signifia à Radcliffe que, s’il ne se calmait pas, les filles de sa femme seraient conduites au couvent. L’affaire était sérieuse et ce dernier demanda l’aide du roi Jacques III pour intervenir auprès du Saint-Père. Le monarque dut plaider efficacement la cause de son bouillant sujet car les choses se tassèrent quelque peu. Si aucune preuve de façon nette ne put être apportée, Radcliffe se calma et finalement quitta l’Italie en juin 1736 pour se rendre en France où l’attendaient d’autres vicissitudes. Les conséquences de ce « vacarme » En attendant, qui était derrière cette agitation survenue à la Noël 1733 ? Sans en avoir une idée précise, pour autant l’intention semblait assez claire, à savoir de défier Jacques III quasiment chez lui. La première explication venant à l’esprit était une provocation montée par le camp hanovrien. Quel avantage potentiel pourrait-il en retirer ? Aucun dans la mesure où sa présence, théoriquement prohibée, était tolérée du bout des lèvres. Bref, au contraire, leur intérêt était de se faire le plus discret possible. Alors cette menée était-elle à mettre à l’actif de leurs ennemis intimes ? Une telle hypothèse paraissait absurde au prime abord… tout au moins si elle n’était pas replacée dans un certain contexte. Un nouveau prétendant Jacques III eut un fils le 31 décembre 1720. Cette naissance revitalisa le Roi qui, après un nouvel échec de débarquement en Écosse l’année précédente, s’enhardit à nouveau, mais hélas en connaissant aussi peu de succès en 1722. Ses partisans ne croyaient alors plus beaucoup en lui. Pourtant, avec le décès de George Ier en 1727, Jacques III tenta de prendre des contacts auprès des cours européennes mais s’aperçut bien vite que la France et l’Espagne, ses principaux soutiens sur la scène européenne, ne montraient pas un grand enthousiasme à ses exigences. En résumé, son heure était passée. Dans la période 1730-1740, son descendant Charles-Édouard, appelé tout simplement « le Prétendant », représentait donc un nouvel espoir pour la cause jacobite. Dès lors, les individus ayant mené cette équipée à la Noël 1733 étaient peut-être des Jacobites ayant décidé de tout miser sur un gamin de treize ans ; dans cette hypothèse, ces derniers voulaient-ils faire savoir au père qu’ils avaient désormais opté pour le fils ? L’analyse de la situation faite par Jacques III Vraie ou fausse, cette menace fut pourtant prise très au sérieux par le Roi. S’il semble que l’entente entre le père et le fils ne souffrait alors d’aucune anicroche, tout au moins à cette période car les différends se firent jour avec les années…, le Souverain en exil s’était, en revanche, forgé une opinion. D’une part, force était de constater qu’à Rome, les francs-maçons hanovriens s’activaient de manière efficace : ceux-ci avaient fondé une loge « La Truelle » affichant un dynamisme dont s’était d’ailleurs ému le Pape qui avait renforcé sa police. De l’autre, ses amis jacobites, notant une situation figée, prenaient une certaine distance à son endroit. En résumé, la franc-maçonnerie était (peut-être) en train d’échapper à son contrôle. Un tel constat, relativement objectif sur le plan local, s’insérait pleinement dans les jugements négatifs portant sur la franc-maçonnerie au plan international. En quelques années (1734-1738), des plaintes surgirent dans plusieurs nations européennes, alimentant un foyer antimaçonnique qui devait conduire à une réaction papale. Des attaques contre la franc-maçonnerie La première survint aux Pays-Bas en 1735. Très officiellement, une loge s’était constituée à Amsterdam ; mais pratiquement simultanément, une enquête à son endroit fut diligentée sur la base de motivations plus ou moins discutables puisque les instructeurs la conclurent en déclarant tout benoîtement que toutes les associations de fraternité étaient illicites… sauf celles autorisées par le gouvernement ! Cette interdiction s’appuyait en fait sur les mêmes causes que sous les siècles précédents, à savoir la crainte de la voir s’allier avec d’autres factions. Dans la foulée à Rome, au début de 1736, les prélats romains saisirent cette occasion pour demander de prétendues explications sur l’affaire se déroulant dans les États de Hollande et, afin de maintenir la pression, s’empressèrent d’arrêter dans le même temps des domestiques de francs-maçons jacobites (après le tintamarre créé en 1733, la patience des autorités pontificales semblait être à bout !). L’année suivante, une loge jacobite était fermée, très probablement sur l’ordre express de Jacques III souhaitant quelque peu apaiser les choses... mais apparemment sans grande réussite. L’excommunication au bout du compte En France, après l’expulsion de Radcliffe[6], le premier grand maître, le duc d’Antin[7] avait confirmé l’importance de la place de la religion au sein de l’obédience. Dès lors, la présence d’ecclésiastiques en loge devenait une évidence et les archives attestent de leur présence dans les premières années de la franc-maçonnerie. Mais le Saint-Père saisit le prétexte de l’épisode romain pour excommunier la franc-maçonnerie en 1738. Le cardinal Fleury, ministre de Louis XV, avait été très probablement tenu au courant des agissements de Radcliffe en Italie et fit tout pour le chasser de son poste de grand maître, parvenant en définitive à ses fins. La chronologie des divers épisodes tend à montrer que ce furent les actions politiques des francs-maçons jacobites qui entraînèrent la promulgation de la bulle, celle-ci n’ayant que peu de rapport avec le religieux. De toute façon, elle ne fut pratiquement pas appliquée. Mais l’important, à nos yeux, est de marteler que, dans ce XVIIIe siècle, la franc-maçonnerie et la religion n’étaient absolument pas antinomiques. 3. La confirmation de l’excommunication Si nous avons tenté plus haut de démonter l’écheveau conduisant à l’excommunication prononcée par le Pape Clément XII en 1738, il nous faut maintenant étudier les motivations ayant débouché sur sa validation définitive une quinzaine d’années plus tard par le nouveau Souverain Pontife Benoît XIV. Pour avoir une compréhension plus appropriée de cette attitude très rigide de la part de l’Église, il est nécessaire d’avoir, dans un premier temps, une vision globale de sa situation en ce milieu du XVIIIe siècle. Pour cela, consulter l’article de M. Yves Krumenacker, paru dans les Cahiers d’études du religieux. Recherches interdisciplinaires intitulé : « Le XVIIIe siècle : éveil protestant et déclin catholique ?[8] » semble être tout à fait approprié puisque son auteur, en dépit de ce titre relativement tranché, y développe un point de vue tout en nuances. En effet, s’il est possible de considérer que le premier y prit son essor, ce qui lui était facile étant donné qu’il partait de peu…, pour ce qui est du second, il est plus juste de parler d’un coup d’arrêt que d’une régression proprement dite. M. Krumenacker l’explique d’ailleurs assez bien en rappelant que les missions dépendaient toujours, directement ou indirectement, des États, la papauté, ayant délégué son pouvoir au début du XVIe siècle à l’Espagne et au Portugal, seuls pays à disposer alors d’une flotte puissante susceptible d’organiser les Églises nouvelles dans les territoires du Nouveau Monde. Mais cette façon de procéder assez simpliste devait se heurter au déclin de ces deux États perdant peu à peu leurs possessions[9]. S’il restait quelques missionnaires présents ici ou là, les possibilités d’évangélisation étaient de plus en plus restreintes. L’heure était donc à la maîtrise des océans au XVIIIe siècle et, paradoxalement comme le souligne M. Krumenacker, les états protestants prirent la relève… dont le Danemark ou les Provinces-Unies[10]. Dans ce contexte assez instable politiquement, Clément XII justifia son comportement répressif à l’égard de la franc-maçonnerie en disant… tout simplement qu’il n’était pas le premier à avoir agi de la sorte, comme nous l’avons noté plus haut, une excuse un peu facile ne reposant sur aucun argument digne de ce nom tout en ajoutant « qu’elles étaient contraires à la sécurité des royaumes », ne faisant que reprendre là les raisons ayant entraîné sa suppression dans les États de Hollande. En réalité, comme beaucoup d’autres avant (et après) lui, il était embarrassé par ce secret et ce serment maçonniques sur lesquels il ne disposait d’aucune prise. Bref, ne pouvant être informé sur ce qui se racontait dans les loges, celles-ci étaient soupçonnées d’apparaître comme des lieux clandestins. Mais le Saint-Père, pour faire bonne mesure, avait aussi inclus dans ses griefs une dimension religieuse. Or, cette accusation était relativement ardue à mettre en forme car la maçonnerie s’était d’elle-même prudemment mise à l’écart de ce genre d’attaque en se préservant de toute configuration hérétique ; pourtant, le fait que la franc-maçonnerie admettait des individus de tout horizon religieux, des catholiques comme des protestants, pouvait, sans être théologiquement hérétique, néanmoins la faire considérer comme telle. C’était, pour le moins, la seule argutie ayant prévalu dans les termes juridico-maçonniques de l’époque pour motiver une procédure d’excommunication[11]. Le 18 mai 1751, Benoît XIV condamnait à nouveau les francs-maçons dans sa constitution apostolique Providas, du 18 mai 1751, s’inscrivant dans la droite ligne de son prédécesseur Clément XII et confirmant, « pour des raisons justes et graves », les lois sages et les sanctions émises dans In eminenti. Les motivations, quasiment identiques, étaient toujours aussi peu argumentées. En fait, la plus grande menace présentée par la franc-maçonnerie était qu’elle prétendait à unir les hommes de toute religion, ce qui était difficile à exprimer pour une religion prétendant s’adosser sur l’amour entre les hommes. En revanche, il était plus facile et même simpliste pour le Saint-Siège de reprendre la soi-disant « mauvaise réputation » qui avait été associée à la maçonnerie par les princes. Il ne faut pas non plus perdre de vue que le Souverain Pontife disposait d’une excellent réseau d’informateurs sur toute l’Europe et qu’il était donc idéalement placé pour délimiter, en ce milieu de Siècle des Lumières, les coups de boutoir que la religion catholique devait encaisser un peu partout et qui commençaient à la fissurer quelque peu… Il n’était d’ailleurs pas nécessaire de se déplacer à l’autre bout du monde pour noter le déclin des missions ; aller à Malte suffisait pour vérifier l’état des lieux de la chrétienté car Clément XII avait été pour le moins irrité lorsqu’il avait eu vent de la présence de la maçonnerie sur l’île, phénomène s’étant amplifié sous le pontificat de Benoît XIV, le grand maitre de l’Ordre, Pinto da Fonséca s’adonnant à l’ésotérisme et étant proche de la maçonnerie selon certaines rumeurs n’hésitant pas à dire qu’il y aurait même été reçu. Toujours est-il que la condamnation de Benoît XIV accentuait celle de Clément XII, notamment du côté des élites nobiliaires et bourgeoises soutenant la franc-maçonnerie… sans savoir ce que celle-ci était ou représentait[12] exactement. Alors que, selon le même Benimeli, Clément XII aurait été choqué par des événements maçonniques à Florence, son successeur Benoît XIV aurait été, lui, profondément marqué par ceux étant survenus à Naples. Or, en ce milieu de XVIIIe siècle, le royaume napolitain était, pour résumer, un fief maçonnique dominé par la personnalité de Raimondo di Sangro, 7e prince de San Severo[13]. Raimondo
di Sangro, 7e
prince de San Severo (1710-1771)
Né le 30 juin 1710 à Torremaggiore (province de Foggia, Pouilles), Raimondo di Sangro mourut le 22 mars 1771 à Naples. C’était tout à la fois un inventeur, un anatomiste, un militaire, un écrivain et un académicien italien. Possédant une culture impressionnante, il s’intéressa à l’occultisme et fut un franc-maçon avéré. Ses machines anatomiques humaines furent conservées dans la crypte de la Cappella Sansevero à Naples. Compromis, tout comme son père, dans de sombres affaires de mœurs, lui-même aurait été excommunié par le cardinal Spinelli[14], mesure qui fut annulée par le pape Benoît XIV. En 1749, il fit transformer, dans le plus grand secret, la crypte et la chapelle de son palais en un temple maçonnique… après y avoir installé une imprimerie clandestine. Il était le vénérable maître de la loge L’Union parfaite de Naples dès 1744 avant d’être à la tête, l’année suivante d’une loge égyptienne et de reprendre à son compte le rite de Misraïm. Il occupait aussi des responsabilités dans des confréries plus ou moins rosicruciennes, en particulier dans celle dite « des douze roses ». Le roi de Naples, futur Charles III d’Espagne, se prononça lui aussi simultanément en 1751 pour l’interdiction de la franc-maçonnerie dans ses États et, lorsqu’il rejoignit l’Espagne, il continua à diriger le royaume de Sicile par l’intermédiaire du régent nommé, le marquis Tanucci, ainsi que, par son fils interposé, le roi Ferdinand IV de Naples. Jusqu’en 1768, la franc-maçonnerie fut persécutée dans le Sud de l’Italie ; mais, cette même année, arriva la sœur de Marie-Antoinette, la reine Marie-Caroline de Naples qui parvint à adoucir le sort des Frères… avant que les événements révolutionnaires survenant en France ne fussent considérés comme subversifs et ne causassent à nouveau des décrets encore plus sévères de la part de Ferdinand IV à l’encontre de la franc-maçonnerie[15]. Avançons un peu plus dans cette seconde partie du XVIIIe siècle pour remarquer que les failles enregistrées par l’Église à son début devinrent des gouffres au fur et à mesure qu’il touchait à sa fin. Car le Pape vit ses prérogatives sérieusement écornées dans les années précédant le tourbillon de la Révolution en France ; pourtant, nous pourrions écrire qu’il avait des idées de réforme, aussi bien dans son espace temporel où il espérait bien remettre l’agriculture à flots qu’au niveau de la chrétienté. Hélas, il lui fallut déchanter sur les deux plans ; d’abord, il ne parvint pas à rééquilibrer ses finances, les propriétaires des champs ne lui facilitant guère la tâche en sabotant son projet de nouveau cadastre, stoppant net toute idée de réforme agraire. Au niveau religieux, ce fut pire, étant en conflit quasi-permanent avec l’empereur d’Autriche Joseph II dont l’objectif était tout simplement de lui confisquer ses attributions religieuses en s’arrogeant le droit de former les prêtres et de réorganiser les diocèses dans ses propres territoires. Dans la foulée, d’autres hommes d’Église créèrent des cercles jansénistes et voulaient tout simplement rogner sur les compétences papales dans le domaine des juridictions ecclésiastiques[16]. Ce fut dans ce paysage assez chahuté que se produisit la crise des nonciatures, amorcée par le duc de Bavière Charles-Théodore qui, en quelques mots, souhaitait lui aussi avoir la mainmise sur la nomination des évêques… tout comme le duc Léopold de Toscane désireux d’imiter son frère Joseph II ! Ces querelles d’importance vitale pour le Souverain Pontife furent discutées lors de la réunion du synode de Pistoie ; finalement, divisant les meneurs privés de l’appui de Joseph II, le Saint-Père réussit à déminer (plus ou moins) ce problème... Tout au moins en apparence car la prérogative de nommer des personnes de son choix à la tête des évêchés lui fut fortement contestée, aussi bien dans le royaume de Naples où le roi Ferdinand IV proposa ainsi un archevêque du courant janséniste pour le siège de Naples (là encore, le nombre d’évêchés fut réduit ainsi que celui des couvents), qu’en Russie où la tsarine Catherine II, après le dépeçage de la Pologne, voulut absolument un unique évêché catholique pour toute la partie russe de l’ancien royaume, ayant juridiction tant sur les latins que sur les gréco-catholiques ruthènes. Après avoir tenté de négocier, Rome dut s’exécuter. Au vu de ce résumé un peu rapide sur l’état du pouvoir réel du Vatican qui, concrètement, tombait en quenouille, le Pape se devait de faire un exemple. Ce fut le procès de Cagliostro, qualifié comme étant le dernier de l’Inquisition, à qui tout fut reproché, y compris d’être un franc-maçon au sens classique du terme, ce qu’il n’était pas (loin de là !), et proche des Illuminés de Bavière avec lesquels pourtant il n’avait aucun atome crochu, bien au contraire !
Pour l’appréhender, il faut bien avoir à l’esprit que la franc-maçonnerie accepte l’existence d’un principe créateur, selon les croyances de chacun, donc supposant qu’aucune religion n’est au-dessus d’une autre comme nous l’avions abordé un peu plus haut. Ainsi, chaque Frère est libre de préférer ce qui lui convient le mieux tout en ne s’acharnant pas à convertir son prochain comme il en est dans certaines religions. En cela, il s’apparente à une forme de liberté de conscience où des hommes de toutes tendances peuvent discuter en loge en parfaite sérénité afin d’approfondir leurs pensées et force est de constater que, dans un tel schéma, le problème de l'existence ou de la non existence de Dieu ne se pose pas. Ce qui ne signifie pas, bien au contraire, que les questions métaphysiques n’aient pas lieu d’être en maçonnerie, les francs-maçons ne faisant pas exception à la règle en s’interrogeant sur l’origine de l’Univers. Celui-ci constituant un ensemble ordonné et structuré, il est raisonnable d’imaginer qu’un Grand Architecte ait contribué à son édification… Pour terminer (provisoirement…) sur cette notion, il faut la replacer dans le contexte du Siècle des Lumières où les déistes commençaient à peser de leur poids et où Voltaire avait été reçu en loge[17]. Toutefois, il nous semble judicieux de nous arrêter sur ce point en rappelant une phrase de l’article 1er des Constitutions d’Anderson disant que : « … [Le maçon] ne sera jamais un athée stupide, ni un libertin irréligieux », le qualificatif de libertin étant pris ici dans son sens ancien d’affranchi de la discipline et de la foi religieuse. De facto, ces propos engendrent peut-être une substitution : à la religion considérée dans son sens le plus classique, il faut probablement entendre une recherche de la Vérité dans sa globalité, elle-même basée sur le respect de l’homme. Mais, parallèlement, à ces conceptions fortement réductrices de la religion, essaimèrent d’autres courants illuministes ou tout au moins très proches, certains étant profondément inspirés par des personnes mystiques tandis que d’autres désiraient prendre leurs distances avec elle. Nous avions brièvement cité les Illuminés de Bavière à propos de Cagliostro ; pourtant, celui-ci, loin de cette secte anticléricale, fut accusé de collusion avec eux. Parmi les Illuminés, seuls ces derniers, menés par Adam Weishaupt, se distinguèrent sur ce point car ses homologues d’Avignon, sous la houlette de dom Pernety, théorisaient un patchwork à base d’alchimie, de franc-maçonnerie et de religion, peu suspect de promulguer le moindre athéisme et préférant l’archange Gabriel à Saint-Pierre... Que dire aussi de l’illuminisme christique de Swedenborg, dont les plus fidèles disciples Martinès de Pasqually, Willermoz ou encore Louis-Claude de Saint-Martin, éphémères francs-maçons pour la plupart, baignaient dans un très grand mysticisme ? Bien que nous n’ayons fait que survoler ce XVIIIe siècle avec ces quelques pages, il est évident qu’il fut donc traversé par des mouvements divers où la religion, non seulement était présente, mais se trouvait au centre de tous les textes maçonniques. Nous n’avons pas souhaité décrire les différents Rites pratiqués (Écossais Ancien Accepté, Écossais Rectifié, Français…) associés au fonctionnement des loges et auxquels ont été déjà consacrés des ouvrages entiers, mais leur lecture montre assurément des parallèles flagrants avec la chrétienté, en particulier la cérémonie d’initiation maçonnique qui a emprunté beaucoup au baptême chrétien[18]. Il n’en fut pas de même avec le siècle suivant.
La chute du Second Empire en 1870 et la Commune qui s’ensuivit perturbèrent quelque peu cette dynamique. Mais, le temps passant, et surtout la République ayant été proclamée (à une voix de majorité !), la lutte reprit de plus belle, la question revenant très fréquemment dans les loges et les convents. En effet, les francs-maçons s’opposaient vigoureusement à la loi Falloux datant de 1850 et permettant aux autorités religieuses de contrôler l’école et le corps enseignant. Finalement, le Frère Jules Ferry ayant été nommé ministre de l’Éducation avant de cumuler cette charge avec celle de Président du Conseil, les grandes réformes scolaires furent votées. La gratuité, l’obligation scolaire pour tous les jeunes jusqu’à l’âge de treize ans révolus ainsi que la laïcité de l’enseignement public furent promulguées en 1881-1882. Les cours de morale et d’instruction civique remplacèrent ceux d’instruction religieuse. Cinq ans plus tôt, le Grand Orient avait lui-même fait sa mue sur le sujet en supprimant l’obligation de la croyance en Dieu, se réclamant de « la liberté absolue de conscience. L’invocation au Grand Architecte de l’Univers devenait alors facultative et les rituels étaient modifiés. Désormais, le problème de la séparation de l’Église et de l’État se pointait à l’horizon[19]. Il est vrai que l’affaire Dreyfus avait mis en lumière la menace réelle que faisait peser le cléricalisme pour la République, amenant les loges à se mobiliser aux élections de 1902 et précipitant l’arrivée au pouvoir d’Émile Combes… qui avait été reçu dans la loge Les Amis Réunis à Barbezieux en juin 1869. S’appuyant sur la loi sur les associations votée sous le précédent ministère, il commença par fermer les écoles de sœurs en juillet 1902, en dépit des protestations des catholiques, avant de présenter à la Chambre un projet de loi visant à supprimer toutes les congrégations enseignantes dans le but de faire disparaître du pays l’enseignement religieux. Mais le conflit était loin d’être terminé puisque, début 1904, le Président entendait bien nommer les évêques seul comme avait voulu le faire avant lui certains princes au XVIIIe siècle. Au mois de mars suivant, la loi prévoyant la suppression des écoles religieuses dans les dix ans à venir fut votée. Ce même mois vit le retrait des crucifix des prétoires et l’interdiction faite aux prêtres de se présenter au concours d’agrégation. Le Saint-Père n’avait pas du tout l’intention d’en rester là et contre-attaqua en rédigeant des circulaires qui ne plurent guère au Président Combes. Au mois de mai, une étape supplémentaire était franchie, la France rappelant son ambassadeur auprès du Saint-Siège ; pourtant, les relations diplomatiques n’étaient pas rompues… mais elles n’allaient pas tarder à l’être. Car Émile Combes nomma, sans l’approbation de ce dernier comme il était d’usage, des évêques à Laval et à Dijon. Les deux prélats furent convoqués à Rome séance tenante à Rome mais Combes leur interdit d’obéir. Le Pape maintint son injonction. Cet imbroglio ne pouvait que se terminer par la rupture des relations diplomatiques de la part de Paris ; elle se produisit le 30 juillet 1904. Il est difficile de résumer cette passe d’armes en disant que le Président avait gagné la bataille car sa victoire était moins nette que ne le laissaient supposer ses rodomontades. D’abord, les évêques rentrèrent dans le rang (en vérité, ils n’avaient guère le choix) ; ensuite, les socialistes refusèrent d’aider le gouvernement, prétextant qu’ils ne pouvaient collaborer en aucun cas avec un « État bourgeois ». Ce refus n’altéra en rien la détermination du Président Combes déclarant début septembre que la loi sur la séparation de l’Église et de l’État était inéluctable, soutenu en cela par le parti radical. Le projet de loi fut annoncé le 10 novembre 1904, Pourtant, à la fin de l’année 1905, contrairement à ce que tous les députés un peu las de cette loi sur la séparation de l’Église et de l’État pouvaient croire, ils n’en avaient pas fini avec elle. En effet, un sujet empoisonna vite le débat, à savoir la suppression du budget des Et là, ce fut immédiatement le cas, les fidèles, influencés par le clergé, craignant que les biens de l’Église ne leur fussent dérobés à terme, d’où une résistance et une obstruction systématique à l’égard des personnels désignés à cet effet. Les receveurs d’enregistrement et les percepteurs furent constamment gênés dans leur travail. Les évêques renâclèrent et interdirent aux prêtres d’ouvrir les tabernacles ; ces derniers multiplièrent les incidents dans les provinces et insufflèrent à leurs paroissiens une énergie sans faille pour chasser les agents de l’État. Dans certains endroits, les temps furent à la « guerre sainte »… qui ressemblait, à bien des égards, à une guerre civile ; dans plusieurs départements, la troupe dut intervenir car les boulets de fonte volaient bas et les émeutes étaient difficiles à contenir. Bien entendu, dans une telle atmosphère, resurgirent des tracts antimaçonniques du genre : « le ministère des fiches » ou encore « les francs-mouchards ». Si, comme nous l’avons déjà précisé, la loi fut adoptée dans la douleur (le ministère Rouvier, successeur de celui de Combes, ne survécut pas aux « inventaires »), son esprit le fut aussi. L’État s’était déconfessionnalisé et la religion était désormais rattachée à la sphère privée. De facto, cette loi signait la fin du régime concordataire en vigueur depuis les accords signés antérieurement par le Premier consul et faisait entrer le pays dans la laïcité… même si le terme ne fit officiellement son entrée que dans la Constitution de 1958.
Pour être juste, il faut dire qu’ils avaient commencé un peu avant, par l’intermédiaire du Dr Simon, en étant à l’origine de la contraception féminine en 1967. Ce même médecin, se retrouvant au sein du cabinet du ministre Mme Veil, fut au centre de la bataille en faveur de l’I.V.G. quelques années plus tard. La fin du XXe siècle subit un coup d’accélérateur avec les prises de position de l’homme politique franc-maçon que fut Henri Caillavet en faveur des greffes d’organe, de l’euthanasie et de son corollaire l’acharnement thérapeutique ainsi que dans les domaines de l’homosexualité et de la transsexualité. Dans la foulée, le Grand Orient publia des réflexions sur les mères porteuses et s’impliqua dans le chantier de la dépendance en proposant des solutions dans un Livre blanc. Durant cette même période, l’Église souffla le chaud et le froid, alternant des encycliques moins sévères ou des discussions constructives entamées par des personnalités ecclésiastiques au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale d’une part et des condamnations sévères de l’autre avec le document émanant de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi sur les associations maçonniques et plus particulièrement du cardinal Ratzinger, futur Benoît XVI. Il y était mentionné que : « … Le jugement négatif de l’Église sur les associations maçonniques demeure donc inchangé, parce que leurs principes ont toujours été considérés comme inconciliables avec la doctrine de l’’Eglise et l’inscription à ces associations reste interdite par l’Église. Les fidèles qui appartiennent aux associations maçonniques sont en état de péché grave et ne peuvent accéder à la sainte communion ». Bref, rien n’avait bougé au sein de la haute hiérarchie vaticane et la démission (forcée) des fonctions paroissiales du père Vesin dans le diocèse d’Annecy en 2013 suite à son adhésion à la franc-maçonnerie n’en fut que l’illustration la plus récente venant confirmer les positions du Saint-Siège.
Cela parait proprement faramineux lorsqu’on rappelle, comme cela a été dit plus haut, les circonstances historiques de 1738 et de 1751 ayant justifié ces avis outranciers… Il est vrai que l’Église n’a guère modifié non plus ses opinions vis-à-vis du discours de Galilée depuis près de six siècles ! Alors, faut-il dépasser ces déclarations de la Congrégation en soulevant des arguments non déclarés… et même se trouvant de l’autre côté du miroir ? Par cette expression, nous pensons tout particulièrement à l’opinion d’un occultiste du XIXe siècle et homme d’Église, à savoir Éliphas Lévi, pseudonyme de l’abbé Constant, qui ouvrait un autre débat en énonçant les propos suivants dans son ouvrage Dogme et rituel de la haute magie : « … D’ailleurs, l’antipathie et même la guerre ouverte avec l’Église officielle contre tout ce qui rentre dans le domaine de la magie, qui est une sorte de sacerdoce personnel et émancipé, tient à des causes nécessaires et inhérentes même à la constitution sociale et hiérarchique du sacerdoce chrétien. L’Église ignore la magie, parce qu’elle doit l’ignorer ou périr, comme nous le prouverons plus tard ; elle n'en reconnaît pas moins que son mystérieux fondateur a été salué dans son berceau par les trois mages, c'est-à-dire par les ambassadeurs hiératiques des trois parties du monde connu, et des trois mondes analogiques de la philosophie occulte [22]». Quelques pages plus loin[23], l’auteur posait la véritable question, à savoir : « … Existe-t-il une magie, existe-t-il une science occulte qui soit véritablement une puissance et qui opère des prodiges capables de faire concurrence aux miracles des religions autorisées ? » Il est clair que l’Église ne l’entendait pas de cette oreille… d’autant que, bien entendu, comme il fallait s’y attendre, la réponse de l’abbé ne pouvait être que positive. Elle était fortement argumentée puisqu’elle s’appuyait sur des manuscrits hébreux datant du XVIe siècle et faisant référence à l’alchimie et à la cabale. Or, les liens de ces deux dernières sont notoires, non seulement dans la symbolique maçonnique mais également dans la représentation dans les « lames » de tarot[24]. C’est peut-être en cela qu’il faut comprendre la pugnacité de l’Église à combattre la franc-maçonnerie, c’est-à-dire à n’admettre sous aucun prétexte un ensemble de textes, de rituels, de principes (à considérer dans toute leur acception comme le Soufre et le Mercure dans l’alchimie qui trouvent leurs prolongements en franc-maçonnerie) qui soient susceptibles de contredire sa propre Vérité. Alain Queruel Mai 2017
[1]
Le
témoignage d’un p-v du 31/07/1599 atteste qu’un maçon confesse avoir
travaillé
avec un « cowan ». Il ne fut pas puni mais un
avertissement précisa que
tout contrevenant le serait à l’avenir (pour toute cette partie
relative aux
« statuts Shaw, il est possible de consulter David Stevenson, Les
premiers francs-maçons, les loges écossaises originelles et leurs
membres, Éditions
Ivoire-Clair, 2001 (première parution en 1988) ou encore Gilbert Cédot
traitant
du même sujet sur le site internet de la loge William Preston.
[2]
Ibid., p. 36.
[3]
En
particulier, des ingénieurs proches de l’art militaire, des nobles ou
des
bourgeois respectables y firent leur apparition.
[4]
André
Kervella, Les rois Stuart et la
franc-maçonnerie, éditions Ivoire-Clair, 2013, où nous avions
puisé
préalablement l’essentiel de nos informations pour cette question
traitée
ailleurs.
[5]
Les Hanovriens se
succédèrent sur le trône d’Angleterre avec d’abord George 1er
régnant de 1714 à 1727, puis George II de 1727 à 1760.
[6]
Ayant
été à l’origine de la création d’une Grande Loge en France dans les
années
1725-1730 avec son ami MacLean qui en était devenu le grand maître, il
était
revenu en France assez logiquement prendre sa succession après les
péripéties
en Italie que nous avons décrites.
[7]
Toujours selon André Kervella, il y aurait eu des grands maîtres de
transition (les
ducs d’Aumont et de Villeroy) entre Radcliffe et le duc d’Antin,
celui-ci
restant trois ou cinq ans à la tête de l’obédience selon les versions
admises.
[8]
Yves Krumenacker, « Le XVIIIe
siècle : éveil
protestant et déclin catholique ? »,
Cahiers d’études du
religieux. Recherches interdisciplinaires [En ligne],
1 | 2008, mis
en ligne le 25 janvier 2008, consulté le 03 février 2016.
URL :
http://cerri.revues.org/242 ; DOI : 10.4000/cerri.242
(éditeur :
MSH-M http://cerri.revues.org).
[9]
Ibid., p. 7.
[10] Ibid., p. 8.
[11]
José
A. Ferrer Benimeli, Franc-maçonnerie et
Église catholique, Motivations politiques des premières condamnations
papales
in Revue du XVIIIe siècle, n° 19,
1987, revue annuelle publiée
par la Société française d'Étude du 18e siècle avec le concours du
C.N.R.S., du
Centre National des Lettres et des Presses Universitaires de Reims,
Presses
Universitaires de France, p. 10. L’auteur ajoute un peu plus loin (pp.
11-12)
que c’étaient essentiellement des raisons de maintien de l’ordre dans
les États
pontificaux n’ayant pas grand-chose de commun avec ses homologues
religieux qui
étaient la cause de la bulle prononcée par le Pape.
[12]
Ibid., p. 15, où Benimeli
développe cette thèse après consultation
de la correspondance du Saint-Père Benoît XIV avec le roi de Naples,
futur
Charles III d’Espagne.
[13]
Alain Queruel, Cagliostro, Une vie d’errance,
Liber
faber, 2016, où nous avions évoqué les liens de filiation de Raimondi
di Sangro
avec le chevalier d’Aquino, lui-même étant très proche de Cagliostro,
pp.
180-185.
[14]
Archevêque de Naples, il avait été lui-même accusé par l’opinion
publique
d’avoir rétabli le tribunal de l’Inquisition et le roi Charles VII fut
contraint de rendre un édit à son encontre (cf. M.E. de Trégain, Histoire du royaume des Deux-Siciles,
librairie Amyot éditeur, 1854, p. 376).
[15]
Thomas de Chirico, Le comte Cagliostro et
son temps, 2e volume, éditions Mnamon,
Milan, 2014 (résumé sur Luigi d’Aquino, ma
franc-maçonnerie te la
Rose-Croix napolitaine du XVIIIe siècle).
Pour être honnête, il
faut souligner que, dans cette période difficile pour la
franc-maçonnerie, les
débuts de Ferdinand IV avaient été également marqués au même moment par
une
diminution du pouvoir du clergé selon M.E. du Trégain (cf.
Histoire du royaume des Deux-Siciles, librairie Amyot
éditeur,
1854, op. cit., pp. 381-383).
[17]
Le
patriarche de Ferney fut reçu en loge le 7avril 1778, soit seulement
quatre
mois avant sa mort… et après avoir dit pis que pendre à propos des
maçons
durant toute sa vie. Dans ces conditions, il est possible de se
demander si
Voltaire était entré en maçonnerie ou plutôt si c’était cette dernière
qui
accueillait le voltairianisme…
[18]
Pierre Mollier, Le Rite français, le Régulateur du maçon
1785 / 1801,
Éditions A l’Orient, Paris, 2004.
[19]
Pour
ce passage historique, cf. Alain Queruel, Le
grand livre de la franc-maçonnerie, Eyrolles, 2015.
[20]
Le
ministre de la Guerre, le général André, sollicita la franc-maçonnerie
pour
qu’elle lui rédigeât des « fiches » sur les officiers
afin de savoir
si ceux-ci affichaient toute la loyauté nécessaire envers la
République, ce qui
n’allait pas de soi en ces temps où le boulangisme avait fortement
secoué la
Nation.
[21]
Après l’avoir soutenu de façon quasi-officielle lors de son élection en
1981,
des promesses non tenues conduisirent le grand maître du Grand Orient à
lui
écrire une « lettre de remontrances ». Le Président
ne répliqua pas
mais s’installa alors le temps du désamour entre les deux parties…
[22]
Éliphas Lévi, Dogme et rituel de la haute
magie,
réédité aux éditions Chacornac, Paris, 1930, t. 1,
p. 70.
[23]
Ibid., p. 78.
[24]
Sur ce point, voir à
nouveau Éliphas Lévi toujours dans ce même livre, mais aussi Oswald
Wirth qui
en a donné une interprétation brillante et surtout relativement simple.
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