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Héraclite COMPRENDRE QUE RIEN N'EST PENSABLE SANS SON CONTRAIRE ET
QUE C'EST DANS LA TENSION DES CONTRAIRES QUE SURGIT TOUT CE QUI EST INTRODUCTION Dans une première partie, j'insisterai sur la
nature ésotérique du message d'H, chemin qu'il
convient de partager et non de suivre. Ensuite, dans une seconde
partie, je développerai, en tentant de le simplifier sans
trop le trahir, le discours d'H et enfin, dans une troisième
partie, je tenterai de montrer combien le chemin d'H me semble source
de lumière pour un maçon, tout en cherchant
« à comprendre que rien n'est
pensable sans son contraire et que c'est dans la tension des contraires
que surgit ce qui est ». I -LE CHEMIN... II -...OUVERT PAR HERACLITE II-1 - Tout s'écoule Pour H, le mouvement explique l'être et sa
multiplicité, mais qu'est ce que le mouvement ? L'exemple du
fleuve et du toucher, choisis par H dans le fragment 41, n'est pas
neutre; il veut par cet exemple nous rappeler à la sensation
concrète du courant sur notre peau lorsque nous nagions dans
le fleuve. C'est par les sens que s'impose le mouvement, non par la
spéculation intellectuelle mais avant tout par le contact
physique au monde, par l'expérience concrète. A ce stade, la vision du monde que nous offre H est une
vision pessimiste et angoissante : évolution et
dépendance du monde laissé aux mains
imprévisibles d'un enfant et où tout n'est
phénomène que dans l'instant. A quoi bon produire direz vous, si rien n'est stable, si
tout est incohérent et laissé entre les mains
d'un enfant ? Entrons nous déjà, dès
H, dans la philosophie de l'absurde chère aux philosophes du
XXe siècle ? Non, répond H car, nous dit-il au
fragment 89 : « pour ceux qui sont en
état de veille, il y a un seul et même monde ».
II-2 - L'Unité et le Logos Pour H, le passage de la multiplicité vers
l'unité est le fruit du Logos. Le Logos est une notion
centrale mais complexe du discours d'H puisqu'il est d'une part ce qui
lie les phénomènes entre eux, en tant que
phénomène d'un Univers unique et, d'autre part,
ce qui lie le discours aux phénomènes. Il est
à la fois la raison de la cohérence du monde mais
aussi la condition de son appréhension par la
pensée humaine. Le Logos est le lien qui unit phénomènes multiples et Unité, qui structure et donne un sens à tout ce qui est. Le Logos est donc une harmonie immanente, mais c'est aussi le lien que l'on peut découvrir en liant, à notre tour et à notre niveau, à l'image du lien qui unifie le cosmos, le monde et la pensée qu'on en a. Pour celui qui est familier du Logos, le monde a un sens comme le fleuve qui coule de la source vers la mer et non de la mer vers la source. Par le Logos, H dépasse l'absurdité de l'écoulement incohérent du monde. Le Logos explique la possibilité d'une multiplicité de points de vue, qu'on peut prendre, et, nous le verrons, que l'on doit prendre. Ainsi que l'exprime Abel Jeanniere : « Si je dis que la neige est blanche, puis qu'elle est froide, les deux jugements sont faux; ce qui est à comprendre, c'est pourquoi la neige peut être et froide et blanche et humide et glissante; il faut pénétrer jusqu'au principe, coïncider avec le mouvement créateur des choses. Ainsi, de proche en proche, on saisit une infinité de possibilités qui sont la richesse de la notion d'être ». Pour H, le Logos manifeste la signification totale et unitaire de l'univers. L'être humain peut devenir le porte parole éclairé du logos, mais il n'est pas son fondateur, le logos le dépasse ; le Logos est ce qui rend possible la saisie d'une vérité, vérité qui n'est pas inventée ou révélée mais découverte. H dit au fragment 2 « Aussi
faut-il suivre ce qui est commun, le logos est commun, et pourtant la
multitude vit comme si chacun avait sa propre intelligence »,
ce que Kostas Axelos interprète en ces termes :
« aucun homme n'est porteur du logos et ce
logos n'est pas la somme des logoi individuels. Nous connaissons avec
nos yeux, nos oreilles, nos narines, notre peau, [...] en
dépassant le stade de l'opinion particulière nous
pouvons et nous devons atteindre le niveau de la pensée
saine et juste qui saisit le devenir pour communiquer avec le logos ».
II-3 - L'opposition des contraires L'analyse grammaticale de ces deux fragments est
primordiale : l'utilisation de l'impératif, tout d'abord :
« joignez » et joignez pour quoi
? pour devenir des hommes libres. L'opposition des contraires est avant
tout, chez H, une dialectique, un mode particulier
d'appréhension du monde par la pensée. De cette
dialectique, il transforme l'angoisse paralysante d'un monde soumis au
temps en un gigantesque espace de devenir et de liberté pour
l'homme. H ne pense pas à une dualité entre
le corps et l'esprit, entre l'âme et la raison. Corps
âme et esprit, dans toute leur plénitude, sont
conduits vers la reconnaissance du vrai, du conforme à la
nature, conformément à leur nature unitaire. Ce
n'est pas entre le subjectif et l'objectif que s'établit
l'opposition d'H mais entre le particulier [le partiel] et l'universel
[le total] ; cette distinction est au centre du discours d'H et en est
le fondement. II-4 - Un, Dieu et Justice Le Dieu d'H n'est que ce sens du fleuve qui coule de l'amont vers l'aval, c'est l'ordre des choses, et qui s'en imprègne devient à son tour médiateur de la loi divine. Quant à la nature ou le contenu de la loi divine, H n'a pas la prétention de la définir. C'est peut-être dans sa cosmogonie, nébuleuse et qui pourrait faire l'objet d'une planche entière notamment sur les relations qu'entretiennent entre eux les différents éléments et où prédomine le feu, qu'on pourrait trouver quelques éléments de sa propre réponse. Je citerai deux fragments : fragment 43 « il faut éteindre la démesure plus qu'un incendie » et fragment 94 « Le soleil ne franchira pas ses limites; sinon les Erynnies, auxiliaires de la justice sauront bien le découvrir ». Justice et Mesure semblent, immanentes, au centre de la loi divine, équilibrant le multiple et contraignant le devenir à l'équilibre. Reste à déterminer pour l'homme l'Unité de mesure. H suppose seulement qu'un certain niveau de conscience permet d'appréhender le plan de l'univers, identique pour tous. Il ne nous dit pas, il ne veut pas nous dire, il ne peut pas nous dire, quel est ce plan, il nous dit seulement que le plan existe : « qui n'espère pas n'atteindra pas l'inespéré, qui est au delà de toute recherche et à l'écart de toutes les routes. »(fragment 57) III - COMPRENDRE QUE RIEN N'EST PENSABLE SANS SON
CONTRAIRE? ET QUE C'EST DANS LA TENSION DES CONTRAIRES QUE SURGIT TOUT
CE QUI EST III.1 - Comprendre que rien n'est possible sans son
contraire Que nous dit H à ce sujet ? On notera que jamais il ne parle de contraire dans le monde, mais toujours de multiple d'une part, et d'unité de l'autre. La dualité, en tant qu'état d'être, lui est complètement inconnue et en parfaite opposition avec le fleuve qui s'écoule. Comment la dualité pourrait-elle d'ailleurs se conserver dans un fleuve en perpétuel mouvement et devenir ? Non, H ne parle pas de dualité, mais de multiple et le multiple, selon lui, n'est qu'un phénomène particulier dans un certain état de temps, donc de devenir. H a eu la chance de vivre avant Platon et la pensée judéo-chrétienne qui ont irrémédiablement fait, pour nous occidentaux, du nombre 2 l'essence du monde. Monde partagé entre illusions du sensible et Idées immanentes pour Platon, entre monde créé et créateur pour la pensée Judéo-chrétienne. A noter au passage, que le Logos de St Jean, qui se fait chair, est incompatible avec le monde unitaire et le Logos dont nous parle H. En revanche, là où H exalte la
dualité, c'est dans la méthode pour revenir
à l'unité, dans la dialectique agissante de la
pensée de l'individu, une lutte pour du 2, revenir
à l'unité, pour à son tour communier
avec le Logos qui englobe le multiple dans la totalité et
l'unité. III.2 - et que c'est dans la tension des contraires que
surgit tout ce qui est Le lien entre l'arc et la lyre, c'est la vibration, le
rythme. Le rythme de la corde est un lien, un enchaînement
qui tient unies des choses opposées. Ce que nous dit H,
c'est que le rythme de la pensée doit lier les
pensées entre elles et les relier aux choses, choses et
pensées n'étant point
séparées. H nous enjoint de bander l'arc et de
gratter la corde de la lyre, de tirer sur la corde de la cloche du
monde pour faire résonner [et surtout pas raisonner]
l'écho du Logos. Car ce rythme, pour H, c'est le Logos ; et
pour nous, mes frères, on peut dire que c'est le symbole. Il y a deux moyens de sortir du 2. Soit tenter de retourner vers le 1, soit espérer en une unité restituée par le trois. H, clairement, a choisi la seconde méthode. A H qui disait qu'on ne pouvait se baigner deux fois dans le même fleuve, Confucius aurait répondu qu'on peut le faire dans un même lac. Confucius choisit de revenir vers le 1, H par la lutte, l'ambition et le tumulte du devenir prend la direction opposée, vers le 3. Dès lors l'individu prend une place centrale,
puisque c'est en lui que le trois se réalise
« l'homme dans la nuit s'allume pour
lui-même une lumière »
dit H au fragment 26 ; l'homme devient libre dans son devenir ;
« La guerre est le père de
toutes choses ; de quelques uns elle a fait des esclaves ; des autres
des hommes libres » dit encore H. Devenir
des hommes libres c'est notre ambition à tous, c'est
l'ambition de cette quatrième colonne qui manque au centre
du temple. L'homme libre qui a voulu s'affranchir de la loi divine,
c'est Prométhée, voleur de ce feu qui dans la
cosmogonie d'H régit l'équilibre et la
régénération perpétuels du
monde. Dans le Prométhée
enchaîné d'Eschyle,
Prométhée dit, attaché sur son rocher
[et le foie dévoré par l'Aigle - Cf. signe
pénal des compagnon] et parlant à Hercule venu le
délivrer « je suis tenu,
lié, enchaîné à ce
rythme ». Ce rythme que
Prométhée a voulu rompre, mais nulle voie ne
mène en dehors du Logos, le Logos ne s'invente pas, il se
découvre. III.3 - Le chemin ouvert par H : celui de la sagesse En d'autres termes, en d'autres lieux, on pourrait dire que c'est à trois ans, l'âge de l'apprenti que la pensée naît ; et nous l'avons vu la naissance de la pensée ne peut jaillir que de la tension des contraires. Lors de l'initiation, le désir de l'apprenti a illuminé les ténèbres, sous peine que son désir reste stérile, il lui faut maintenant, nous dit H, qu'il apprenne à bander, à bander la corde de l'arc et celle de la lyre pour qu'elles vibrent à l'unisson du rythme qui englobe le monde. L'accès à cette vibration doit se faire par la taille de la pierre brute et que les coups du maillet sur le ciseau trouvent le rythme de l'univers. Puis, à mesure que l'enfant grandit, les contraires se réconcilient un par un, l'unité se dégage, plan par plan, point fixe par point fixe. [Cf. Cosmogonie Soufie - l'un des derniers cieux est celui du ciel des étoiles fixes, suivi par le ciel sans étoiles] Comme le dit Kostas Axelos « Tout le mouvement de la pensée d'H obéissant au rythme du mouvement de la totalité unit le commencement et la fin et pourrait être figuré par des cercles concentriques ou plutôt des spirales. Mais le chemin que suit le penseur ne serait pas le vrai chemin s'il ne conduisait pas au coeur de l'univers. » Ensuite viendra peut-être le moment ou ayant
trouvé l'Unité, l'unité de mesure,
restituée par le 3, alors le sage pourra [à
l'aide de son compas] le reproduire dans le monde et y introduire, par
la mesure et la justice, ce même équilibre qui
régit le monde; car comme l'affirme H au fragment 33 :
« la loi c'est d'obéir au
vouloir de l'Un ». Héraclite et moi avons dit. QUELQUES FRAGMENTS FONDATEURS (Numérotation et traduction de Diels - Krantz) fragment 2 « Aussi faut-il suivre ce qui est commun, le logos est commun, et pourtant la multitude vit comme si chacun avait sa propre intelligence. » fragment 6 « le soleil est chaque jour nouveau » ( // Hades est le même que Dyonisos et Osiris est le même est le même que Horus). fragment 8 « ce qui est taillé en sens contraire s'assemble, de ce qui diffère naît la plus belle harmonie. » fragment 10 « joignez ce qui est complet et ce qui ne l'est pas, ce qui concorde et ce qui discorde, ce qui est en harmonie et ce qui est en désaccord, de toutes choses une et d'une toute choses. De la Totalité naît l'unité et de l'Un, le tout. » fragment 18 « s'il n'espère pas, il ne trouvera pas l'inespéré, car il est inexplicable et inaccessible. » fragment 23 « s'il n'y avait pas d'injustice, on ignorerait jusqu'au nom de la justice. » fragment 26 « l'homme dans la nuit s'allume pour lui-même une lumière. » fragment 32 : l'un, le seul sage ne veut pas et veut être appelé du nom de Zeus. fragment 40 : Savoir beaucoup de choses n'instruit pas l'intelligence. fragment 41 : On ne peut pas descendre deux fois dans le même fleuve, ni toucher deux fois une substance périssable dans le même état car à cause de la vigueur et de la rapidité du changement, elle se disperse et se réunit à nouveau, ou plutôt ni à nouveau, ni après c'est en même temps qu'elle se constitue et qu'elle se retire, qu'elle survient et qu'elle s'en va. fragment 41 bis : Un seulement est sage, être familier de la pensée qui gouverne toutes choses à travers toutes choses. fragment 43 : il faut éteindre la démesure plus qu'un incendie. fragment 47 : il ne sert à rien d'avoir écouté les paroles d'un maître si les leçons apprises n'apprennent pas à former un sens avec les choses venues à la rencontre. fragment 49 a : Nous descendons et nous ne descendons pas dans le même fleuve, nous sommes et nous ne sommes pas. fragment 50 : A l'écoute non de moi-même mais du Logos, il est sage de reconnaître que tout est Un. fragment 51 : Ils ne comprennent pas comment ce qui lutte avec soi-même peut s'accorder / harmonies de tensions opposées, comme celle de l'arc et de la lyre. fragment 52 : Le temps est un enfant qui joue à pousser des pions : royauté d'un enfant. fragment 53 : La guerre est le père de toutes choses ; de quelques uns elle a fait des Dieux, de quelques uns des hommes ; des uns des esclaves ; des autres des hommes libres. fragment 57 : qui n'espère pas n'atteindra pas l'inespéré, qui est au delà de toute recherche et à l'écart de toutes les routes. fragment 59 : le chemin droit et le contourné, c'est un seul et même chemin. fragment 60 : le chemin vers le haut et le chemin vers le bas sont un et le même. fragment 61 : L'eau de la mer est à la fois très pure et très impure ; pour les poissons, elle est potable, pour les hommes elle est imbuvable et nuisible. fragment 67 : Dieu est jour et nuit, hiver et été, surabondance et famine, mais il prend des formes variées, il se transforme comme le feu qui, mélangé d'aromates reçoit des noms divers selon l'agrément de chacun. fragment 78 : L'esprit de l'homme n'a pas de pensées, mais celui de Dieu en a. fragment 80 : Il faut savoir que la guerre est commune, la justice discorde, que tout se fait et se détruit par discorde. fragment 89 : pour ceux qui sont en état de veille, il y a un seul et même monde. fragment 90 : Toutes choses s'échangent pour du feu et le feu pour toutes choses, de même que les marchandises pour l'or et l'or pour les marchandises. fragment 91 : On ne peut pas descendre deux fois dans le même fleuve. Toute chose mortelle se disperse et se réunit à nouveau, s'approche et s'éloigne. fragment 94 : Le soleil ne franchira pas ses limites ; sinon les Erynnies, auxiliaires de la justice sauront bien le découvrir. fragment 102 : Pour Dieu tout est beau et bon et juste, les hommes tiennent certaines choses pour justes et d'autres pour injustes. fragment 103 : Dans la circonférence d'un cercle, le commencement et la fin se confondent. fragment 114 : Ceux qui parlent avec intelligence doivent s'appuyer sur l'intelligence commune à tous, comme une cité sur la loi. Car toutes les lois humaines sont nourries par une seule loi divine, qui domine tout, suffit en tout et surpasse tout. fragment 125 : Même un breuvage se décompose si on ne l'agite pas. |
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