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Vers le distributisme ?

L’économie est aléatoire, contradictoire, partiale et manipulable. C’est pourtant cette non science qui dirige autoritairement la planète pour l’accumulation pathologique de quelques uns au détriment de l’humanisme, du social et de l’écologie. Il est déclaré péremptoirement qu’il existe une seule économie. Certes il n’y en qu’une seule pratiquée et elle obscurcie toutes tentatives de réfléchir à d’autres.

Je parts d’un postulat que je peux par exemple illustrer de deux citations : la première est de Gaston Bachelard « C’est toujours par le rêve que nous commençons à explorer le réel » ; la seconde est de Jules Vernes : « Tout ce qui est impossible reste à accomplir ».

Les idées qui forment les mouvements émergeants nécessaires et salutaires travaillent séparément ou simultanément sur les sujets urgents que sont : la répartition équitable des richesses, la répartition du temps de travail, l’écologie et les limites de notre bio système, la décroissance ou le développement durable, la démocratie participative, l’allocation universelle.

La question que tous se posent est aussi la première clé du débat : nos conceptions des valeurs et des richesses, mouvement binaire de la pensée sur l’économique et l’éthique.

Réfléchir sur l’avenir du travail implique de revenir sur sa nature, en commençant par corriger la dérive de l’œuvre à l’abstraction. Le travail ne disparaît pas, il progresse de près de 20% entre 1981 et 1997. L’accroissement du chômage n’est pas de ce fait.

- Il y a confusion entre réduction, voir disparition du travail avec négation du travail. L’automatisation nous éloignant des tâches productives nous permet de découvrir les créatives. Le travail créateur restera le premier besoin de l’homme. L’art de vivre par le travail avec son corps et son esprit est de fait en opposition avec le travail salarié. Le travail salarié serait-il le prolongement de l’esclavage ?

Le mot travail désigne trois conceptions différentes. Soit par l’action humaine comportant effort et création. Soit par une activité productive.

Et enfin l’activité productive par l’emploi salarié. Les deux premières demeurent des visions anthropologiques, le besoin d’agir et de créer perdurera. Le travail salarié étant totalement lié aujourd’hui aux rapports sociaux du capitalisme, plusieurs voies nous sont proposées :

1) Le travail salarié étant en pleine expansion sa disparition peut néanmoins devenir un objectif. Ne confondons pas la fin du salariat avec l’opiniâtreté que commet le capital pour précariser ce salariat et démolir les acquis sociaux. Le travail est un facteur limitant de l’intégration social, mais en être privé empêche tous les autres facteurs de jouer leur rôle.

2) Plus de flexibilité dans le marché du travail. Avec d’avantage de précarité il est aisé d’inventer des nouveaux métiers de serviteurs.

3) Utiliser l’euro de la Banque Centrale Européenne pour promouvoir l’emploi. Outils imaginés pour assurer définitivement le pouvoir financier en le débarrassant des restes de tutelle étatique, déconnecter la régulation monétaire où se jouent les compromis sociaux. Souvenons-nous de la bête immonde nommée A.M.I. ou de la directive Bolckenstein.

4) Celle que nous subissons ou la croissance comme voie royale pour la promotion de l’emploi. Celle-ci même qui fait l’impasse sur les dégâts écologiques aussi bien que sur les types de productions légitimant l’accumulation du capital.

Introduire une réflexion sur l’utilisation des gains, sur la répartition du volume de travail entre tous les individus qui souhaitent travailler, sur la réduction du temps de travail. On entend dire que la valeur ne trouverait plus son origine dans le travail humain. L’accumulation du capital entraîne une dégénérescence de la valeur mais pas une dégénérescence de la loi de la valeur. Marx parlait de la distanciation entre le travail vivant et les richesses créées. Si au niveau global il est facile de décerner la valeur nouvelle qu’apporte le travail vivant, il est par contre indiscernable dans la valeur ajoutée et la valeur captée.

D’après Bresson une unité de temps pourrait être identique pour tous les individus. En économie actuelle les unités de temps ont des valeurs d’échanges différentes, soit la valeur du temps réel et la valeur de l’efficacité du temps.

Deux questions majeures mettent tous les chercheurs d’accord, outre celle de la répartition équitable des richesses, celle de l’activité économique marchande ou non marchande. Est autant utile à la société un travailleur social qu’un travailleur productif. Encore faut-il s’intéresser à ce que produit le premier : utile, futile, sain, dangereux. Les deux secteurs apparaissent dichotomiques alors qu’ils s’imbriquent l’un dans l’autre. Le tiers secteur souffre de sa distinction entre valeur d’usage et valeur d’échange. Le pouvoir dominant dont le concept est issu a intérêt à le maintenir dans un tiers secteur au frais des collectivités et non absorbé par la société qui lui augmenterait ses prélèvements obligatoires et revitaliserait les programmes sociaux. L’Etat se retrouverai responsabilisé de sa mission sociale qu’il décharge actuellement à peu de frais sur la vie associative.

Nous sommes enfermés dans un clivage hautement contestable d’une société : économie marchande et économie non marchande. La reconnaissance de la seconde permettrait le développement d’un secteur à part entière de l’économie. Où s’arrête la sphère économique et où commence celle de la réciprocité ? La confusion est totale, voulue et entretenue.

L’affrontement n’est pas dans une logique sociale ou économique mais entre des régulations économiques et sociales. Les impôts et les cotisations sociales sont prélevés sur l’ensemble du PIB, marchand et non marchand. La richesse n’est pas du seul fait de la valeur. Les dépenses publiques créent des richesses en créant des bénéfices dont profite aussi l’activité privée.

Les services publics ne créant pas de l’utilité, de la valeur d’usage, les emplois de ceux-ci ne seraient que fictifs ? La bataille pour l’emploi passe par la maîtrise de la collectivité, une répartition des gains en commençant par la réduction du temps de travail. Il s’agit de subordonner la rentabilité à la justice, s’éloigner de la rentabilité et se rapprocher de l’éthique. Sont utiles et ont valeur économique le soleil, l’eau, le vent, la maternité, le travail social.

Trois conceptions de l’allocation universelle sont proposées dont aucune ne satisfait à l’exigence. « un emploi est un droit et un revenu est un dû ».
1) Supprimer le salaire minimum afin d’abaisser le coût du travail au niveau d’un équilibre de marché et compléter les bas salaires par une allocation à la charge des collectivités. Soit régler le problème par la flexibilité des salaires.

2) Non plus le droit à l’emploi, mais le droit à un revenu. L’individu a le droit de travailler ou non en plus. D’où provient alors l’argent s’il n’est plus engendré par le travail productif ?

3) Le revenu de citoyenneté faible versé en dessous d’un certain revenu et devenant progressivement dégressif. Cette proposition évite les inconvénients des deux précédentes, mais persiste un problème majeur, les individus ne souhaitent pas travailler uniquement pour l’obtention d’un revenu. Le demandeur d’emploi réclame un revenu monétaire, mais aussi sa reconnaissance d’homme entier, utile et citoyen.

Le risque premier est de faire de l’allocation universelle un substitut à une répartition équitable. Cette économie dite plurielle devient le masque d’une économie capitaliste ne changeant en rien son accumulation du capital.

La répartition équitable des gains de productivité passent nécessairement par la diminution du temps de travail. Puisque tous les adeptes de l’allocation universelle sont d’accord pour ne plus conditionner la distribution d’un revenu à l’exécution d’un travail, comment envisager alors qu’avec la disparition du travail salarié le capitalisme fondé sur ce rapport social y survive ?

La décroissance et/ou le développement durable.

Le dérèglement climatique s’accompagne des guerres du pétrole, demain celles de l’eau, de pandémies, de disparitions d’espèces végétales et animales du fait de catastrophes biogénétiques prévisibles. Dans ces conditions, la société de croissance n’est plus soutenable, il est urgent de penser une société de « décroissance » sereine et conviviale.

La société de croissance se définie par une économie croissanciste, la croissance pour la croissance devient l’objectif. Une telle société arrive rapidement à terme du seul fait des limites de la biosphère.

Un européen lambda consomme 4,5 hectares, un canadien moyen 7,2 ha et un étasunien 9,6 ha. Hors en admettant que la population mondiale se stabilise l’équilibre de consommation serait de 1,4 ha par terrien.

La société de croissance n’est pas souhaitable pour au moins trois raisons : elle engendre une montée des inégalités et des injustices, elle crée un bien être largement illusoire ; elle ne suscite pas pour les nantis une société conviviale, mais une anti-société malade de sa richesse. Le niveau de vie des citoyens du Nord est illusoire d’abord par la dégradation de la qualité du vivant.

La décroissance ne doit pas se voir comme une croissance négative. Hors un simple ralentissement de cette croissance nous plonge aujourd’hui dans le désarroi parce qu’elle crée du chômage, abandonne les programmes sociaux, culturels et environnementaux. D’où l’impasse du politique jusqu’à l’impuissance de la gauche institutionnelle incapable de créer un concept ne composant plus avec le libéralisme. La décroissance n’est envisageable que dans une société de décroissance et sa nécessité de sortir de l’économie et sa première étape, une réduction massive du temps de travail. Jacques Ellul, un des premiers penseurs de la décroissance fixait l’objectif de réduire le travail à deux heures par jour. Réévaluer, restructurer, redistribuer, réduire, réutiliser, rééduquer, redéfinir, remodeler, repenser etc.

Pour échapper aux valeurs systémiques actuelles, nous devons les substituées par l’altruisme contre l’égoïsme, la coopération sur la compétition, le plaisir du loisir sur l’obsession du travail, la vie sociale sur la consommation, la belle ouvrage sur le productivisme, le raisonnable sur le rationnel. Cette révolution mentale est-elle envisageable sans violence ? On peut, hélas, compter sur la pédagogie des catastrophes pour décoloniser notre imaginaire.

Le distributisme m’apparaît comme la symbiose et le prolongement de toutes ces pensées et ces actions émergeantes, nécessaires et salutaires. Son histoire en occident apparaît au milieu du XIXème siècle aux U.S.A., sous la forme d’un roman de Edward Bellamy « Looking backward ». Ce bouquin fut vendu en langue anglaise à un million d’exemplaires. Sa fiction nous décrit un travail organisé par l’Etat sous une forme militaire.

Trois ans après la disparition de Bellamy en 1891 le texte parait en français dans la Revue Britannique sous le titre « Cent ans après ». En 1919, un écossais, le major H.C. Douglas met au point un système distributif. Au Canada, le créditisme fit naître un parti qui malheureusement eu la vie brève. Puis toujours au Canada, un breton Louis Even voyait dans le crédit social la doctrine de l’Eglise. Il créa en 1935 le journal « Vers demain » qui continu de paraître aujourd’hui. Continu d’exister aussi sa riche et très chrétienne association appelée « les bérets blancs ».

 En 1934, Gustave Rogriguez publie le « Droit à la vie » où il reprend les thèses de Bellamy et Douglas. Rodriguez se suicide à Biarritz en 1940 lorsque les allemands prennent Bordeaux, il a 62 ans.

Dans la revue « Nouvel age », Georges Valois publie en 1936 un plan reprenant les thèmes de Jacques Duboin, Joseph Dubois et Gustave Rodriguez qu’il associe à ses propres pensées. Juste après la victoire du Front Populaire se tiennent des réunions pour constituer le « Front de l’Abondance », mais la fusion avec « Droit au Travail » avorte. Jacques Duboin refuse de donner une coloration politique au mouvement. Soucieux d’actions concrètes, dès la fin de 1936, Rogriguez et Valois consacrent l’essentiel de « Nouvel Age » à la création de coopératives. Georges Valois meurt en déportation à Bergen-Belsen en 1945. Jacques Duboin né en 1878 et décédé en 1976 prend lentement position en faveur de l’économie distributive et dépassant le « plan du nouvel age » prône l’égalité économique et l’égalité des revenus.

Quatre courants, connus, se contestent fraternellement le distributisme actuel, dont deux français. Celui de la « Grande Relève », né en 1935, dirigé par Marie-Louise Duboin, fille de Jacques, qui tente à sauver la notion de « contrat social » par celle du « contrat civique ». L’autre courant, l’association « Utovie » et son journal « Prosper » fait son credo dans le combat contre l’aggravation de l’ordre moral, de l’emprise de l’Etat et dans l’espérance du distributisme en fonction des bouleversements de l’économie et de la communication. D’autres organisations travaillent sur le distributisme ou des propositions sociétales proches, comme par exemple Holbecq et Derudder qui ont signé ensemble un ouvrage « Les dix plus gros mensonges de l’économie ».

Notre histoire utilise sempiternellement le redistributisme des besoins et des richesses. Nous appelons à tort Capitalisme le mode économique qui nous emprisonne aujourd’hui. Il fait porter toute la responsabilité de nos misères sur les capitalistes. Or l’accumulation de capitaux n’est que la partie émergée du régime redistributiste sous lequel nous vivons. Ce système ne fonctionne qu’à condition de maintenir une certaine rareté et contenir les individus dans l’ordre de ce système :

  • rareté des produits de consommation qui nous conditionnent à gagner plus   d’argent pour acquérir ce que nous n’avons pas.
  • rareté du travail par la volonté politique de maintenir un taux de chômage au dessus de 9% (connu sous le nom de indice NAIRU), un taux inférieur réactiverait les mouvements sociaux et augmenterait l’inflation ne portant préjudice qu’aux seuls nantis. L’inflation a accompagnée les « trente glorieuses ».
  • rareté scandaleuse aux pays du Sud en leur échangeant leurs matières premières contre leurs détritus et pour être encore plus barbares de les enchaîner à des dettes iniques.

Rareté certes mais pas pénurie !

Toutes les idéologies contestatrices dénoncent rituellement ce système redistributeur par excellence en proposant d’autres formes plus humaines de redistribution...

Les licenciements, la baisse de qualité des produits, la casse des systèmes sociaux collectifs, la destruction de notre planète sont directement liés aux contraintes redistributives. Le redistributisme n’est pas responsable des progrès réalisés au plan économique depuis deux cents ans, il en est contemporain. Il est responsable, par contre, des cycles de misère, de la montée des fascismes, des guerres qui ont eu lieu pendant cette même période.Il devient utopique sur une planète peuplée de neuf milliards d’usagers.

Un bouleversement révolutionnaire devra nécessairement être guidé par un nouvel ordre économique. L’économie prenant enfin son sens universel : partage rationnel de nos besoins et de notre travail, gestion rigoureuse des dons naturels qui nous sont utiles, précieux et indispensables : l’animal, le végétal, le minéral et le gazeux.

Partant du constat que l’argent n’est plus indexé sur l’or depuis 1976, mais qu’il se crée par une simple pression sur une touche de clavier, la monnaie est devenue scripturale. Si une banque prêtait de la monnaie sans intérêt et que l’entreprise produise, les deux feraient alors leurs métiers. La banque n’avancerait l’argent que sur les critères de l’utile, le beau, le solide, l’évolutif, le sain. Cette même banque ou un organisme doté d’un autre nom, pourrait être chargée de distribuer le revenu à chaque citoyen.

Qu’est-ce que distributisme ?

Son slogan : « Pour la maîtrise des usages par les usagers »

Son principe : une allocation à chaque citoyen du berceau au tombeau.

Sa méthode : Chiffrer les produits et services disponibles par une monnaie qui s’annule au moment de l’achat (comme un chèque restaurant).

Le revenu étant calculé proportionnellement sur la valeur de ces produits et services en dehors de toute concurrence marchande.

Distribuer le total aux usagers (entreprises et particuliers). Renouveler les produits et services selon les besoins locaux (par un système comme le code barre). Le code barre serait-il l’outil de l’avenir de la démocratie ? C’est lui, aujourd’hui qui peut permettre l’observation attentive des ressources humaines et planétaires.

Ces trois points cités constituant la base du distributisme font apparaître jusqu’à la possibilité de se passer de la monnaie.

La question qui surgit immédiatement lorsque l’on entend parler pour la première fois de distributisme : « Qui assurera le renouvellement des biens et services et dans quelles conditions ? »

La pensée distributive actuelle propose de compléter les Droits de l’Homme par un droit nouveau, rendu possible par la technique et l’éducation dont nous disposons aujourd’hui. Celui, pour chacun, de s’investir dans les activités de son choix. L’idée d’instaurer un service social était cohérente à une époque ou la productivité était encore limitée. Notre expérience du politique nous fait craindre aujourd’hui les conseils qui reproduiraient une nomenklatura de techniciens, d’administratifs et d’hommes politiques. Ces conseils limiteraient les usagers dans le choix de leurs activités, diviseraient l’existence entre activité obligatoire et loisir. Ils inciteraient la ruse, ils hiérarchiseraient la société entre les chanceux et les malins et les malchanceux.

Ce n’est plus à l’Etat de décider des besoins, mais au libre jeu des initiatives prises par les usagers eux-mêmes. Un distributisme en accord avec les possibilités du troisième millénaire compte sur l’investissement des usagers dans ce qu’ils font pour réaliser des économies de travail, d’énergie, de matériaux, de transports. Donc d’épargner les hommes et l’environnement.

Par la mise à disposition d’un revenu social à vie, nous nous débarrassons de quelques carcans : sujétion parentale ou mariale, cotisations des retraites. Le revenu social à vie permet aussi d’en finir avec la division de la vie en trois âges. L’éducation peut prendre toute une vie. La gestion de la société se trouve au plus près de chaque individu. Refonte de la politique participative, au plus près de chacun. Refonte aussi de l’utilisation du temps libre, qui associé au nécessaire effort dû à la communauté forment « la culture » d’une société.

Nous quittons les concepts de l’économisme et de la gloire de l’Etat en mettant les usagers et leurs usages au centre du politique. Nous arrivons au stade psychologique où la nécessaire décroissance peut commencer parce que nous ne sommes plus tiraillés par les notions de sur ou sous consommation. Nous sommes au stade de la maîtrise des usages. Notre vigilance peut alors se concentrer sur la question : Comment maintenir, améliorer et changer d’usages sans devoir faire du profit avec ? En toute liberté en somme !

Ces principes font la synthèse des espoirs que nous avons placés dans différentes notions et mouvements comme la démocratie, le syndicalisme, le socialisme, le communisme, l’écologie, l’anarchisme…

Le distributisme politique et économique est autant utopiste que ne le sont la liberté, l’égalité et la fraternité.

J\-L\ G\


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