Obédience : NC Loge : NC 06/2013


Roger DACHER, président de l’Institut Maçonnique de France évoque l’éviction
 du Pére VESIN par l’église catholique

Historien reconnu de la franc-maçonnerie, membre de la loge nationale française et président de l’Institut maçonnique de France, Roger Dachez a accepté de nous livrer son sentiment sur “l’affaire Vesin”.

La décision de l’Église de démettre le père Vesin de ses fonctions vous surprend-elle ?

« Oui et non. Oui, parce que c’est un fait rare. Je n’ai pas mémoire en France d’un cas de curé obligé publiquement de faire le choix entre son appartenance maçonnique et l’église depuis l’après-guerre. Non, car c’est en parfaite conformité avec la position officielle de l’église. »

Quelle est-elle ?

« Elle a beaucoup évolué en 300 ans. L’église a presque toujours condamné la franc-maçonnerie. La première bulle papale d’excommunication des francs-maçons date de 1738. Clément XII estime alors que le fait de faire travailler ensemble des gens de confessions différentes est dangereux pour l’Église. Il n’est pas à cette époque question d’anticléricalisme ou d’athéisme. »

Croyance et franc-maçonnerie sont-elles inconciliables ?

« Bien sûr que non. Au tout début de la franc-maçonnerie ; être franc-maçon c’est être croyant. Dans les pays anglo-saxons protestants où la franc-maçonnerie est née, le terme “liberté de conscience” signifie “liberté de choisir sa religion”. Ce n’est qu’en France, au milieu du XIXe siècle, que la franc-maçonnerie est majoritairement devenue républicaine et anticléricale, principalement pour des raisons politiques. »

Est-ce le cas ailleurs dans le Monde ?

« Pas du tout. La très grande majorité des francs-maçons dans le monde sont croyants. La France est une exception incroyable avec des obédiences croyantes et d’autres “libérales”, acceptant croyants et non-croyants, au premier rang desquelles le Grand Orient de France. La France est le seul grand pays catholique où la franc-maçonnerie n’a pas été persécutée par l’Inquisition après la bulle de Clément XII. Tout ça grâce à une lutte d’influence entre le roi de France et le parlement de Paris, dominé par les jansénistes, qui a refusé d’enregistrer le texte du Vatican. Il n’a donc jamais été appliqué, contrairement à ce qui s’est passé en Espagne, en Italie ou au Portugal. C’est ce qui a permis à la franc-maçonnerie de croître et prospérer de manière particulière en France.. »

Pourquoi les francs-maçons français se sont-ils éloignés de l’église ?

« Au XIXe siècle, les gouvernements autoritaires se sont succédé avec le soutien de l’église. Il n’y avait pas alors de parti politique. À cette époque, le seul espace où les esprits libres pouvaient s’exprimer, c’était la franc-maçonnerie. Au milieu du XIXe, s’est alors développé dans les loges du Grand Orient un mouvement général républicain et anticlérical. C’est le début d’un combat sans merci qui a entraîné une nouvelle vague de condamnations contre les prétendus “conspirateurs francs-maçons qui voulaient détruire l’église”. Ce qui a laissé des traces, notamment la thèse du “complot judéo-maçonnique” qui s’est développée sous l’Occupation. »

L’Église catholique n’a-t-elle jamais infléchi sa position ?

« On l’a cru en 1983, lors de la publication du nouveau code de droit canon, dans lequel l’excommunication des francs-maçons avait été supprimée. Cela faisait suite à plusieurs années de débat, après Vatican II. Mais Joseph Ratzinger, futur Benoît XVI et alors préfet de la congrégation pour la doctrine de la Foi, s’est exprimé sur le sujet, indiquant que s’il n’était plus question d’excommunication, l’appartenance à la franc-maçonnerie restait un pêché grave qui interdisait l’accès à la sainte communion. »

Encore une condamnation donc…

« Oui, mais encore une fois, la position de l’église change. Le cardinal reconnaît en 1985 que la franc-maçonnerie accueille dans ses rangs des catholiques et chrétiens sincères, qu’elle possède une dimension spirituelle, mais que l’église reste la seule voie de Salut. Selon lui, pour une âme catholique, il y a un risque de concurrence entre la franc-maçonnerie et la fidélité à la sainte Église. »

Ces multiples condamnations empêchent-elles les chrétiens d’adhérer à la franc-maçonnerie ?

« Non. Au XVIIIe siècle, les chrétiens et les ecclésiastiques étaient nombreux en loge. Après le tournant anticlérical du XIXe siècle, les prêtres et les évêques se sont faits plus rares, mais il y en a toujours aujourd’hui. Le simple croyant attache peu d’importance à ces condamnations, d’autant que peu d’évêques font réellement la chasse aux francs-maçons. C’est plus délicat pour un ecclésiastique. En particulier au Grand Orient.»

Pourquoi ?

« Un prêtre est soumis à l’autorité du Vatican et c’est lui qui consacre les saintes espèces pour la communion. Il y a donc incompatibilité entre ces fonctions et la position officielle de l’église. Les prêtres en franc-maçonnerie, c’est le dernier tabou pour l’église. »

L’exclusion du père Vesin est donc logique…

« Elle est cohérente avec la position officielle de l’église qui s’est durcie depuis le pontificat de Benoît XVI. Mais le fait d’avoir un prêtre, qui est également franc-maçon, qui assume sa situation et qui ne veut abandonner ni son ministère, ni son appartenance, montre que le cardinal Ratzinger avait peut-être tort et qu’il n’y a pas forcément d’incompatibilité ou de concurrence entre la Foi et la franc-maçonnerie. Je pense que cette exclusion spectaculaire est plus liée à un durcissement actuel de la doctrine catholique. »

Vous faites un lien entre l’affaire Vesin et l’actualité ?

« Un lien indirect. Mais on voit bien à travers la lutte contre le mariage pour tous que les positions de l’église se durcissent. Il y a d’ailleurs eu une tentative d’occupation du siège du Grand Orient à Paris par des militants extrémistes. C’est un contexte général. L’église, malmenée en Europe, se tourne aujourd’hui vers de nouveaux publics, comme l’Amérique du Sud, l’Afrique subsaharienne et l’Asie du Sud-Est. Des zones où le catholicisme est en concurrence avec l’Islam, souvent radical et les protestants évangélistes. Face à eux, l’église croit devoir s’aligner sur une ligne dure.»

Le père Vesin serait donc une victime collatérale du contexte général ?

« Je pense que le message symbolique envoyé par l’église est qu’elle ne tolère plus de “pas de côté”. Cela traduit une volonté de reprise en main idéologique. Je pense qu’on va vers un recul des idées dans les prochaines années. Un retour à la Règle beaucoup plus profond. Une sorte de message envoyé aux fidèles du monde entier, plus qu’aux catholiques européens que ce “scandale” ne scandalisera pas le moins du monde. Et fera même rire, pour la plupart.


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