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Historique d'une boisson : La Bière

Petit historique du breuvage

Beaucoup s’imaginent, avec une émouvante candeur, que la bière ou « cervoise» fut le fruit de l’imagination de nos ancêtres les gaulois, en opposition au jus de treille des romains. Au risque de vous décevoir, son origine, beaucoup plus ancienne, remonte à la plus haute antiquité, il y a environ 8000 ans.

C’est en Mésopotamie, entre le Tigre et l’Euphrate, dans le royaume de Sumer que nait et grandit la précieuse boisson. La civilisation et la bière ont un point en commun : elles sont toutes deux issues du génie de l’homme, et de génie, les sumériens n’en manquent point.
Ils nous ont légués, entre autres, l’écriture, le système sexagésimal base de la division du temps en heures, minutes et secondes, le principe de division de la voute céleste en 12 signes zodiacaux, les premières connaissances astronomiques, … On comprend aisément qu’après avoir accompli tout cela, ils aient éprouvé le besoin de se détendre avec une « petite mouss » !
Dès son apparition, la bière, appelée alors «sikaru», dont la traduction littérale est pain liquide, est associée aux rites religieux et utilisée comme boisson d’offrandes aux dieux.

Le brasseur sumérien fait germer l’épeautre et l’orge et produit ainsi le malt. Il le transforme en pains de bière pâles ou grillés, selon la coloration de breuvage désirée. Ces pains sont ensuite émiettés puis délayés pour entrainer la fermentation nécessaire à la production d'alcool.
Arrivée de Babylonie, la « sikaru » renommée « zythum » est très appréciée des Égyptiens. Dotées des abondantes matières premières que sont l’eau et les céréales, c’est fort logiquement que les égyptiens se mirent à brasser de la bière. Hérodote écrira d’ailleurs à ce propos « le jus de treille faisant défaut dans leur pays, les égyptiens ont fait du vin avec de l’orge ».
Aux étapes de germination, de touraillage (c.àd. de chauffage de la concoction), et de fermentation, vient s’ajouter celle de l’assaisonnement par de la cannelle, du miel ou tous autres épices.

Comme chez les sumériens, la bière reste liée au Sacré. Pas un égyptien, même le plus humble, ne quitte ce monde sans emporter dans la tombe de la bière symbole d’éternité. Selon la légende, le brassage aurait été enseigné par Osiris, dieu de la végétation renaissante, et bénéficiait de la protection d'Isis, la déesse de la fertilité agraire. Ramsès II, que l'on surnomme le pharaon brasseur, contribuera à l'implantation durable de la bière et à la pérennité des toutes premières brasseries.
La bière infiltre rapidement le pourtour méditerranéen durant le premier millénaire avant J.-C. On en retrouve les traces en Grèce, en Ibérie, dans le sud de la Gaule et dans tout l'Empire romain. La bière est alors brassée dans un chaudron en cuivre, symbole de vie, d’abondance, symbole magique.

La cervoise de Gaule, plus alcoolisée que la bière actuelle, est alors la plus renommée d’Europe. Bière et pain sont frères. Le pain gaulois bénéficie lui aussi d’une grande réputation par sa légèreté, conférée par l’ajout de levure de bière à sa pâte. L’essor de la cervoise atteint son apogée sous l’empereur romain Domitien qui suite à une disette ordonne « que sur toute terre pouvant porter des céréales soit interdite la culture de la vigne ». De là doit sans doute dater les prémices de la vieille querelle entre amateurs de bière et amateurs de vin…
Car en général, les romains préfèrent le vin, boisson noble par excellence, cultivable dans tout l’empire, à l'exception de quelques contrés reculées, moins ensoleillées et moins propices à la culture de la vigne.

Grand chef de guerre, l’empereur Caesar répand la culture de la vigne en même temps que ses légions. Cependant l’auguste Caius Julius César a un terrible handicap, pour un patricien romain, il ne peut supporter le vin dont les aigreurs lui brulent l’estomac. Aussi comme beaucoup de ses légionnaires, succombe t il à la tentation de la cervoise. Ces mêmes légionnaires qui, appelant la cervoise « BERE » substantif du verbe latin BIBERE (boire), sont à l’origine du mot bière. Enfin, et pour clore le chapitre romain, je rappellerai la phrase que lança Caesar après avoir vaincu Vercingétorix à Alésia (citation qui fut d’ailleurs déformée au fils des siècles) : «  VINI, BIBI, VICI » , je suis venu, j’ai bu, j’ai vaincu.
Vers le Vème siècle, l’empire romain commence à se déliter sous les assauts répétés des germains. Grâce à leurs multiples expéditions, les peuples du nord de l'Europe découvrent la bière. Le divin breuvage ne rencontre aucune résistance de la part de la vigne et s'implante durablement sous des latitudes aux précipitations idéales pour la culture de l'orge.

Comme je l’ai précisé, la bière à cette époque, possède un degré d’alcool bien plus élevé que celui que nous connaissons actuellement. C’est pour cette raison que l’Eglise inquiète de voir ses ouailles s’adonner à une consommation trop poussée de ce brouet, lors de fêtes païennes qui plus est, va récupérer la fabrication de la bière en la confiant à des moines.

Vous noterez d’ailleurs l’étonnante profusion de marques de bières portant des noms de saints ou des noms diaboliques, qui vient souligner le caractère ambivalent de la bière : la délirium tremens, la mort subite, la fruit défendu, la judas, la saint Bernardus, la saint Benoit, la Val Dieu … On est en permanence aux frontières du divin et du satanique. Le verre, le bock, signifie d’ailleurs en allemand, « le bouc ».

Les abbayes du moyen âge comportent toutes une brasserie qui leur assure des revenus substantiels. Peu à peu les décrets prolifèrent afin de réglementer le commerce de cette boisson, qui va attendre le XVème siècle pour devenir peu ou prou, celle que nous connaissons aujourd’hui.
En introduisant la fleur du houblon, dont on avait découvert les propriétés désinfectantes, on la rendait plus digeste et plus parfumée.

Bière plaisir universel 

Les ingrédients principaux, l’eau, l’orge et l’épeautre, font de ce pain liquide une boisson universelle.

Partout sur la planète où la culture des céréales est possible, on trouve de la bière, et ce depuis les temps les plus reculés. Nul besoin, comme pour le vin de terres ensoleillées et de conditions climatiques très particulières.
Les chinois, au IIIème siècle avant J.C., produiront de la bière selon des modalités similaires à celles des Egyptiens à la même époque. Sous toutes les latitudes, sur tous les continents, et même sur les bateaux des vikings lors de leurs expéditions, la bière peut être brassée.

En déguster, est un plaisir qui met en exergue tous les sens : outre la langue, le nez, les yeux et même les oreilles sont à la fête quand l’onctueux bruissement de la mousse se fait entendre :

On parle de « dentelle » de la bière pour définir les traces de mousse laissées sur les parois du verre. Cette mousse est aussi appelée la « fleur » de la bière. Dans l’aspect visuel, on parle de « robe », dans le domaine olfactif de « nez » ou de « bouquet », et dans l’aspect gustatif de « bouche », termes qui sont commun à la bière et au vin. Tout ce vocabulaire rappelle celui de l’Amour. Déguster une bière est bien un acte amoureux. Le meilleur est d’ailleurs dans l’attente, et on ne le fait pas dans la précipitation :

« Ça commence bien avant la gorge. Sur les lèvres déjà cet or mousseux, fraîcheur amplifiée par l'écume, puis lentement sur le palais bonheur tamisé d'amertume...(…)… la sensation trompeuse d'un plaisir qui s'ouvre à l'infini ...» nous dit Philipe DELERM.
 
Un plaisir qui s’ouvre à l’infini. Puis une légère amertume. Une amertume, à chaque gorgée plus présente à mesure que le plaisir s’estompe. Une amertume semblable à celle que j’ai ressentie lors la cérémonie des coupes, le jour de mon initiation. Une amertume qui me rappelle que « tout n’est pas parfait dans la vie »…

La coupe du Savoir serait - elle pleine de bière ? Pour moi, ça ne fait aucun doute. Le plaisir que je prends à la première gorgée est immense. Un miracle qui vient à la fois de se produire et de s’échapper. Et l’amertume fait partie du plaisir. C’est elle qui me donne envie de boire à nouveau à la coupe…

Bière et cycles

Ce soir, nous allons participer à la cérémonie du solstice d’Eté. La fête du soleil et de la lumière, par « l’offrande du blé, symbole de la vie matérielle, et du vin, symbole de la vie spirituelle » nous dit le rituel de la cérémonie solsticiale.

Le rituel de l’offrande est sans doute celui qui fut le plus pratiqué en Egypte pharaonique. Il est la cheville ouvrière de tous les autres car il n’y a pas de rite sans offrande. Le rituel de l’offrande n’est pas une prière pour demander une faveur aux dieux, il est plutôt une spiritualisation, une dynamisation de la matière face au divin. Il permet d’échapper à ce que l’alchimie nomme le Grossier. Il s’agit de nourrir aussi bien les Esprits que l’esprit.

La bière associée au pain est l’offrande de base tirée du grain. Présente sur toutes les tables elle figure l’alimentation métaphorique des dieux et des défunts.

Le roi - pharaon pratiquant le rite de l’offrande, est celui qui fait vivre l’Egypte, lui procure la subsistance et permet à la création de poursuivre son chemin, en maintenant l’Ordre de la Nature. Pour cela il est associé à NEPER, le dieu grain, fils de RETENOUTET, la déesse cobra protectrice des moissons.

Dans l’Egypte pharaonique, consommer de la bière peut donner la guérison, écarter les influences séthiennes, à condition de ne pas en abuser, ce qui permettrait alors au dieu rouge SETH de se déchaîner dans le corps et l’esprit du buveur impénitent. On retrouve encore le caractère ambivalent de la bière.

L’ivresse peut aussi apaiser, comme en témoigne le mythe de la Déesse Lointaine, TEFNOUT. Incarnant la chaleur née du soleil, elle quitte son père Rê, pour fuir dans le désert de Nubie sous la forme d'une lionne sanguinaire. La déesse furieuse abandonne ses pulsions meurtrières après s’être enivrée d’une bière rouge malicieusement offerte par THOT.
Le rayonnement solaire s'affaiblit en hiver alors que s'enfuit la déesse, et reprend vigueur à son retour.

La bière, vin d’orge, est la boisson d’Isis et Osiris ; elle symbolise l’éternel retour de la vie après la mort, après la fermentation du grain. Dans le livre des Morts, l’orge est définie comme « la nourriture d’immortalité »

Issu de la Terre, le grain d’orge germé est mêlé à l’Eau, chauffé par le Feu. Mis au contact de l’Air, il va fermenter et produire la bière. La bière, comme la vie, se trouve au centre des 4 éléments fondamentaux. La création se manifeste quand ils s’organisent, se maintient lorsqu’ils s’harmonisent.

Lors de notre séjour dans le cabinet de réflexion, je me suis interrogée sur la présence d’un morceau de pain à côté d’un crâne. Si la vie a besoin d’aliment matériel, il lui faut aussi une autre nourriture, s’intégrant dans le cycle d’éternel retour, symbole d’une vie universelle.

Dans les entrailles de la Terre, la graine se prépare à germer, comme le profane dans le cabinet de réflexion. La F\M\lui apporte la Lumière, le blé apparait.

L’Eau de la connaissance l’abreuve. Le malt est formé. Le rite y ajoute la levure qui l’exhausse et le fait renaitre sous une forme plus noble. La bière comme le pain, fruit spirituel, est le résultat d’un travail de fermentation, de purification.
La bière symbolise alors cette levée de l’âme, cette fécondité du travail de l’homme qui mue le blé, sagesse de la Terre, en nourriture spirituelle.

Les maîtres brasseurs et les F\M\ ont un point en commun. Ils sont dépositaires d’un secret : la levure pour les uns, le Rituel pour les autres.
Leur secret peut être connu de tous ceux qui s’en donnent la peine. Car là ne réside pas le secret. Il est dans la mise en œuvre. Il est dans le partage.

C’est en donnant réfléchir à moi-même mais aussi à mes sœurs et frères, qu’à mon tour, je deviendrai le ferment d’une autre vie, plus profonde et plus riche.

Conclusion
Je conclurai ma planche par une « bulle » légère, basée sur une remarque d’Aristote. Il constata que les gens pris de vin tombent sur la face, alors que ceux qui ont bu de la bière se couchent la tête en arrière. Là où les premiers s’en remettent à la Terre, les seconds s’assoupissent et se confient au Ciel, concluait il.

Tout F\M\ dont le rêve est de lier Ciel et Terre, ne peut désormais, ne s’arrêter qu’au vin, et faire abstraction de la bière.

Il devra donc, pour réaliser son Utopie, boire les deux !

V\M\ j’ai dit.

L\ T\

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