L’Euthanasie
Introduction
« Que pensez-vous de
l’euthanasie ? ».
Telle fut la toute première question que l’on me
posa lors de mon entrée en Franc-Maçonnerie.
Comme l’exigeait la situation, la réponse fut
sincère mais brève.
Quelques six années plus tard, il m’est
donné l’opportunité d’y
répondre plus amplement.
Dans toutes les sociétés d’hommes,
laïques ou religieuses, dites civilisées ou non, la
vie est considérée comme une valeur
sacrée. Encadrée et
protégée en tant que telle par la loi.
Dans nos pays industrialisés notamment, où
l’Homme est à la recherche de ses valeurs, le
respect de la vie représente une valeur refuge, dernier
rempart de l’unité du groupe. Toute atteinte
à l’intégrité du corps
humain est alors sacrilège.
Mais paradoxalement l’Homme,
« culturel par nature »
comme disait Edgar MORIN, entretient une réflexion
permanente sur sa vie et sur les moyens qu’il pourrait se
donner pour l’améliorer encore.
Assuré par la technique, par la science, de pouvoir
maîtriser voir modifier les grandes lois de la nature, il
entreprend de les revisiter.
Ainsi il se veut libre de procréer et invente la
contraception, ou bien encore rédige une loi sur
l’Interruption Volontaire de Grossesse.
Puis il envisage de modifier la nature même de
l’être humain et explore les dangereuses voies de
la manipulation génétique et du clonage.
Enfin il se demande si, après avoir
maîtrisé sa vie, il ne pourrait pas être
libre de choisir sa mort.
Mais chaque évolution sur le sujet, ne serait ce que dans la
pensée, est en soi une petite révolution.
S’en suit une kyrielle d’interrogations
essentielles qui finit de complexifier le problème.
L’absence de cadre juridique associée aux
multiples réactions émotionnelles font de chacun
de ces débats un sujet brûlant sur lequel
circulent au minimum des doutes légitimes, au maximum des
invectives et des menaces voir des anathèmes.
Bien évidemment le débat sur
l’euthanasie n’y échappe pas.
I – Les termes du
sujet : quelles questions se pose-t-on ?
A – Questions et réflexions sans
ordre.
- Mon père est mort dans d’horribles souffrances,
je ne souhaite pas finir comme lui.
- J’ai nourri, lavé, langé ma
mère qui n’était plus qu’une
poupée de chiffon, ce pendant des mois, pour le bonheur de
qui, certainement pas le sien.
- Si un jour après un accident je restais
handicapé, je préférerais mourir.
- Qui m’aidera à choisir l’heure de ma
mort si j’en suis incapable (handicape grave
coma) ?
- Comment légiférer sur un problème
aussi complexe, quand chaque cas est si particulier ?
- Ai-je le droit de demander la mort ?
- Puis-je demander à mon médecin sa
collaboration ?
- Suffit-il d’atténuer les souffrances physiques
pour rendre la fin de vie supportable ?
- Peut-on calmer toutes les douleurs ?
- Qui peut s’arroger le droit
d’apprécier la dignité de ma
vie ?
- Dieu m’a donné la vie, seul lui peut me la
reprendre.
- L’acharnement thérapeutique est-il compatible
avec le principe de respect de la dignité humaine ?
- Je ne veux pas mourir entouré de tuyaux.
Si on légalise l’euthanasie, ne doit-on pas
craindre des dérives (eugénisme,
héritage…) ?
B – Ebauche de
clarification :
Et bien d’autres interrogations encore qui bouleversent
l’Homme au plus profond de son être, de ses
croyances et de ses certitudes. Il se met à douter. Et ce
doute l’étreint.
Après des décennies vouées
à refouler la mort, il s’interroge
désormais sur sa fin de vie. Il ose braver
l’interdit, faire face au tabou, ouvrir la porte des
ténèbres.
A tel point, qu’il en vient à évoquer
voir revendiquer « l’heure
venue, le droit de s’éteindre de
manière douce et paisible ».
Cette fois, le mot est lâché dans
sa conception première, on parle d’euthanasie.
Et c’est, dès le début du
XVIIè siècle, que Francis BACON, homme
d’Etat et philosophe anglais, y fait allusion. Il
préconise, dès 1623, la mise en place
d’une médecine
« palliative » qui devait
permettre à l’Homme de réaliser un
vieux rêve de l’Humanité :
échapper aux affres des derniers moments de la vie et
connaître une mort douce et paisible.
Emprunté à l’antiquité
grecque, le terme d’euthanasie sera utilisé dans
ce sens jusqu’à la fin du XIXè
siècle. Il existe alors une science de
l’euthanasie qui emploie des moyens simples :
aération de la chambre, position du malade dans le lit,
présence des proches, pas d’actes chirurgicaux,
mise en place de traitements médicaux les plus simples
possibles… On prend soin du malade. On l’aide
à mourir paisiblement. On l’accompagne dans une
mort certaine.
Mais à la fin du XIXè
siècle, le terme d’euthanasie prend un sens
nouveau : procurer une mort douce en mettant fin
délibérément à la vie du
malade. Et c’est désormais le sens
prédominant dans l’opinion publique des
sociétés occidentales.
Le même terme désigne alors « la
mort douce et paisible » et
« l’acte de provoquer la mort ».
La confusion commence.
On parle d’euthanasie à propos
d’analgésiques puissants, ou bien encore
à propos d’abstention thérapeutique
quand cette dernière risque d’infliger
d’inutiles souffrances, ou bien encore de
« mort provoquée »
sur intervention d’un tiers collaborant activement au
trépas du patient.
On distingue différents types
d’euthanasie :
- l’euthanasie active (intervention d’un tiers),
- l’euthanasie passive (omission thérapeutique),
- l’euthanasie indirecte : la mort n’est
pas délibérément
recherchée, mais le traitement entrepris peut y conduire
(effet indésirable des morphiniques).
Malheureusement, il ressort de la pratique,
qu’au delà de cette classification
sémantique, seul le lien de causalité et
responsabilité entre la mort d’un malade et ceux
qui l’entourent, est retenu.
Pour être encore plus précis et cibler le
problème tel qu’il se pose de nos jours, il faut
admettre que le terme d’euthanasie évoque
essentiellement la responsabilité juridique d’un
professionnel de santé ou d’un proche dans la mort
d’un malade ou d’un handicapé.
Ainsi est euthanasique le geste ou l’omission qui provoque
délibérément la mort du patient dans
le dessein de mettre fin à une vie marquée par la
souffrance.
Et pour l’instant, l’une et l’autre sont
punies par la loi.
Un débat public doit donc s’ouvrir dans le but de
faire évoluer la loi et de poser les bonnes questions.
Parmi elles, il en est une, à mes yeux,
fondamentale : notre mort nous appartient-elle ?
II – Historique.
Avant de la traiter, il apparaît nécessaire de
faire un rappel historique sur l’évolution des
mentalités, ne serait ce que depuis le XVIIIè
siècle.
Dans son excellent ouvrage « Essais sur
l’Histoire de la mort en occident du Moyen Age à
nos jours » Philippe ARIES, historien
sociologue contemporain, met l’accent sur la transformation
radicale de l’approche de la mort par nos
sociétés du XVIIIè à nos
jours. Il utilise le concept de « mort
inversée ». Je cite :
« On est passé de
l’exaltation de la mort à
l’époque romantique au refus de la mort
aujourd’hui ».
L’auteur nous raconte
l’épopée, en 1834, d’une
famille de la noblesse française - la famille LA
FERRONAYS, catholiques très pieux - qui fut
décimée par le mal du
siècle : la tuberculose.
L’échange de courriers, recueilli en 1867 par la
sœur aînée, nous rappelle
qu’à cette époque la mort, fut elle
à 20 ans, était acceptée comme, je
cite, « un accident prévu qui
n’arrête pas la vie des familles ».
On en parlait avec le mourant, lequel se résignait et
préparait son départ. On
s’intéressait peu à la maladie (dont on
ne savait pas grand-chose d’ailleurs). Peu de questions
étaient posées au médecin (qui ne
savait pas grand-chose non plus d’ailleurs !).
Seule comptait l’inéluctabilité de son
issue. La mort était ritualisée, faite de
confessions religieuses et de séances publiques
d’adieux aux survivants.
Je cite : « c’était le
lieu où les sentiments les plus chers s’y
exprimaient une dernière fois avec la plus grande
véhémence. »
Toute différente fut « La
mort d’Yvan ILLITCH ». Cette
œuvre célèbre le Léon
TOLSTOI, publiée en 1886, nous raconte comment le
progrès scientifique, notamment médical,
bouleverse l’approche individuelle et sociale de la mort.
Désormais, la préoccupation dominante des
médecins est autrement plus exigeante que la simple notion
de gravité, ils souhaitaient faire un diagnostic. Ainsi, je
cite : « Yvan ILLITCH sort du cycle vital
familier, source de résignation, d’illusion, ou
d’anxiété qui avait
été depuis toujours celui de tous les grands
malades assimilés normalement à des
mourants. Il entre dans le cycle médical. »
Yvan ILLITCH suit point par point les recommandations
médicales et elles seules,
génératrices d’espoir. La rupture de
communication avec l’entourage est consommée. Le
malade s’enferme dans son isolement. Tout le monde joue
à l’optimisme, malade et entourage. Le patient est
materné, grondé s’il oublie ses
médicaments. Il est dépouillé de sa
capacité à réfléchir,
à observer, à décider. En un
mot : il n’assume plus. Cependant, sa mort lui
appartient encore. Mais on la lui cède le plus tard
possible. Je cite : « à
un ami qui demande à sa veuve si Yvan ILLITCH avait
gardé toute sa connaissance, elle répond
« Oui, jusqu’à son
dernier souffle. » ».
Aujourd’hui, nous souhaiterions dire :
« Il ne s’est pas vu mourir. »
L’événement de transformation radicale
est donc bien la substitution du médecin à la
famille, la prise de pouvoir par les médecins. On
médicalise le sentiment de la mort.
Jean BERNARD, prix Nobel français de
Médecine, confirme cette analyse et en rajoute. Pour lui la
révolution thérapeutique de
l’après guerre (IIème Guerre Mondiale)
en accélérant l’évolution
décrite par Philippe ARIES est à
l’origine de la situation actuelle : la mort est totalement
occultée. L’arrivée des antibiotiques
et l’élaboration de techniques modernes de
réanimation ont donné à
l’Homme l’illusion de
l’immortalité. Il s’y est
accroché en refoulant toujours plus loin la mort pourtant
inéluctable.
Avant de clore se chapitre, j’aimerais faire
une citation du père François de DAINVILLE,
historien de l’Humanisme chrétien mort en 1973,
qui ouvre le débat.
Atteint de leucémie et parfaitement conscient de son
état, il voyait approcher sa mort calme et lucide. Il
était convenu avec l’hôpital
qu’aucun traitement lourd ne serait engagé pour le
prolonger. Mais durant le week-end, l’interne de garde
s’affola devant l’aggravation de son
état de santé et fit transporter le
père FDD en réanimation. Philippe ARIES lui
rendit visite et entendit le père FDD, bardé de
tuyaux, gémir dans son dernier souffle :
« On me frustre de ma mort.
»
On est donc passé en un peu plus d’un
siècle d’une mort ritualisée,
apprivoisée, à une mort occultée,
recluse entre les quatre murs d’une chambre
d’hôpital. Responsables : le
progrès scientifique en général et le
pouvoir médical en particulier.
Le médecin remplace la famille,
l’hôpital la maison, l’acharnement
thérapeutique le mourant résigné.
III – Débat
philosophique et éthique
Nous voici donc je pense au cœur du sujet.
L’interdit de la mort, solidaire de la modernité,
est contesté.
Sorti du confort douillet que lui procuraient les certitudes
scientifiques lui promettant une mort encadrée, soutenue et
dirigée par le corps médical, l’Homme
civilisé souhaite désormais se
réapproprier le moment de sa mort, arrêter
l’horloge de la vie quand le moment lui semble venu.
Oui, mais en tant qu’individu appartenant à un
groupe, à une société et à
ses codes, sa mort lui appartient-elle encore ?
A-t-il le droit de disposer de sa propre mort ?
Cette liberté individuelle fondamentale, choisir sa mort
comme on a choisi sa vie, est-elle conciliable avec les
impératifs d’une vie en
société codée éthiquement,
religieusement et juridiquement ?
Dans le cadre de la maîtrise de son corps et
plus précisément dans celui de
l ‘organisation de sa mort l’Homme de tous
temps a disposer de deux possibilités :
- Le suicide
- L’euthanasie au sens d’euthanasie active.
(ne soyez pas surpris que je cite l’euthanasie comme pratique
ancestrale. En effet, comme en attestent Plutarque, Socrate ou Platon,
l’euthanasie existait déjà dans la Rome
et la Grèce antiques).
A – Le suicide :
A-t-on le droit de se donner la mort ?
1 – Juridiquement, le suicide, expression tragique
d’une volonté individuelle et libre par principe
quand au moment ou intervient la décision fatale et aux
moyens matériels de la réaliser, ne fait
l’objet d’aucune incrimination légale.
2 – La Morale, au parfum un peu vieillot des principes admis
tels que générosité,
désintéressement, compassion, charité,
réprouve le suicide. Pour elle, le suicide est une
lâcheté devant les épreuves de
l’existence, une fuite devant les devoirs de
solidarité sociale, un acte suprême
d’égoïsme. Au XVIIIème
siècle, le suicide était encore
assimilé à un homicide de soi-même et
donc condamnable. Et pourtant l’on peut considérer
le suicide comme l’expression majeure de la
liberté individuelle.
Montherlant écrit :
« Défaite ou non du
suicidé, cela a peu d’importance, si par son
suicide, il a témoigné de deux choses :
de son courage et de sa domination. Alors le suicide est
l’épanouissement de sa vie comme la flamme
épanouit la torche. »
Sénèque ajoute : « Choisir
soi-même l’heure où l’on
quittera ce monde, quand nul remède contre la souffrance
n’existe plus que la mort, telle est la suprême
dignité qui appartient au seul sage. »
ou encore « Autant remporter une ultime
victoire en surmontant la peur naturelle de la mort. »
Pour les Stoïciens, le suicide est une
preuve de courage.
Pour les Epicuriens, une forme de prudence.
Des Hommes célèbres ont
préférés eux-mêmes fermer
la porte du temps pour mourir debout., Freud,
Montherlant, Ernest Hemingway, André Malraux, Arthur
Koester, Achille Zavatta, Bruno Bettelheim, Roger Quillot, et bien
d’autres encore. Et chacun s’incline devant cet
acte d’ultime liberté.
En juin 1998, le metteur en scène Jean
Mercureet sa femme, « éteignaient
eux-mêmes les lustres ». Salut
les artistes, écrivait dans le journal le Monde,
l’académicien Bertrand Poirot-Delpech qui
concluait : « Quelle bravoure
quand on y songe ! Couper les répliques dont on
pense qu’elles n’ajouteront rien à la
pièce. Quelle victoire stoïque sur la
mort, quel égard pour nous public, quel culte de la
beauté des gestes et de la Vie. »
Un geste d’Homme libre en somme.
De tels propos rassure l’Homme effrayé par la mort.
3 – Mais voici que la Morale
chrétienne, guidée par Saint Thomas
déboule : « Personne
n’est juge en sa propre cause. » Pour elle
le suicide est un péché contre la
charité que chacun doit se porter à
lui-même, péché d’injustice
contre la société à laquelle il
appartient et surtout péché vis à vis
de Dieu qui nous a « prêté
la vie ». Nous voici locataire de notre
propre vie, remerciable au gré des caprices d’un
propriétaire imposteur. Et pourtant, pour Hubert
Reeves,astrophysicien contemporain, cet anathème
jeté sur le suicidé par l’Eglise
Chrétienne est essentiellement le fait de la
législation vaticane et non pas des Evangiles.
Quoi qu’il en soit, on comprend
aisément que dans nos sociétés aux
profondes racines judéo-chrétiennes, la notion de
mort provoquée soit un thème tabou. Et c'est bien
dommage car un sujet tabou c'est une réflexion
avortée, une entrave à la liberté de
conscience, un barrage sur le chemin de
l’épanouissement d’une
société.
En résumé,
Le suicide est une forme très ancienne
d’organisation de sa propre mort.
L’incidence sociale y est manifeste (ce n’est pas
le geste isolé d’un malade mental)
Il est fortement réprouvé par la Morale sociale
et chrétienne.
Il est juridiquement non condamnable.
B – L’euthanasie :
A-t-on le droit de demander la mort ? (pour soi-même)
Outre les définitions sémantiques ou juridiques
de l’euthanasie, indéniablement
réductrices ou génératrices de
confusion, il apparaît souhaitable pour guider la
réflexion sur le sujet de se référer
à des modes existants et montrer que l’euthanasie
n’est ni plus ni moins qu’une émanation
de ces concepts enracinés au fil du temps dans les
mœurs d’une société. Je
m’explique. Si je vous propose comme définition de
l’euthanasie : Suicide assisté, je fais
peut-être une erreur, mais de cette façon je
rattache d’emblée l’euthanasie
à tout l’héritage culturel du suicide,
comme développé
précédemment. Au sein de ce nouveau concept, de
cette nouvelle terminologie se retrouvent : les grandes peurs
et anathèmes jetés sur le
suicide mais aussi la notion de volonté
réfléchie, de désir
mûri, d’autodétermination.
S’y ajoutent : le respect par
autrui de cette volonté, une éventuelle assistance
quand, le moment venu, malgré la force de
la détermination et de la lucidité, le courage ou
les moyens viendront à manquer.
Vu sous cet angle, il me semble que c’est plus
clair mais le cas s’aggrave. En effet de forte connotation
négative, le suicide attirait déjà
à lui les foudres de la morale et de la religion. Mais il
disposait d’un allié ou du moins d’un
non belligérant : la bienveillante
neutralité juridique.
Cette fois, avec l’adjonction de
l ‘épithète
assisté, c’est la passe de trois, le hat trick, la
Triple Alliance qui élève ses Fourches Caudines
devant l’euthanasie. Morale, religion et justice se dressent
alors pour faire barrage à cette évolution
pourtant très moderne de la pensée.
Se donner la mort était déjà
très contestable mais se faire assister dans ce but
n’est ni plus ni moins qu’un homicide, un
assassinat, réprimé
sévèrement par le Code Pénal.
Même avec le consentement écrit de la victime,
l’auteur des faits est condamnable (Indifférence
du consentement de la victime).
Après un siècle de refoulement de
la mort aux confins de l’inexistant, voici l’Homme
du XXI ème siècle moins docile, soucieux de
gérer lui-même la fin de sa vie. Il revendique le
droit d’y mettre fin seul ou assisté. Et ce, en
opposition totale, en conflit ouvert, avec les codes fondamentaux de sa
propre civilisation. Quelle gageure !
Et pourtant l’idée fait son chemin. Les
mentalités évoluent. Des portes
s’entrouvrent.
Seule la religion s’arc-boute sur ses positions. Bien
qu’individuellement on trouve des ecclésiastiques
libres penseurs qui, par exemple, rédigent un testament
de fin de vie et adhèrent à
l’A.D.M.D (Association pour le Droit de Mourir dans la
Dignité).
Mais du côté du Vatican, qui longtemps
s’est radicalement opposé au
préservatif pour lutter contre
l’épidémie de sida, il n’est
pas raisonnable d’attendre sur ce sujet non plus de
manifestes avancées.
D’un point de vue juridique national,
le tiers qui donnerait suite à cette demande
s’expose, en principe, à des sanctions civiles,
pénales et disciplinaires. A fortiori, provoquer la mort du
malade pour abréger ses souffrances sans son consentement
est évidemment aussi un crime.
En matière d’orthothanasie (ou euthanasie
passive), une proposition de loi avait été
déposé en 1978 par le Sénateur Henri
Caillavet et envisageait le droit pour l’individu de
renoncer, même par avance et en parfaite santé,
à tous soins ou traitements destinés à
prolonger la vie lorsque la médecine ne laisse aucune chance
de guérison. L’individu lucide a le droit civil et
moral de choisir son traitement.
On sait que le Législateur s’est
toujours refusé à légiférer
en la matière, redoutant les débordements
qu’une telle pratique pourrait engendrer. Quelles
conséquences sociales entraînerait une loi en
matière d’euthanasie ?
Ses détracteurs craignent que s’installe une forme
d’eugénisme, comme l’ont
pratiqué les nazis durant la guerre. De plus, ils redoutent
des malversations en matière de successions, de captation
d’héritage et de disparition subite
d’ascendants dont l’existence interfère
dans la réalisation de projets personnels…
Pourtant, divers principes fondamentaux de notre droit
français ouvrent une porte à la
légalisation sur l’euthanasie.
En effet, une pierre angulaire de cette réflexion est le
droit et la liberté de disposer de soncorps. Celle ci
apparaît comme un droit quasi naturel venant
aussitôt après le droit à la vie.
Par ailleurs, le conseil Constitutionnel a érigé
en principe la sauvegarde de la dignité
de la personne humaine contre toute forme d’avertissement et de
dégradation.
Cette décision a donné lieu, le 29 Juillet 1994,
à la promulgation de la loi relative au respect du corps
humain.
Le Code Civil s’est enrichi d’un
nouvel article 16 qui consacre la primauté de la
personne et interdit toute atteinte à
la dignité de celle-ci.
L’article 16-3 prévoit qu’il ne peut
être porté atteinte à
l’intégrité du corps humain
qu’en cas de nécessité
thérapeutique et cela avec le
consentement préalable du malade.
Ces principes, dégagés de la nébuleuse
juridique par le Conseil Constitutionnel, ont pour objet de
préserver l’individu de toute atteinte
à son intégrité physique ou
psychologique, qu’elle vienne d’un individu ou
d’un pouvoir quelconque (politique, médicale ou
étatique).
Se pose alors la question de savoir si chaque individu dispose du
pouvoir de déterminer lui même si son
état correspond à la conception qu’il a
de la dignité humaine et s’il peut librement
disposer de son corps en demandant l’euthanasie.
Au plan international,nombreux sont les pays qui ont
osé des textes de Loi sur l’euthanasie.
Ainsi aux Etats-Unis d’Amérique, la Cour
Suprême, par un arrêt du 25 juin 1990, a
affirmé que le droit de vivre inclus le droit de
mourir.
D’autres grandes démocraties sont
en avance.
Ainsi, les Pays-Bas ont été le premier pays
à avoir autorisé la pratique de
l’euthanasie selon une Loi entrée en vigueur le
1er juin 1994, demandant aux médecins ayant aidé
activement à mourir un de leur patient d’en
informer à postériori le Procureur.
Aux Etats-Unis c’est sur la côte ouest dans
l’Etat de l’Oregon qu’a
été votée le 8 novembre 1994 une Loi
autorisant, selon une procédure très rigoureuse, le
suicide médicalement assisté pour les
malades de plus de 18 ans atteints d’une pathologie incurable
et dont la survie est estimée à six mois au
maximum. Ce droit au suicide médicalement assisté
a été reconnu conformeà la
Constitution par les Cours d’Appels de douze autres Etats.
Même en Espagne, pays pourtant de
très forte tradition catholique, un premier pas a
été franchi le 23 novembre 1995 par la
publication d’un nouveau Code Pénal dans lequel
euthanasie et suicide assistés n’y sont plus
considérés comme un homicide passible de 6 mois
à 3 ans d’emprisonnement. Les peines effectivement
prononcées depuis cette date ont été
assorties de sursis. Ces textes ne s’appliquent que lorsque
le malade a fait une demande insistante et
réitérée, qu’il souffre
d’un mal incurable ou d’une affection
entraînant des douleurs sévères,
permanentes et difficiles à supporter. A présent,
la dépénalisation même de
l’euthanasie volontaire, va venir prochainement en discussion
devant le Sénat Espagnol.
Certains pays déjà
cités ou d’autres encore, ont souhaité
reconnaître légalement la validité du
testament de fin de vie. Ainsi, aux Etats-Unis, la Loi
fédérale du 1er décembre 1991, impose
à tous les établissements de soins
d’informer chaque malade de ses droits et s’il a
rédigé une déclaration de
volonté et nommer un mandataire, d’en faire
mention dans son dossier.
Les provinces Canadiennes de la Colombie Britannique, du Manitoba, de
la Nouvelle Ecosse, de l’Ontario et du Québec, se
sont dotées de législation reconnaissant la
légalité du testament de fin de vie.
L’Etat d’Australie du sud en
novembre 1995, a admis le refus de traitement en phase terminale et
l’administration d’antalgiques pouvant
hâter le décès, si telle est la
volonté du patient.
Au Danemark, une Loi votée le 14 mai 1992, oblige les
médecins à se conformer aux dispositions
contenues dans ce testament et encourent des sanctions s’ils
y contreviennent.
En Suisse une Loi du 28 mars 1996, votée par le Grand
Conseil du canton de Genève, édicte :
« Les directives anticipées
rédigées par le patient, avant qu‘il ne
devienne incapable de discernement, doivent être
respectées par les professionnels de la santé
s’ils interviennent dans une situation
thérapeutique que le patient avait envisagée dans
ses directives ».
En Grande Bretagne, en Allemagne et en Autriche
c’est la jurisprudence qui reconnaît
l’obligation de se conformer au testament de fin de vie.
L’éthique médicale
aussi, est ébranlée par ce nouveau concept.
Après des décennies passées
à donner la vie, à la prolonger, à
entretenir l’espoir par le perpétuel
progrès scientifique, voici qu’on demande au
pouvoir médical d’en rabattre, de se mettre
à l’écoute de
l’évolution des pensées et des
mœurs. Et d’accepter l’inacceptable,
d’admettre l’inadmissible, de renier une partie de
ses convictions, de transgresser l’interdit, en envisageant
d’intervenir activement auprès d’un
patient qui le demande et lui favoriser ainsi le Passage. Tel est de
nos jours le paradoxe professionnel d’un
médecin : il continuera de donner la vie et de
l’entretenir mais il devra se préparer
à administrer la mort.
Le médecin qui administre la mort,
c’est le pompier qui met le feu. Antinomie, paradoxe, dilemme
ou contresens ?
De tout temps, la mort a été la compagne de vie
du médecin. Et trop souvent en effet, le médecin
sait que les derniers instants de l’existence sont si
indignes, qu’ils ne s’apparentent plus
qu’à un naufrage. Et même si lui aussi a
cédé un temps au chant des sirènes de
la révolution thérapeutique, jamais il
n’a abandonné son patient aux portes des
Ténèbres. Mais c’est dans la plus
grande discrétion, dans le colloque singulier qui
l’unit à son patient face à sa propre
conscience que parfois il a poussé la Porte.
Alors de ces hommes là, je vous le dis, ne craignons pas
l’abandon de poste.
A cet égard, le nouveau Code de Déontologie
(article 37) s’est
dépoussiéré :
« En toutes circonstances, le
médecin doit s’efforcer de soulager les
souffrances de son malade, l’assister moralement, et
éviter toute obstination déraisonnable dans les
investigations ou la thérapeutique. »
On biaise sur l’euthanasie, je vous l’accorde, mais
c’est tout de même mieux que
l’aridité de feu l’article 20 :
« Le médecin n’a pas
le droit de donner délibérément la
mort à son patient. »
En 1991, le professeur Léon SCHWARTZENBERG,
devant le Parlement Européen s’exprimant sur le
sujet, achevait son intervention comme suit :
« La dignité est ce qui
définit une vie humaine. Et lorsque à la fin
d’une longue maladie contre laquelle il a lutté
avec courage, le malade demande au médecin
d’interrompre une existence qui a perdu pour lui toute
dignité, et que le médecin décide, en
toute conscience, de lui porter secours et d’adoucir ses
derniers moments en lui permettant de s’endormir paisiblement
et définitivement, cette aide médicale et humaine
parfois appelée euthanasie est le respect de la vie. »
Au terme de ce paragraphe, il apparaît nettement que certes
les textes sont à la traîne, mais les
mentalités sont quasiment prêtes, alors, faut-il
légiférer sur le sujet ?
IV – Débat
juridique : Faut-il légiférer sur
l’euthanasie ?
A – Les soins palliatifs
Outre les réticences morale, religieuse et juridique
évoquées précédemment, la
législation sur l’euthanasie se heurte aux
partisans des soins palliatifs. Pour eux,
l’évolution des techniques et des moyens peut,
exhaustivement, régler tous les problèmes,
répondre à toutes les situations. Pour eux il
suffit de s’en donner les moyens, de bâtir des
unités de soins palliatifs au sein desquelles des
équipes spécialisées seront
à l’écoute du patient et du drame
personnel qu’il vit. C’est le credo de la science
toute puissante, de la psychologie au lit du malade, de la chaleur
humaine en baume universel. Et sincèrement, très
sincèrement, je respecte cette opinion. Qui plus est, je
l’approuve du moins en partie. Loin de moi
l’ignorance ou l’hypocrisie qui consisterait
à nier l’évidence du progrès
scientifique dans la lutte contre la douleur ou bien encore,
l’effort manifeste conduit par les pouvoirs publics pour
humaniser hôpitaux, cliniques et maisons de retraite. Et se
rapprocher ainsi un peu plus chaque jour du patient, de ses
préoccupations et de ses souffrances pour mieux y
répondre.
Pour autant, je ne peux souscrire à
l’affirmation de notre cher french doctor, porteur
médiatique de sacs de riz aux populations
affamées, notre facétieux Ministre de la
santé, Bernard KOUCHNER. Je cite :
« Le développement des soins
palliatifs réglerait les cas les plus douloureux. »
(France Soir, lundi 18 janvier 1999).
Limiter le débat sur la qualité de la fin de la
vie à la lutte contre la douleur, c’est fermer le
débat avant de l’ouvrir.
S’il est vrai que la douleur altère
le jugement et que son soulagement peut ramener à la vie,
à l’envie de vivre, de nombreux patients,
c’est avoir une vision très réductrice
et très technocratique de la situation que de s’y
limiter. Tout médecin de terrain et nombreux de ceux qui ont
vu mourir leurs proches ou ont pénétré
dans les hôpitaux, en service de gériatrie
notamment, savent très bien que les souffrances de la fin de
vie ne se limitent pas à la douleur physique.
Qu’en est-il de ces grandes détresses sans aucune
douleur physique que sont la déchéance physique
et/ou intellectuelle et leur corollaire, la grande
dépendance.
Quelle réponse apporte-t-on à ce
cas, porte- étendard d’une cohorte malheureusement
trop longue : (courrier ADMD)
« Handicapée des jambes, ma
mère a dû renoncer à 37 ans
à son métier d’enseignante
qu’elle adorait et malgré sa maladie et son
handicap, a élevé ses trois enfants. Tant
qu’elle a pu, elle a voyagé malgré tous
les problèmes occasionnés par sa
paraplégie. On ne peut donc l’accuser de renoncer
à la vie à cause d’une
dépression inhérente à sa
personnalité.
Cependant, son état s’est
aggravé, à quatre reprises elle a dû
subir des opérations extrêmement douloureuses. En
dépit de cela elle est maintenant, à 67 ans,
tétraplégique…
La proposition que j’aimerais faire
à tous les opposants bien-pensants d’une Loi
contre l’euthanasie est la suivante : je leur
propose de venir passer quelque temps auprès de ma
mère et de lui expliquer comment on vit quand on ne peut ni
se lever, ni se laver, faire ses besoins, se gratter, appuyer sur le
bouton pour allumer la télévision, la
lumière, ou appeler de l’aide, boire ou manger.
J’aimerais qu’ils viennent bouger ma
mère dans son lit pour varier la position,
l’entendre gémir de douleur, la voir pleurer,
soulever son corps de poupée de son et savoir
qu’on la fait souffrir, la masser, tenter de la
réchauffer, lui expliquer où sont ses membres
qu’elle
ne perçoit plus. J’aimerais
qu’ils viennent lui dire quelles sont, après 30
années de handicap et de lutte contre une maladie qui
l’a vaincue, les raisons qu’elle pourrait avoir
d’aimer encore la vie dans un corps qui
l’emprisonne, quand elle n’a plus aucune
intimité, aucune liberté si ce n’est la
volonté de mourir même par cette mort atroce
qu’est la faim. Ma sœur et moi sommes donc dans le
plus grand désarroi : nous craignons, si nous
aidons notre mère à en finir,
d’être poursuivies par ce qu’on appelle
si mal dans le cas présent, la Justice. »
On voit bien à travers cet exemple, qui
croyez-moi, n’est pas un cas d’espèce,
les limites des soins palliatifs.
Deux reproches principaux peuvent être fait au
« tout palliatif »
:
1 – Limiter le débat à la
souffrance physique, c’est entretenir
l’illusion d’un pouvoir médical
omnipotent, toujours efficace, en permanence aux limites de
l’acharnement thérapeutique. Quid de la souffrance
morale induite par la déchéance physiologique et
la dépendance ? Quid de la détresse morale de ce
patient conscient, baignant dans ses humeurs, couvert
d’escarres, tributaire d’un tiers pour les gestes
les plus intimes de la vie ?
Avec la toute puissante morphine, certes on soulage le patient mais on
endort le citoyen et on tue le débat.
2 – C’est ici la nature même du second
reproche à l’adresse des soins palliatifs :
ils sont à contresens de
l’évolution des mentalités.
L’opinion publique est prête, les
sondages le prouvent. L’Homme souhaite être
responsabilisé par rapport à sa propre mort. Et
au lieu de l’y encourager, on lui propose l’inverse
: une quasi infantilisation « ne vous
inquiétez pas, on s’occupe de tout. Vous ne
souffrirez plus. Vous aurez une belle mort, douce, sans aucune angoisse
existentielle. »
C’est le retour aux plus belles années de
l’impérialisme scientifique !
Là où on attend philosophie, sociologie, science
humaine, on répond par morphine, hôpital et
certitude scientifique.
Enfin et ce n’est pas le moindre des paradoxes
entretenu par le « tout palliatif ».
Pour humaniser la mort on parle d’édifier des
unités de soins palliatifs et simultanément de
multiples mesures incitatives sont prises pour favoriser le maintien
à domicile des malades y compris ceux qui sont en phase
terminale !!
Alors, raison et sagesse il faut garder. Les soins palliatifs oui, le
« tout palliatif »
non.
L’Homme doit pouvoir affronter la nuit debout.
Dans le journal le Monde du 21 août 1998 le
sociologue Michel VERRET écrivait : « Il
faut pouvoir terminer en douceur, sur sa demande, sa vie de
mourant, sans se voir obliger de prolonger, même
en douceur, son agonie ; car le pire serait de ne pas appeler les
choses par leur nom. »
B – Faut-il
légiférer ?
Sans aucune hésitation nous répondons oui, en
voici les raisons.
1 - Nécessité absolue de respecter le principe
fondamental de l’intégrité de la
personne ainsi que le droit absolu de disposer librement de son corps
au cours de sa vie.
2 – Les soins palliatifs certes indispensables
présentent de graves lacunes.
3 – L’opinion publique est prête. Dernier
sondage SOFRES sur le sujet : 87 % des français
s’opposent à l’acharnement
thérapeutique et plaident pour l’euthanasie.
4 – En France la jurisprudence a
révélé l’insuffisance des
textes de Loi.
5 – La multiplication des textes législatifs
à l’étranger, confirment la
primauté du débat et la
nécessité de l’encadrer.
6 – L’abolition de la peine de mort n’a
jamais fait grimper les statistiques sur les crimes de sang.
7 – La Loi sur l’IVG et l’ITG
(interruption thérapeutique de grossesse) admise
aujourd’hui a rencontré le même genre
d’opposition à son époque. Et
malgré ses imperfections, elle a permis de reporter aux
pratiques de l’Antiquité l’avortement
clandestin. L’image de cette jeune femme en
détresse, au fond d’une chambre glauque,
travaillée par les mains profanes d’une faiseuse
d’anges, n’est plus qu’un mauvais
souvenir.
8 – Josiane ADRIAN, ingénieur de recherches au
CNRS, s’inquiète du nombre croissant et
sous-estimé de suicides au grand âge. Nombre
d’entre eux sont comptabilisés à tort
en accident (AVP, noyade, explosion de gaz, etc…)
Je n’ai pas de chiffres précis, mais il semblerait
qu’en Europe, le taux de suicides des hommes
âgés de plus de 65 ans soit suffisamment important
pour qu’on s’intéresse à leur
signification sociale.
9 – Enfin, en France, on évalue à 2000
par an le nombre d’euthanasies clandestines.
Légiférer sur la fin de la vie c’est
admettre le droit pour les vivants de s’approprier leur mort
et d’en choisir les conditions. Cette liberté
individuelle est inaliénable.
Dépénaliser l’euthanasie ne
contraindrait personne : ni le patient, ni le médecin.
Chacun selon ses convictions religieuse et morale, chacun selon sa
conception personnelle de la dignité disposerait de lui
même.
C’est un droit donné, une
possibilité offerte. A chacun d’en user selon ses
convictions.
SENEQUE disait : « Penser la Mort
c’est penser la Liberté. »
A l’heure ou la dignité de
l’être humain est enfin devenue le credo des
instances internationales, de l’UNESCO au Conseil de
l’Europe, pourquoi la confisquerait-on aux personnes
parvenues au seuil de leur propre mort ?
Nul n’a le droit de priver l’Homme de cette
liberté fondamentale. L’appréciation de
la dignité de sa vie n’appartient
qu’à lui, à la lumière de
son vécu philosophique, éthique et religieux.
Dans ce sens, un projet de Loi a été
déposé par le groupe socialiste sur le bureau du
Sénat, en décembre 1998. Il comporte une dizaine
d’articles très courts, qui reprennent et
rassemblent les principaux paramètres.
PROPOSITION DE LOI
Article 1er
Toute personne en mesure d'apprécier les
conséquences de ses choix et de ses actes est seule juge de
la qualité et de la dignité de sa Vie ainsi que
de l'opportunité d'y mettre fin.
Article 2
Lorsqu'elle refuse un acharnement thérapeutique, le
Médecin doit s'y conformer, sous réserve
d'invoquer son cas de conscience dans les conditions prévues
par l'article huit.
Article 3
Elle peut obtenir une aide active à mourir lorsqu'elle
estime que l'altération, effective ou imminente de cette
dignité ou de cette qualité de vie la place dans
une situation telle qu'elle ne désire pas poursuivre son
existence.
Article 4
Sa volonté, révocable à tout moment,
de mettre un terme à son existence est établie
par un testament de fin de vie signé de deux personnes en
présence d'un officier de police judiciaire requis par un
médecin qui atteste du souhait conscient du patient.
Article 5
Elle peut charger un représentant ad hoc de
faire connaître son souhait d'exercer la faculté
prévue aux articles 2 et 3 et d'en requérir
l'exécution au cas où elle ne serait plus en
état de le faire elle-même.
Article 6
Toute personne admise dans un établissement de soins public
ou privé est informée des facultés
prévues aux articles 2 et 3.
Il lui est en outre demandé si elle a
rédigé un testament de fin de vie et si elle a
désigné un représentant ad
hoc.
Une copie de son testament de fin de vie et une copie de la
désignation de son représentant ad hoc
sont déposées, contre
récépissé, auprès de
l'établissement de soins.
Article 7
Le médecin qui fait droit à la volonté
du patient dans les conditions prévues par la
présente loi déclare l'acte accompli au Conseil
de l'ordre des médecins, qui le mentionne dans un registre
spécial.
Il n'encourt aucune sanction.
Article 8
Si un médecin n'entend pas, en conscience, donner suite
à une demande présentée en application
des articles 2 ou 3, il doit en aviser la personne concernée.
Il le fait dès le premier entretien, si celle-ci a
déposé une déclaration
écrite conformément à l'article 6, et
dès qu'il a connaissance de sa volonté, si
celle-ci est exprimée postérieurement
à l'hospitalisation.
Il est alors tenu, si aucun médecin dans
l'établissement ne souhaite accéder à
la demande du patient, de pourvoir dans les meilleurs délais
au transfert de celui-ci dans un autre établissement.
Article 9
L’article 221-1 du code pénal est
complété par un alinéa ainsi
rédigé :
« Toutefois, l'aide active à mourir
pratiquée dans les conditions prévues par la Loi
n'est pas considérée comme un meurtre. »
Article 10
L'article 221-5 du code pénal est
complété par un alinéa ainsi
rédigé :
« Toutefois, l'aide active à
mourir pratiquée dans les conditions prévues par
la Loi n'est pas considérée comme un
empoisonnement. »
Dans des conditions strictes, cette Loi donne à
l’Homme le droit de demander la mort, au médecin
d’accéder à cette demande.
Libre à chacun d’agir selon sa conscience.
L’hypocrisie recule.
L’Homme grandit dans sa dignité.
Pour autant, il ne s’agit pas d’instaurer une
solution de facilité et d’agir de façon
aveugle sous le seul prétexte qu’un individu aura
exprimé le souhait de mettre fin à ses jours.
Il ne s’agit pas non plus de chercher à
déresponsabiliser les praticiens dans leurs actes ou les
familles dans leur fuite.
V – En attendant : Que
faire ?
1 – Pour ceux qui en sont d’accord, militer pour
cette dépénalisation tout en souhaitant
parallèlement le développement
d’unités de soins palliatifs. Il s’agit
de complémentarité et non pas
d’exclusive.
2 – Adhérer à
l’ADMD et militer pour la reconnaissance légale du
Testament de fin de vie.
« Je
soussigné(e)…jouissant de la pleine
capacité de mes droits civils, déclare en pleine
conscience et en toute liberté que, si
j’étais dans l’incapacité
d’exprimer ma volonté, et que les traitements
possibles n’aient plus de chances de me rendre une vie
consciente et autonome, je demande instamment :
1 – Que l’on s’abstienne
de tout acharnement thérapeutique pour prolonger abusivement
ma vie;
2 – Que l’on use de tous les
remèdes pour calmer mes douleurs, même au cas
où les seuls restant efficaces risqueraient
d’abréger ma vie.
3 – Qu’en dernier recours on me
procure l’euthanasie, c’est à dire une
mort douce, conscient(e) que par là, je pose
problème notamment aux médecins et aux soignants,
mais convaincu(e) qu’on fera passer avant tout le respect de
la personne humaine.
Je fais confiance aux médecins et infirmiers
me traitant, à ma famille et à tous autres, pour
respecter ces volontés, et je les en remercie.
Date, signature. »
Le déposer chez son médecin traitant et donner
mandat à un de ses proches pour le représenter
s’il est inconscient.
3 – Tisser des liens étroits avec
son médecin traitant, ne pas hésiter à
lui confier sa propre philosophie de la vie afin qu’entre eux
s’instaure une réelle complicité. Il
faut que le médecin perçoive ce que le patient
attend de la vie ; à quel niveau il situe sa propre
dignité ; quelles sont ses angoisses existentielles, ses
réflexions par rapport à l’acharnement
thérapeutique (à quel stade commence-t-il ?).
Fort de tout cela, au jour le jour, au fur et à mesure de
l’évolution de l’état de
santé du patient, ils seront alors deux à
cheminer plus sereinement vers la Grande Porte.
4 – Ré-aménager et
ré-apprivoiser le temps de la mort.
Comme nous l’avons rappelé au début de
cette planche, autrefois, le malade était entouré
de sa famille, chacun se relayait auprès de lui. On lui
apportait réconfort et chaleur. C’était
un rituel auquel tout le monde se préparait et la mort
était abordée non pas avec résignation
mais comme une réalité et
l’aboutissement de la vie. Psychologiquement, cette tradition
permettait à chacun de se réconcilier avec la
mort, avec ce tabou que la plupart des gens fuient
aujourd’hui. Peut-être parce que les gens refusent
d’admettre cette réalité, et que
prendre conscience de son état d’être
humain, de la relativité de la vie et de son aboutissement
ne correspond plus à l’image de l’Homme
du XXIème siècle. Pourtant, nous ne sommes pas
des dieux, et c’est peut-être parce que
l’Homme a toujours voulu s’identifier à
eux qu’il a fini par perdre le sens des
réalités et de sa condition. Alors il est
évident qu’il n’y a rien de plus
dérangeant qu’un mourant nous rappelant
à l’ordre. Mais pour ceux qui ont vécu
cette expérience de l’accompagnement de la mort
d’un être cher, aussi grande soit leur peine, ils
n’ont pu sortir de cette épreuve sans avoir pris
conscience du sens de la vie. L’amour de soi et son prochain
s’en trouve renforcé. La dimension de la
dignité humaine est ainsi prise. Elle doit pouvoir permettre
à chacun de choisir librement la façon dont il
veut que sa mort se déroule.
Mais , au delà de cette prise de conscience
ou de la rééducation qui doit être
réalisée, de nombreuses contraintes
liées au fonctionnement de notre
société empêchent souvent les familles
de se réunir dans ces moments douloureux. En effet,
l’éclatement des familles et
l’éloignement géographique rendent la
plupart du temps impossible leur présence
prolongée au chevet du mourant.
L’aménagement du temps de la mort pourrait,
utilement, être envisagé par le
législateur. Trois jours pour le deuil d’un proche
est notablement insuffisant.
CONCLUSION
Débat sociétal s’il en est, celui-ci
devra définir un moyen terme entre satisfaction des
libertés individuelles et protection des membres les plus
vulnérables de la société,
rôle imparti à l’Etat et à
ses Lois.
Les Francs-Maçons doivent y participer car ce sont de libres
penseurs. Ils doivent être une force de proposition et
accompagner, voire précéder
l’évolution des mentalités.
Nous sommes dans le camp des progressistes. La vie pour nous aussi est
sacrée pourvu que jusqu’au bout elle conserve
toute sa dignité.
Pour nous Francs-Maçons l’Homme est
au centre de tous les débats. Il est notre
préoccupation principale. Toute atteinte à son
intégrité ou à sa liberté
de penser nous interpelle.
Après le difficile combat de la légalisation de
l’IVG, il nous apparaît légitime de nous
interroger sur la fin de la vie.
Et quand nous en aurons fini avec ce sujet, l’ouvrage ne sera
pas terminé. Dans ce domaine, il faudra
s’impliquer totalement dans le débat sur les
manipulations génétiques et le clonage de
l’être humain.
Avec un seul objectif, contribuer à
l’accomplissement d’un Homme plus libre, plus
épanoui, au sein d’une
société toujours plus humaine.
J\L\ L\ & E\M\
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